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Date : 20040227

Dossier : IMM-4382-03

Référence : 2004 CF 302

ENTRE :

                                                                VINOD ANAND

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Les droits fondamentaux ne peuvent jamais être sacrifiés à l'autel de l'efficacité administrative. Il faut que la justice soit non seulement rendue mais qu'il soit évident qu'elle est rendue et c'est la raison pour laquelle j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Anand quand il a comparu devant le tribunal hier, à Montréal. Voici mes motifs.

[2]                M. Anand est arrivé de l'Inde. C'est un hindou qui vivait dans le Pendjab, une région majoritairement sikh. Il tenait un petit commerce. Il a embauché un homme du Cachemire qui logeait dans une pièce au-dessus du commerce. Voilà la source de ses ennuis.


[3]                Pendant que l'employé était absent, la police a effectué une descente dans la maison de M. Anand parce qu'on soupçonnait que l'employé était membre d'un groupe terroriste kashméré. M. Anand était soupçonné de complicité et il a subi des mauvais traitements de la part de la police. Il s'est enfui au Canada et il demande qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27.

[4]                Peu avant la date prévue de l'audition de sa demande, son avocat lui a écrit pour lui dire qu'il ne pouvait plus le représenter. M. Anand a retenu les services d'une avocate qui a demandé qu'on reporte l'audience au motif que non seulement elle venait d'être nommée mais également qu'elle n'avait obtenu certains documents de l'ancien avocat que depuis quelques jours. La Commission a refusé d'accorder l'ajournement.

[5]                M. Anand avait demandé un interprète hindi. La procédure s'est déroulée en anglais. Les questions ont été posées en anglais et traduites en hindi. Après quelque temps, M. Anand a commencé à s'exprimer en panjabi. L'interprète ne s'est pas objecté et il a dit qu'il était parfaitement capable de traduire soit de l'hindi soit du panjabi vers l'anglais, soit le contraire. C'était faux.

[6]                La Commission a décidé que M. Anand n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[7]                M. Anand, aujourd'hui représenté par un nouvel avocat, demande que la décision soit annulée pour des raisons d'inéquité procédurale et, si nécessaire, parce que la décision était également erronée sur le fond.

[8]                La Commission fait valoir qu'elle est maître de sa procédure et qu'elle avait tout à fait le droit de ne pas accorder l'ajournement. Quant à l'interprétation erronée, et même si la preuve non contestée dont je suis saisi confirme que l'interprétation donnée était souvent fausse ou incomplète, la Commission prétend que les erreurs n'auraient eu aucune influence sur la décision finale.

[9]                Comme je l'ai mentionné à la fin de l'audience, la procédure était à ce point viciée qu'il ne m'était pas nécessaire de me prononcer sur la question de savoir si la Commission avait commis une erreur manifestement déraisonnable relativement à une conclusion de fait pertinente. M. Anand n'a strictement pas été entendu. Les principes de justice naturelle dont nous sommes si fiers n'ont pas été respectés en ce qui le concerne et il doit donc être entendu de nouveau.


[10]            M. Anand avait le droit d'être représenté par un avocat. Il arrive qu'un avocat et son client ne s'entendent pas et que, par conséquent, l'avocat soit congédié ou, comme dans la présente affaire, qu'un avocat demande qu'on lui retire le dossier. Un nouvel avocat doit avoir le temps de bien se préparer et quelquefois, il a de la difficulté à obtenir des documents du premier avocat. On peut penser à l'exercice du droit de distraction des dépens.

[11]            Il n'y avait aucune preuve que M. Anand se désistait de sa demande, bien au contraire. Il n'a pas abusé du processus judiciaire. C'était la première fois qu'il demandait un ajournement. Le refus de le lui accorder était déraisonnable. Dans Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1301, le juge Gibson a dit :

[...] L'intention de la requérante de procéder dans cette affaire était incontestable. En l'espèce, le demandeur a mis du temps à douter de la fiabilité de son avocat, et ce n'est qu'après avoir reçu l'avis d'audition qu'il a finalement décidé de changer d'avocat. Il n'y avait pas eu d'ajournement antérieur en l'espèce. En outre, la SSR n'a pas demandé de précision sur la durée de l'ajournement que le demandeur cherchait à obtenir et elle n'a pas offert un ajournement plus court au demandeur afin de permettre à sa nouvelle avocate de mieux le connaître et de se familiariser avec les faits qui fondent la revendication et d'examiner davantage la possibilité de joindre sa revendication à celle de son frère. Comme c'était le cas dans Siloch, rien n'indiquait en l'espèce qu'un bref ajournement influerait sur le système d'immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, faisant ainsi intervenir le paragraphe 69(6) de la Loi. Comme c'était le cas dans Siloch, l'incidence du refus d'accorder l'ajournement en l'espèce était de priver le demandeur de son droit à une audience équitable.

L'arrêt Siloch a été rendu par la Cour d'appel fédérale (Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 10).

[12]            La décision Mangat énonce également le principe selon lequel la norme de contrôle applicable à une telle décision discrétionnaire est celle de la décision raisonnable simpliciter.


[13]            Certes, la Commission a une charge de travail très lourde et un horaire serré. La Cour aussi. Toutefois, il ne faut pas compromettre le droit d'une personne à une audience pleine et équitable.

[14]            Quant à la qualité de l'interprétation, l'audience a été enregistrée. M. Anand a eu l'autorisation de produire une partie de la transcription qu'il avait fait préparer par Daljit Singh. Le ministre n'a pas contesté l'exactitude de la transcription ni la connaissance de M. Singh des langues en cause. La transcription est truffée de commentaires tels que [traduction] « mauvaise traduction » et [traduction] « pas traduit » . M. Anand ne saurait avoir le fardeau d'établir que la décision de la Commission aurait été différente si l'interprétation avait été exacte. M. Anand n'a pas été entendu dans tous les sens du terme, point final. Dans l'affaire Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 85, le juge Stone a dit, au nom de la Cour d'appel fédérale, que l'interprétation donnée aux demandeurs doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante; il n'est pas nécessaire qu'un préjudice réel soit subi suite à la violation de la norme d'interprétation pour que la Cour puisse intervenir face à la décision de la Commission et qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur qui a de la difficulté à comprendre l'interprète s'oppose à la qualité de l'interprétation pendant l'audience afin de pouvoir soulever la question de la qualité de l'interprétation comme motif de contrôle judiciaire.

[15]            Dans l'affaire qui nous occupe, rien ne permet de dire que l'interprète avait une connaissance imparfaite de l'hindi ou du panjabi. Le problème, c'était la traduction ou le manque de traduction vers l'anglais ou de l'anglais. Le demandeur ne pouvait pas raisonnablement savoir, pendant l'audience, que la traduction était mauvaise. (Iantbelidze c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1143, 2002 CFPI 932.)

[16]            On ne saurait blâmer la Commission d'avoir fourni un interprète hindi puisque c'est ce que M. Anand avait demandé. Ce n'est que pendant l'audience que M. Anand a commencé à s'exprimer en panjabi. Ainsi, pour éviter le plus possible toute forme de confusion pendant une nouvelle audience, j'ai ordonné que, sauf entente des parties, l'interprétation se fasse entre le panjabi et l'anglais.

[17]            Il n'y a aucune question de portée générale qui doit être certifiée pour la Cour d'appel fédérale.

                                                                              « Sean Harrington »              

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 27 février 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-4382-03

INTITULÉ :                                           VINOD ANAND

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Viken G. Artinian                                      POUR LE DEMANDEUR

Nadia Sabik                                             POUR LE DÉFENDEUR

Daniel Latulippe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Viken G. Artinian                                      POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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