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Dossier : T‑233‑20

Référence : 2020 CF 1125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

DENISE MA

demanderesse

et

BANQUE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision [la décision] rendue par un arbitre [l’arbitre] en vertu de la partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code]. L’arbitre a rejeté la plainte de congédiement injuste présentée par la demanderesse à l’encontre de la Banque du Canada [la Banque], en vertu du paragraphe 240(1) du Code. L’arbitre a statué qu’il n’avait pas compétence parce que la demanderesse n’avait pas travaillé sans interruption depuis au moins douze mois pour la Banque, une condition prévue à l’alinéa 240(1)a) du Code.

II. Résumé

[2] Excel Human Resources Inc. [Excel, l’Agence ou l’Agence Excel] est une société de recrutement du personnel, communément appelée une agence de placement. Elle recrute des travailleurs qui peuvent ensuite fournir des services à des sociétés autres qu’Excel. Il y a trois parties dans ce type d’accord, c’est pourquoi on l’appelle un accord tripartite. La première partie est un employé comme la demanderesse, la deuxième, une agence de placement comme Excel, et la troisième, un client pour lequel l’employé fournit des services, en l’espèce, la Banque.

[3] Il est important de comprendre que, dans ce type d’accord tripartite, un employé peut se trouver dans une relation employeur-employé avec le client pour lequel il fournit effectivement des services, ou se trouver dans une relation employeur-employé avec l’agence. Selon les faits de l’affaire, l’employé peut être à la fois un employé de l’agence et du client.

[4] En outre, divers régimes législatifs obligent les décideurs à juger si un employé est celui de l’agence de placement ou celui du client. C’est le cas en l’espèce.

[5] L’arbitre a conclu dans la présente affaire que la demanderesse était une employée de l’Agence Excel visée par le paragraphe 240(1) du Code. La demanderesse affirme que la décision est déraisonnable, car elle aurait dû être considérée comme une employée de la Banque. La demanderesse soulève aussi une question d’équité procédurale. Selon la Banque, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, et la décision de l’arbitre est raisonnable et ne devrait pas être infirmée.

[6] On ne m’a pas demandé d’examiner si la décision de l’arbitre est correcte ou incorrecte. À l’exception de l’argument d’équité procédurale, je m’en tiendrai à décider si la décision de l’arbitre est raisonnable.

[7] La demande de contrôle judiciaire est rejetée, car, à mon humble avis, la décision de l’arbitre est raisonnable et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

III. Les faits

[8] J’exposerai brièvement les faits; certains pourront être détaillés plus loin dans les présents motifs.

[9] La demanderesse a conclu une [traduction] « Entente de présélection de candidat » avec Excel le 9 août 2016. Dans cet accord, Excel a indiqué qu’elle mènerait certaines activités, entre autres, avant de chercher une affectation pour la demanderesse : un examen du curriculum vitæ, une entrevue, un examen interne des qualifications et de l’expérience, la vérification de deux références, des tests (au besoin), et des vérifications aux fins de l’obtention d’une habilitation de sécurité ou des vérifications des antécédents (au besoin).

[10] Excel était satisfaite de la candidature de la demanderesse et l’a présentée à plusieurs employeurs potentiels, dont la Banque. La Banque était satisfaite de sa candidature, de sorte qu’elle a accepté que la demanderesse travaille pour elle, ce qu’elle a fait par l’intermédiaire de l’Agence pendant dix mois. Pour ce faire, la demanderesse et l’Agence ont conclu une [traduction« Entente d’emploi/affectation » daté du 15 décembre 2016, en vertu duquel la demanderesse a convenu qu’elle était une employée de l’Agence, même si ses services étaient fournis à la Banque et dans ses locaux. L’Agence s’occupait de toutes les questions liées à la paie, y compris les retenues et les impôts. L’Agence s’est également occupée du recrutement, a fait les présentations, a assuré la liaison avec la Banque et a fait le suivi nécessaire pour s’assurer que la Banque était satisfaite concernant la demanderesse. En vertu de l’[traduction« Entente d’emploi/affectation », Excel avait le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de la demanderesse, et avait le droit de la congédier pour un motif valable ou sinon, avec préavis conformément aux dispositions applicables.

[11] La demanderesse était donc, du moins en principe, une employée d’Excel. Elle a fourni ses services à la Banque à partir du 5 décembre 2016. Son salaire a été fixé par Excel, et non par la Banque. Excel facturait à la Banque 33,81 $ l’heure, alors qu’elle ne payait à la demanderesse que 21 $. La différence, moins les dépenses de l’Agence, était vraisemblablement un bénéfice pour l’Agence. La demanderesse soumettait des feuilles de temps approuvées par la Banque par l’intermédiaire de la plateforme en ligne d’Excel afin de toucher sa rémunération. Excel envoyait ensuite une facture à la Banque.

[12] La demanderesse n’avait conclu aucun contrat avec la Banque quand elle a commencé à y travailler. Son seul lien contractuel à l’époque était avec l’Agence Excel.

[13] La Banque a conclu deux ententes avec l’Agence. La première a été conclue quelques années plus tôt en 2013 et était appelée [traduction« Entente d’externalisation de services professionnels » entre la Banque et l’Agence Excel. Cette entente est entrée en vigueur le 15 juillet 2013 et a été modifiée le 25 mai 2018. Elle régissait divers aspects de la relation entre la Banque et l’Agence Excel, indiquant qu’à la demande de la Banque, Excel proposerait des candidatures à examiner par la Banque, et que la Banque fournirait à une personne dont elle serait satisfaite un espace de bureau et des ressources appropriés. Cette entente régissait également les modalités de paiement, les droits de propriété, la confidentialité et les questions relatives aux assurances et aux indemnités.

[14] La deuxième entente, une [traduction] « lettre d’embauche » datée du 12 décembre 2016 et relative à la demanderesse, a été conclue entre la Banque et l’Agence Excel. La lettre d’embauche précisait l’étendue des tâches que la demanderesse accomplirait pour la Banque, ainsi que les diverses exigences en matière de travail, la durée de l’entente et la rémunération pour les services de la demanderesse à la Banque. Comme je l’ai déjà souligné, la Banque n’avait aucun contrat avec la demanderesse.

[15] La demanderesse travaillait dans les locaux de la Banque. Son ordinateur, son bureau et d’autres équipements et fournitures de bureau lui ont été fournis par la Banque. Elle recevait des directives sur les tâches qui devaient être accomplies et son travail était évalué par le personnel de la Banque qui assurait une liaison périodique avec l’Agence. Le contrat de la demanderesse avec l’Agence donnait à cette dernière le droit de la congédier et prévoyait des délais de préavis appropriés pour le congédiement. En outre, comme je l’ai déjà indiqué, les mesures disciplinaires étaient du ressort de l’Agence et non de la Banque, mais la Banque qui était satisfaite de son travail n’a jamais eu à recourir à des mesures disciplinaires à son endroit.

[16] Son contrat initial de quatre mois a été prolongé à trois reprises, d’abord pour un mois, puis deux autres fois pour quatre mois. Je fais remarquer que la demanderesse a démissionné de son emploi avec Excel avant la fin du terme de la dernière prolongation.

[17] Après une dizaine de mois de travail à la Banque dans le cadre de son contrat avec l’Agence, la demanderesse a réussi un concours pour un poste annoncé par la Banque.

[18] Après avoir reçu une offre officielle d’emploi à la Banque, la demanderesse a informé Excel qu’elle avait obtenu un autre emploi et a démissionné d’Excel le 25 octobre 2017.

[19] La demanderesse a conclu un contrat avec la Banque le 18 octobre 2017, en vertu duquel elle est devenue en principe une employée de la Banque.

[20] Son contrat avec la Banque a pris effet le 26 octobre 2017 et a pris fin environ huit mois plus tard, le 18 juin 2018.

[21] Pendant toute la période où elle a travaillé directement pour la Banque, la demanderesse a fourni à la Banque les mêmes services que ceux qu’elle lui avait précédemment fournis dans le cadre de son entente avec l’Agence. L’horaire de travail de la demanderesse, son travail et, du moins initialement, son gestionnaire étaient sensiblement les mêmes. Je conviens que rien d’important n’avait changé sur le lieu de travail, mais elle était payée par la Banque et relevait directement du personnel de la Banque sans aucune implication de l’Agence. Selon le contrat de la demanderesse avec la Banque, la Banque prenait les décisions relatives à la discipline et à la formation, ainsi qu’au licenciement.

[22] La demanderesse a déclaré, et c’est aussi ma conclusion, que la nature essentielle de ses services était la même pendant toute la période de dix-huit mois.

[23] La superviseure de la demanderesse à la Banque, au moment où elle était sous contrat avec l’Agence, était très satisfaite du travail de la demanderesse. Après que la demanderesse a commencé à travailler directement pour la Banque, cette superviseure est partie en congé de maternité. Un remplaçant a pris la relève et la relation entre la demanderesse et la Banque s’est détériorée.

[24] Comme je l’ai déjà été mentionné, la Banque a mis fin à son emploi après environ huit mois, le 18 juin 2018.

[25] Après avoir été congédiée par la Banque, la demanderesse a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu du Code. La plainte de la demanderesse a été renvoyée à un arbitre le 8 janvier 2019. La Banque a déposé une opposition au motif que l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre la demande. La Banque a soutenu que la demanderesse n’avait pas travaillé « sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur » comme le requiert l’alinéa 240(1)a) du Code :

Plainte pour congédiement injuste

Complaint to inspector for unjust dismissal

240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240 (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

[en blanc]

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[26] Deux aspects sont soulevés dans la présente demande de contrôle. Le premier est celui de savoir si la demanderesse a été privée de son droit à l’équité procédurale parce que l’arbitre a autorisé l’avocat de la Banque à déposer un résumé ou un plan écrit de ses observations juste avant de les présenter. Le deuxième est celui de savoir si la décision en question est raisonnable.

[27] En ce qui concerne la question relative à l’équité procédurale, je remarque que, lors d’une conférence téléphonique de gestion d’instance tenue par l’arbitre le 5 juin 2019, les avocats de la demanderesse et de la Banque ont convenu du nombre de témoins et de la durée des interrogatoires. Ils ont convenu que l’arbitre entendra les témoignages de divers témoins, après quoi, l’arbitre instruira la requête par laquelle la Banque sollicite le rejet de la plainte pour absence de compétence. Ils ont convenu que les parties présenteraient des « observations de vive voix » relativement à cette requête.

[28] L’expression « observations de vive voix » n’a jamais été définie. Les parties ont convenu que, s’il n’y avait pas suffisamment de temps pour les observations après l’interrogatoire des témoins, les parties présenteraient des observations écrites à une date ultérieure. L’expression « observations écrites » n’a jamais été définie.

[29] L’audience a commencé 14 juin 2019, et a été ajournée parce qu’un jour supplémentaire était nécessaire pour terminer les interrogatoires des témoins.

[30] Au cours de cette première journée d’audience, l’arbitre a demandé aux avocats s’ils préféraient présenter des observations écrites ou de vive voix. Le stagiaire en droit agissant pour la demanderesse a déclaré que [traduction« selon les avocats, une journée entière devrait être réservée non seulement pour la fin du témoignage de Denise Ma, mais aussi pour l’intégralité des observations orales ».

[31] L’audience a été ajournée et devait se poursuivre le 23 août 2019.

[32] Le 25 juillet 2019, l’avocat de la demanderesse a envoyé un courriel à l’avocat de la Banque pour confirmer, entre autres, que les parties présenteraient des observations orales. L’avocat de la Banque l’a confirmé le 2 août 2019 :

[traduction]

Courriel transmis par l’avocat de la demanderesse à l’avocat de la Banque daté du 25 juillet 2019 :

Bonjour Me Harnden,

En vue du contre-interrogatoire de Denise Ma prévu pour le vendredi 23 août 2019 dans les locaux de Gillespie’s Reporting Services [sténographes judiciaires], nous apprécierions si vous pouviez confirmer les détails suivants :

1. Les parties se communiqueront leurs sources jurisprudentielles avant le contre-interrogatoire. Un calendrier particulier a-t-il été fixé pour la communication de ces sources? Un délai de sept jours avant l’audience nous conviendrait.

2. Le contre-interrogatoire de Denise Ma aura lieu en premier, à compter de 10 heures. Après quoi les parties présenteront leurs observations de vive voix, en commençant par Me Harnden, suivi de Me Lalonde.

Veuillez nous donner votre avis sur ce qui précède. Si vous le désirez, Me Lalonde est disposé à organiser une conférence téléphonique afin de revoir les détails pour le 23 août.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

Courriel transmis par l’avocat de la Banque à l’avocat de la demanderesse daté du 2 août 2019 :

Andrew,

Je vous prie d’excuser cette réponse tardive. J’étais à une audience à l’extérieur de la ville cette semaine.

La communication des sources jurisprudentielles sept jours avant l’audience (16 août) est logique, étant entendu que l’une ou l’autre partie pourra déposer d’autres décisions afin de répondre à toute question imprévue soulevée par la partie adverse.

Je confirme également que le contre-interrogatoire de Mme Ma commencera à 10 heures et que les arguments seront présentés par la suite.

[Non souligné dans les deux lettres.]

[33] Je remarque que la demanderesse a fait mention des « observations de vive voix », mais que l’avocat de la Banque n’a renvoyé qu’à des « arguments », sans mentionner s’ils seraient présentés de vive voix ou par écrit.

[34] Cela dit, je n’ai pas entendu la Banque nier qu’il avait été convenu de présenter des observations de vive voix; la Banque dit plutôt que le dépôt d’un résumé ou d’un plan écrit de ses arguments fait normalement partie intégrante de la présentation d’observations de vive voix. Il s’agit du point litigieux dans l’aspect lié à l’équité procédurale du présent contrôle.

[35] La demanderesse a déclaré ce qui suit dans son témoignage : [traduction] « Maître Harnden a confirmé que le contre-interrogatoire de Mme Ma pouvait commencer à 10 heures, et qu’ensuite les avocats présenteraient leurs arguments de vive voix. » Je souligne que ni l’affidavit de la défenderesse ni ses observations ne font référence à l’échange de courriels entre les parties. Toutefois, la défenderesse a indiqué ce qui suit dans ses observations : [traduction« Avant l’audience, les parties ont convenu, lors d’une téléconférence tenue avec l’arbitre, de présenter des observations de vive voix une fois leur preuve close relativement à la requête préliminaire. Cet accord a été reconfirmé par l’arbitre et les parties après la première journée d’audience. »

[36] Lors de l’audience du 23 août 2019, après la clôture de la preuve, la Banque devait présenter des observations concernant sa requête par laquelle elle sollicitait le rejet de la plainte pour absence de compétence de l’arbitre fondée sur le fait que la demanderesse n’avait pas travaillé à la Banque sans interruption depuis les douze mois requis pour se prévaloir de l’article 240 du Code.

[37] Avant de commencer ses observations, l’avocat de la Banque a remis à l’arbitre et à l’avocat de la demanderesse un document de 16 pages intitulé [traduction] « Observations de l’employeur ». L’avocat de la demanderesse s’y est opposé en demandant à l’arbitre de ne pas accepter le document.

[38] L’avocat de la Banque a soutenu que le document était un résumé des observations qu’il exposerait de vive voix, que son dépôt éviterait à l’arbitre d’avoir à les transcrire, que le document ne causerait aucun préjudice à la demanderesse, et que l’avocat de la demanderesse avait eu la même possibilité de rédiger des observations, mais ne l’a pas fait. En substance, la Banque soutient que son résumé écrit est un plan ou un résumé de ses observations de vive voix et qu’il doit être accepté en cette qualité.

[39] Lors de l’audience qui s’est déroulée devant moi, la Banque a fait valoir qu’un exposé sommaire n’est pas la même chose que des observations écrites; ces observations écrites, selon la Banque, auraient pu être des mémoires écrits déposés par les deux parties selon un calendrier convenu. La Banque affirme qu’il est de pratique courante pour les avocats de déposer des plans ou des résumés écrits dans le cadre de leurs observations de vive voix.

[40] La Banque avait un résumé écrit, prêt à être déposé, des observations qu’elle entendait présenter de vive voix, mais la demanderesse n’en avait pas.

[41] L’avocat de la demanderesse s’est opposé à la présentation d’observations écrites parce que les parties avaient convenu de le faire de vive voix et que, par conséquent, aucune observation écrite n’était autorisée. Il a déclaré qu’il serait inéquitable de permettre à la défenderesse de déposer des observations écrites alors que la demanderesse n’avait pas ce droit. Cet aspect de l’audition n’a pas été enregistré sous forme audio. Toutefois, la demanderesse a déposé un affidavit dans lequel le déposant a donné les explications suivantes :

[traduction]

24. Si on nous avait donné la même possibilité, nous aurions pu élaborer un résumé écrit concis des faits et du droit, et de l’application du droit aux faits. [L’arbitre] aurait alors eu la possibilité de se référer à nos observations écrites comme il l’a manifestement fait pour la défenderesse. Les observations écrites de la plaignante auraient également pu être utilisées dans une demande de contrôle judiciaire si la plaignante avait décidé de présenter une demande de contrôle judiciaire, ce qui s’est avéré être le cas.

[42] Je souligne que l’auteur de l’affidavit ne dit pas que la demanderesse « aurait » élaboré un résumé écrit, mais seulement qu’elle « aurait pu » le faire.

[43] L’avocat de la demanderesse signale qu’il a informé le tribunal qu’il accepterait que la Banque [traduction] « soumette des observations écrites s’il disposait d’une (1) semaine pour y répondre en fournissant ses propres observations écrites ». L’avocat de la Banque s’est opposé à ce que la demanderesse dépose des documents écrits après l’audience, en invoquant un retard déraisonnable.

[44] L’arbitre a décidé qu’il accepterait le résumé écrit des observations de la Banque. Il a également décidé de rejeter, invoquant le retard, la demande de la demanderesse visant à déposer des observations écrites une semaine plus tard.

[45] Il est important de préciser que l’arbitre a fait un enregistrement audio des observations, livrées de vive voix, quant au fond sur la question de compétence. Par conséquent, l’arbitre avait accès à ces observations et pouvait en transcrire des parties, au besoin.

[46] L’arbitre a rendu sa décision le 21 janvier 2020. Il a conclu qu’il n’avait pas compétence selon l’article 240 du Code parce que la demanderesse n’avait pas travaillé sans interruption depuis au moins douze mois pour la Banque.

[47] Selon l’arbitre, la demanderesse était une employée de l’Agence Excel à partir du 5 décembre 2016, et elle a cessé de l’être le 25 octobre 2017. Aucune de ces périodes n’a été prise en compte dans les douze mois consécutifs requis par l’article 240 du Code, car l’arbitre a estimé que la demanderesse n’était pas une employée de la Banque pendant cette période.

[48] Cette conclusion a entraîné le rejet de la plainte, car la demanderesse n’a ensuite été employée par la Banque que pendant huit mois du 26 octobre 2017 au 18 juin 2018 – ce qui est insuffisant pour satisfaire au critère de douze mois.

[49] Autrement dit, l’arbitre n’a pas accepté l’argument de la demanderesse selon lequel ses dix premiers mois de travail à la Banque par l’intermédiaire d’Excel constituaient un emploi auprès de la Banque qui pouvait être pris en compte aux fins de l’alinéa 240(1)a) du Code.

[50] Pour parvenir à sa conclusion, l’arbitre a commencé par examiner les critères du droit du travail applicables à l’analyse d’une situation d’emploi bipartite (le contrôle, l’exclusivité, la personne qui fournit les instruments de travail, assure la direction et le contrôle, entre autres choses) comme il est par exemple énoncé dans Doyle c London Life Insurance Co (1985), 23 DLR (4th) 443 (CA C.-B.).

[51] Aux pages 30 et 31 de sa décision, l’arbitre a conclu que l’application des critères conçus pour les ententes bipartites aux ententes tripartites du type à l’examen était un exercice déconcertant et ambigu :

[…] Bien que ces critères conviennent à la tâche de déterminer si une personne est un entrepreneur autonome ou un employé dans une dynamique bipartite, je pense qu’il est déconcertant de tenter de les appliquer à la détermination de laquelle des deux entités est le véritable employeur dans un arrangement tripartite de placement temporaire. Ces critères ont non seulement été établis pour éclaircir les affaires d’arrangement bipartite plutôt que tripartite, mais encore ils ne prévoient également pas les particularités d’un arrangement triangulaire de placement temporaire. Ces particularités comprennent le fait que l’entité qui, au final, sera réputée l’employeur n’aurait pas l’exclusivité sur tous les autres attributs d’une relation d’emploi. De plus, il y a des éléments qui sont normaux dans les arrangements tripartites de placement temporaire qui sont étrangers aux autres types de relations d’emploi. Par exemple, il est habituellement normal que le client fournisse les ressources matérielles, comme un poste de travail, un téléphone, un ordinateur, etc. à un travailleur de bureau affecté à des tâches administratives provenant d’une agence de placement temporaire. Il est également normal pour une ressource de recevoir des directives du client sur les tâches à exécuter. Tenter d’appliquer les critères conçus pour faire un tri dans la dynamique bipartite qui ne prévoit pas les particularités d’un arrangement tripartite de placement temporaire viendrait, je pense, ajouter un niveau d’ambiguïté inutile dans la recherche du véritable employeur. […]

[52] Pour déterminer la manière d’évaluer la relation d’emploi dans la situation tripartite en l’espèce, l’arbitre a suivi l’arrêt Pointe-Claire (Ville) ce Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 RCS 1015, motifs du juge en chef Lamer [Pointe-Claire] (motifs dissidents prononcés par la juge L’Heureux‑Dubé). Le juge en chef, s’exprimant au nom des juges majoritaires, s’est exprimé comme suit :

47. Je suis d’accord avec l’approche plus globale proposée par le juge Grenier dans Vassart afin d’identifier le véritable employeur dans des relations tripartites. Cette approche est d’ailleurs celle qu’a adoptée la majorité et la dissidence de la Cour d’appel dans le présent litige. Le juge Rousseau-Houle, pour la majorité de la Cour d’appel, a déclaré (à la p. 1674) :

Le contrôle quotidien sur le travail effectué n’est donc qu’un facteur dans la détermination de l’employeur. Le processus de sélection, l’embauche, la discipline, la formation, l’évaluation, l’assignation des fonctions et la durée des services sont tous des éléments à considérer lorsqu’il faut déterminer le véritable employeur dans une relation tripartite.

Le juge Deschamps, dissidente sur le résultat, a proposé le même type d’approche plus libérale comprenant l’examen de plusieurs éléments pour déterminer le véritable employeur dans une relation tripartite (aux pp. 1678 et 1679) :

Il me semble invraisemblable qu’un client qui retient les services d’une agence de location de personnel temporaire se retrouve l’employeur des employés de l’agence simplement parce qu’il contrôle les tâches qui doivent être effectuées au jour le jour. C’est là réduire à bien peu de chose la notion d’employeur et en mettre de côté la réalité, qui exige une vision beaucoup plus globale. Parmi les éléments qui doivent être évalués, je fais non seulement référence au recrutement, à la sélection, à la formation, à la rémunération, à la discipline, mais aussi à l’intégration dans l’entreprise, à la continuité de l’emploi et au sentiment d’appartenance des employés. Je ne peux concevoir de relation employeur-employé(e) qui ne recoupe aucun de ces aspects.

La notion de « subordination juridique », termes utilisés par le Tribunal du travail, ne recouvre en fait pour le Tribunal du travail que la supervision quotidienne de l’exécution du travail. La notion de subordination juridique, ainsi réduite, s’avère donc totalement insuffisante pour qualifier la relation tripartite qui existe entre l’agence, son client et l’employé(e).

48. Selon cette approche plus globale, les critères de la subordination juridique et de l’intégration dans l’entreprise ne devraient pas être utilisés comme des critères exclusifs pour déterminer le véritable employeur. À mon avis, dans un contexte de rapports collectifs régis par le Code du travail, il est primordial que l’employé temporaire puisse négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de son travail – et non seulement sur la supervision de son travail quotidien. De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d’une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l’examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur‑salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[…]

62. Je suis conscient du fait que l’arrangement n’est pas parfait. Cependant, il ne faut pas oublier que la relation qui fait l’objet du présent litige n’est pas une relation bipartite traditionnelle, mais une relation tripartite dans laquelle une partie remplit le rôle du salarié et les deux autres se partagent les attributs usuels d’un employeur. Il est normal, dans cette situation, que les lois du travail, conçues pour réglementer les situations bipartites, nécessitent certains ajustements […].

63. Les tribunaux et les cours doivent, hélas, souvent prendre des décisions en interprétant des lois comportant des lacunes. Le cas sous étude démontre que les situations de relations tripartites peuvent poser des problèmes lorsqu’il s’agit d’identifier le véritable employeur en présence de lois du travail incomplètes sur le sujet. La relation tripartite s’intègre avec difficulté dans le schéma classique des rapports bilatéraux. En effet, le Code du travail a été conçu essentiellement pour des relations bipartites comprenant un salarié et un employeur. Le Code du travail n’est pas d’un grand secours lorsqu’il s’agit d’analyser un cas de relation tripartite comme celui en l’espèce. Les éléments caractéristiques traditionnels d’un employeur sont partagés entre deux entités distinctes – l’agence de location de personnel et l’entreprise-cliente – qui toutes deux entretiennent un certain rapport avec l’employé temporaire. Confrontés à ces lacunes législatives, les tribunaux ont, selon leur expertise, interprété les dispositions souvent laconiques de la loi. Or, en dernier ressort, il revient au législateur d’apporter des solutions à ces lacunes. La Cour ne peut empiéter sur un domaine qui ne lui appartient pas […].

[Non souligné dans l’original.]

[53] L’arbitre a suivi l’arrêt Pointe-Claire et a fait les remarques suivantes aux pages 24 et 25 de sa décision :

À mon avis, l’approche d’identification du véritable employeur établie dans Pointe-Claire comporte deux volets :

1. Elle nécessite une évaluation globale de la façon dont les attributs d’une relation d’emploi ont été répartis dans l’arrangement tripartite de placement temporaire créé par les parties;

2. Le poids accordé aux attributs et la façon de le mesurer doivent refléter les objectifs du cadre juridique pour lequel l’identification est faite.

[…]

Pour identifier le véritable employeur dans le contexte de la réparation au titre de l’article 240 du Code, les attributs d’emploi doivent être pondérés et mesurés d’une façon qui reflète de manière juste et appropriée les objectifs de la réparation en cas de congédiement injuste que le Parlement a accordé aux salariés non syndiqués.

[54] L’arbitre a examiné chacun des attributs d’emploi énoncés au paragraphe 48 de l’arrêt Pointe-Claire, notamment le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[55] À cet égard, l’arbitre a également examiné la politique de la Banque applicable aux consultants, qui fournit des lignes directrices concernant ses relations avec les consultants externes, y compris les personnes qu’elle a embauchées par l’intermédiaire d’agences de placement, comme la demanderesse. L’arbitre a également examiné les relations contractuelles et quotidiennes entre la demanderesse, Excel et la Banque, d’autres attributs de ces relations, ainsi que les dispositions législatives pertinentes. Ces éléments seront examinés plus en détail ci-après.

[56] En fin de compte, l’arbitre a jugé que la demanderesse était une employée d’Excel aux fins de l’alinéa 240(1)a) du Code pendant la période de dix mois au cours de laquelle elle a travaillé à la Banque dans le cadre de son contrat avec l’Agence. L’arbitre a donc conclu que la demanderesse n’avait accumulé que huit mois consécutifs et non les douze requis. Par conséquent, l’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence compte tenu de l’alinéa 240(1)a) du Code.

V. Les questions en litige

[57] Les questions en litige sont les suivantes :

VI. La norme de contrôle

A. Les principes de justice naturelle et d’équité procédurale

[58] S’agissant de la première question, les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, motifs du juge Binnie, au para 43). Cela dit, je fais remarquer que, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 [Bergeron], le juge Stratas indique pour la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 69, qu’il peut être opportun de procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte « en se montrant “respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Voir toutefois Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [motifs du juge Rennie]. À cet égard, je souligne que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un arrêt récent que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale est effectué selon la norme de la décision correcte (voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y ont souscrit] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte […]

[59] Je souligne également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[60] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique ce qui est attendu d’une cour qui procède à une révision selon la norme de la décision correcte :

[50] […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Le caractère raisonnable de la décision

[61] S’agissant du caractère raisonnable de la décision, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], motifs du juge Rowe pour la majorité – qui a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada expliquent les caractéristiques nécessaires à la décision raisonnable et, il importe de le souligner pour les besoins de l’espèce, les obligations auxquelles la cour de révision est tenue lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « [une] une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48. Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[62] Comme l’indique la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, une cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel – comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[63] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada fait remarquer qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique », et donne la directive selon laquelle la cour de révision décide au vu du dossier dont elle était saisie :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

VII. Les thèses des parties et les analyses

(1) L’arbitre a-t-il contrevenu aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale?

[64] La demanderesse soutient que l’arbitre l’a privée de son droit à l’équité procédurale parce qu’il s’est écarté de la procédure prévue en permettant à la Banque de présenter des observations écrites au début de ses observations exposées de vive voix. La demanderesse déclare aussi que l’arbitre l’a privée de ce même droit parce qu’il a refusé de lui donner la possibilité de déposer des observations écrites après l’audience. Selon la demanderesse, le processus est entièrement vicié en raison de l’un de ces manquements à l’équité procédurale, ou des deux, de sorte que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et la décision, annulée.

[65] Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], la Cour suprême du Canada énonce les facteurs qui doivent être appliqués dans l’analyse relative à l’équité procédurale. Elle reprend, comme suit, ces facteurs au paragraphe 77 de l’arrêt Vavilov :

[77] […] Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné […]. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23-27.

[66] La demanderesse soutient que le congédiement d’une personne est de la plus haute importance, et son affirmation est extrapolée à partir de la remarque suivante tirée de l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 RCS 313 [motifs dissidents prononcés par le juge en chef Dickson], au para 91 : « Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne […] » En outre, la demanderesse fait valoir que, si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour sa prise de décision, la portée de l’obligation d’équité procédurale qui découle de l’application de la théorie de l’attente légitime sera plus étendue (voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [motifs du juge LeBel], aux para 94-95). Je ne puis écarter l’un ou l’autre de ces arguments.

[67] Les parties en l’espèce ont convenu de présenter leurs observations de vive voix. Toutefois, elles n’en ont donné aucune définition. Ni l’expression « observations de vive voix » ni l’expression « observations écrites » n’ont été définies par l’une ou l’autre des parties ou par l’arbitre. Je fais également remarquer que rien dans les communications entre les parties n’interdit les observations écrites de l’une ou l’autre partie.

[68] La demanderesse souligne qu’au paragraphe 127 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a conclu que « [l]e principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu […] .» En toute déférence, je souscris entièrement à cet énoncé du droit.

[69] La demanderesse s’appuie fortement sur l’arrêt C.E.P., Local 76 v British Columbia (Power Engineers & Boiler & Pressure Vessel Safety Appeal Board), 2001 BCCA 743 [CEP] [motifs de la juge Saunders], aux para 14-15, pour dire que le privilège de déposer des observations écrites devrait soit accordé à toutes les parties, soit n’être accordé à aucune d’elles, et que le refus de cette égalité a, dans cette affaire, entraîné le non-respect du droit à une audience équitable.

[70] En réponse, la défenderesse précise, à juste titre à mon avis, qu’au paragraphe 82 de l’arrêt Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 [Taseko] [motifs du juge de Montigny, les juges Stratas et Near y ont souscrit], la Cour d’appel fédérale a observé que l’arrêt CEP n’avait pas été largement suivi par la Cour fédérale et, plus important encore, que CEP « [..] est contraire » aux multiples arrêts rendus par la Cour d’appel fédérale sur la question (voir Cie d’assurance Cardinal Re, [1982] ACF No 516, motifs du juge Urie; Association canadienne de télévision par câble c American College Sports Collective of Canada Inc., [1991] 3 CF 626, motifs du juge MacGuigan, au para 38; et Jada Fishing Co c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 103, motifs du juge Malone, au para 17. Il convient de souligner que les décisions sur lesquelles s’appuie le juge de Montigny dans l’arrêt Taseko ne sont pas récentes; certaines remontent à près de 40 ans.

[71] Pour ces motifs et avec égards, puisque je suis tenu de suivre la Cour d’appel fédérale, je suivrai l’arrêt Taseko, et non la remarque incidente énoncée dans l’arrêt CEP.

[72] La défenderesse fait en outre valoir qu’une distinction peut être établie avec l’arrêt CEP. J’en conviens et c’est pourquoi je fais référence à l’extrait invoqué comme étant une remarque incidente; il va bien au-delà des faits de l’affaire. Au paragraphe 11 de l’arrêt CEP, il est précisé que la commission compétente a demandé à l’une des parties de fournir des observations écrites à la suite de ses observations fournies de vive voix, mais n’a pas donné à l’autre partie la même possibilité. J’estime que le paragraphe 81 de l’arrêt Taseko, appuie l’argument de la défenderesse selon lequel l’arrêt CEP ne portait que sur la question précise de savoir s’il était inéquitable sur le plan procédural pour un décideur d’accepter des observations écrites après la présentation d’observations de vive voix alors que la partie adverse n’a pas eu la possibilité de les examiner et d’y répondre. Dans l’arrêt CEP, le contexte factuel était très différent.

[73] Au paragraphe 71 de l’arrêt Taseko, la Cour d’appel fédérale a également examiné le risque de préjudice et a conclu que les renseignements pertinents n’entraînaient aucun préjudice. J’arrive à la même conclusion d’absence de préjudice en l’espèce pour les motifs exposés ci-après.

[74] Au paragraphe 38 de la décision Kinsey c Canada (Procureur général), 2007 CF 543 [motifs du juge de Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale], la Cour fédérale a accepté un document de 59 pages présentant les observations orales d’une partie, déposé à l’audience. Le juge de Montigny a estimé, comme je l’ai fait dans la présente affaire, que le document « […] ne comporte pas vraiment de nouveaux arguments et qu’il ne porte donc pas préjudice aux défendeurs ». Je précise que le reste de ce paragraphe indique que le document ressemblait davantage à un mémoire modifié des faits et du droit qu’à un résumé des observations orales.

[75] Mises en contexte, les observations écrites fournies par la Banque en l’espèce ne comptent que 16 pages, alors que le juge de Montigny a autorisé 59 pages dans l’affaire Kinsey.

[76] Tout comme la Cour dans Kinsey, je ne voudrais pas que l’on croie que je donne mon appui aux modifications de dernière minute apportées à des mémoires déjà produits, comme ce fut le cas dans Kinsey. Aucun acte de procédure n’a toutefois été modifié dans la présente affaire. La Banque, avec l’autorisation de l’arbitre, a simplement déposé un plan ou un résumé de ses observations de vive voix. Je précise également qu’au paragraphe 38 de la décision Kinsey, la Cour a conclu que l’avocat de la partie adverse n’avait subi aucun préjudice, ce qui est le cas en l’espèce.

[77] Une question clé en l’espèce est celle de savoir s’il existe un « droit » de déposer un résumé ou un plan écrit des arguments dans une affaire où les parties devaient présenter des « observations de vive voix »? À mon avis, un tel « droit » n’existe pas.

[78] Toutefois, à mon humble avis, les parties sont libres, avec l’autorisation du décideur présidant l’instance, de déposer des observations écrites sous la forme d’un résumé ou d’un plan de leurs observations avant de les présenter de vive voix. Le dépôt d’un tel plan ou d’un tel résumé est une possibilité reconnue qui peut être accordée par un décideur, qu’il s’agisse d’un juge ou d’un autre tribunal, lorsque l’avocat de la partie adverse n’en subit aucun préjudice. En l’espèce, le dépôt a été contesté, les parties ont débattu de ce point, et l’arbitre a autorisé le dépôt du résumé.

[79] De nombreux facteurs entreront en ligne de compte dans la décision d’accepter un document constituant le résumé des observations présentées de vive voix. L’absence de préjudice en est certainement un. Dans Taseko par exemple, la Cour d’appel a conclu à l’absence de préjudice. La Cour a fait de même dans Kinsey. En l’espèce, je ne vois aucun préjudice que pourrait causer le fait que l’avocat demande et obtienne l’autorisation de déposer un plan écrit de son argumentation qu’il présentera de vive voix à l’audience. Cela est d’autant plus vrai puisque, après examen, le résumé ou le plan n’était que cela, c’est-à-dire un survol des observations que l’avocat a réellement exposées de vive voix.

[80] Il est important de souligner que je n’ai pas entendu la demanderesse dire le contraire. Elle n’a pas affirmé que les observations écrites différaient sensiblement des observations présentées de vive voix par la Banque. En fait, dans son plan écrit, la Banque expose ses observations dans le même ordre qu’elle les a présentées de vive voix à l’audience et, dans de nombreuses sections, l’exposé est identique. À quelques endroits, certaines phrases et certains mots étaient différents, et deux ou trois paragraphes des observations écrites n’ont pas été mentionnés de vive voix. Cependant, à mon humble avis, le document était en réalité essentiellement un résumé ou un plan de ce que l’avocat entendait dire.

[81] La complexité de l’affaire est un autre facteur qui peut être pris en compte. En l’espèce, les parties avaient initialement prévu consacrer une journée aux interrogatoires et aux observations de vive voix, mais si les avocats n’avaient pas terminé leurs plaidoiries, ils les déposeraient sous forme écrite. Par la suite, une deuxième journée a été ajoutée pour terminer les interrogatoires, et la Banque a présenté un plan écrit au début de sa plaidoirie. À mon avis, si l’on tient pour acquis qu’aucun préjudice n’a été causé, il ne reste qu’à examiner quelle procédure le décideur voulait suivre pour le déroulement de l’audience. En l’espèce, le fait d’avoir reçu des observations écrites dans ces circonstances convenait manifestement à l’arbitre. Comme ses motifs sur ce point ne font pas partie de l’enregistrement, on peut présumer qu’il s’agissait d’un facteur de motivation.

[82] La défenderesse soutient qu’un résumé écrit peut faire économiser du temps dans la prise de notes, et j’en conviens.

[83] Selon la jurisprudence, le dépôt de résumés écrits des arguments est une pratique courante auprès des décideurs administratifs et judiciaires (voir Mandel v. Morguard Corp, 2014 ONSC 1540 [motifs du juge Mew], au para 11, et Sellathamby v. RBC General Insurance Co., 2008 CarswellOnt 3255 [Commission des services financiers de l’Ontario (Décision d’arbitrage)], au para 34).

[84] La demanderesse affirme qu’elle a été traitée de façon inéquitable. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. L’équité dans ce cas exige non pas que le résumé écrit soit rejeté, mais plutôt que la demanderesse se voit accorder le même privilège si elle en fait la demande. La demanderesse n’a pas fait une telle demande probablement parce qu’elle n’avait pas préparé de plan ou de résumé écrit. Cela n’enlève rien à la capacité de l’arbitre de permettre à la Banque de déposer un plan de ses observations.

[85] En outre, il me semble que l’objection de la demanderesse est quelque peu théorique. Si la Banque avait le droit de déposer un résumé écrit des observations qu’elle allait présenter de vive voix, avec l’autorisation accordée, et sans qu’aucun préjudice soit causé comme en l’espèce, et à tout le moins lorsque les deux concordent, je ne vois pas en quoi la demanderesse est désavantagée si le résumé est remis à l’arbitre au début des plaidoiries. J’en arrive à cette conclusion parce que tout avantage que la Banque aurait pu avoir en déposant puis en s’appuyant ses observations écrites a disparu à la fin de sa plaidoirie. L’arbitre disposait bien entendu d’un document écrit, mais les plaidoiries des deux parties étaient enregistrées; l’arbitre pouvait donc se fonder sur les observations de l’une ou l’autre partie lors de son examen et ensuite lors de la rédaction de ses motifs.

[86] La demanderesse soutient que l’arbitre s’est effectivement servi d’éléments des observations écrites de la Banque, mais en réalité l’arbitre aurait également pu se servir des arguments de la demanderesse s’il l’avait voulu, puisqu’il avait l’enregistrement des plaidoiries des deux parties.

[87] La demanderesse souligne que l’arbitre a participé à la réunion de gestion d’instance au cours de laquelle les parties ont décidé de présenter des observations de vive voix. Il est vrai que l’arbitre a consenti à ce que les parties présentent leurs observations de vive voix, mais il est également vrai que l’arbitre, lorsqu’on le lui a demandé à l’audience, a accepté le résumé écrit. Quoi qu’il en soit, ce fait est moins important compte tenu de mes conclusions concernant le privilège de déposer un résumé ou un plan écrit des observations à être présentées de vive voix, et de l’absence d’un préjudice en l’espèce.

[88] Compte tenu des conclusions qui précèdent, je tiens à revenir sur les facteurs mentionnés au paragraphe 77 de l’arrêt Vavilov, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a fait les remarques suivantes :

[77] […] Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné […]. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23‑27. […]

[89] S’agissant de la nature de la décision et du processus, soit le premier point, la nature de la décision consistait simplement à donner suite à une demande en vue de déposer un résumé écrit des observations que la partie entendait présenter de vive voix, ce qui est une « pratique courante » et reconnue qui fait partie de la présentation de telles observations. La décision a été prise après la présentation des arguments des deux parties, et n’a porté aucun préjudice à la demanderesse qui aurait pu présenter une demande similaire. En ce qui concerne le deuxième point, quant à l’aspect procédural, la décision a été prise dans le contexte d’une requête en rejet de la plainte pour absence de compétence qui obligeait l’arbitre à répondre à la question de savoir si la demanderesse avait travaillé sans interruption pendant les douze mois requis pour avoir le droit de déposer une plainte à l’encontre de la Banque en vertu de l’alinéa 240(1)a) du Code. Pour avoir gain de cause, la demanderesse devait établir qu’elle avait été l’employée de la Banque pendant douze mois consécutifs. Il s’agissait d’une requête visant à trancher une question préliminaire qui, selon l’issue, pouvait faire économiser du temps et des ressources tant pour les parties que pour l’arbitre. En ce qui concerne le troisième point, j’estime que la requête était importante pour la demanderesse, car elle déterminait les étapes suivantes ou le rejet de sa plainte.

[90] Toutefois, en ce qui concerne le quatrième point, je ne suis pas d’accord pour dire que le dépôt d’un plan ou d’un résumé avant de présenter des observations de vive voix, dans les circonstances de la présente affaire, n’était rien de plus que le fait de se prévaloir d’une possibilité reconnue, ouverte aux avocats des deux parties également. Dans les circonstances de la présente affaire, il n’y avait aucune attente légitime que des plans ou des résumés écrits soient interdits. Les observations devaient être présentées de vive voix, mais, comme je l’ai déjà mentionné, celles-ci comportent la possibilité ou le privilège de déposer un résumé ou un plan écrit des arguments avec le consentement du tribunal. Je comprends que la demanderesse s’oppose à la décision de l’arbitre sur ce point et qu’elle s’attendait à un résultat différent, mais compte tenu de mes conclusions ci-dessus, et examinées objectivement, et en particulier de mon examen objectif des décisions citées, la demanderesse n’aurait pas dû s’attendre à ce que le résumé ou le plan écrit soit rejeté, particulièrement du fait qu’elle n’a subi aucun préjudice compte tenu de l’enregistrement audio.

[91] Enfin, en ce qui concerne le cinquième point, l’arbitre devait faire un choix de procédure. On lui a demandé d’accepter ou de rejeter un plan écrit. Il l’a accepté, car il était en droit de le faire conformément à la jurisprudence, selon laquelle de tels dépôts sont une « pratique courante » devant les tribunaux administratifs. Je répète que la demanderesse aurait pu faire la même demande.

[92] En ce qui concerne la demande de la demanderesse de déposer des documents après l’audience, je ne peux pas critiquer la décision de l’arbitre de ne pas autoriser le dépôt du document après la fin des plaidoiries. C’est une chose de déposer un résumé ou un plan de ce qui sera dit avant la présentation des plaidoiries. C’est une tout autre chose de déposer des arguments écrits une semaine après la fin de l’audience. Le résumé ou le plan ne peut qu’indiquer les observations que la partie entend présenter de vive voix. Le document déposé après l’audience peut aller beaucoup plus loin; par exemple, il peut inclure des commentaires sur des points soulevés par l’avocat de la partie adverse, ou des questions soulevées par l’arbitre au cours des plaidoiries. Le document déposé qui n’est pas simplement un résumé de ce que l’avocat entend dire entraînerait vraisemblablement une demande de réplique, et peut-être des documents en réplique. Tout cela pourrait entraîner des conséquences pour l’arbitre et retarder sa prise de décision. De toute manière, l’arbitre avait fait un enregistrement audio de ce que la demanderesse a dit et il était libre de s’en servir s’il le souhaitait.

[93] La Banque indique, et je suis d’accord, que l’arrêt CEP, au paragraphe 11, et l’arrêt Vavilov, au paragraphe 127 établissent que l’équité procédurale exige que les deux parties aient la même possibilité de présenter leurs arguments. Toutefois, l’équité procédurale n’exige pas que les deux parties tirent parti de ces possibilités de la même manière – un point qui n’est pas réfuté par la demanderesse. Étant donné que les deux parties auraient pu demander de déposer des résumés écrits avant de faire leurs présentations de vive voix devant l’arbitre, j’estime avec égards que les deux parties ont eu, pleinement et équitablement, la possibilité de présenter leurs arguments. Les exigences du principe audi alteram partem ont été respectées.

[94] Dans les remarques que j’ai faites ci-dessus sur la norme de contrôle applicable en matière d’équité procédurale, j’ai renvoyé à l’arrêt Bergeron de la Cour d’appel fédérale, dont les motifs ont été rendus par le juge Stratas, selon lequel il faudrait procéder au contrôle judiciaire d’une décision où le décideur aurait manqué à son obligation d’équité procédurale « […] en se montrant “respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” » […]. Selon cette norme de contrôle, je suis encore moins convaincu du bien-fondé de l’argument d’iniquité procédurale avancé par la demanderesse. Je m’explique : l’arbitre a pris une décision de nature procédurale concernant la présentation des observations de vive voix, et il a choisi une méthode qui n’a entraîné aucun préjudice et qui est probablement la mieux adaptée à ses besoins en qualité de décideur qui rédige la décision. Je ferai preuve d’une certaine déférence envers l’arbitre sur ce point.

[95] En résumé, je ne suis pas convaincu que la décision est viciée en raison d’un manquement à l’équité procédurale. Ce motif de contrôle judiciaire doit être rejeté.

(2) La décision est-elle raisonnable?

[96] La demanderesse soutient que l’arbitre a mal interprété la loi habilitante et la jurisprudence. La défenderesse affirme, et je suis d’accord avec elle, que la demanderesse critique les conclusions de fait tirées par l’arbitre et tente de faire réexaminer la présente affaire au fond, ce qui n’est pas le rôle de la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire; elle doit dans ce cas s’en tenir au caractère raisonnable de la décision. J’examinerai les observations de la demanderesse dans l’ordre dans lequel elles ont été présentées.

A La transposition du cadre applicable aux négociations collectives

[97] L’arbitre a estimé que le cadre pertinent pour les conventions collectives ne pouvait être transposé dans une analyse fondée sur l’article 240 du Code. Selon la demanderesse, cela a faussé l’analyse de l’arbitre et a rendu sa conclusion injustifiable et déraisonnable.

[98] La demanderesse s’appuie sur les observations de la juge Abella dans l’arrêt Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29 [Wilson] :

[1] La common law permettait le congédiement non motivé d’un employé qui n’est pas syndiqué moyennant un préavis raisonnable ou une indemnité en guise et lieu de préavis. La question en l’espèce est de savoir si le Parlement, en modifiant le Code canadien du travail en 1978, avait l’intention d’établir un régime légal alternatif offrant des protections généreuses très semblables à celles dont jouissent les employés protégés par une convention collective. Soit dit en tout respect, à mon avis et selon des centaines d’arbitres ayant interprété ce régime — presque tous en fait —, c’était là exactement l’intention du Parlement.

[99] Voir aussi Plante c Entreprises Réal Caron ltée, 2007 CF 1104 [Plante] [motifs du juge Blais], au paragraphe 29 :

[29] Au surplus, tout en rappelant que « le but de la partie III du Code canadien du travail consiste à protéger les travailleurs individuels et à créer un niveau de certitude sur le marché du travail en établissant des normes minimales de travail […] » (Dynamex Canada inc. c. Mamona, (ci-dessus), au paragraphe 35), je cite encore une fois la majorité dans Pointe-Claire (Ville de) c. Québec Tribunal du travail (ci-dessus) au paragraphe 69 :

[…] Quoiqu’un degré élevé de retenue dans le contrôle de la décision du Tribunal du travail soit justifié, si cette décision contredit fondamentalement les principes sous-jacents de la loi habilitante et les résultats qu’elle vise et entrave la mise en œuvre efficace des autres lois qui appuient et protègent les employés, notre Cour est justifiée d’intervenir.

[100] La demanderesse soutient qu’en raison des similitudes entre les régimes, l’arbitre aurait dû transposer le cadre sous-jacent des conventions collectives au congédiement injuste, comme l’exige l’article 240 du Code, et qu’en ne le faisant pas, l’arbitre a agi de manière déraisonnable. En réalité, la demanderesse fait valoir qu’il faut imposer le résultat dans Pointe-Claire, où la Cour a conclu que le véritable employeur était le client et non l’agence de placement, aux faits de la présente affaire, de sorte que l’employeur de la demanderesse est le client, c’est-à-dire la Banque.

[101] La défenderesse soutient, et je suis d’accord avec elle, que la demanderesse ne fournit aucune décision à l’appui de son argument selon lequel l’évaluation spécifique appliquée dans Pointe‑Claire et d’autres affaires concernant des syndicats doit être transposée dans l’analyse fondée sur l’article 240.

[102] Je tiens également à souligner qu’on ne peut appliquer directement la décision Plante parce qu’elle concernait une procédure en recouvrement de salaire fondée sur l’article 242 du Code, et non les dispositions relatives au congédiement injuste applicables aux employés non syndiqués visées à l’article 240. Qui plus est, au paragraphe 22 de la décision Plante, la Cour préconise également l’application d’une approche globale à l’évaluation plutôt qu’une pondération spécifique à accorder aux facteurs énoncés dans l’arrêt Pointe‑Claire.

[103] Cela dit, je ne souscris pas à l’approche de la demanderesse, principalement parce qu’elle est contraire aux enseignements mêmes du juge en chef Lamer et des autres juges formant la majorité dans l’arrêt Pointe-Claire. Dans son arrêt, que je considère comme un arrêt de principe, la Cour suprême du Canada a préconisé une « approche plus globale » qui, selon moi, exige pratiquement une analyse point par point de chacun des attributs des relations entre l’employée, d’une part, et l’agence et le client, d’autre part. Je ne puis admettre que l’arrêt Pointe-Claire préconise en réalité une approche universelle. Voici ce qu’a dit le juge en chef dans Pointe-Claire :

47. Je suis d’accord avec l’approche plus globale proposée par le juge Grenier dans Vassart afin d’identifier le véritable employeur dans des relations tripartites. Cette approche est d’ailleurs celle qu’a adoptée la majorité et la dissidence de la Cour d’appel dans le présent litige. Le juge Rousseau-Houle, pour la majorité de la Cour d’appel, a déclaré (à la p. 1674) :

Le contrôle quotidien sur le travail effectué n’est donc qu’un facteur dans la détermination de l’employeur. Le processus de sélection, l’embauche, la discipline, la formation, l’évaluation, l’assignation des fonctions et la durée des services sont tous des éléments à considérer lorsqu’il faut déterminer le véritable employeur dans une relation tripartite.

Le juge Deschamps, dissidente sur le résultat, a proposé le même type d’approche plus libérale comprenant l’examen de plusieurs éléments pour déterminer le véritable employeur dans une relation tripartite (aux pp. 1678 et 1679) :

Il me semble invraisemblable qu’un client qui retient les services d’une agence de location de personnel temporaire se retrouve l’employeur des employés de l’agence simplement parce qu’il contrôle les tâches qui doivent être effectuées au jour le jour. C’est là réduire à bien peu de chose la notion d’employeur et en mettre de côté la réalité, qui exige une vision beaucoup plus globale. Parmi les éléments qui doivent être évalués, je fais non seulement référence au recrutement, à la sélection, à la formation, à la rémunération, à la discipline, mais aussi à l’intégration dans l’entreprise, à la continuité de l’emploi et au sentiment d’appartenance des employés. Je ne peux concevoir de relation employeur-employé(e) qui ne recoupe aucun de ces aspects.

La notion de « subordination juridique », termes utilisés par le Tribunal du travail, ne recouvre en fait pour le Tribunal du travail que la supervision quotidienne de l’exécution du travail. La notion de subordination juridique, ainsi réduite, s’avère donc totalement insuffisante pour qualifier la relation tripartite qui existe entre l’agence, son client et l’employé(e).

48. Selon cette approche plus globale, les critères de la subordination juridique et de l’intégration dans l’entreprise ne devraient pas être utilisés comme des critères exclusifs pour déterminer le véritable employeur. À mon avis, dans un contexte de rapports collectifs régis par le Code du travail, il est primordial que l’employé temporaire puisse négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de son travail — et non seulement sur la supervision de son travail quotidien. De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d’une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l’examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[…]

62. Je suis conscient du fait que l’arrangement n’est pas parfait. Cependant, il ne faut pas oublier que la relation qui fait l’objet du présent litige n’est pas une relation bipartite traditionnelle, mais une relation tripartite dans laquelle une partie remplit le rôle du salarié et les deux autres se partagent les attributs usuels d’un employeur. Il est normal, dans cette situation, que les lois du travail, conçues pour réglementer les situations bipartites, nécessitent certains ajustements. […].

63. Les tribunaux et les cours doivent, hélas, souvent prendre des décisions en interprétant des lois comportant des lacunes. Le cas sous étude démontre que les situations de relations tripartites peuvent poser des problèmes lorsqu’il s’agit d’identifier le véritable employeur en présence de lois du travail incomplètes sur le sujet. La relation tripartite s’intègre avec difficulté dans le schéma classique des rapports bilatéraux. En effet, le Code du travail a été conçu essentiellement pour des relations bipartites comprenant un salarié et un employeur. Le Code du travail n’est pas d’un grand secours lorsqu’il s’agit d’analyser un cas de relation tripartite comme celui en l’espèce. Les éléments caractéristiques traditionnels d’un employeur sont partagés entre deux entités distinctes — l’agence de location de personnel et l’entreprise-cliente — qui toutes deux entretiennent un certain rapport avec l’employé temporaire. Confrontés à ces lacunes législatives, les tribunaux ont, selon leur expertise, interprété les dispositions souvent laconiques de la loi. […].

[Non souligné dans l’original.]

[104] L’adoption d’une interprétation plus globale et contextualisée de la présente affaire est l’approche à privilégier que l’arbitre a adoptée, à raison, à mon avis, à la page 24 de sa décision. En d’autres termes, l’arbitre a tenu compte des contraintes juridiques. Il a conclu que l’approche privilégiée nécessite une évaluation globale de la façon dont les attributs d’une relation d’emploi ont été répartis dans l’arrangement tripartite créé par les parties :

À mon avis, l’approche d’identification du véritable employeur établie dans Pointe-Claire comporte deux volets :

1. Elle nécessite une évaluation globale de la façon dont les attributs d’une relation d’emploi ont été répartis dans l’arrangement tripartite de placement temporaire créé par les parties;

2. Le poids accordé aux attributs et la façon de le mesurer doivent refléter les objectifs du cadre juridique pour lequel l’identification est faite.

[105] La demanderesse a également invoqué la décision Brouillette c. H & R Transport Ltd., [2010] CLAD No 315, 2010 CarswellNat 4132 (Trib. arb.) [Brouillette], dans laquelle un arbitre a statué sur une plainte en vertu de l’article 240 du Code. Le plaignant a travaillé pour la défenderesse par l’intermédiaire d’une agence pendant 20 mois et il a ensuite été embauché directement par la défenderesse pour une durée de sept mois et demi. Toutefois, après avoir examiné à raison le cadre énoncé dans l’arrêt Pointe-Claire de la Cour suprême du Canada, l’arbitre s’est appuyé, au paragraphe 146, sur ce cadre pour conclure qu’il s’appliquait au congédiement injuste :

Dans cette affaire, le juge Blais fonde son raisonnement sur les motifs exposés dans l’arrêt Pointe-Claire, relevant la différence entre les diverses lois en cause, et leurs objectifs respectifs, retenant cependant la pertinence des principes énoncés par la Cour suprême lorsqu’il s’agit de dire qui, dans le cas d’une relation tripartite, était le véritable employeur et si, effectivement, le demandeur était un employé pouvant à ce titre invoquer les dispositions du Code concernant le recouvrement de salaire. Je considère que les principes énoncés dans l’arrêt Pointe-Claire sont pertinents en l’espèce.

[106] Je souscris à cette partie de la décision. Toutefois, la décision rendue dans l’affaire Brouillette, adaptée aux faits qui lui étaient propres, ne signifie pas que la demanderesse est une employée de la Banque en l’espèce. Une analyse globale et détaillée des attributs d’emploi s’impose, comme l’exige l’arrêt Pointe-Claire et conformément aux facteurs qui y sont énoncés, selon les faits en l’espèce, et dans le contexte de l’article 240. Je reviendrai sur cette analyse un peu plus loin dans les présents motifs.

[107] Par conséquent, je conviens qu’il était raisonnable pour l’arbitre d’appliquer l’approche de l’arrêt Pointe-Claire comme il l’a fait. À mon avis, l’arbitre a correctement appliqué cette approche et il l’a adaptée aux faits de l’espèce. Il n’était pas déraisonnable de le faire; il a respecté les contraintes imposées par la Cour suprême du Canada.

B. La prévalence de la forme sur le fond

[108] La demanderesse soutient que l’arbitre a accordé plus d’importance à la forme qu’au fond et que, de ce fait, il a mal saisi le droit, et qu’il a ainsi commis une erreur. Je ne suis pas de cet avis. Au contraire, selon mon interprétation de la décision de l’arbitre, il a mentionné que les parties qui établissent une relation d’emploi ont la liberté de conclure des contrats selon leurs propres modalités, y compris un arrangement tripartite de placement temporaire comme cela s’est produit en l’espèce. L’arbitre ne voyait aucune raison de procéder à la pondération ou à l’évaluation des attributs de l’arrangement d’une manière qui irait inutilement à l’encontre des attentes raisonnables des parties, à condition que les attributs aient été répartis d’une manière qui établit légitimement une relation d’emploi entre l’employé et l’agence de placement temporaire. Il s’agit à mon avis d’une approche raisonnable à adopter compte tenu de la reconnaissance des accords tripartites et de l’approche globale indiquées dans Pointe-Claire, et il était loisible à l’arbitre de l’adopter eu égard aux faits de l’espèce.

[109] La demanderesse soutient que l’opinion de l’arbitre a faussé son analyse de la relation d’emploi. Son avocat renvoie à Dynamex Canada c Mamoma, 2003 CAF 248 [Dynamex] [motifs de la juge Sharlow], dans lequel il a été conclu que les entrepreneurs indépendants étaient des « employés » au sens de la partie III du Code pour une demande autre qu’une plainte pour congédiement. Je répète que chaque affaire est différente et qu’on ne peut pas simplement exiger le même résultat sans avoir examiné et pondéré les attributs d’emploi pertinents comme l’exige l’arrêt Pointe-Claire. En outre, au paragraphe 52 de Dynamex, la Cour d’appel fédérale mentionne que les termes utilisés dans un contrat ne sont « pas déterminant […] ». Je conviens que les contrats à eux seuls ne sont pas déterminants, mais rien n’exige de les ignorer.

[110] Il convient également de préciser que l’arbitre a convenu, aux pages 26 et 27, que, si la preuve ne contredisait pas la relation d’emploi, l’accord écrit pouvait prévaloir :

En matière d’emploi, les parties ont la liberté de conclure des contrats de relation d’emploi selon leurs propres modalités. Cette liberté, et la capacité de signer un contrat dans lequel les parties ont elles-mêmes structuré et défini les modalités d’emploi, assure la prévisibilité et la clarté quant aux modalités de la relation d’emploi, y compris l’identité de l’employeur. La liberté contractuelle a certainement des limites. Les assemblées législatives sont intervenues pour fournir des protections. Les cours et tribunaux ont vu à juste titre les salariés comme un groupe vulnérable et sont intervenus pour empêcher les abus. Dans le contexte d’un pouvoir de négociation inégal qui existe habituellement entre les employeurs et les employés, le stratagème ne peut prévaloir. Mais, essentiellement, ceux qui entrent en relation d’emploi ont la liberté de refuser les modalités de leur arrangement. Cette liberté comprend notamment la liberté de créer un arrangement tripartite de placement temporaire où les parties ont fait de l’agence l’employeur. Pour autant que les attributs ont été répartis entre l’employé et l’agence de placement temporaire, je ne vois aucune raison de pondérer ou de mesurer ces attributs d’une manière qui viendrait inutilement à l’encontre des attentes raisonnables des parties. Le fait d’aller inutilement à l’encontre de ces attentes viendrait ajouter de l’incertitude et ne respecterait pas l’objectif de s’assurer que les parties ont eu droit à une prévisibilité juste et raisonnable à propos de celle d’entre elles qui a l’obligation de respecter les droits en matière de congédiement que la réparation au titre de l’article 240 chercher à promouvoir.

[111] La demanderesse soutient que l’arbitre n’a pas compris qu’un décideur sera généralement porté à conclure à l’existence relation d’emploi lorsque la situation est marquée par l’iniquité, la vulnérabilité ou le besoin d’en assurer la protection (Brouillette, au para 93). En outre, la demanderesse fait valoir que l’insistance de l’arbitre sur le type de documents a fait en sorte qu’il ne s’est pas livré à une analyse de la situation économique et sociale de la demanderesse requise par l’objet du Code, qui est de fournir des avantages aux travailleurs qui pourraient par ailleurs devoir travailler à des conditions inférieures aux normes minimales (voir Majestic Maintenance Services Ltd., Re, 1977 CarswellOnt 2878, à la p. 18). Par conséquent, comme l’arbitre n’a pas tenu compte de ces principes, la demanderesse soutient que la décision était déraisonnable.

[112] Avec égards, j’estime que cet argument est peu convaincant. Tout d’abord, l’arbitre a examiné les principes juridiques pertinents, comme le démontre sa décision, et comme l’exige l’arrêt Pointe-Claire. Rien n’exige d’ignorer totalement l’intention des parties qui se dégage des ententes qu’elles signent. La jurisprudence ne dit pas qu’il faut ignorer la « forme » des ententes, mais plutôt que des éléments de preuve contraires peuvent (ou non) l’emporter sur les ententes écrites. Je ne suis pas non plus convaincu que la présence d’une injustice, d’une vulnérabilité ou d’un besoin de protection permettent d’identifier l’employeur aux fins de l’article 240 du Code. Le processus est établi, du moins à mon avis, par l’arrêt Pointe-Claire.

C. L’interprétation des lois

[113] La demanderesse soutient que l’arbitre n’a pas tenu compte des principes d’interprétation des lois et qu’il a procédé à une analyse restrictive de l’article 240 du Code. Par conséquent, elle affirme que la décision est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord. La Cour suprême indique, au paragraphe 121 de l’arrêt Vavilov, que la cour de révision doit s’assurer que le décideur a interprété les dispositions de la loi pertinentes « d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause ». Ces remarques sont conformes à la méthode téléologique de l’interprétation des lois et de l’interprétation d’un article dans le contexte global du régime législatif pertinent, examinée dans Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 RCS 27 aux para 21-22.

[114] À mon humble avis, l’argument de la demanderesse au sujet de l’interprétation des lois n’est pas convaincant. La demanderesse peut certes ne pas souscrire aux conclusions de l’arbitre, mais ne saurait raisonnablement affirmer que l’arbitre n’a pas adopté une approche téléologique et contextuelle pour interpréter l’article 240 du Code. Je dois également être attentif à mon obligation d’examiner la décision visée par le contrôle judiciaire avec une « attention respectueuse » (comme l’a souligné le juge Rowe au paragraphe 31 de l’arrêt Canada Post, citant Vavilov, au para 84, où la Cour citait Dunsmuir, au para 48) et avec « déférence » (Vavilov, au para 109).

D. L’analyse des attributs

[115] La demanderesse affirme que la décision n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, comme l’exige la Cour suprême au paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov. Aux pages 12 et 19 de sa décision, l’arbitre adhère au cadre énoncé dans l’arrêt Pointe-Claire, cependant, aux pages 12 et 19 de la décision, l’arbitre refuse d’attribuer ce qu’il considère comme une [traduction] « pondération disproportionnelle des attributs d’emploi semblable à ce que la Cour suprême du Canada a acceptée dans Pointe-Claire ».

[116] Avec égards, la pondération des attributs d’emploi est une partie essentielle du rôle de l’arbitre. Je ne puis critiquer l’arbitre pour avoir refusé de transposer les décisions visant des conventions collectives dans son analyse de l’article 240 du Code. À mon avis, il était loisible à l’arbitre de suivre le cadre énoncé dans Pointe-Claire, comme il l’a fait, et d’appliquer son approche globale et contextualisée aux circonstances de la plainte pour congédiement injuste fondée sur l’article 240 du Code (voir à la p. 25 de sa décision) :

Le cadre juridique qui me concerne est la réparation d’un congédiement injuste au titre de l’article 240. Il s’agit d’un cadre très différent du régime de négociation collective qui a été présenté en cour dans l’affaire Pointe-Claire. L’article 240 ouvre la porte à une réparation axée étroitement sur un seul attribut de la relation d’emploi (le congédiement) et n’est accessible qu’aux employés non syndiqués. Comme il a été démontré clairement dans Wilson v. Atomic Energy of Canada Ltd., supra, la réparation vient défendre les droits des employés non syndiqués en cas de congédiement en leur offrant une réparation efficace en cas de congédiement injuste. Au contraire, Pointe-Claire était axée sur un cadre conçu pour satisfaire l’objectif de promouvoir et protéger le droit à la négociation collective visant des termes liés à l’emploi élargis, dont le congédiement fait partie. Cet objectif a mené à pondérer et évaluer les attributs d’emploi dans Pointe-Claire d’une manière qui n’a pas d’application apparente en l’instance qui me concerne.

Au départ, en l’instance, deux questions peuvent être soulevées relatives à la façon dont la Plaignante a présenté son dossier. Premièrement, la Plaignante m’a invité à m’appuyer sur les décisions dans lesquelles les salariés visés par des arrangements tripartites de placement temporaire ont été réputés être employés/couverts par des conventions collectives en vigueur au lieu de travail où ils avaient été placés. L’affaire Radio Shack v. U.S.W.A., Local 6709 m’a été citée en exemple. Dans la présentation de la Banque, cette jurisprudence n’est pas transposable à la tâche qui m’est confiée parce qu’elle s’appuie sur des préoccupations relatives à la poursuite des objectifs du régime de négociation collective. Je suis d’accord.

Pour identifier le véritable employeur dans le contexte de la réparation au titre de l’article 240 du Code, les attributs d’emploi doivent être pondérés et mesurés d’une façon qui reflète de manière juste et appropriée les objectifs de la réparation en cas de congédiement injuste que le Parlement a accordée aux salariés non syndiqués. Radio Shack, Pointe-Claire et d’autres affaires similaires ont pondéré et mesuré les attributs d’emploi en ayant des objectifs très différents à l’esprit. La transposition de la manière dont ces affaires ont interprété les faits, et leur pondération et leur mesure des attributs d’emploi, aux questions qui me sont soumises viendrait détacher leur motivation de ses racines politiques, ne refléterait pas les éléments que le Parlement a tenu compte dans l’adoption de la réparation au titre de l’article 240 et ajouterait une ambiguïté inutile.

[117] La demanderesse soutient que l’analyse erronée de l’arbitre aboutit à une décision qui n’est ni cohérente ni rationnelle sur le plan interne et qui a conduit à des conclusions précises qui ne satisfont pas à l’exigence d’intelligibilité. La demanderesse souligne plusieurs de ces conclusions que l’arbitre aurait tirées dans son évaluation des attributs énoncés dans Pointe-Claire. J’examinerai chacune d’elles à tour de rôle, et je fais remarquer que l’arbitre a tiré les éléments à examiner du paragraphe 48 de l’arrêt Pointe-Claire :

B. Formation. L’arbitre a conclu que le travail administratif effectué par la demanderesse n’était pas du genre à nécessiter une formation importante. La demanderesse a reçu une formation sur l’accessibilité et sur la santé et la sécurité offerte par Excel. La demanderesse a certainement reçu des directives d’un employé de la Banque; toutefois, l’arbitre n’a pas conclu que ces directives pouvaient être considérées comme une formation, et a estimé que l’attribut de formation était équivoque, car Excel offrait une formation minimale et il n’y avait aucune preuve que la Banque avait offert une véritable formation. La demanderesse affirme que cette conclusion n’est pas intelligible étant donné que la défenderesse a offert toute la formation concernant toutes les fonctions de la demanderesse à la Banque. Là encore, la demanderesse demande à la Cour d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve sur ce point. Sans plus, la Cour est expressément invitée à se garder de faire un tel exercice, selon Vavilov (au para 125) : « Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. » Il semble que ce que la demanderesse cherche à obtenir n’est pas un contrôle judiciaire, mais un réexamen de la décision.

C. Rémunération. L’arbitre a conclu que la rémunération indique que Excel est l’employeur. La responsabilité, l’autorité et l’obligation de rendre compte de la rémunération et des avantages de la demanderesse incombaient entièrement à Excel. La Banque versait à Excel des montants supérieurs au salaire de la demanderesse. La différence représentait les frais que Excel assumait pour diverses responsabilités et dépenses liées à l’emploi de la demanderesse. La demanderesse soutient que l’arbitre a été influencé par la forme plutôt que par le fond et qu’il n’a pas compris que la Banque assumait la charge financière du salaire de la demanderesse. Elle affirme également que l’arbitre n’a pas tenu compte de la décision Plante (au paragraphe 19, citant Pointe-Claire, au para 55) et ajoute : « Les deux parties ayant un rôle à jouer à l’égard du salaire de [la demanderesse], le salaire devenait un critère non déterminant pour identifier le véritable employeur. » Avec égards, non seulement cet argument appelle aussi une nouvelle évaluation et une nouvelle appréciation des éléments de preuve, mais selon la preuve, il était raisonnable de conclure que c’était la Banque qui décidait de la rémunération réelle de la demanderesse, laquelle était, comme je l’ai indiqué précédemment, inférieure à ce que la Banque versait à Excel.

D. Évaluation, rendement et discipline. L’arbitre a conclu qu’il ne voyait rien de remarquable dans cet attribut, car il n’y avait aucun problème de rendement; Excel effectuait des vérifications courantes auprès de la Banque. Aucune des parties n’a fait de gestion de rendement ni pris des mesures disciplinaires. La demanderesse soutient que cette conclusion n’est pas intelligible, car Excel n’a pas participé à l’évaluation du rendement de la demanderesse relativement à son poste à la Banque alors qu’elle travaillait par l’entremise de l’Agence. La Banque était responsable de tous les aspects du travail de la demanderesse, y compris la décision de mettre fin à son emploi. Je ne souscris pas à ces observations en ce qui concerne leur utilité relativement au contrôle judiciaire. Certes, c’est la Banque qui a congédié la demanderesse en fin de compte, mais lorsqu’elle l’a fait, l’Agence Excel ne faisait plus partie de la relation. Il n’en demeure pas moins que la demanderesse n’avait antérieurement travaillé que pour l’Agence Excel, de qui relevaient les sanctions disciplinaires, y compris le congédiement et le préavis, quoique suivant l’avis de la Banque. Il serait déraisonnable de croire que la Banque ne serait pas consultée, et il était loisible à l’arbitre de conclure comme il l’a fait. Là encore, il s’agit d’une invitation à réexaminer les faits de la présente affaire. Il appartenait à l’arbitre, et non à la Cour, de faire l’évaluation et la pondération des éléments de preuve.

E. Assignation des tâches et supervision. L’arbitre a indiqué que la Banque était clairement responsable d’assigner au quotidien les tâches à la demanderesse. Cependant, les ententes conclues avec Excel l’ont explicitement « assignée » à l’exécution de tâches définies à la Banque pendant une durée déterminée. La Banque a assumé le rôle d’assignation des tâches quotidiennes selon ce qui avait été prévu. L’arbitre a conclu que, dans d’autres contextes, tels qu’un milieu syndiqué, les directives de travail quotidiennes pouvaient être une indication claire d’une relation d’emploi, cependant, il n’a vu aucune raison de pondérer les attributs d’emploi de cette manière dans une affaire axée sur une réparation sollicitée au titre de l’article 240 du Code. La demanderesse soutient que cette conclusion n’est pas intelligible compte tenu de la propre conclusion de l’arbitre selon laquelle « la Banque était clairement responsable d’attribuer au quotidien les tâches administratives à la [demanderesse] ». Cependant, il me semble qu’il s’agit là d’une autre demande pour une nouvelle appréciation et une nouvelle évaluation de la preuve. La demanderesse ne tient pas compte des relations très différentes qui sont en jeu dans la relation tripartite entre l’agence de placement, le client et l’employée. Là encore, il appartenait à l’arbitre de faire cette évaluation et je ne suis pas convaincu que sa conclusion devrait être annulée au motif qu’elle serait déraisonnable.

F. Intégration dans l’entreprise. L’arbitre a conclu que le fait pour la demanderesse d’effectuer le même travail, avec la même équipe, le même superviseur, dans le même bureau, avec essentiellement les mêmes ressources matérielles que les autres employés de la Banque, était une caractéristique relativement normale d’un accord tripartite de travail temporaire. Si une telle caractéristique était déterminante pour identifier le véritable employeur, il serait difficile d’imaginer la manière dont Excel et la Banque auraient pu structurer leur relation en cas de besoin temporaire; autrement dit, peu d’accords tripartites, voire aucun, permettraient aux tribunaux de conclure que l’agence de placement est l’employeur. Pourtant, la Cour suprême du Canada a clairement autorisé l’existence de tels accords tripartites. La demanderesse a été intégrée à la fois aux organisations de la Banque et d’Excel. Cela a été fait d’une manière qui était cohérente avec le fait qu’Excel jouait le rôle de l’employeur dans l’arrangement tripartite de placement temporaire. L’arbitre a conclu que l’attribut d’intégration dans l’entreprise était réparti d’une façon qui confirme que Excel était le véritable employeur. Avec égards, il lui était loisible de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve. La demanderesse soutient que cette conclusion n’est pas intelligible, car à son avis Excel n’a pas participé à l’évaluation du rendement de la demanderesse relativement à son poste à la Banque. Avec égard, il me semble une fois de plus que la Cour est invitée à apprécier et à évaluer à nouveau la preuve, mission qui appartient à l’arbitre. Comme c’était le cas pour de nombreux points ci-dessus, cet argument ne tient pas compte non plus de l’exigence énoncée dans Vavilov (au para 13) selon laquelle un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « […] tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs ».

G. Cessation d’emploi. L’arbitre a conclu que toutes les ententes écrites attribuent les obligations et les droits d’un employeur à Excel. La demanderesse affirme que cette conclusion n’est pas intelligible, car elle ne tient pas compte du fait que c’est la Banque qui pouvait, en tout temps, mettre fin à son emploi. Selon la demanderesse, la décision de mettre fin à son emploi auprès de la Banque n’appartenait qu’à celle-ci. Avec égards, la demanderesse invite encore la Cour à faire une nouvelle appréciation et une nouvelle évaluation de la preuve. Je refuse d’annuler une conclusion que pouvait tirer l’arbitre, compte tenu notamment de la matrice contractuelle comprenant l’entente conclue entre la demanderesse et l’Agence Excel dont les modalités appuient la conclusion de l’arbitre.

[118] Compte tenu de ce qui précède, je suis porté à conclure que la demanderesse ne fait qu’inviter la Cour à faire une nouvelle analyse des questions que devait trancher l’arbitre, ce qui est inacceptable (voir Vavilov, au para 125). Le contrôle judiciaire est un examen du caractère raisonnable de la décision et non une analyse de novo. J’estime qu’il n’y a, dans l’analyse de l’arbitre, aucun écart ni aucune lacune qui rendrait sa décision déraisonnable.

[119] Avec le recul et compte tenu de mon examen complet des attributs et de la décision de l’arbitre, j’estime que l’analyse des attributs d’emploi faite par l’arbitre constitue une évaluation raisonnable permise au regard des contraintes juridiques et factuelles.

VIII. Conclusion

[120] La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire devant un tribunal différemment constitué pour décision, une ordonnance lui adjugeant les dépens de la demande et de la requête préliminaire, et toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.

[121] La défenderesse sollicite une ordonnance rejetant la présente demande, une ordonnance lui adjugeant les dépens de la demande, et toute autre mesure de réparation que la Cour estime appropriée.

[122] Je suis d’accord avec la défenderesse. La décision par laquelle l’arbitre a conclu que l’Agence Excel était le véritable l’employeur aux dates pertinentes était raisonnable, et il lui était loisible de prendre cette décision compte tenu des faits de la présente affaire. À mon avis, la décision se tient. Je suis arrivé à la conclusion selon laquelle la décision, considérée comme un tout, est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles. En outre, la décision est transparente et intelligible. Elle est conforme au droit, appliqué aux faits. La décision de l’arbitre d’accepter le résumé et le plan écrit des observations de la Banque n’a causé aucun préjudice, était conforme à la jurisprudence et à la pratique applicable à la présentation des observations de vive voix, n’a pas nui à la demanderesse et n’a pas dérogé aux principes d’équité procédurale.

[123] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

IX. Dépens

[124] Les parties ont convenu que la partie perdante devrait payer à la partie ayant gain de cause un montant global de 3 500 $ au titre des dépens. Conformément à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’estime que ce montant est raisonnable dans les circonstances de l’espèce. J’adjugerai les dépens en conséquence.




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