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Date : 20010130


Dossier : T-307-00

Entre :

     AIR TRANSAT A.T. INC.

     Demanderesse

Et :

     TRANSPORTS CANADA

     Défendeur



     MOTIFS DE JUGEMENT


LE JUGE ROULEAU


[1]      La demanderesse requiert, en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, S.R.C. 1985, ch. A-1 (ci-après la "Loi"), la révision d'une décision du défendeur datée du 28 janvier 2000, autorisant la divulgation de documents en réponse à des demandes d'accès à l'information adressées au ministère concernant des rapports d'inspection d'établissements.

[2]      La demanderesse est une entreprise de transport aérien dont le siège social est situé à Mirabel, au Québec. Elle est régie par le Règlement canadien de l'aviation (SOR/96-433), qui énonce les procédures opérationnelles et d'entretien des aéronefs.

[3]      Au mois de novembre 1998, le défendeur a procédé à une évaluation de la demanderesse afin de vérifier si celle-ci respectait les standards imposés par le Règlement. Un rapport d'inspection a été produit en 1999.

[4]      Le 12 novembre 1999, le défendeur a avisé la demanderesse qu'une demande en vertu de la Loi au sujet de sa compagnie avait été reçue. La demanderesse a alors indiqué que, selon elle, une partie des informations contenues dans le rapport d'évaluation de 1999 ne devait pas être transmise en raison de l'application de l'article 20 de la Loi.

[5]      Le 28 janvier 2000, le défendeur a indiqué à la demanderesse que seule l'information protégée par les alinéas 19(1) et 20(1)(d) de la Loi ne serait pas transmise.

[6]      La demanderesse a alors présenté cette demande de contrôle judiciaire, alléguant que des passages du rapport ne devraient pas être divulgués en application des alinéas 20(1)(c) et 20(1)(b) de la Loi.

[7]      La question en litige consiste à déterminer si les alinéas 20(1)(c) et 20(1)(b) de la Loi doivent s'appliquer aux documents en litige.

    

[8]      La demanderesse soutient que les documents en litige tombent sous le coup de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)(b) de la Loi en ce qu'ils contiennent des renseignements commerciaux ou techniques de nature confidentielle et qui ont été traités comme tels de façon constante par elle.

[9]      La demanderesse soutient que les documents en litige tombent sous le coup de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)(c) de la Loi en ce que leur divulgation risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes ou profits financiers appréciables ou de nuire à sa compétitivité.

[10]      Le défendeur prétend que le rapport d'inspection en litige constitue un document de l'administration fédérale assujetti à la Loi et qu'il ne remplit donc pas la condition de confidentialité objective.

[11]      Le défendeur prétend par surcroît que la demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau d'établir l'application de l'alinéa 20(1)(c) de la Loi. La demanderesse n'a pas réussi à établir un « risque vraisemblable de préjudice probable » , tel que l'exige la jurisprudence. Le défendeur soutient qu'il n'y a pas lieu de conclure à l'existence d'une crainte d'une perte financière réelle et certaine advenant la communication du rapport d'inspection.

Analyse

Exception basée sur la nature confidentielle de l'information -- alinéa 20(1)(b)

    
     « 20(1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant: (...)
     b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers; »

[12]      La demanderesse considère que cette exception devrait s'appliquer aux renseignements soulignés en vert, aux pages 22 à 140 de son dossier confidentiel.

[13]      L'application de cette exception requiert quatre conditions. Les renseignements doivent être de nature financière, commerciale, scientifique ou technique. Les renseignements doivent être de nature confidentielle. Ils doivent avoir été fournis à une institution fédérale par un tiers. Ils doivent enfin être traités comme tels de façon constante par le tiers.

[14]      Le défendeur soutient que le rapport est un document de l'administration fédérale assujetti à la Loi et qu'il ne remplit donc pas la condition de confidentialité objective. À mon avis, il ne suffit pas qu'un document soit considéré comme un document de l'administration fédérale assujetti à la Loi pour conclure que le contenu du document ne peut tomber sous le coup de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)(b). Il y a lieu de faire une distinction entre l'analyse faite par l'organisme gouvernemental à partir d'informations constatées au cours de l'inspection et l'information fournie directement par le tiers aux inspecteurs. En présence d'un rapport d'inspection, qui est par ailleurs un document de l'administration fédérale assujetti à la Loi, celui qui demande l'exemption à la Loi devra prouver la nature confidentielle des renseignements initialement fournis en plus de démontrer la confidentialité continue de l'information. En d'autres termes, il s'agit selon moi de démontrer que l'information était confidentielle lorsqu'elle a été confiée aux inspecteurs et qu'elle doit demeurer confidentielle tout au long du processus d'inspection, ce qui inclut l'information qui se retrouve dans le rapport final. Cette démonstration doit s'effectuer par la production de véritables preuves directes. À mon avis, l'argument du défendeur est insuffisant et il y a lieu d'analyser les prétentions de la défenderesse sous le chapitre de l'exception prévue à l'alinéa 20(1)(b) et ses quatre conditions d'application.

Renseignements commerciaux ou techniques

[15]      Le rapport contient des renseignements sur les méthodes d'opération consignées au MCM (Maintenance Control Manual), le contenu détaillé du MCM sous forme de table des matières, divers documents décrivant des méthodes d'opération particulières et divers autres renseignements techniques. À vrai dire, l'ensemble du rapport d'inspection pourrait aisément être considéré comme contenant des renseignements techniques. Cette première condition m'apparaît assurément remplie.

Origine des renseignements

[16]      Le rapport d'inspection contient plusieurs copies de documents qui ont été fournis par la demanderesse. Par contre, il contient également des conclusions tirées par les inspecteurs grâce à des renseignements fournis par la demanderesse. Dans la mesure où les conclusions des inspecteurs sont tellement liées aux informations fournies elles pourront ne pas être dissociées de ces informations.

[17]      Quant à la troisième des conditions énumérées ci-haut, la relation dont la confidentialité des communications profite au public, la Cour en a fait un survol dans l'affaire Air Atonabee Ltd. c. Minister of Transport (1989), 27 F.T.R. 194, dans les termes suivants:

     « As to the third element, the relationship between the parties, the president of the applicant company avers to the special relationship of confidence in communications between the parties here and between the airline industry and the department. He underlines the importance of that relationship in an on-going situation where the department's inspection staff must rely on industry operators for knowledge and experience in the operation of aircraft and where that staff is limited in its resources to oversee an industry that is expanding and diversifying in an era of deregulation. The special relationship between air industry and inspectors is dealt with in a recent study of the Law Reform Commission of Canada, Inspection: A Case Study and Selected References, by John C. Clifford (1988), which generally supports the applicant's view of the current relationship. This report, based in part on substantial field study of the air inspection services of the respondent's department, includes the following pertinent passages at p. 17:
         The author accompanied airworthiness inspectors during routine inspections of aircraft and conversations with air crew. One inspector constantly stressed the importance of relations with airline staff, and underlined the fact that airworthiness inspectors are mainly interested in getting things corrected. This is accomplished by maintaining a strong network of contacts in the industry, checking with manuals, and generally using every available source of information. The airworthiness inspector ... noted that many problems followed from the use of incomplete reports. Additionally, the airworthiness inspector expressed his difference of opinion respecting enforcement: specifically, he did not think it was always appropriate to follow up with enforcement measures when, for example, `snags' were reported by AMEs. He outlined their responsibilities, and noted the importance of interpersonal relations and shared backgrounds.
         The airworthiness inspectors indicated that relations with the AMEs were very important because information about maintenance problems was typically passed on in confidence to the airworthiness inspector. As well, remote sources of problems were discussed.
     (...)
     While I am not persuaded that the relationship here is one of special confidence in which all records should be exempt from disclosure and while it is not one of a fiduciary nature as in Montana, supra, it is consistent with the public interest, and the relationship would be fostered for the benefit of the public, in my view, by treating as confidential those communications which originate with the applicant where the applicant has considered them confidential. In this case the third party would be encouraged to be open and frank with inspectors if its understanding about the restricted purposes and circulation of its communications is recognized and respected. Where the records are from department sources, not otherwise exempt from disclosure under s. 20(1), the general purpose of the Act, which identifies as a public interest given priority by Parliament the provision of access of government controlled records, should be given effect unless the relationship between the third party and government is exceptional and warrants treating the records as confidential. »

[18]      À mon avis, ces observations sont applicables au présent litige et j'estime que la troisième condition de confidentialité est également remplie, à tout le moins en ce qui concerne les documents qui ont été fournis par la demanderesse.

[19]      Je ne crois pas qu'il y ait, dans les circonstances de cette affaire, de sérieux doutes quant au caractère constamment confidentiel des documents fournis par la demanderesse. Quant aux autres renseignements, c'est-à-dire les conclusions des inspecteurs et les listes d'exemples de non-conformité au Règlement, les observations sous les rubriques précédentes sont applicables.

[20]      Après avoir considéré les arguments des parties à l'audition et à la suite de leurs concessions sur certaines des informations contenues au rapport, j'ai décidé d'indiquer, sous forme de tableau, le sort de chacune des informations contestées. Les numéros de page indiqués correspondent à la pagination du dossier du défendeur.


Page

Divulgation

Raison

34

Oui

Il s'agit d'une simple observation de la part des inspecteurs.

35, rubrique 3.5.4.

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

35, rubrique 3.5.5.

Oui

Il s'agit d'une simple constatation.

37, 1ère constatation

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

37, 2ième constatation

Oui

Il s'agit d'une constatation relevant des employés de la défenderesse.

38 et 39, sauf le 4ième paragraphe

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

39, 4ième paragraphe

Oui

Il s'agit d'une constatation relevant des employés.

40, 2 premiers paragraphes

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

40, 3ième paragraphe

Oui

Il s'agit d'une simple constatation.

41, 1re, 3ième et 4ième constatations

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

41, 2ième constatation

Oui

Il s'agit d'une constatation fait par les inspecteurs sans que l'information confidentielle n'ait été transmise.

44

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

46

Oui

Il s'agit d'une directive provenant du ministère qui n'a rien de confidentiel.

47

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

53

(voir prochain tableau)

La demanderesse invoque maintenant l'exception prévue à 20(1)(c).

54

Non

Il s'agit de réponses à des questions soumises par la défenderesse. Cette dernière consent.

56, sauf paragraphes 1), 2) et 3)

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

56, paragraphes 1), 2) et 3)

Non

Il s'agit d'immatriculation d'appareils.

57

Oui

Il s'agit d'une directive venant du ministère et il n'y a rien de défavorable dans le commentaire.

58, paragraphes 1 et 2

Oui

Sauf pour l'identification des appareils.

58, paragraphe 3

Non

Il s'agit d'une réponse à des questions.

60, paragraphes 1), 2), 3) et 4)

Oui

SAUF pour l'identification des appareils. Il s'agit de défectuosités qui ont été constatées par les inspecteurs.

60, 5ième paragraphe, au bas

Non

Il s'agit de réponses aux questions posées. (CONTRADICTOIRE, p.7)

61

Non

De consentement

63 à 66

Non

De consentement

67

Non

De consentement

68

Non

De consentement

71 à 73

Non

De consentement

75

Non

De consentement - il s'agit de documents de la demanderesse.

78 à 81

Non

Il s'agit de documents de la demanderesse.

85 à 87

Non

Il s'agit de documents de la demanderesse.

89, 91

Non

Il s'agit de documents de la demanderesse.

92

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

93

Oui

Sauf pour l'identification des appareils.

94

Non

Il s'agit d'un document de la demanderesse.

95

Oui

Sauf pour l'identification des appareils.

96

Oui

Il s'agit d'observations faites par les inspecteurs.

97

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

98

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

99 à 114

Non

De consentement. Il s'agit de documents internes.

115

Oui

Sauf pour l'identification des appareils.

116 à 118

Non

De consentement

121 à 140

Non

Il s'agit de documents internes, de réponses à des questions.

Exception basée sur la nature préjudiciable de l'information -- alinéa 20(1)(c)

     « 20(1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant: (...)
     c) des renseignements dont la divulgation risquerait de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité; »

[21]      La demanderesse considère que cette exception devrait s'appliquer aux renseignements soulignés en jaune, aux pages 22 à 140 de son dossier confidentiel. Il s'agit, de façon générale, de conclusions négatives à son égard. Les inspecteurs relèvent divers incidents qui indiquent que la demanderesse ne se conforme pas complètement aux exigences du Règlement canadien de l'aviation.

[22]      La Cour d'appel, dans l'arrêt Canada Packers inc. c. Canada (ministère de l'Agriculture) (1989), 1 F.C. 47, (C.A.F.), a indiqué que l'exception prévue à l'alinéa 20(1)(c) exigeait un risque vraisemblable de préjudice probable (à la page 60 de l'arrêt). La demanderesse devrait démontrer que les rapports sont défavorables au point de donner lieu à une probabilité raisonnable de perte financière appréciable ou de nuire à sa compétitivité ou d'entraver des négociations en vue de contrats ou à d'autres fins (Canada Packers, pp. 64-65).

[23]      La demanderesse allègue, dans son mémoire, que: « une quantité substantielle d'informations contenues dans le rapport d'inspection (...) remettent en question le respect par Air Transat A.T. inc. de certaines des règles contenues au Règlement de l'aviation canadien » . De plus, « de tels constats, lorsqu'ils sont faits dans un milieu comme celui du transport aérien où la confiance des clients tient souvent à des choses intangibles, pourraient, si ils étaient communiqués à des tiers sans mise en contexte adéquate, entacher irrémédiablement l'image d'Air Transat A.T. inc., ce qui aurait un effet immédiat sur son achalandage » .

[24]      Les affidavits produits au soutien de la demande sont assez laconiques sur la question du préjudice appréhendé. L'affidavit de Denis Pétrin, vice-président aux finances et à l'administration chez la demanderesse, indique que « la divulgation des renseignements (...) sans mise en contexte au préalable et sans autre explication projetterait une fausse image dans le public du caractère sécuritaire de la compagnie » . Plus loin: « Dans un marché hautement compétitif, cette divulgation entraînera fort vraisemblablement de par son impact négatif sur le public un avantage à nos compétiteurs » . Il ajoute enfin: « Des pertes financières risquent vraisemblablement d'être engendrées dans une telle situation » . Les autres affidavits produits au soutien de la demande sont sensiblement au même effet.

[25]      Avec égards, ces affirmations générales seraient susceptibles de s'appliquer à toute situation dans laquelle un rapport d'inspection contient des informations négatives à l'égard d'une compagnie. À mon avis, la démonstration de l'existence d'un risque vraisemblable de préjudice probable exige plus que de simples allégations générales de la nature de celles qui se retrouvent aux affidavits produits par la demanderesse. En l'espèce, il n'existe aucune preuve quant à l'importance du préjudice appréhendé. De plus, la demanderesse ne démontre aucunement le lien entre l'information et le préjudice invoqué. Elle ne semble pas, non plus, tenir compte du fait que le rapport contient également plusieurs conclusions positives à son égard. De plus, la demanderesse ne peut présumer, comme elle le fait, que le public ne pourra bien interpréter l'information contenue dans les rapports sans appuyer ses prétentions de preuves concrètes (voir: Coopérative fédérée du Québec et als. c. Agriculture et Agroalimentaire Canada et Bernard Drainville, C.F., No. dossier T-1798-98, le 7 janvier 2000).



[26]      C'est dans cette optique que je tire les conclusions suivantes des représentations des parties à l'audience:

Page

Divulgation

Raison

34

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

35

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

37

Non

Il y a risque de préjudice.

38

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

39

Non

Il y a risque de préjudice.

40

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

41

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

49

Oui

Il n'y a pas de preuve de préjudice probable.

53

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

55

Oui

Il n'y a pas de preuve de préjudice probable.

56

Oui

Sauf pour l'identification des appareils, en bas de page.

62

Oui

De consentement

69

Non

De consentement

70

Oui

Il n'y a pas de preuve de préjudice probable.

74

Oui

La demanderesse ne conteste plus.

76 et 77

Non

Il s'agit de documents de la demanderesse.

82

Non

Il s'agit de réponses à des questions.

83-84

Oui

Sauf pour l'item 6, où la confidentialité de l'identification de l'appareil doit être maintenue.

88

Oui

La demanderesse ne s'objecte plus.

90

Oui

Sauf pour l'identification des appareils.

120

Non

Il s'agit de réponses à des questions.

Conclusion

[27]      Je fais droit à la demande conformément à ce que j'ai déterminé ci-haut.







                                  JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 30 janvier 2001

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