Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060410

Dossier : IMM‑1419‑05

Référence : 2006 CF 406

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

JUVINNY BALMORE FLORES GOMEZ

YANETH BEATRIZ CASTILLO CAMPOS

KONNY BEATRIZ FLORES CASTILLO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 3 février 2005, selon laquelle Juvinny Balmore Flores Gomez (le demandeur ou le demandeur principal), Yaneth Beatriz Castillo Campos et Konny Beatriz Flores Castillo (collectivement, les demandeurs) n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

 

 

Le contexte

[2]        Les demandeurs sont des citoyens du Salvador qui fondent leur demande d’asile sur leur crainte d’être persécutés par des membres du crime organisé.

 

[3]        Selon son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur est venu au Canada avec son épouse et sa fille le 3 juin 2001 pour passer des vacances, sans avoir l’intention de rester. Il a toutefois appris, après son arrivée, que son père avait reçu des appels téléphoniques de menaces au Salvador. L’identité des auteurs de ces menaces n’est toujours pas connue, mais des incidents survenus en 2000, alors que le dirigeant d’un réseau criminel international, la bande Flores, a été arrêté après qu’une plainte eut été déposée à la police par le demandeur, ont amené ce dernier à penser qu’il devait s’agir de membres de cette bande. Comme il n’avait jamais eu aucun ennemi au Salvador, le demandeur a conclu que les menaces de mort devaient provenir de la bande Flores.

 

[4]        Le demandeur prétend que la bande Flores a des liens étroits avec le gouvernement, ce qui expliquerait la libération rapide de ses membres. Dans son FRP, le demandeur prétendait également être en danger parce que le Partido Liberal Democratico (le PLD), un parti politique d’opposition dont lui et son père font partie, a critiqué sévèrement le gouvernement pour sa corruption et ses liens avec le crime organisé. Le demandeur pense que le gouvernement du Salvador et des bandes criminelles pourraient vouloir s’en prendre à lui en raison de ses convictions politiques.

 

[5]        Les demandeurs sont arrivés au Canada le 3 juin 2001 et ont demandé l’asile le 18 août suivant.

 

La décision de la Commission

[6]        La Commission a rejeté les demandes des demandeurs pour deux motifs principaux.

 

a)      La protection de l’État

[7]        En premier lieu, la Commission a jugé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption concernant la protection de l’État. Elle a reconnu que les vols de voiture et la vente de voitures volées étaient probablement fréquents au Salvador, et elle a fait référence aux documents produits en preuve qui démontraient que le crime organisé est très répandu dans ce pays. Elle a toutefois souligné que le Salvador est une démocratie constitutionnelle respectueuse des droits de la personne, dont le gouvernement peut et veut assurer la protection de ses citoyens, et qu’il a le contrôle efficient de son territoire et possède une organisation militaire et civile. Elle a accordé « un poids considérable » aux documents donnant à penser que le gouvernement prend des mesures énergiques à l’égard du crime organisé. La Commission a conclu que la protection de l’État était raisonnablement assurée et que le demandeur devait s’adresser aux autorités de son pays d’origine.

 

[8]        La Commission a également constaté qu’il n’était question nulle part de la bande Flores dans les rapports ou les dossiers criminels provenant du Salvador. Elle en a déduit que la bande Flores était une bande ordinaire du crime organisé qui devait, comme toute autre bande, être visée par les mesures de lutte prises par la police. Elle a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle la bande Flores est plus difficile à contrôler que les autres bandes comme la bande Mara Salvatrucha. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption concernant la présomption de l’État au moyen d’une preuve « claire et convaincante ».

 

b)      La crédibilité

[9]        En deuxième lieu, la Commission a jugé que la preuve du demandeur n’était pas crédible ou digne de foi; en résumé, les demandeurs n’avaient pas démontré que leur demande avait un fondement subjectif. Le demandeur a laissé entendre que la bande Flores était de mèche avec le gouvernement étant donné que ses membres avaient été libérés un mois après avoir été arrêtés en novembre 2000. La Commission n’était pas d’accord avec le demandeur sur ce point parce que la libération pouvait s’expliquer par différentes raisons, par exemple l’octroi d’une mise en liberté sous caution ou l’insuffisance de la preuve. Selon la Commission, il était peu probable que la bande eût attendu sept mois après l’arrestation de ses membres pour s’en prendre au demandeur et, même alors, qu’elle l’eût fait une fois que le demandeur était en sécurité dans un autre pays.

 

[10]      La Commission a pris note du fait que le demandeur avait invoqué un deuxième motif à l’appui de sa demande d’asile dans son FRP : l’appartenance de sa famille au PLD. À l’audience, le demandeur a déclaré [traduction] « qu’il n’y a pas de difficultés sur le plan politique ». Il a expliqué qu’il avait pensé au début que ses problèmes étaient attribuables aux activités politiques de son père, mais qu’il avait ensuite conclu qu’ils n’étaient causés que par la bande. La Commission a considéré que les déclarations du demandeur étaient incohérentes sur ce point et elle a tiré une conclusion défavorable du fait que ce motif invoqué à l’appui de la demande d’asile avait été mentionné dans le FRP, lequel avait été rempli neuf mois après que les appels de menaces eurent été reçus.

 

[11]      La Commission a affirmé que la crainte de persécution n’avait pas de fondement subjectif et que le désir du demandeur de se trouver un emploi au Canada était la véritable raison de sa demande d’asile dans ce pays. Elle a ajouté : « Après tout, il a travaillé illégalement aux États‑Unis pendant quatre ans. » Elle a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une raison valable de présenter une demande sous le régime du droit des réfugiés.

 

Les questions en litige

[12]      Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

  1. La Commission a‑t‑elle privé les demandeurs du droit à une audition équitable en suivant l’ordre des interrogatoires prévu par les Directives no 7 concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés (les Directives no 7)?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption concernant la protection de l’État?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur demande avait un fondement subjectif, parce qu’elle a mal interprété la preuve ou omis de tenir compte d’éléments de preuve dont elle disposait?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal avait travaillé illégalement aux États‑Unis pendant quatre ans?

 

[13]      Les Directives no 7 étaient l’objet de la décision rendue par la Cour dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16. À la suite de cette décision, le présent contrôle judiciaire et plusieurs autres ont été joints afin que la Cour examine la question des Directives no 7 et rende une décision à ce sujet (ordonnance du 26 février 2006). Cette audience a eu lieu devant le juge Mosley les 7 et 8 mars 2006 (l’audience commune). L’audience devant moi a donc porté exclusivement sur les trois questions n’ayant pas trait aux Directives no 7 qui sont mentionnées ci‑dessus.

 

Analyse

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption concernant la protection de l’État?

[14]      L’analyse des aspects objectifs de la demande qui a été faite par la Commission repose sur la question de la protection de l’État, à laquelle on a récemment appliqué la décision raisonnable simpliciter comme norme de contrôle (voir Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58, 2005 CF 193, aux paragraphes 8 à 12). En l’espèce cependant, les demandeurs allèguent que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants. Or, peu importe la norme de contrôle qui s’applique, le défaut de tenir compte d’éléments de preuve est un motif qui justifie l’annulation de la décision (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7).

 

[15]      Les demandeurs prétendent que la Commission a omis de tenir compte de documents déposés en preuve qui confirmaient que la protection de l’État n’était pas assurée au Salvador.

 

[16]      De manière générale, la Commission peut faire un choix parmi les éléments de preuve documentaire (Maximenko c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 606, 2004 CF 504, au paragraphe 18). Il est également bien établi en droit qu’elle n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté (ibid.). La Cour peut toutefois conclure que la Commission n’a pas tenu compte de faits importants ou qu’elle les a mal compris et que sa décision est erronée si elle a omis d’analyser des éléments de preuve importants et contradictoires (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.), au paragraphe 17).

 

[17]      En l’espèce, les demandeurs font référence à une série de documents qui renvoient à ce qui suit :

 

  • le fait que le gouvernement n’a pas pris de mesures énergiques pour s’attaquer à la corruption dans ses rangs, pour l’éliminer ou pour la prévenir;

 

  • la participation possible du gouvernement aux menaces de mort proférées contre son propre procureur chargé des droits de la personne;

 

  • la participation de plus en plus grande de la police nationale (PNC) à des activités criminelles;

 

  • l’absence du droit d’accès à l’information et l’homogénéisation des médias dans un secteur ayant des liens étroits avec le gouvernement, ce qui laisse croire que les critiques visant le gouvernement peuvent être difficiles à trouver.

 

[18]      Les documents auxquels les demandeurs font référence sont de nature générale et ne traitent pas du crime organisé en particulier. Il est vrai que la Commission ne les mentionne pas un par un, mais ses motifs montrent qu’elle a évalué et compris leur contenu. Je ne suis pas convaincue qu’elle ait omis de tenir compte des documents ou de leur contenu.

 

[19]      Soulevant ce point pour la première fois, dans le cours de leurs prétentions orales, les demandeurs ont attiré mon attention sur un passage de la décision de la Commission qui, selon eux, est manifestement erroné et montre que celle‑ci n’a pas tenu compte de toute la preuve qu’ils ont produite. La prétendue erreur figure dans le paragraphe suivant, que je cite en entier afin que la remarque soit lue dans son contexte :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne « ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps ». Le demandeur d’asile a établi qu’il y a eu des dénonciations (ou rapports). Il démontre aussi clairement que l’État salvadorien conserve des procès‑verbaux assez précis de ses instances criminelles. Il serait ainsi raisonnable de s’attendre à ce qu’une mention de la bande Flores figure dans l’un des divers rapports évoquant les bandes au Salvador. Or il n’y en a aucune. La Commission en est donc arrivée à la conclusion que cette « bande » n’est pas très différente de toutes les autres bandes opérant au Salvador et qu’elle devait faire l’objet des mêmes mesures de police que tout autre réseau de crime organisé. Par conséquent, la Commission rejette le témoignage du demandeur d’asile principal selon lequel la bande Flores est beaucoup plus difficile à contrôler par les autorités que les bandes Maras dont il est question dans les documents. [Non souligné dans l’original.]

 

[20]      Les demandeurs ont souligné qu’ils avaient produit des « documents » qui mentionnent les vols de voiture commis par la bande Flores, plus précisément deux articles de La Prensa Grafica, accessibles en ligne, où le nom de ce groupe apparaît. Ils affirment en conséquence que la Commission a eu tort d’affirmer que la bande Flores n’était mentionnée nulle part dans la preuve documentaire.

 

[21]      Je souligne d’abord que les demandeurs ont eu plusieurs fois l’occasion d’invoquer cette prétendue erreur et qu’ils n’en ont pas parlé jusqu’à leur plaidoirie. Ce retard est suffisant, à mon avis, pour refuser d’examiner la question. De toute façon, je ne suis pas d’accord avec eux. Lorsqu’on le lit en entier, le paragraphe reproduit ci‑dessus fait référence, à mon avis, à un sous‑ensemble précis de documents. Ainsi, la Commission parle en particulier de rapports (ou dénonciations) faits à la police et des rapports de l’État concernant les instances criminelles. Compte tenu du contexte, j’estime que la Commission ne faisait pas référence à toute la preuve documentaire contenue dans le dossier.

 

[22]      Même si la Commission voulait englober tous les documents déposés en l’espèce et qu’elle ait commis une erreur en ne tenant pas compte des deux articles de journal produits par les demandeurs, cela n’aiderait pas la cause de ces derniers parce que chacun de ces articles donne des exemples d’arrestations, par la police, de membres de la bande Flores. Les articles appuient ainsi la conclusion de la Commission sur la question de la protection de l’État.

 

[23]      En conclusion, je ne suis pas convaincue que la Commission ait omis de tenir compte d’éléments de preuve importants et pertinents. Sa conclusion est conforme à l’ensemble de la preuve. La Commission a reconnu que la protection de l’État n’était pas parfaite au Salvador, mais elle a insisté sur la volonté de l’État d’éradiquer les activités du crime organisé et sur les gains réalisés sur ce plan. Le fait qu’il y a de la corruption n’est pas en contradiction avec cette conclusion. Je ne peux qualifier de déraisonnable, d’abusive ou d’arbitraire la décision de la Commission sur la question de la protection de l’État ou conclure que la Commission l’a rendue sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[24]      La conclusion raisonnable de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption concernant la protection de l’État permet de statuer sur la demande. Toutefois, dans l’éventualité où je me serais trompée sur ce point, j’examinerai les autres questions soulevées par les demandeurs.

 

2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur demande avait un fondement subjectif, parce qu’elle a mal interprété la preuve ou omis de tenir compte d’éléments de preuve dont elle disposait?

[25]      Les demandeurs soulèvent certaines questions relativement à la conclusion de la Commission selon laquelle ils n’ont pas démontré que leur demande avait un fondement subjectif. En résumé, la Commission avait plusieurs doutes au sujet de la crédibilité du demandeur principal. J’examinerai chacun des points qui me semblent nécessiter une réponse. J’ai choisi de ne pas traiter de deux des arguments qui n’ont clairement aucun fondement, à savoir celui concernant le nombre de coquilles contenues dans les motifs de la Commission et celui portant sur le « ton » de la décision.

 

[26]      C’est la décision manifestement déraisonnable qui s’applique comme norme aux conclusions de la Commission concernant la crédibilité (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] A.C.F. no 188, au paragraphe 8). La Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité et la vraisemblance et pour tirer les conclusions qui s’imposent (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). La décision sera cependant annulée si la Commission n’a pas tenu compte de toute la preuve ou a mal compris la nature de la demande.

 

a)      La complicité de la bande Flores avec le gouvernement du Salvador

[27]      En premier lieu, les demandeurs soutiennent que la Commission a eu tort de tirer une conclusion défavorable de la prétention du demandeur selon laquelle le gouvernement du Salvador avait été impliqué dans la libération rapide des membres de la bande Flores après leur arrestation en novembre 2000. Ils font valoir qu’il ressort de la remarque de la Commission selon laquelle la libération rapide de ces personnes pouvait s’expliquer par l’octroi d’une libération sous caution ou par l’insuffisance de la preuve qu’elle n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur selon lequel les membres de la bande avaient été disculpés des crimes qu’on leur reprochait. Je pense qu’il est utile de reproduire une partie de la transcription de l’audience afin de bien comprendre la teneur du témoignage du demandeur.

 

[Dossier certifié du tribunal, aux pages 311 et 312]

 

[traduction]

Q. [La Commission] :      Donc, qu’attendez‑vous de plus de la police?

 

R. [Le demandeur ] :       Je ne sais pas ce que je peux attendre de la police, parce qu’ils sont libres à nouveau.

 

Q.           Ont‑ils [les membres de la bande] eu un procès?

 

R.           Oui, mais ils ont été disculpés.

 

Q.           Hum! Pour quelle raison?

 

R.           C’est une grosse organisation qui – comment je pourrais dire? Elle a des relations au sein du gouvernement.

 

Q.           Mais y a‑t‑il eu un procès?

 

R.           Apparemment. Les journaux ont écrit qu’il y a eu un procès, mais je ne sais pas dans quelle mesure. Je ne sais pas.

 

[28]      Tout le contexte de la réponse du demandeur est très révélateur, à mon avis. Sans procéder à une appréciation de cet élément de preuve, je pense qu’il est juste de dire qu’il ressortait clairement a priori du témoignage du demandeur que celui‑ci n’avait aucune connaissance personnelle ou précise de ce qui s’était passé au procès. Par conséquent, je ne peux pas dire que le fait que la Commission a laissé entendre que les membres de la bande avaient été libérés rapidement parce qu’une libération sous caution leur avait peut‑être été accordée, indique qu’elle n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur.

 

[29]      Le demandeur affirme également que la Commission a omis de prendre en considération la preuve documentaire qui démontrait qu’il y avait de la [traduction] « corruption judiciaire ». Or, cette preuve est mince et de nature très générale. Le fait qu’il puisse y avoir de la corruption ne démontre pas de manière concluante que l’État a été complice dans le procès des membres de la bande Flores. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la Commission avait l’obligation d’analyser ce document particulier. Je constate qu’en fait on affirme dans le même document qu’[traduction] « une réforme générale du système judiciaire est en cours, et des juges corrompus ou non qualifiés ont été révoqués ». Dans l’ensemble, cette preuve n’est pas « si importante et cruciale que l’omission d’en faire état peut constituer une erreur susceptible de contrôle » (Johal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1760, au paragraphe 10 (1re inst.)).

 

[30]      Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte du fait que les membres de la bande avaient été arrêtés une deuxième fois, en janvier 2001, lorsqu’elle a affirmé qu’il était peu probable qu’ils aient attendu sept mois avant de chercher à se venger du demandeur principal. Ce dernier a affirmé dans son témoignage que, même s’il a eu un rôle à jouer seulement dans la première arrestation, les membres de la bande ont pu le tenir responsable de la deuxième arrestation également. À mon avis, la deuxième arrestation ne semble pas pertinente. En outre, je ne suis pas convaincue que la Commission n’ait pas tenu compte de cette information. À l’audience, elle a demandé au demandeur pourquoi la deuxième arrestation était pertinente et elle a jugé que les explications qu’il a données reposaient sur des suppositions (dossier certifié du tribunal, aux pages 311 à 313). Il semble clair que, selon la Commission, la bande aurait cherché à se venger de la première arrestation seulement, ce qui n’était pas une conclusion déraisonnable. Il aurait été préférable que la Commission traite directement des explications du demandeur, mais le délai de sept mois dont elle a fait état est conforme à la preuve.

 

b)   L’incohérence concernant le lien entre les menaces proférées pour des motifs politiques et la demande

[31]      Les demandeurs prétendent que la Commission a eu tort de tirer une conclusion défavorable de l’incohérence entre le FRP du demandeur principal et son témoignage. Ils soutiennent essentiellement que les convictions du demandeur ont changé entre le moment où il a rempli son FRP et l’audience. À l’origine, il pensait que les menaces proférées contre lui avaient un lien avec son affiliation politique et celle de son père, mais il a rejeté cette possibilité quelque temps avant l’audition de la demande d’asile.

 

[32]      La Commission a pris note de cette explication, mais elle ne l’a pas jugée raisonnable. À mon avis, elle pouvait conclure que cette incohérence (et il s’agit clairement d’une incohérence) minait la crédibilité du demandeur principal. La Commission a le droit de tirer des incohérences les conclusions qui s’imposent et, en l’espèce, il n’était pas déraisonnable de tirer une conclusion défavorable. Le fait que les convictions du demandeur ont changé révélait qu’il ne connaissait pas bien les principaux éléments de sa demande et qu’il s’appuyait sur des suppositions.

 

c)   Le défaut de mentionner les dénonciations faites par la famille

[33]      Les demandeurs rappellent les dénonciations faites par leur famille à la police. Ils soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne mentionnant pas ces documents importants qui étayent l’élément subjectif de leur demande.

 

[34]      Le dossier certifié du tribunal renferme quatre dénonciations. Les ayant examinées, je ne suis pas convaincue qu’elles sont [traduction] « pertinentes » comme les demandeurs l’affirment. L’une des dénonciations (et une deuxième qui lui est liée) a trait à des menaces proférées à cause des convictions politiques du membre de la famille. Comme le demandeur principal l’a dit dans son témoignage, ses problèmes n’avaient rien à voir avec les opinions politiques de son père. Par conséquent, ces dénonciations ne sont pas d’une grande pertinence quant à la demande des demandeurs. Les deux autres dénonciations concernent un vol de voiture; il ne ressort pas des dénonciations que la bande Flores était responsable. Par conséquent, compte tenu du manque de pertinence de ces documents quant à la demande des demandeurs, la Commission n’a pas commis une erreur en n’y faisant pas référence.

 

d)   La mauvaise compréhension de la demande

[35]      Les demandeurs ont invoqué pour la première fois, dans le cours de leur plaidoirie, le fait que la Commission avait mal compris leur demande. Selon eux, la Commission a considéré que leur crainte avait trait à une [traduction] « bande » et a apprécié la preuve en conséquence. À leur avis cependant, leur crainte concerne un groupe très précis qui est impliqué dans un réseau international de vols de voiture. Ils se réfèrent à un passage de la transcription où le demandeur principal a essayé de l’expliquer à la Commission. Or, cet argument aurait dû être avancé plus tôt dans la procédure et, devrait, pour cette seule raison, être rejeté. Il doit aussi cependant être rejeté parce qu’il n’est pas fondé.

 

[36]      Une réponse complète à cet argument figure dans le dossier de demande, où les demandeurs ne font pas une telle distinction. Le demandeur principal fait souvent mention dans son affidavit de la [traduction] « bande Cuestas Flores », des prétendues menaces formulées par des [traduction] « membres de la bande » et de la difficulté de la police à maîtriser les [traduction] « bandes ». Les observations versées au dossier de demande utilisent aussi le terme [traduction] « bandes ». Même dans le mémoire complémentaire du droit et des arguments des demandeurs, il n’est pas question d’un réseau international de voleurs de voitures qui serait différent d’une [traduction] « bande ». Si la Commission a mal interprété le fondement de la demande, je dois conclure qu’il en est de même également des demandeurs!

 

3. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal avait travaillé illégalement aux États‑Unis pendant quatre ans?

[37]      Finalement, les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en déclarant que le demandeur principal avait travaillé illégalement aux États‑Unis pendant quatre ans. Le défendeur reconnaît que la Commission s’est clairement trompée sur ce point, mais il soutient qu’il ne s’agit pas d’une erreur importante.

 

[38]      Je conviens que la Commission a commis une erreur en faisant cette déclaration, mais cette erreur ne compromet pas la décision. Dans les motifs, elle figure après l’analyse du fondement objectif et subjectif d’une crainte de persécution et les conclusions de la Commission à cet égard. Après avoir examiné les éléments de la demande, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles, d’après elle, les demandeurs étaient venus au Canada. Je ne sais pas pourquoi la Commission s’est sentie obligée de se lancer dans de telles suppositions après avoir analysé la demande; elle n’avait pas besoin de le faire pour tirer ses conclusions. Cette erreur n’a toutefois pas joué un grand rôle dans sa décision et, en conséquence, elle n’est pas suffisante pour que j’infirme la décision.

 

Conclusion

[39]      En résumé, la décision de la Commission concernant la protection de l’État et sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas démontré l’élément subjectif de leur


demande ne sont pas erronées. Je suis d’avis de rejeter la demande pour ce qui des questions qui ne concernent pas les Directives no 7. Les parties ne demandant la certification d’aucune question à l’égard des points ici examinés, aucune ne sera certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑1419‑05

 

 

INTITULÉ :                                                       JUVINNY BALMORE FLORES GOMEZ ET AL.

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 20 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cynthia Mancia                                                    POUR LES DEMANDEURS

 

Amy Lambiris                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mancia et Mancia                                                POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.