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Date : 20201208


Dossier : IMM‑7175‑19

Référence : 2020 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

JATINDER KAUR

LOVEPREET SINGH

EKAMDEEP KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] en date du 8 novembre 2019 [la décision], confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ni qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la demande est rejetée, car la décision est raisonnable et résulte d’un processus équitable sur le plan de la procédure.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse principale, Jatinder Kaur, est la mère des deux autres demandeurs, qui sont mineurs. La demanderesse principale est née en Inde, mais est devenue citoyenne mexicaine en 2016, année où elle a perdu sa citoyenneté indienne. Ses enfants sont nés au Mexique et sont citoyens mexicains.

[4]  La demanderesse principale et son époux se sont rendus de l’Inde au Mexique au moyen d’un permis de travail vers 2004 et ont ouvert un magasin de vêtements à Moroléon, au Mexique. Peu de temps après qu’ils ont ouvert le magasin, des membres de gangs locaux ont exigé des paiements mensuels de la part de leur entreprise sous la menace de violence physique. Ils ont payé les demandes d’extorsion chaque mois. En 2008, la demanderesse principale et sa famille ont déménagé à Los Mochis, au Mexique, et ont ouvert un nouveau magasin de vêtements. Cependant, ils ont de nouveau été victimes d’extorsion par des membres de gangs. Un policier qui fréquentait le magasin des demandeurs leur a dit que la police était impuissante contre les syndicats du crime et qu’ils devraient déménager pour échapper à l’extorsion. En juillet 2013, la famille a déménagé à Mexicali, au Mexique, et a ouvert encore un autre magasin de vêtements. Ils ont de nouveau été pris pour cible par des membres de gangs quelques mois après l’ouverture du magasin.

[5]  Le 11 juillet 2018, les demandeurs se sont rendus au Canada en tant que visiteurs. Ils ont demandé l’asile au Canada le 4 septembre 2018. Les demandeurs ont fait valoir qu’ils craignaient d’être persécutés en raison de leur race, alléguant qu’ils étaient pris pour cibles par des gangs au Mexique parce que, étant originaires de l’Inde, ils faisaient partie d’une minorité visible au Mexique. Les demandeurs vivent actuellement à Montréal, au Québec. L’époux de la demanderesse principale (et le père des demandeurs mineurs) vit également à Montréal, mais ne fait pas partie de la demande d’asile de sa famille.

[6]  La demande d’asile des demandeurs a été entendue par la SPR le 30 juillet 2019. La SPR a rendu une décision défavorable le 23 août 2019, et les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR.

III.  La décision de la SAR

[7]  La SAR a commencé son analyse en examinant la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne pouvaient pas invoquer l’article 96 de la LIPR. En appel, les demandeurs ont allégué que la SPR avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demande d’asile des demandeurs n’avait pas de lien avec un motif prévu dans la Convention a) en se livrant à un examen microscopique des éléments de preuve, b) en s’attendant à la corroboration de témoins en l’absence d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité, et c) en fournissant des motifs insuffisants sur la question du lien.

[8]  La SAR a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel l’évaluation des éléments de preuve par la SPR était sélective et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve étaient insuffisants pour qu’il soit possible d’établir un lien avec un motif prévu dans la Convention. La SPR avait jugé les éléments de preuve insuffisants, parce que la demanderesse principale n’a fait aucune référence à son origine ou à son appartenance ethnique indienne dans son témoignage sur les menaces de gangs et parce que, selon la preuve documentaire, l’extorsion est un problème endémique au Mexique qui touche la population dans son ensemble.

[9]  La SAR a décidé que la SPR avait correctement conclu que les demandeurs n’avaient fait aucune référence à leur origine ou à leur appartenance ethnique indienne lorsqu’ils ont témoigné au sujet des menaces de gangs. La SAR a fait remarquer que la SPR n’avait pas expressément demandé à la demanderesse principale d’expliquer pourquoi elle n’avait pas mentionné son appartenance ethnique lorsqu’elle a témoigné au sujet des menaces de gangs. Cependant, la SAR a expliqué que le fait ne pas demander à la demanderesse principale pourquoi elle n’avait pas mentionné son appartenance ethnique ne constituait pas une erreur, car la SPR n’en a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[10]  La SAR a fait remarquer que, pour établir l’existence d’un lien, il faut la preuve d’un lien clair entre un demandeur d’asile et un motif prévu dans la Convention. La SAR a cité la Cour fédérale dans la décision Gonsalves c Canada (Procureur général), 2011 CF 648 [Gonsalves] pour le principe selon lequel il est possible d’établir un lien avec un motif prévu dans la Convention dans les situations où il y a des motifs mixtes, mais uniquement lorsque ce fait est corroboré par des éléments de preuve fiables et convaincants donnant à penser qu’un motif prévu dans la Convention est la raison pour laquelle les demandeurs d’asile ont été ciblés. La SAR a conclu que de tels éléments de preuve n’avaient pas été présentés à la SPR ou dans le cadre de l’appel.

[11]  La SAR a fait remarquer que les demandeurs n’ont pas allégué que des déclarations racistes avaient été formulées contre eux au cours de l’extorsion. Au contraire, les demandeurs ont souligné dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] qu’ils croyaient que leur origine indienne était liée aux demandes d’extorsion, parce que le Mexique est une société raciste et qu’ils sont considérés comme des cibles parce qu’ils n’ont pas de liens avec la communauté. La SAR a rejeté cette allégation parce que la présomption de véracité qui s’applique aux faits allégués par les demandeurs d’asile ne s’applique pas aux croyances, hypothèses ou déductions découlant de tels faits.

[12]  Les demandeurs n’ont pas non plus mentionné d’élément de preuve objectif sur les conditions dans le pays à l’appui de leur allégation selon laquelle la race est un facteur favorisant l’extorsion ou le crime au Mexique. La SAR n’a relevé aucune indication dans la preuve documentaire selon laquelle les minorités raciales sont ciblées de façon disproportionnée ou que la race est un facteur de motivation.

[13]  Au moment d’évaluer si les appelants ont fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention, la SPR a fait remarquer l’absence d’une déclaration écrite ou d’un témoignage de l’époux de la demanderesse principale, même s’il vivait à Montréal au moment de l’audience devant la SPR. Les éléments de preuve de l’époux étaient importants car la demanderesse principale a allégué que c’était son époux qui avait reçu toutes les demandes d’extorsion. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en soulignant l’absence d’éléments de preuve de la part de l’époux. Comme les demandeurs sont responsables d’obtenir des éléments de preuve susceptibles d’appuyer leur demande d’asile, une conclusion défavorable, en cas d’explication déraisonnable du défaut de déployer les efforts nécessaires pour fournir de tels éléments de preuve cruciaux et raisonnablement accessibles, est permise.

[14]  La SAR a évalué indépendamment la question de savoir s’il y a un motif sous‑jacent énoncé dans la Convention qui soutiendrait les demandes d’asile des demandeurs et a conclu qu’il est plus probable que le contraire que les demandeurs ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur race ou de tout autre motif prévu dans la Convention. La SAR a constaté qu’il n’y avait aucun lien avec un motif énoncé dans la Convention et a donc conclu que les demandeurs ne pouvaient pas invoquer l’article 96 de la LIPR.

[15]  La SAR est ensuite passée à l’évaluation par la SPR de la demande d’asile des demandeurs au titre de l’article 97 de la LIPR. La demanderesse principale avait la citoyenneté indienne jusqu’en 2016. Lorsque la SPR lui a demandé pourquoi elle n’était pas retournée en Inde pour échapper à l’extorsion présumée, la demanderesse principale a dit qu’elle et son époux ne possédaient pas de biens ni d’entreprise en Inde. La SPR a conclu que ce comportement était incompatible avec le comportement d’une personne exposée personnellement à un risque pour sa vie ou à un risque pour la vie de ses enfants. Dans le cadre de l’appel devant la SAR, les demandeurs ont allégué que la SAR avait commis une erreur en évaluant, de son propre point de vue plutôt que de celui des demandeurs, les explications de la demanderesse principale quant au fait qu’elle n’était pas retournée en Inde. La SAR a rejeté cet argument en expliquant que le simple fait que la SPR n’ait pas jugé l’explication de la demanderesse principale suffisante ne signifie pas qu’elle a évalué cette explication de son propre point de vue.

[16]  En conclusion, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[17]  Le mémoire des faits et du droit des demandeurs énonce la seule question à examiner par la Cour de la façon suivante :

[traduction]

Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit susceptible de contrôle en concluant que les demandeurs n’ont pas établi de lien avec le motif de la race énoncé dans la Convention et n’ont donc pas une crainte fondée de persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR?

[18]  D’après le mémoire des faits et du droit des demandeurs, cette question aurait été susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, à l’audition de la présente demande, le conseil des demandeurs a souligné que, dans la décision Gonsalves, une affaire qui traitait de la possibilité de « motifs mixtes » pour un demandeur d’être la cible de criminels, le juge Zinn a utilisé la norme du caractère raisonnable (au para 29). Le conseil des demandeurs a donc souscrit à la position du défendeur selon laquelle la norme du caractère raisonnable s’applique à la question ci‑dessus. J’en conviens.

[19]  Toutefois, les demandeurs qualifient également l’un des arguments soulevés dans la présente demande de question d’équité procédurale. Les demandeurs soutiennent que, avant de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien avec le motif de la race prévu dans la Convention, la SPR était obligée d’interroger les demandeurs, ou de les avertir d’une autre manière qu’elle était préoccupée par l’insuffisance de la preuve à cet égard. Ils soutiennent que l’omission de le faire représentait un manquement à l’équité procédurale de la part de la SPR et que la SAR a commis une erreur en rejetant l’appel malgré ce manquement.

[20]  Le défendeur conteste que cet argument soulève une question à juste titre qualifiée de question d’équité procédurale. Je conviens avec les demandeurs que leur argument soulève la question de savoir si le processus suivi par la SPR était équitable sur le plan de la procédure. J’aborderai donc cet argument comme une question distincte et j’appliquerai la norme de la décision correcte au traitement de cette question par la SAR. Je voudrais énoncer cette question de la façon suivante :

La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure de la part de la SPR de ne pas avoir interrogé la demanderesse principale au sujet de ses allégations selon lesquelles l’extorsion était motivée par la race?

V.  Analyse

A.  Le tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit susceptible de contrôle en concluant que les demandeurs n’ont pas établi de lien avec le motif de la race énoncé dans la Convention et n’ont donc pas une crainte fondée de persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR?

[21]  Les arguments des demandeurs sur cette question portent sur la prétendue « doctrine des motifs mixtes », décrite dans des affaires comme la décision Gonsalves. Cette doctrine concerne le fait qu’un agent de persécution peut avoir plus d’un motif pour persécuter un demandeur. Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B344, 2013 CF 447, le juge Noël a conclu que, si l’un des motifs de l’agent de persécution est la race, en combinaison avec un autre facteur, une telle situation permet de répondre aux exigences de l’article 96 de la LIPR. Les demandeurs mettent l’accent sur l’explication du juge Noël : l’article 96 de la LIPR ne doit pas recevoir une interprétation restrictive et étroite (au para 37).

[22]  Les demandeurs font également référence à un exemple fourni sur le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada, qui donne plus de détails sur le raisonnement exposé dans la décision B344, à savoir que les extorqueurs, dont les motifs sont de nature criminelle, peuvent cibler des personnes dont la race, la religion ou les opinions politiques présumées les rendent moins susceptibles d’être en mesure d’avoir accès à une protection.

[23]  Invoquant la décision Gonsalves, les demandeurs s’appuient sur l’explication du juge Zinn selon laquelle, s’il y a certains éléments de preuve qui concernent la possibilité de motifs mixtes, la SPR a commis une erreur si elle a négligé de considérer si les motifs pouvaient créer le lien exigé par la Convention (au para 29) :

29  La conclusion de la Commission est déraisonnable, car elle envisage la raison des attaques comme une question qui se répond par oui ou par non. Les criminels qui ont ciblé les demandeurs ont pu être motivés par une combinaison des statuts économique et racial des demandeurs. Le fait que la motivation ne soit pas uniquement économique est appuyé par les demandeurs qui mentionnent les insultes raciales lancées contre eux au cours des incidents qu’ils ont allégués. Le fait est de plus corroboré par d’autres éléments de preuve, notamment le témoignage donné par les demandeurs. Dans la décision Katwaru c. Canada, [2007] ACF no 822 (CF), la Cour a accepté la possibilité qu’on puisse établir un lien lorsqu’il existe au moins un motif prévu par la Convention qui est fondé. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir que la race était un motif et, conséquemment, elle a refusé de conclure à des motifs mixtes. Cependant, la Cour a accepté la possibilité qu’un lien puisse être établi lorsqu’il existe une preuve appuyant les deux motifs allégués. En l’espèce, il y avait certains éléments de preuve dont la Commission était saisie qui concernaient la possibilité de motifs mixtes et donc la Commission a erré en ne considérant pas s’il existait des motifs mixtes et, le cas échéant, si les motifs pouvaient constituer le lien exigé par la Convention.

[Souligné par les demandeurs.]

[24]  Je ne comprends pas que le défendeur conteste les principes juridiques avancés dans ces sources.

[25]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en appliquant la doctrine des motifs mixtes d’une façon trop restrictive, en ne tenant pas compte à la fois de la preuve dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA des demandeurs et de la preuve relative aux conditions dans le pays à l’appui des motifs mixtes chez les gangs qui extorquaient les entreprises des demandeurs.

[26]  Les paragraphes du formulaire FDA sur lesquels s’appuient les demandeurs énoncent ce qui suit :

[traduction]

Nous ne sommes pas de race hispanique, nous sommes originaires de l’Inde et nous sommes membres d’une minorité visible dans un pays où il y a beaucoup de racisme et d’intolérance envers les autres races, même contre son propre peuple autochtone du Mexique. En tant que véritables étrangers, nous ne sommes pas acceptés comme des égaux par le courant dominant de la société mexicaine. Nous sommes plutôt considérés comme des cibles puisque les gangs savent que nous n’avons aucun lien ni aucune influence dans la communauté.

[...]

Le problème des gangs est endémique au Mexique. Il y a des organisations criminelles partout, allant de petits gangs locaux peu organisés à de grands gangs hautement organisés ayant une influence dans de grandes parties du Mexique. Le fait de déménager à près de 1 000 kilomètres de Los Mochis n’a pas aidé notre situation : nous avons simplement été repris pour victimes par un nouveau gang en raison de notre race. En raison du problème répandu des gangs au Mexique, du manque d’intérêt et d’intervention de la police dans les crimes d’extorsion contre les propriétaires de petites entreprises comme nous, du racisme au Mexique et de notre manque de moyens efficaces pour nous protéger en toute sécurité de ces gangs, nous n’avons aucun espoir de vivre en paix et en sécurité au Mexique, sans être maltraités par ces criminels.

[27]  La SAR a noté que, dans le formulaire FDA, les demandeurs soutiennent qu’ils étaient ciblés en raison de leur race et qu’ils croyaient que leur origine indienne était liée aux demandes d’extorsion parce que le Mexique est une société raciste et qu’ils sont considérés comme des cibles vu qu’ils n’ont pas de liens dans la communauté. Cependant, la SAR a également observé que les demandeurs n’ont pas fait valoir, que ce soit dans leur formulaire FDA ou durant leur témoignage, qu’ils avaient fait l’objet de remarques racistes lorsque les gangs les menaçaient d’extorsion ou se présentaient dans les locaux de leur entreprise pour obtenir des paiements ni d’ailleurs avancé de faits précis liés aux menaces d’extorsion pouvant soutenir une inférence selon laquelle ils étaient pris pour cibles en raison de leur race.

[28]  S’appuyant sur la décision Gonsalves, la SAR a admis qu’il est possible d’établir un lien dans les situations où il y a des motifs mixtes, mais seulement lorsque ce fait est corroboré par des éléments de preuve fiables et convaincants donnant à penser qu’un motif prévu par la Convention est la raison pour laquelle les demandeurs d’asile ont été ciblés. La SAR a conclu que, à part la déclaration de la demanderesse principale dans son formulaire FDA quant à sa croyance, de tels éléments de preuve n’ont pas été présentés. La SAR a fait une distinction avec la décision Gonsalves, car les faits dans cette affaire comprenaient des insultes raciales proférées à l’endroit des demandeurs d’asile.

[29]  Je prends note de l’argument des demandeurs selon lequel la preuve d’une composante raciale de la persécution ne se limite pas à la preuve d’insultes raciales. Bien que je souscrive à ce point de vue, je n’interprète pas la décision comme portant uniquement sur l’absence de preuve d’insultes raciales. La SAR a souligné que, dans le formulaire FDA, il n’est pas avancé de faits précis liés aux menaces d’extorsion pouvant soutenir une inférence selon laquelle celles‑ci étaient motivées par des considérations raciales. Le raisonnement de la SAR était que, même si le formulaire FDA faisait état de la croyance de la demanderesse principale quant à la motivation raciale, il n’y avait aucun fait de quelque nature que ce soit associé aux incidents de persécution qui puisse établir un lien avec le motif prévu dans la Convention. Ce raisonnement est conforme à la jurisprudence, et je ne trouve rien de déraisonnable dans cet aspect de l’analyse faite par la SAR.

[30]  Les demandeurs soutiennent également que la preuve pouvant étayer une conclusion de motifs mixtes peut inclure des éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Les demandeurs se réfèrent à la preuve documentaire relevée par la SAR comme faisant état de la prévalence du racisme au Mexique. Cependant, les demandeurs n’ont désigné aucun élément de preuve de ce type établissant un lien entre le racisme et l’extorsion contre les propriétaires d’entreprise. Les demandeurs se concentrent sur un élément du cartable national de documentation sur le Mexique, qui fait référence au gang Los Zetas qui cible souvent les migrants. Cependant, cet élément fait partie de ceux mentionnés par la SAR dans sa décision; il y est décrit que les cibles d’extorsion incluent souvent les migrants sans statut d’immigration régulier. Les demandeurs n’ont pas démontré que cet élément représente la preuve d’un lien entre la race et l’extorsion dont la SAR n’a pas tenu compte.

[31]  Enfin, je note que les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans la norme qu’elle a appliquée pour établir si les demandeurs faisaient face à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur race. Ils se réfèrent à la conclusion suivante de la SAR :

[...] Je conclus qu’il est plus probable que le contraire que les appelants ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur race, de leur nationalité, de leur opinion politique, de leur religion ou de leur appartenance à un groupe social et qu’il n’y a pas de lien avec un motif énoncé dans la Convention. [...]

[Souligné par les demandeurs.]

[32]  Les demandeurs soutiennent que l’utilisation des mots « plus probable que le contraire » représente l’application d’une norme trop contraignante. J’estime que cette observation n’a aucun fondement. Comme le défendeur le soutient à juste titre, les demandeurs d’asile doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seront exposés à une possibilité sérieuse de persécution (voir, p. ex. Mariko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1136, aux para 18‑19). D’après mon interprétation, l’utilisation par la SAR des mots « plus probable que le contraire » se rapporte à la prépondérance des probabilités selon laquelle les demandeurs doivent établir leur cause. Ces mots utilisés ne démontrent pas une erreur susceptible de contrôle.

[33]  Les arguments des demandeurs ne soulèvent aucun fondement permettant de conclure que la décision est déraisonnable. Je passe donc à leur argument relatif à l’équité procédurale.

B.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure de la part de la SPR de ne pas avoir interrogé la demanderesse principale au sujet de ses allégations selon lesquelles l’extorsion était motivée par la race?

[34]  Les demandeurs font remarquer que la SAR a effectivement abordé la question de savoir si la SPR avait commis une erreur en omettant d’interroger la demanderesse principale au sujet de la motivation raciale alléguée de l’extorsion. Voici l’analyse de cette question par la SAR :

Ayant écouté l’intégralité de l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, je souligne que la SPR a raison de dire que, dans son témoignage, l’appelante principale n’a pas mentionné l’origine ou l’ethnie indienne de sa famille lorsque la SPR lui a posé des questions sur les prétendues menaces de gang. Au terme de mon évaluation indépendante, je souligne qu’il aurait été préférable que la SPR demande précisément à l’appelante principale d’expliquer la raison pour laquelle elle n’avait pas mentionné son ethnie dans son témoignage sur les menaces du gang. Cependant, puisque la SPR n’a pas tiré, pour cette raison, une conclusion défavorable quant à la crédibilité, je ne conclus pas qu’il s’agit d’une erreur. En outre, le conseil n’a pas posé de questions aux appelants, mais il aurait eu l’occasion de le faire s’il estimait qu’un témoignage supplémentaire s’imposait.

[35]  Selon les demandeurs, en appliquant le raisonnement de la SAR, un demandeur d’asile serait injustement privé de la possibilité de connaître les préoccupations que la SPR pourrait avoir au sujet de la demande d’asile et d’y répondre. Ils s’appuient également sur le processus d’audience relativement à la demande d’asile, qui n’est pas un modèle accusatoire traditionnel faisant intervenir deux opposants présentant leurs positions respectives à un décideur. Au contraire, disent‑ils, la SPR remplit un rôle quelque peu inquisitoire, en posant des questions au demandeur d’asile, le conseil du demandeur d’asile ayant alors eu la possibilité de l’interroger ou de présenter des éléments de preuve. Les demandeurs soutiennent que ce modèle impose à la SPR l’obligation de poser des questions sur les aspects qui, selon elle, nécessitent des éclaircissements, ou de les signaler d’une autre manière, afin que les demandeurs d’asile et leur conseil aient la possibilité d’y répondre.

[36]  Je note que, à l’audition de la présente demande, la conseil du défendeur a contesté la formulation par les demandeurs de cette question en ce qui concerne la structure du processus d’audience de la SPR, car elle n’était pas formulée de cette manière dans les documents écrits des demandeurs, et la Cour n’a reçu aucun élément de preuve afférent à la structure du processus d’audience. En réponse, le conseil des demandeurs a soutenu que la question d’équité procédurale qu’ils soulèvent s’applique, quelle que soit la structure d’audience particulière, et qu’elle n’est renforcée que par la nature inquisitoire du rôle de la SPR.

[37]  Bien que je souscrive à cette question de procédure soulevée par le défendeur, je suis prêt à accepter sans réserve les observations du conseil des demandeurs quant à la structure du processus d’audience de la SPR. À mon avis, la structure particulière sur laquelle il s’appuie ne change pas le résultat de l’analyse relative à l’équité procédurale.

[38]  Au bout du compte, lorsqu’une allégation de manquement à l’équité procédurale est soulevée dans une demande de contrôle judiciaire, la question à se poser est celle de savoir si la partie concernée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. En l’espèce, le fait que la SPR n’ait pas demandé à la demanderesse principale pourquoi elle n’avait pas mentionné son origine indienne dans son témoignage au sujet des menaces d’extorsion, ni ne l’avait autrement informée que la SPR avait des doutes quant à l’existence d’un lien avec la race, ne l’a pas privée de savoir ce qu’elle devait prouver. Il incombe au demandeur d’asile qui présente une demande d’asile en vertu de l’article 96 de la LIPR d’établir une crainte subjective et objective de persécution (voir, p. ex. Elisme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1306, au para 22), laquelle comprend suffisamment d’éléments de preuve pour qu’il soit possible d’établir un lien avec un motif prévu dans la Convention.

[39]  Selon la décision de la SAR, ce serait peut‑être une erreur de la part de la SPR de ne pas avoir interrogé la demanderesse principale sur la question du lien si la SPR avait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité à cet égard. Il s’agit d’un exemple de situation où l’équité procédurale dicterait qu’un avis soit donné à un demandeur d’asile, car sinon le demandeur d’asile ne serait pas forcément au courant de la réserve relative à la crédibilité (voir, p. ex. Isapourkhoramdehi c Canada (Citoyenneeté et Immigration, 2018 CF 819, au para 17). Cependant, l’établissement d’un lien avec un motif prévu dans la Convention constitue invariablement un élément d’une demande d’asile en vertu de l’article 96 de la LIPR. La SPR n’a donc aucune obligation, découlant des principes d’équité procédurale, de prévenir un demandeur d’asile à propos de l’exigence de présenter suffisamment d’éléments de preuve sur cette question.

[40]  En appliquant la norme de la décision correcte, je souscris à la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR n’a pas commis d’erreur en omettant de poser à la demanderesse principale des questions relatives à l’existence d’un lien avec la Convention. Autrement dit, je conclus que le processus de la SPR était équitable et que la SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant cet argument comme motif d’appel.

VI.  Conclusion

[41]  N’ayant relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune question n’est formulée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑7175‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7175‑19

INTITULÉ :

JATINDER KAUR

LOVEPREET SINGH

EKAMDEEP KAUR

C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

ENTENDU PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 26 novembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

le 8 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

POUR LES DEMANDEURS

Margarita Tsavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Westmount (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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