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Date : 19990909


Dossier : T-26-99


ENTRE :



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


demandeur,


et


SUEN KWAN CHEUNG,


défenderesse.



MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE EVANS

[1]      Il s"agit d"une demande, fondée sur le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté , L.R.C. (1985), ch. C-29, par laquelle le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration interjette appel d"une décision d"un juge de la citoyenneté, qui a approuvé la demande de citoyenneté de Suen Kwan Cheung.

[2]      Le ministre soutient que le juge a commis une erreur de droit lorsqu"il a conclu que Mme Cheung avait satisfait à l"exigence en matière de résidence que prévoit l"alinéa 5(1)c ) de la Loi, même si elle avait été présente au Canada que pendant 721 jours au total et physiquement absente du pays pendant 374 des 1 095 jours qui ont immédiatement précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté canadienne, soit le 10 décembre 1997. Sur le fondement de nombreux appels en matière de citoyenneté portant sur l"exigence de résidence, on peut dire que Mme Cheung a été présente au Canada pendant une période importante.

[3]      Madame Cheung, qui a maintenant 70 ans, a passé la plus grande partie de sa vie à Hong Kong. Elle a obtenu le statut de résidente permanente du Canada en mai 1994. Elle est demeurée au Canada pendant environ six mois après son arrivée au pays, époque au cours de laquelle elle a vécu dans un logis qu"elle avait antérieurement acheté.

[4]      De novembre 1994 à mai 1995, elle a séjourné à Hong Kong en vue de vendre sa propriété. Elle est retournée à Hong Kong en novembre 1995 et y est demeurée jusqu"à la fin d"avril 1996. Elle a dit que le but de cette visite était de prendre des dispositions afin que sa mère, qui était en mauvaise santé, aille vivre chez son frère en Chine. De novembre 1996 à juillet 1997, elle s"est de nouveau absentée du Canada, cette fois pour liquider les biens qu"elle possédait à Hong Kong et rendre visite à des amis qui vivaient là-bas, et à d"autres amis qui se trouvaient ailleurs.

[5]      Le juge de la citoyenneté a conclu que Mme Cheung avait établi une résidence au Canada et qu"elle y avait centralisé son mode de vie, malgré ses absences temporaires qui ont suivi. Il a conclu qu"elle passait un certain temps à l"étranger chaque année pendant l"hiver parce qu"elle [TRADUCTION] " n"aimait pas beaucoup le froid ", et que ces séjours n"étaient que des visites temporaires.

[6]      La présente affaire est inhabituelle parce que, même si Mme Cheung s"est trouvée au Canada pendant une partie importante de la période de résidence requise pour être admissible à la citoyenneté, soit environ les deux tiers de cette période, le juge de la citoyenneté ne disposait, à toutes fins pratiques, d"aucun élément de preuve établissant la nature qualitative du lien de cette dernière avec le Canada, hormis le fait qu"elle possède une résidence au pays et qu"elle a accumulé les " indices statiques " ordinaires de la résidence, soit une carte Santé de l"Ontario, une carte de crédit délivrée par une banque canadienne, des comptes bancaires au Canada, et d"autres indices de cette nature. Madame Cheung a cependant mentionné dans sa demande qu"elle appartenait à un ordre religieux à Toronto.

[7]      Le présent appel étant assujetti aux Règles de la Cour fédérale (1998), il ne s"agit pas d"un procès de novo . En vertu de la Règle 300c), il s"agit d"une demande. La norme de contrôle applicable en vertu de la nouvelle procédure pour déterminer si le juge a commis une erreur de droit a été énoncée dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst.; T-1310-98; 26 mars 1999). Dans cette décision, le juge Lutfy a dit :

La justice et l'équité, pour ceux qui cherchent à acquérir la citoyenneté canadienne comme pour le ministre, requièrent une certaine continuité dans la norme de contrôle tant que la loi actuelle demeure en vigueur, et ce bien que le procès de novo n'ait plus cours en la matière. La norme qui s'impose dans ces conditions est toute proche de celle du bien-jugé. Dans le cas cependant où le juge de la citoyenneté, par des motifs clairs qui attestent sa connaissance de la jurisprudence, conclut légitimement des faits que le demandeur remplit la condition légale de l'alinéa 5(1)c), telle qu'il la comprend, il ne faut pas que le juge saisi de l'appel substitue arbitrairement à cette décision sa propre conception de la condition de résidence. Telle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté.

[8]      Il ressort de la partie imprimée des motifs du juge de la citoyenneté qu"il avait l"intention d"appliquer aux faits du cas de Mme Cheung le critère du " mode de vie habituel centralisé " que le juge en chef adjoint Thurlow avait énoncé dans Re Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208, à la page 214 (C.F. 1re inst.), et que le juge Reed a, plus tard, adopté et raffiné dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, particulièrement aux pages 293 à 295 (C.F. 1re inst.). Cependant, le juge, dans ses motifs, a omis de traiter de l"un des plus importants critères qu"il convient d"appliquer pour déterminer si une personne a effectivement établi une résidence en " centralisant son mode de vie habituel " au Canada, soit la nature, sur le plan substantif, de son lien avec le Canada. La norme de contrôle applicable est donc " toute proche de celle du bien-jugé ".

[9]      En conséquence, j"appliquerai à Mme Cheung les questions que le juge Reed a formulées pour déterminer si un demandeur de citoyenneté a satisfait à l"exigence légale en matière de résidence, malgré le fait qu"il n"a pas été physiquement présent au Canada pendant la période de résidence minimale requise, soit 1 095 jours.

[10]      Madame Cheung est demeurée au Canada pendant six mois après son arrivée, obtenant le statut de résidente permanente en 1994, et elle s"est immédiatement installée dans sa propre demeure. Bien que cette période ne fût pas importante, elle était suffisante pour lui permettre d"établir sa résidence au Canada.

[11]      Il n"y a pas de preuve établissant que Mme Cheung a des parents ou des amis au Canada; à l"époque pertinente, sa mère et son frère se trouvaient respectivement à Hong Kong et en Chine.

[12]      Le cycle d"absences de Mme Cheung est un peu semblable à celui d"un certain nombre de Canadiens : elle vit dans un climat plus chaud pendant les mois d"hiver, revient au Canada au printemps, et y demeure pendant l"été et le début de l"automne. Comme elle est présente au pays deux fois plus longtemps qu"elle en est absente, ce cycle n"est pas incompatible avec le fait que lorsqu"elle vient au Canada, elle rentre à la maison et n"est pas en simple visite.

[13]      Les périodes d"absence de Mme Cheung sont importantes : au cours de la période de résidence minimale requise par l"alinéa 5(1)c ), soit trois ans, elle a été physiquement absente du Canada pendant l"équivalent d"un peu plus d"une année.

[14]      Bien que de nature temporaire, ses absences ont été le résultat d"un choix tout à fait libre, sauf peut-être la fois où elle s"est rendue à Hong Kong en partie pour réinstaller sa mère. Cependant, les éléments de preuve concernant ses autres absences donnent à penser qu"elle aurait été absente du Canada à cette époque-là, même si sa mère n"avait pas eu besoin d"attention. Il n"y a aucune raison de croire que Mme Cheung ne continuera pas de passer quatre ou cinq mois chaque année à Hong Kong ou ailleurs.

[15]      Comme je l"ai mentionné, il n"y a, à toutes fins pratiques, aucun élément de preuve établissant la qualité du lien de Mme Cheung avec le Canada, hormis le fait qu"elle y possède une demeure et qu"elle a accumulé les " indices statiques " de la résidence, et sa déclaration, qu"elle n"a pas étayée, selon laquelle elle appartient à un ordre religieux à Toronto. Comme il lui incombait d"établir qu"elle satisfaisait aux critères prévus par la loi, je déduis de cette absence de preuve que son lien réel avec le Canada est, en fait, ténu, et qu"elle n"a pas d"attachement ni d"engagement envers le Canada, ce que l"on pourrait raisonnablement s"attendre d"une personne qui cherche à obtenir les droits et assumer les obligations découlant de la citoyenneté.

[16]      Par contre, elle a continué de retourner périodiquement à Hong Kong, où elle a vécu pendant la plus grande partie de sa vie et où elle possède toujours un appartement. Les membres de sa famille immédiate se trouvent soit à Hong Kong, soit en Chine, endroits avec lesquels elle entretient toujours des liens importants.

[17]      Vu l"importance considérable des périodes d"absence de la défenderesse et la nature répétitive de celles-ci, de même que les liens qu"elle entretient toujours avec Hong Kong et l"absence de toute preuve établissant la qualité substantive de ses liens avec le Canada, je suis d"avis que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit lorsqu"il a conclu que Mme Cheung avait satisfait à l"exigence en matière de résidence prévue à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté.


[18]      Pour ces motifs, la demande est accueillie.

                         " John M. Evans "

                             J.C.F.C.


OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 septembre 1999.





Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  T-26-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION C. SUEN KWAN CHEUNG


LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 1ER SEPTEMBRE 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

EN DATE DU :                  10 SEPTEMBRE 1999



ONT COMPARU :


Mme Ann Margaret Oberst                      POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen Green                          POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Mme Ann Margaret Oberst                      POUR LE DEMANDEUR

M. Stephen Green                          POUR LA DÉFENDERESSE

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