Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201209

Dossiers : T‑1439‑18

T‑1440‑18

T‑1451‑18

T‑1452‑18

T‑1501‑18

Référence : 2020 CF 1137

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

T‑1439‑18

NADER GHERMEZIAN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ET ENTRE :

T‑1440‑18

MARC VATURI

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET ENTRE :

T‑1451‑18

NADER GHERMEZIAN

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET ENTRE :

T‑1452‑18

MARC VATURI

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET ENTRE :

T‑1501‑18

GHERFAM EQUITIES INC

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision concerne cinq demandes de contrôle judiciaire relatives à des demandes péremptoires de renseignements [DPR] délivrées par John Harasymchuk, représentant de la ministre du Revenu national [la ministre] au titre du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR].

[2] Les demandeurs sont deux personnes physiques, Nader Ghermezian et Marc Vaturi, et une personne morale, Gherfam Equities Inc. [Gherfam]. M. Ghermezian est le demandeur dans deux des présentes affaires (dossiers de la Cour numéros T‑1439‑18 et T‑1451‑18), M. Vaturi, le demandeur dans deux autres (dossiers de la Cour numéros T‑1440‑18 et T‑1452‑18) et Gherfam, la demanderesse dans la cinquième affaire (dossier de la Cour numéro T‑1501‑18). Chacune des cinq DPR faisant l’objet du contrôle exigeait du demandeur concerné qu’il produise certains renseignements pour l’application et l’exécution de la LIR.

[3] Les cinq présentes demandes de contrôle judiciaire ont été instruites ensemble par vidéoconférence à l’aide de la plateforme Zoom, les 12 et 13 novembre 2020. Étant donné que ces demandes soulèvent des questions communes, les présents motifs se rapportent à chacune d’elles.

[4] Comme je l’explique plus en détail ci‑dessous, les demandes présentées dans les dossiers T‑1439‑18, T‑1440‑18, T‑1451‑18 et T‑1452‑18 sont rejetées, parce que je suis d’avis que les décisions de délivrer les DPR faisant l’objet du contrôle dans ces demandes sont raisonnables. La demande présentée dans le dossier T‑1501‑18 est accueillie et la DPR faisant l’objet du contrôle dans cette demande est annulée, parce que je suis d’avis que la DPR en question n’est pas raisonnable, étant donné qu’un paragraphe spécifique de ce document n’est pas suffisamment précis pour permettre à la demanderesse de comprendre les renseignements et les documents qu’elle doit fournir en réponse.

II. Contexte

[5] Les DPR faisant l’objet du contrôle dans les dossiers T‑1439‑18 et T‑1440‑18 portent toutes les deux la date du 27 juin 2018 et sont identiques, sauf en ce qui concerne les personnes auxquelles elles sont adressées, car la DPR du dossier T‑1439‑18 était adressée à M. Ghermezian et celle du dossier T‑1440‑18, à M. Vaturi. Comme le défendeur l’explique dans son mémoire, ces DPR visent à obtenir la production de renseignements et de documents concernant certaines sociétés qui y sont mentionnées (que le défendeur appelle les Triple Five Corporations), notamment des renseignements bancaires et des documents portant sur ces sociétés, dont une liste de comptes bancaires, des relevés bancaires et des détails relatifs à des virements entrants et sortants. Dans les présents motifs, j’appellerai ces deux DPR les « DPR visant Triple Five ».

[6] Les DPR faisant l’objet du contrôle dans les dossiers T‑1451‑18 et T‑1452‑18, qui portent toutes les deux la date du 28 juin 2018, sont également identiques, sauf en ce qui concerne les personnes auxquelles elles sont adressées, car la DPR du dossier T‑1451‑18 était adressée à M. Ghermezian et celle du dossier T‑1452‑18, à M. Vaturi. Ces DPR visent à obtenir la production de renseignements et de documents concernant certaines sociétés étrangères qui y sont mentionnées, des filiales de ces sociétés et d’autres entités appartenant à la fiducie de la famille Ghermezian. Plus précisément, les DPR visent à obtenir certains registres et relevés bancaires concernant ces sociétés. Les DPR indiquent que les sociétés qui y sont mentionnées sont gérées par M. Ghermezian et M. Vaturi et immatriculées à Gibraltar. Dans les présents motifs, j’appellerai ces deux DPR les « DPR visant Gibraltar ».

[7] La DPR faisant l’objet du contrôle dans le dossier T‑1501‑18 a été délivrée à Gherfam le 10 juillet 2018 [la DPR visant Gherfam]. Elle vise à obtenir des renseignements et documents concernant une opération de restructuration et de refinancement survenue en 2014 à l’égard du Mall of America, ainsi que des renseignements et documents portant sur une société nommée Triple Five of Minnesota, Inc. [T5MN], y compris des renseignements sur les actifs historiques de cette société et d’entités liées à celle‑ci et les états financiers de cette même société.

[8] Les parties aux présentes demandes n’ont pas déposé d’affidavit pour étayer leur thèse respective. Le dossier de la preuve dont la Cour a été saisie se compose plutôt du dossier certifié du tribunal [DCT] qui a été déposé dans chaque affaire. Le DCT original qui concerne les dossiers T‑1439‑18, T‑1440‑18, T‑1451‑18 et T‑1452‑18 a été déposé le 16 août 2018 et se compose des documents suivants : a) les DPR faisant l’objet du contrôle dans ces quatre affaires, b) un document intitulé [traduction] « feuille de renseignements concernant une demande péremptoire de renseignements », qui se rapporte à ces quatre DPR [la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi], et c) des versions provisoires des quatre DPR. La feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi est un document qui a fait l’objet de caviardages, apparemment au titre des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Le dossier contient également une version révisée du DCT, déposée le 23 novembre 2018, qui renferme une version moins caviardée de la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi.

[9] Le DCT relatif au dossier T‑1501‑18 a été déposé le 27 août 2018 et se compose des documents suivants : a) la DPR faisant l’objet du contrôle dans cette affaire‑là, b) un document intitulé [traduction] « feuille de renseignements concernant une demande péremptoire de renseignements », qui se rapporte à cette DPR ainsi qu’à une DPR délivrée au titre du paragraphe 231.6(2) de la LIR [la feuille de renseignements concernant Gherfam], c) des versions provisoires de ces DPR et d) une demande de renseignements aux fins de vérification, qui avait précédemment été signifiée à Gherfam.

III. Questions en litige

[10] Dans chacune des cinq demandes de contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent les trois questions suivantes :

  1. la question de savoir si la DPR est invalide parce que la ministre n’a pas obtenu l’autorisation judiciaire exigée par le paragraphe 231.2(2) de la LIR à l’égard des demandes péremptoires relatives aux personnes non désignées nommément;

  2. la question de savoir si la DPR est invalide parce que la ministre n’a pas respecté les critères énoncés à l’article 231.6 de la LIR à l’égard des renseignements étrangers;

  3. la question de savoir si la DPR est invalide parce qu’elle n’a pas été délivrée pour l’application et l’exécution de la LIR.

[11] Le défendeur soulève les questions supplémentaires suivantes :

  1. la norme de contrôle applicable;

  2. la partie qui supporte le fardeau de la preuve applicable;

  3. la question de savoir si la réparation que sollicitent les demandeurs convient dans les circonstances.

[12] J’estime que l’ensemble des questions soulevées par les parties représente un cadre convenable que je peux utiliser, en commençant par la norme de contrôle et le fardeau de la preuve, pour analyser les arguments qu’elles invoquent dans les présentes demandes.

IV. Analyse

A. La norme de contrôle applicable

[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux questions à trancher dans les présentes demandes. Il convient de passer en revue quelques‑uns des principes que la Cour suprême du Canada a énoncés, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], pour régir le contrôle des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable.

[14] D’abord, la Cour suprême du Canada explique dans cet arrêt que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la déférence à l’égard des décideurs administratifs (aux para 75 et 83) :

75 Nos collègues affirment que les cours de révision devraient respecter les décideurs administratifs et leur expertise spécialisée; ne devraient pas se demander comment elles auraient elles‑mêmes tranché une question; et devraient se concentrer sur la question de savoir si la partie demanderesse a démontré le caractère déraisonnable de la décision : par. 288, 289 et 291. Nous sommes du même avis. Comme nous le mentionnons déjà au paragraphe 13, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs. De plus, comme nous l’expliquons ci‑dessous, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tient compte de toutes les circonstances pertinentes pour déterminer si la partie demanderesse s’est acquittée de son fardeau.

[...]

83 Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, paragraphes 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[15] Lorsque le décideur administratif a fourni des motifs écrits avec la décision faisant l’objet du contrôle, la cour de révision doit d’abord examiner ces motifs (voir Vavilov au para 84). En procédant ainsi, elle s’intéresse non seulement au résultat de la décision, mais cherche également à savoir si ce résultat est justifié par le raisonnement qu’a suivi le décideur (voir Vavilov aux para 86‑87).

[16] Dans les cas où la nature de la décision ou du processus décisionnel ne nécessite pas la production de motifs écrits, l’arrêt Vavilov donne les directives suivantes (aux para 137‑138) :

137 Certes, il est parfois difficile d’employer une méthode de contrôle judiciaire qui accorde la priorité à la justification, par le décideur, de ses décisions dans les cas où aucuns motifs écrits ne sont communiqués. Il en sera souvent ainsi dans le cas où le processus décisionnel ne se prête pas facilement à la production d’une seule série de motifs, par exemple lorsqu’une municipalité adopte un règlement ou lorsqu’un barreau rend une décision au moyen de la tenue d’un vote : voir, p. ex., Catalyst; Green; Trinity Western University. Toutefois, même en pareil cas, le raisonnement qui sous‑tend la décision n’est normalement pas opaque. Il importe de rappeler qu’une cour de révision doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision et qu’elle découvrira alors souvent une justification claire pour la décision : Baker, paragraphe 44. Par exemple, comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans l’arrêt Catalyst, « [l]es motifs qui sous‑tendent un règlement municipal se dégagent habituellement du débat, des délibérations et des énoncés de politique d’où il prend sa source » : paragraphe 29. Dans cette affaire, non seulement « les motifs qui sous‑tendaient le règlement contesté étaient clairs pour tous », mais ils avaient en outre été exposés dans un plan quinquennal : par. 33. À l’inverse, même en l’absence de motifs, il se peut que le dossier et le contexte révèlent qu’une décision repose sur un mobile irrégulier ou sur un autre motif inacceptable, comme dans l’arrêt Roncarelli.

138 Il existe néanmoins des situations dans lesquelles aucuns motifs n’ont été fournis et où ni le dossier ni le contexte général ne permettent de discerner le fondement de la décision en cause. En pareil cas, la cour de révision doit tout de même examiner la décision à la lumière des contraintes imposées au décideur afin de déterminer s’il s’agit d’une décision raisonnable. Toutefois, il est peut‑être inévitable que faute de motifs, l’analyse soit alors centrée sur le résultat plutôt que sur le raisonnement du décideur. Il ne s’ensuit pas pour autant que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est moins rigoureux dans ces circonstances; il prend seulement une forme différente.

[17] Les questions soulevées dans les présentes demandes concernent, du moins en partie, des différends qui opposent les parties au sujet de l’interprétation de certaines dispositions de la LIR. L’arrêt Vavilov met l’accent sur l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable aux questions d’interprétation de la loi et sur la façon dont cette norme devrait être appliquée (aux para 115‑116).

115 Les questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel. Comme toute autre question de droit, on peut les évaluer en appliquant la norme de la décision raisonnable. Bien que la méthode générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable exposée précédemment s’applique dans ces cas, nous sommes conscients de la nécessité de fournir des indications supplémentaires aux cours de révision sur ce point. En effet, les cours de révision ont l’habitude de trancher les questions d’interprétation législative en première instance ou en appel, où elles doivent effectuer leurs propres analyses indépendantes et tirer leurs propres conclusions.

116 Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’effectue différemment. Si une question d’interprétation législative fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision ne procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande « ce qu’aurait été la décision correcte » : Ryan, paragraphe 50. Tout comme lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable dans l’examen de questions de fait ou de questions concernant un pouvoir discrétionnaire ou des politiques, la cour de justice doit plutôt examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu.

[18] La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause (voir Vavilov, au para 121). Cependant, comme c’est le cas pour d’autres aspects du processus décisionnel administratif, il est possible que le décideur n’ait pas examiné explicitement dans ses motifs le sens d’une disposition pertinente. La cour de révision doit alors trancher la question de savoir si elle est en mesure de discerner l’interprétation adoptée à la lumière du dossier et se prononcer sur le caractère raisonnable de cette interprétation Vavilov, au para 123).

[19] Je reviendrai sur ces principes plus loin dans les présents motifs.

B. Partie qui supporte le fardeau de la preuve applicable

[20] Les demandeurs soutiennent qu’il incombe à la ministre de prouver que l’article 231.2 de la LIR a été respecté. Ils soulignent que la ministre n’a pas déposé d’affidavit dans les présentes demandes de contrôle judiciaire et font valoir que la Cour devrait tirer une inférence défavorable de cette absence de preuve, parce que seule la ministre connaissait les faits entourant les décisions de délivrer les DPR.

[21] Bien que les demandeurs invoquent cet argument principalement en liaison avec la troisième question soulevée dans les présentes demandes (soit celle de savoir si les DPR ont été délivrées pour l’application et l’exécution de la LIR), l’argument est également pertinent quant aux autres questions en litige, à l’égard desquelles ils soutiennent également que le défendeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la délivrance des DPR au titre du paragraphe 231.2(1) de la LIR.

[22] Le défendeur ne souscrit pas à la thèse des demandeurs au sujet du fardeau de la preuve applicable. Selon le défendeur, comme c’est le cas dans toutes les demandes de contrôle judiciaire, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui conteste la décision faisant l’objet du contrôle; le défendeur ajoute que les demandeurs ont refusé de déposer un d’affidavit au soutien de leurs demandes.

[23] Sur ce point, je suis du même avis que le défendeur. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il incombe à la partie qui conteste une décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable (au para 100).

[24] À l’appui de leur thèse sur le fardeau de la preuve, les demandeurs invoquent la décision Capital Vision Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 1317 [Capital Vision], dans laquelle la juge Heneghan, de la Cour fédérale, a formulé les observations suivantes aux paragraphes 79 et 92 :

79 Je souligne également que la Loi ne renferme aucune disposition permettant au ministre de se fonder sur une « déduction » que peut ou non tirer une tierce partie à laquelle une demande est signifiée. Il incombe au ministre et non au contribuable de respecter les exigences de l’article 231.2.

[...]

92 Comme la Cour l’a souligné dans la décision rendue dans Montreal Aluminum Processing, précité, le critère à appliquer pour évaluer l’objet visé par le ministre relativement à l’article 231.2 est un critère objectif. À mon sens, le ministre n’a pas réussi en l’espèce à prouver de manière objective qu’il avait déclaré franchement l’objet qu’il visait lors de la délivrance des nouvelles demandes.

[25] Le défendeur soutient que les observations formulées dans la décision Capital Vision ne devraient pas être interprétées comme signifiant que le fardeau de la preuve est transféré à la ministre dans les demandes de contrôle judiciaire relatives aux décisions prises au titre de l’article 231.2 de la Loi. Ces observations signifient plutôt que la ministre doit respecter les exigences de la Loi, ce que la ministre ne conteste pas.

[26] Je souscris à l’analyse que présente le défendeur au sujet de la décision Capital Vision. La question à trancher dans cette affaire‑là était de savoir si les demandes de production signifiées à la demanderesse l’avaient été dans le cadre d’une vérification relative à la demanderesse ou relative à des clients non désignés nommément de celle‑ci. La Cour a conclu que la preuve corroborait cette dernière interprétation (au para 72) et que le ministre n’avait pas donné une description tout à fait franche de l’objet des demandes en question (au para 77) et ne s’est donc pas conformé aux obligations qui lui incombent aux termes de la LIR. L’observation de la juge Heneghan au sujet du « burden » (de la tâche qui « incombe » aux parties) n’est pas une conclusion sur le fardeau de la preuve applicable.

[27] Je ne vois aucune raison non plus de tirer une inférence défavorable découlant du fait que la ministre n’a pas déposé d’affidavit. Sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas aux questions soulevées dans les présentes affaires, en règle générale, seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur administratif sont admissibles devant la cour saisie du contrôle (voir, p. ex., Tseil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97‑98). Le DCT renferme les documents faisant partie du dossier de la preuve dont est saisie la cour de révision (voir, p. ex., Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 au para 17).

C. La question de savoir si la DPR est invalide parce que la ministre n’a pas obtenu l’autorisation judiciaire exigée par le paragraphe 231.2(2) de la LIR à l’égard des demandes péremptoires visant les personnes non désignées nommément

(1) Les dispositions légales pertinentes quant aux personnes non désignées nommément

[28] Afin de comprendre cette première question de fond soulevée par les demandeurs, il convient d’examiner certaines dispositions des articles 231 à 231.8 de la LIR. Le texte complet des dispositions mentionnées dans les présents motifs est reproduit à l’annexe A ci‑jointe.

[29] Le paragraphe 231.2(1), au titre duquel les DPR ont été délivrées, permet à la ministre, pour l’application ou l’exécution de la LIR, de signifier un avis exigeant d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou documents :

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenus ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

[30] Le droit accordé à la ministre en vertu du paragraphe 231.2(1) est assujetti au paragraphe (2). Les paragraphes (2) et (3), qui concernent les « personnes non désignées nommément », sont libellés ainsi :

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

[31] Lorsque les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément sont en jeu, la ministre doit, avant de délivrer une demande au titre du paragraphe 231.2(1), demander une autorisation judiciaire à la Cour fédérale conformément au paragraphe 231.2(3), qui prescrit le critère que doit appliquer la Cour lorsqu’elle examine cette requête. Dans la décision Canada (Revenu national) c Hydro‑Québec, 2018 CF 622 [Hydro‑Québec], que les demandeurs invoquent, le juge Roy a expliqué en ces termes l’objet des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément (au para 68) :

68 C’est l’évidence même à l’examen du contexte où se situent les paragraphes 231.2 (2) et (3) que le législateur a voulu limiter la portée des pouvoirs par ailleurs très vastes de la ministre. L’objet de la disposition est de limiter la portée des demandes de renseignements qui peuvent être faites. Ainsi, la crainte d’abus qui aurait généré la jurisprudence de Canadian Bank of Commerce, Richardson, McKinlay et Jarvis se manifeste dans l’obligation de l’intervention judiciaire dans le cas où on ne peut identifier nommément les cibles. Le législateur veut protéger les personnes non désignées nommément ex ante, pour ainsi éviter les invasions indues et non pas d’y remédier par la suite. La protection que le législateur veut conférer est tributaire d’une demande faite pour l’application ou l’exécution de la loi, ce que la jurisprudence avait interprétée comme requérant une enquête véritable et sérieuse dans le cas de personnes déterminées de jadis, mais surtout, dans le cas de personnes qui ne peuvent même pas être nommées, qu’elles soient identifiables et que l’on veuille vérifier si cette personne non identifiée, mais identifiable a respecté devoirs et obligations prévus par la LIR. On le voit bien, le législateur recherche une certaine précision si une demande relative à des personnes qui ne sont pas identifiées nommément peuvent être des cibles. Dans notre cas, on recherche en vain un critère de rattachement à la LIR qui ferait du groupe un groupe identifiable aux fins de l’application ou de l’exécution de la loi et au sujet duquel groupe il serait loisible de rechercher des informations pour vérifier dès lors le respect de la loi.

[32] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les DPR faisant l’objet du contrôle déclenchent l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément. Les feuilles de renseignements dont le décideur était saisi donnent l’identité des parties au sujet desquelles la ministre menait une enquête lors de la délivrance de chacune des DPR. Cependant, les demandeurs soutiennent que la ministre n’a pas nommé ces parties dans les DPR elles‑mêmes et qu’elle devait donc solliciter une autorisation judiciaire conformément au paragraphe 231.2(3) avant de délivrer celles‑ci.

[33] Le défendeur conteste cette interprétation de l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément. À son avis, étant donné que les parties faisant l’objet d’une enquête sont connues de la ministre, les dispositions en question ne s’appliquent pas.

[34] En termes simples, le différend porte sur le sens des mots « personnes non désignées nommément ». Selon les demandeurs, il s’agit des personnes non désignées nommément dans les DPR alors que, de l’avis du défendeur, il s’agit des personnes inconnues de la ministre. Avant d’examiner le bien‑fondé des arguments des parties sur cette question et le caractère raisonnable des DPR à la lumière de ces arguments, il convient de passer en revue quelques‑unes des décisions dans lesquelles les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément ont été examinées.

(2) Jurisprudence

[35] Le défendeur soutient que les décisions clés sont l’arrêt Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68 [Artistic Ideas], de la Cour d’appel fédérale, et l’arrêt subséquent de la Cour suprême du Canada, Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46 [Redeemer].

[36] Dans l’affaire Artistic Ideas, le ministre avait entrepris une vérification de la société Artistic Ideas Inc. [Artistic], qui organisait la vente d’œuvres d’art à des contribuables canadiens, qui en faisaient ensuite don à des organismes de bienfaisance enregistrés. Au cours de la vérification, le ministre avait signifié à Artistic, au titre du paragraphe 231.2(1) de la LIR, une demande péremptoire visant à obtenir des renseignements, y compris les noms des donateurs et des organismes de bienfaisance. Artistic a tenté de faire radier cette partie de la demande. Dans la décision du tribunal d’instance inférieure, la juge Snider a conclu que le ministre avait le droit de connaître les noms des organismes de bienfaisance, mais non ceux des donateurs. Le ministre a interjeté appel de cette décision.

[37] S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Rothstein a donné les explications suivantes au sujet de l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément (au para 8) :

8 Tel que je comprends le régime prévu à larticle 231.2, le ministre peut exiger dun tiers quil fournisse des renseignements et des documents utiles pour déterminer sil se conforme à la Loi. Il ne peut toutefois pas exiger du tiers quil fournisse des renseignements ou des documents concernant des personnes non désignées nommément sur lesquelles il souhaite mener une enquête, sans y être au préalable autorisé par un juge. Le juge peut autoriser le ministre à exiger la fourniture de ces renseignements ou de ces documents seulement si les personnes non désignées nommément sont identifiables et s’il est convaincu que la fourniture est nécessaire pour vérifier si ces personnes se conforment à la Loi.

[38] Confirmant la décision de la juge Snider, le juge Rothstein a présenté l’analyse suivante (aux para 10‑13) :

10 Selon la preuve en lespèce, ce sont les donateurs qui sont censés faire lobjet denquêtes de la part du ministre. Il s’agit précisément des personnes auxquelles les paragraphes 231.2(2) et (3) s’appliquent. Si le ministre veut qu’Artistic lui communique leur nom, il doit obtenir l’autorisation d’un juge. Or, une telle autorisation n’a pas été obtenue en l’espèce et le ministre ne peut pas, par conséquent, exiger d’Artistic qu’elle fournisse des renseignements concernant les donateurs.

11 Par contre, les paragraphes 231.2(2) et (3) ne sappliquent pas si les personnes non désignées nommément ne font pas elles‑mêmes lobjet dune enquête. On peut supposer que leur nom est alors nécessaire seulement pour lenquête effectuée par le ministre sur le tiers. Dans un tel cas, le tiers à qui est signifiée une demande de fourniture de renseignements et de production de documents en vertu du paragraphe 231.2(1) doit fournir tous les renseignements et documents pertinents, y compris le nom de personnes non désignées nommément, vu que le paragraphe 231.2(2) vise seulement les personnes non désignées nommément à légard desquelles le ministre peut obtenir lautorisation dun juge en vertu du paragraphe 231.2(3).

12 Aucune preuve nindique que le ministre souhaite obtenir le nom des organismes de bienfaisance pour vérifier si elles se conforment à la Loi. Par conséquent, il a le droit de se faire communiquer le nom de ces organismes en vertu du paragraphe 231.2(1) parce que les paragraphes 231.2(2) et (3) ne sappliquent pas à eux.

13 Ainsi, la juge Snider a conclu à juste titre quArtistic devait communiquer le nom des organismes de bienfaisance, mais non celui des donateurs.

[39] L’arrêt Artistic Ideas a eu pour effet de préciser que les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément ne s’appliquent pas si le ministre signifie une demande visant à obtenir l’identité de personnes non désignées nommément qui ne font pas elles‑mêmes l’objet d’une enquête visant à vérifier si elles se conforment à la LIR. Bien qu’elle ne se soit pas fondée sur l’arrêt Artistic Ideas, la Cour suprême du Canada a subséquemment confirmé cette interprétation dans l’arrêt Redeemer (voir les motifs de la majorité exprimés par la juge en chef McLachlin et le juge LeBel au para 22 et les motifs du juge Rothstein, qui était dissident, mais non sur ce point, au para 48).

[40] Certaines décisions rendues avant les arrêts Artistic Ideas et Redeemer semblent être incompatibles avec ceux‑ci, parce que les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément y sont interprétées comme des dispositions s’appliquant dans tous les cas où le ministre cherchait à obtenir des renseignements au sujet d’une personne non désignée nommément, que cette personne soit visée ou non par une enquête (voir Canadian Forest Products Ltd c Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) [1996] ACF no 1147 (CF 1re inst) [Canadian Forest Products] et Canada (Ministre du Revenu national) c Banque Toronto Dominion, 2004 CAF 359 [Banque TD] au para 8). Cependant, dans des décisions subséquentes, la Cour fédérale a examiné la contradiction apparente entre les arrêts Artistic Ideas et Banque TD et a suivi l’arrêt Artistic Ideas (voir Canada (Revenu national) c Morton, 2007 CF 503 au para 11; Canada (Revenu national) c Advantage Credit Union, 2008 CF 853 aux para 16‑17; Canada (Revenu national) c Banque Amex du Canada, 2008 CF 972 au para 54; London Life c Canada (Procureur général), 2009 CF 956 [London Life] aux para 21‑24). La Cour d’appel fédérale a également adopté l’interprétation du paragraphe 231.2(2) compatible avec l’arrêt Artistic Ideals dans l’arrêt eBay Canada Limited c Canada, 2008 CAF 348 [eBay] au para 23.

[41] Je souligne en passant que la question précise qui a été analysée différemment dans les arrêts Artistic Ideas et Banque TD n’est pas contestée entre les parties dans les présentes demandes. L’avocat des demandeurs a confirmé à l’audience que ceux‑ci ne font pas valoir que le paragraphe 231.2(2) s’applique à l’égard des personnes non désignées nommément qui ne font pas elles‑mêmes l’objet d’une enquête. Quoi qu’il en soit, cette question a été réglée dans les décisions passées en revue plus haut. Cependant, il importe d’examiner la question précise qui est en litige à la lumière de cette jurisprudence. Comme je l’ai mentionné plus haut, cette question est de savoir si le paragraphe 231.2(2) s’applique lorsque la ministre délivre une demande de renseignements au sujet d’une partie qui fait l’objet d’une enquête visant à savoir si elle se conforme à la LIR dans des circonstances où l’identité de la partie est connue de la ministre, mais n’est pas mentionnée dans la demande de renseignements.

[42] Il convient à cette étape de l’analyse de mentionner les faits précis qui concernent chacune des DPR faisant l’objet du contrôle et qui donnent lieu à cette question dans les présentes demandes.

(3) DPR visant Triple Five – dossiers T‑1439‑18 et T‑1440‑18

[43] Chacune des deux DPR visant Triple Five comporte, dans sa ligne d’objet, les noms de sept sociétés (Triple Five World Group Properties Limited, Triple Five Amusement World Enterprises Limited, Triple Five World Investments Limited, Triple Five World Malls Limited, Triple Five World Properties Limited, Triple Five World Ventures Limited et World Alliance Consulting Limited). Comme je l’ai mentionné plus haut, les DPR visent à obtenir des renseignements et documents concernant ces sociétés, notamment des renseignements et documents bancaires, y compris une liste de comptes bancaires, des relevés bancaires et des détails sur des virements de fonds entrants et sortants.

[44] Le principal document du dossier dont le décideur était saisi, avant la délivrance des DPR visant Triple Five à M. Ghermezian et M. Vaturi, est la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi. Ce document présente des renseignements sur le contexte de la délivrance des DPR, y compris des renseignements sur les entités qui font l’objet de l’enquête de la ministre. Selon le texte de la feuille d’information [traduction] « [d]es renseignements sont demandés au sujet de ces contribuables canadiens »; il est ensuite fait mention de la fiducie de la famille Ghermezian du 15 février 1997 [FFG97] et de Triple Five Worldwide Limited [T5WW] ainsi que de ses filiales et de ses sociétés sœurs. Viennent ensuite les mots [traduction] « [a]nnées d’imposition sous étude », suivis de la mention d’années d’imposition précises pour FFG97, pour T5WW et ses filiales et pour M. Ghermezian et M. Vaturi. La mention des années d’imposition précises à l’égard de M. Ghermezian et de M. Vaturi est précédée des mots [traduction] « pour tout rajustement corrélatif ».

[45] Les demandeurs et le défendeur interprètent la feuille de renseignements légèrement différemment. Selon les demandeurs, cette feuille établit que FFG97 et T5WW sont les parties faisant l’objet d’une enquête. De l’avis du défendeur, la feuille indique que ces parties ainsi que M. Ghermezian et M. Vaturi font l’objet d’une enquête. Les demandeurs nient que la feuille de renseignements indique que M. Ghermezian et M. Vaturi font l’objet d’une enquête, parce que le document renvoie uniquement à la possibilité de rajustements corrélatifs qui seraient apportés à leurs déclarations de revenus, probablement selon le résultat des enquêtes visant FFG97 et T5WW.

[46] À mon avis, ce point de désaccord a peu d’importance, eu égard à la nature de l’argument des demandeurs sur les personnes non désignées nommément. Plus précisément, les demandeurs soutiennent que FFG97 et T5WW sont les parties faisant l’objet d’une enquête et que, étant donné qu’elles ne sont pas nommées dans les DPR visant Triple Five, la ministre devait se conformer aux paragraphes 231.2(2) et (3) et solliciter une autorisation judiciaire avant de délivrer les DPR. Le défendeur répond que la ministre n’était pas tenue de le faire, parce que, comme le montre la feuille de renseignements, l’identité de FFG97 et T5WW était connue de la ministre. Bien que le défendeur soutienne que M. Ghermezian et M. Vaturi, auxquels étaient adressées les DPR visant Triple Five, étaient également visés par une enquête, cet argument ne répond pas vraiment à celui des demandeurs, qui porte sur la question de savoir si l’absence de mention de FFG97 et T5WW dans les DPR a déclenché l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément.

[47] Je reviendrai à l’argument des demandeurs sur ce point plus loin dans la présente analyse.

(4) DPR visant Gibraltar – dossiers T‑1451‑18 et T‑1452‑18

[48] Chacune des deux DPR visant Gibraltar renvoie, dans sa ligne d’objet, aux [traduction] « entités de Gibraltar gérées et contrôlées par Nader Ghermezian et Marc Vaturi ». Comme je l’ai mentionné plus haut, les DPR visent à obtenir la production de registres d’entreprise et de relevés bancaires concernant certaines sociétés étrangères. Les DPR renvoient à sept sociétés, aux filiales de ces sociétés et à toute autre entité appartenant à la fiducie familiale Ghermezian. Une des sept sociétés mentionnées dans les DPR est T5WW.

[49] Comme c’était le cas pour les DPR visant Triple Five, le principal document du dossier dont le décideur était saisi, avant la délivrance des DPR visant Gibraltar à M. Ghermezian et M. Vaturi, est la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi. Comme je l’ai souligné plus haut, les demandeurs soutiennent que la feuille de renseignements établit que FFG97 et T5WW sont les parties faisant l’objet d’une enquête. Contrairement aux DPR visant Triple Five, les DPR visant Gibraltar renvoient expressément à FFG97 et à T5WW à titre de parties au sujet desquelles des renseignements et documents sont sollicités. Cependant, les demandeurs soulignent qu’il n’est pas mentionné expressément, dans les DPR visant Gibraltar, que FFG97 et T5WW sont les parties faisant l’objet d’une enquête. En conséquence, disent‑ils, la ministre était tenue de se conformer aux paragraphes 231.2(2) et (3) et de solliciter une autorisation judiciaire avant de délivrer les DPR. Le défendeur répond à nouveau que la ministre n’était pas tenue de le faire parce que, comme le démontre la feuille de renseignements, elle connaissait l’identité de FFG97 et de T5WW.

(5) DPR visant Gherfam – dossier T‑1501‑18

[50] La DPR visant Gherfam est structurée un peu différemment des autres DPR faisant l’objet du contrôle dans les présentes demandes. Elle se compose d’une lettre, qui est adressée à Gherfam et renvoie à celle‑ci dans sa ligne d’objet, indiquant que Gherfam est tenue de fournir tous les renseignements et documents sollicités dans les demandes jointes à la lettre, soit les demandes de renseignements aux fins de vérification nos GEI‑27 et GEI‑29.

[51] La demande de renseignements aux fins de vérification no GEI‑27 [GEI‑27] est également adressée à Gherfam et renvoie, dans sa ligne d’objet, à l’opération appelée [traduction] « restructuration et refinancement du Mall of America en 2014 ». Elle vise à obtenir la production de certains documents et catégories de documents concernant une opération de restructuration et de refinancement conclue en 2014 en liaison avec le Mall of America.

[52] La demande de renseignements à des fins de vérification no GEI‑29 [GEI‑29] est adressée elle aussi à Gherfam et renvoie, dans sa ligne d’objet, à l’opération appelée [traduction] « prêt de 15 000 000 $ de la First Security Bank N.A. ». Elle vise à obtenir la production de renseignements et de documents concernant T5MN, y compris des renseignements sur les actifs historiques de T5MN et d’entités liées à celle‑ci ainsi que les états financiers de T5MN.

[53] La demande de GEI‑29 comporte les précisions suivantes au sujet des renseignements demandés à l’égard des entités liées à T5MN : [traduction] « Ces renseignements sont demandés uniquement à l’égard des entités qui n’ont pas été acquises ou détenues, directement ou indirectement, par l’une ou l’autre des fiducies de la famille Ghermezian établies les 1er septembre 2002 et 15 août 2002 (communément appelées les fiducies Royce et Regent) ». Le document GEI‑29 comporte également la demande suivante : [traduction] « Fournir tous les renseignements ou explications supplémentaires qui sont pertinents quant à la question de savoir si les règles de l’ancien article 94 de la Loi (dans le cas des années d’imposition précédant 2007) s’appliquent aux fiducies Royce et Regent en ce qui a trait à l’opération décrite dans la section du contexte de la présente demande ».

[54] Le principal document faisant partie du dossier dont le décideur était saisi, avant la délivrance de la DPR visant Gherfam, est la feuille de renseignements concernant Gherfam. Ce document présente des renseignements sur le contexte entourant la délivrance de la DPR, y compris l’identité des entités visées par l’enquête de la ministre. La feuille de renseignements renvoie aux [traduction] « [a]nnées d’imposition à l’examen » et à des années d’imposition précises pour [traduction] « les fiducies familiales américaines (Mall of America) » et pour [traduction] « la ou les fiducies American Dream ». Dans le cadre des observations qu’il a présentées à l’audience, l’avocat du défendeur a expliqué que la feuille de renseignements concernant Gherfam se rapporte non seulement à la DPR visant Gherfam, mais également à une autre DPR qui ne fait pas l’objet du contrôle dans les présentes demandes. Toujours selon l’avocat, la mention de la ou des fiducies American Dream sur la feuille des renseignements concerne cette autre DPR et n’est donc pas pertinente quant à la DPR visant Gherfam actuellement faisant l’objet du contrôle.

[55] Dans son mémoire, le défendeur souligne que les documents relatifs à des opérations qui sont demandés dans la DPR visant Gherfam sont sollicités aux fins d’une vérification menée à l’égard de celle‑ci. Cependant, l’avocat du défendeur a confirmé que cette observation formulée dans le mémoire était erronée et que les documents en question sont sollicités aux fins de la vérification du lieu de résidence de huit fiducies américaines de la famille Ghermezian (Mall of America) établies les 15 août 2002 et 1er septembre 2002 et décrites comme étant les fiducies communément appelées les fiducies Royce et Regent. La demanderesse ne conteste pas l’affirmation du défendeur quant aux cibles de l’enquête qui est à l’origine de la DPR visant Gherfam. La thèse du défendeur au sujet des personnes non désignées nommément va de pair avec cette affirmation.

[56] La demanderesse soutient que la DPR visant Gherfam ne précise pas le nom des fiducies ciblées et ne mentionne pas non plus qu’elles font l’objet de l’enquête de la ministre. En conséquence, soutient‑elle, la ministre était tenue de se conformer aux paragraphes 231.2(2) et (3) et de solliciter une autorisation judiciaire avant de délivrer la DPR. Le défendeur répond à nouveau que la ministre n’était pas tenue de le faire, parce que, comme le démontre la feuille de renseignements, elle connaissait l’identité des fiducies faisant l’objet d’une enquête.

(6) Caractère raisonnable de la décision de délivrer les DPR

[57] Je reviens maintenant au différend qui oppose les parties quant à la question de savoir si les mots « personnes non désignées nommément » qui figurent aux paragraphes 231.2(2) et (3) s’entendent des personnes non désignées nommément dans la DPR ou des personnes inconnues de la ministre; je souligne d’abord à ce sujet qu’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre du contrôle judiciaire relatif aux DPR, de déterminer le sens de ces mots. Je dois plutôt décider, à la lumière des arguments invoqués par les parties, s’il était raisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR sans d’abord solliciter une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3).

[58] Les demandeurs soutiennent notamment que les DPR et les feuilles de renseignements qui les étayent ne comportent pas la moindre observation au sujet de l’application des dispositions de la LIR concernant les personnes non désignées nommément. En d’autres termes, il n’y a aucun élément indiquant explicitement que le décideur a envisagé la possibilité que les paragraphes 231.2(2) et (3) s’appliquent et qu’il soit tenu de solliciter une autorisation judiciaire avant de délivrer les DPR. Selon les demandeurs, l’absence d’observation à ce sujet rend en soi déraisonnable la décision de délivrer les DPR.

[59] Je conviens que, dans certaines circonstances, une décision peut être jugée déraisonnable parce que la décision elle‑même et le dossier sur lequel elle se fonde n’établissent pas expressément que les conséquences d’une disposition légale susceptible d’être pertinente ont été prises en compte. Un argument de cette nature pourrait être convaincant lorsqu’une partie à une instance devant un tribunal quasi judiciaire soulève une question entourant l’application d’une disposition légale et que la question n’a pas été prise en compte dans la décision du tribunal. Cependant, cet argument est moins convaincant dans des circonstances semblables à celles de la présente affaire, où la nature du processus administratif est telle que la question n’a pas été soulevée devant le décideur, mais l’est plutôt lors du contrôle judiciaire subséquent visant à la contester.

[60] Dans le cas qui nous occupe, la décision selon laquelle aucune autorisation judiciaire ne devait être obtenue avant la délivrance des DPR peut être considérée comme une décision implicite et le contrôle judiciaire de cette décision est fondé sur les principes passés en revue plus haut dans les présents motifs (notamment les principes énoncés aux paragraphes 123 et 137‑138 de l’arrêt Vavilov). Je dois examiner le dossier et le résultat de la décision pour déterminer si la décision implicite, selon laquelle les paragraphes 231.2(2) et (3) n’étaient pas en cause, était raisonnable. À mon avis, étant donné que le dossier dont le décideur était saisi renferme peu d’éléments d’une grande utilité pour cette analyse, je dois porter mon attention en grande partie sur le résultat de la décision de ne pas suivre le processus visé aux paragraphes 231.2(2) et (3) pour évaluer le caractère raisonnable de la décision.

[61] Étant donné que cet aspect de la décision relève, du moins en partie, de l’interprétation de dispositions légales, je souligne que je suis conscient de l’approche moderne en matière d’interprétation des lois, selon laquelle il faut tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de la disposition en cause (voir, p. ex., Vavilov, aux para 117‑118, 121). Un des principaux arguments qu’invoquent les demandeurs au soutien de leur thèse est le fait que les paragraphes 231.2(2) et (3) renvoient aux « personnes non désignées nommément ». Ils ne renvoient pas, par exemple, aux [traduction] « personnes inconnues du ministre ». Je conviens que la prise en compte de cet aspect des dispositions favorise l’interprétation des demandeurs.

[62] Cependant, le défendeur répond qu’il ne serait pas logique de dire que les dispositions obligent la ministre à solliciter une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3) dans le cas d’une DPR qui cible une personne dont elle connaît déjà le nom. Selon le défendeur, lorsque la ministre présente une demande au titre du paragraphe 231.2(3), elle doit établir : a) que la personne ou le groupe de personnes est identifiable et b) que la demande vise à vérifier si la personne ou le groupe de personnes a respecté quelque devoir ou obligation prévu par la LIR. Le défendeur fait valoir que l’obligation de prouver que la personne ou le groupe de personnes est identifiable corrobore sa thèse selon laquelle les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément visent les circonstances dans lesquelles la ministre ignore les noms des parties qu’elle veut cibler.

[63] Afin de délivrer une demande péremptoire obligeant une tierce partie à fournir les noms de ces parties ainsi que des renseignements ou documents s’y rapportant, la ministre doit convaincre la Cour qu’il est possible de déterminer ces noms. Je conviens que cette exigence n’est guère logique lorsque la ministre connaît déjà les noms. Cet argument, qui repose sur le contexte des dispositions en cause, favorise l’interprétation du défendeur.

[64] L’objet des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément a été examiné dans la jurisprudence portant sur leur interprétation et leur application. Dans la décision MRN c Sand Exploration Ltd, [1995] 3 CF 44, à la page 7, le juge Rothstein a souligné que ces dispositions avaient pour objet de prévenir les recherches à l’aveuglette. Dans la décision Hydro‑Québec, le juge Roy (au para 53) a d’abord souligné que, selon l’arrêt Canadian Forest Products, l’objet était de protéger contre les enquêtes abusives, puis a donné davantage de précisions à ce sujet au paragraphe 68 (reproduit plus haut dans les présents motifs.).

[65] Selon cette explication, les paragraphes 231.2(2) et (3) accordent une protection contre les enquêtes abusives non pas à la partie qui est le destinataire de la demande péremptoire, mais aux personnes qui ne sont pas désignées nommément, c’est‑à‑dire des personnes ciblées qui ne peuvent pas être identifiées nommément. Le risque d’abus est éliminé, en raison des critères auxquels la ministre doit satisfaire pour obtenir l’autorisation judiciaire nécessaire, notamment le fait que ces personnes sont identifiables. J’estime que ces explications de l’objet des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément sont compatibles avec l’interprétation du défendeur, selon laquelle les dispositions portent sur les circonstances dans lesquelles la ministre sollicite des renseignements au sujet de contribuables qu’elle ne peut encore identifier, et non sur les circonstances dans lesquelles la ministre connaît cette identité, mais ne l’a pas précisée dans la demande concernée.

[66] Les deux parties ont commenté abondamment dans leurs arguments la jurisprudence dans laquelle les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément ont été interprétées et appliquées. Les demandeurs s’appuient dans une grande mesure sur la décision Canadian Forest Products, qui concernait des demandes péremptoires signifiées à des sociétés faisant de l’exploitation forestière en vue d’obtenir des renseignements dans le cadre d’une vérification menée à l’égard d’autres sociétés travaillant dans le même secteur. Il semble que le ministre connaissait les noms des sociétés visées par sa vérification, mais qu’il n’a pas nommé ces sociétés dans les demandes. Tout comme dans la présente affaire, le ministre a fait valoir que le paragraphe 231.2(2) vise les cas où le ministre cherche à débusquer des contribuables qui ne se conforment pas à la Loi alors qu’il ne connaît pas leur identité (voir le para 5). Notre Cour a rejeté cette prétention, concluant que, étant donné que les contribuables faisant l’objet d’une enquête n’étaient pas désignés nommément, le ministre devait invoquer le paragraphe 231.2(3). La décision Canadian Forest Products a été citée avec approbation dans l’arrêt Capital Vision.

[67] Le défendeur invoque les décisions dans lesquelles les paragraphes 231.2(2) et (3) ont été appliqués dans des circonstances allant de pair avec l’interprétation qu’il donne à ces dispositions, c’est‑à‑dire dans des cas où la ministre demandait à une tierce partie de lui fournir les noms des contribuables au sujet desquels elle souhaitait mener une enquête, mais dont elle ne connaissait pas l’identité, ainsi que des renseignements ou des documents concernant ces contribuables. Dans la décision Hydro‑Québec, bien qu’il n’ait pas examiné la question précise qui est en litige en l’espèce, le juge Roy a présenté un résumé de quelques‑unes de ces décisions (au para 62) :

62 Comme on l’aura vu, les demandes de renseignements ciblent des personnes qui sont non désignées nommément, mais qui sont ou bien identifiables ou bien font partie d’un groupe identifiable à des fins fiscales. De plus, on est à la recherche de renseignements financiers directement liés et pertinents aux revenus générés par ces personnes pour lesquels des impôts sont dus (à partir d’un certain seuil). Dans CIGM‑CAF, ce sont des courtiers et agents immobiliers sur la Rive‑Sud de Montréal qui sont visés pour contrôler les commissions reçues sur les immeubles vendus. Le groupe de courtiers et agents pourrait être autour de 2000. La Cour d’appel fédérale nous apprend qu’une vérification d’un agent d’immeuble en mars 2005 aurait été à la source de l’intérêt du ministre qui veut en savoir plus sur le revenu généré par les commissions. Dans eBay, ce sont des PowerSellers dont on veut trouver le volume d’affaires; l’information est sur les serveurs se trouvant aux États‑Unis et on estimait alors que le programme canadien de PowerSellers comprenait environ 10 000 participants. Dans Sand Exploration, c’était les personnes ayant acheté une participation dans certaines données sismiques (qu’on estimait à une douzaine) qui permettaient un avantage fiscal grâce aux prix gonflés (p 54). Dans Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46; [2008] 2 RCS 643 [Redeemer Foundation], c’était la donation faite par les parents d’élèves qui réduisait les frais de scolarité de leurs enfants qui attirait l’attention. C’était la vérification de la Fondation du Redeemer University College qui avait généré cette attention à l’égard des « donateurs » qui avaient bénéficié de crédits d’impôt. Dans Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, le juge Rothstein, cette fois comme juge d’appel, se satisfaisait que des donateurs dans ce qui a été soupçonné d’être des « art flips » ([Traduction] « achat et vente successifs d’œuvres d’art ») où des déductions fiscales inappropriées étaient demandées constituaient un groupe identifiable (paragraphe 10). En fin de compte, on a examiné un groupe donné dont les caractéristiques rendaient les personnes identifiables avec les renseignements spécifiques de nature financière demandés pour se satisfaire du caractère raisonnable de la demande.

[68] Je conviens avec le défendeur que ces décisions, dont bon nombre ont été passées en revue plus haut dans les présents motifs, concernent l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément dans des circonstances où la ministre cherchait à obtenir des renseignements, dont l’identification de certains groupes (et, dans bien des cas, des groupes importants) de contribuables, souhaitait mener une enquête sur ces contribuables et a délivré des demandes péremptoires afin d’obtenir leurs noms. Dans ces décisions, la Cour a analysé la question de savoir si les contribuables ou les groupes de contribuables étaient identifiables et la décision Hydro‑Québec est un exemple de décision dans laquelle la Cour a répondu par la négative à cette question.

[69] Les demandeurs ont relevé des décisions dans lesquelles les tribunaux ont employé les mots « personnes non désignées nommément » lorsqu’ils ont examiné l’application des paragraphes 231.2(2) et (3), notamment certaines décisions mentionnées dans l’analyse que le juge Rothstein a menée dans l’arrêt Redeemer. En revanche, certaines des décisions comportent des observations qui pourraient favoriser la thèse du défendeur. Ainsi, dans la décision Hydro‑Québec, le juge Roy a souligné que l’obligation d’obtenir une autorisation judiciaire découlait du fait que les cibles de la recherche de renseignements sont des personnes non désignées nommément, et donc inconnues (au para 30). Dans la décision London Life, le juge Pinard mentionne que des processus différents s’appliquent selon que le ministre demande des renseignements sur un « contribuable connu » ou sur « des inconnus » (au para 17). Dans la décision Société de fiducie Blue Bridge Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CF 893, le juge Lafrenière mentionne qu’une autorisation judiciaire préalable n’est pas requise lorsqu’un contribuable est connu (au para 105).

[70] Effectivement, au paragraphe 48 de l’arrêt Redeemer, le juge Rothstein renvoie à une demande d’autorisation judiciaire dans des circonstances où l’Agence du revenu du Canada [ARC] avait formé l’intention d’obtenir des renseignements concernant le respect de la LIR par des personnes spécifiques, mais non désignées nommément, et demandait à un organisme de bienfaisance de lui fournir de l’information de manière à pouvoir obtenir les renseignements et les noms de ces personnes (non souligné dans l’original).

[71] À mon avis, aucune des décisions passées en revue plus haut ne répond à la question d’interprétation légale soulevée en l’espèce. Bien que les circonstances factuelles particulières examinées dans les décisions et le langage utilisé lors de l’application des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément soient pertinents quant à l’examen de la question en litige, aucune des décisions ne présente une analyse approfondie et un prononcé sur la question particulière qui se pose en l’espèce. La seule décision qui porte directement sur cette question est la décision Canadian Forest Products. Cependant, le défendeur souligne que cette décision a été rendue désuète par les arrêts Artistic Ideas, Redeemer et d’autres décisions subséquentes, et soutient qu’elle ne devrait pas être suivie.

[72] Je conviens que la décision Canadian Forest Products doit être examinée avec prudence. Bien qu’elle n’ait pas été écartée par des décisions subséquentes, sa conclusion selon laquelle les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément s’appliquaient chaque fois que le ministre sollicitait des renseignements au sujet d’une personne non désignée nommément, que cette personne fasse ou non l’objet de l’enquête, ne correspond plus à l’état actuel du droit. Bien entendu, cette conclusion ne porte pas sur la question actuellement en litige. Cependant, l’évolution de la jurisprudence soulève suffisamment de doutes au sujet du raisonnement suivi dans la décision Canadian Forest Products pour m’inciter à ne pas lui accorder beaucoup de poids dans le cadre de l’analyse de la question que la Cour doit trancher en l’espèce.

[73] À la lumière de cette revue de la jurisprudence, je reviens maintenant à la norme de contrôle applicable aux décisions faisant l’objet du contrôle dans les présentes demandes. La question est de savoir si les décisions implicites du décideur, selon lesquelles il n’était pas nécessaire de solliciter une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3) avant de délivrer les DPR, n’appartenaient pas aux issues possibles acceptables et étaient donc déraisonnables dans les circonstances de la présente affaire. Il n’existe aucune jurisprudence définitive à ce sujet, les facteurs pertinents quant au texte, au contexte et à l’objet des dispositions en cause n’apportent pas une solution claire et, à certains égards, la jurisprudence et les facteurs en question étayent les décisions implicites. En conséquence, je ne puis conclure que les décisions sont déraisonnables.

[74] Je juge aussi particulièrement convaincant l’argument du défendeur selon lequel il était difficile de s’attendre à ce que le décideur présente une demande au titre du paragraphe 231.2(3) afin de convaincre la Cour que les personnes au sujet desquelles la ministre souhaitait mener une enquête étaient identifiables, alors que la ministre connaissait effectivement l’identité des personnes en question. Tout au plus, le décideur aurait pu inclure expressément les noms au complet des personnes ciblées concernées dans chacune des DPR et préciser qu’elles étaient les cibles de l’enquête, auquel cas les demandeurs n’invoqueraient pas l’argument faisant l’objet du contrôle au sujet des personnes non désignées nommément. Cependant, il m’est difficile de conclure que ces mesures auraient apporté aux personnes faisant l’objet d’une enquête une protection additionnelle semblable à celle qu’accordent les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément. En conséquence, en ce qui concerne le résultat des présentes affaires, je conclus, pour les DPR faisant l’objet du contrôle dans les cinq demandes dont la Cour est actuellement saisie, qu’il était raisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR en question sans solliciter préalablement une autorisation judiciaire à cette fin.

(7) Arguments additionnels des demandeurs

[75] Avant de passer à une autre question, je commenterai brièvement les arguments additionnels que les demandeurs ont invoqués, de vive voix ou par écrit, au sujet de la question des personnes non désignées nommément.

[76] En ce qui a trait à la DPR visant Gherfam, la demanderesse souligne que le dossier ne comporte pas de liste des noms des huit fiducies qui font l’objet de l’enquête de la ministre, ce qui soulèverait la possibilité que la ministre ne connaisse pas l’identité des fiducies en question. Cependant, dans le dossier, les fiducies sont qualifiées de fiducies familiales américaines de la famille Ghermezian, les noms sous lesquels elles sont communément appelées sont précisés (les fiducies Royce et Regent) et, fait important, les dates de leur établissement sont mentionnées. À mon avis, le dossier ne permet pas de conclure que les cibles de l’enquête étaient inconnues de la ministre, de sorte qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer la DPR visant Gherfam sans solliciter une autorisation judiciaire au titre des dispositions relatives aux personnes non désignées nommément.

[77] Dans le cas des DPR visant Triple Five, les demandeurs invoquent dans leur mémoire deux ou trois arguments précis au sujet des personnes non désignées nommément. Les demandeurs ne sont pas revenus sur ces arguments pendant leur plaidoirie. Cependant, étant donné qu’ils ont souligné de façon générale qu’ils continuaient à se fonder sur leurs observations écrites, je souhaite commenter ces arguments.

[78] D’abord, les demandeurs soulignent que les DPR visant Triple Five exigent la production de [traduction] « renseignements et documents à l’égard des sociétés nommées plus haut, que ce soit de façon isolée ou de concert avec toute autre personne » (soulignement ajouté par les demandeurs). Les demandeurs font valoir que, étant donné que les mots « toute autre personne » ne sont pas définis dans les DPR, ils renvoient à une ou plusieurs personnes non désignées nommément au sens du paragraphe 231.2(2).

[79] En deuxième lieu, les demandeurs soulignent que les DPR visant Triple Five exigent les [traduction] « noms de la partie qui a envoyé les virements provenant d’autres comptes bancaires », ainsi que des renseignements sur ses comptes, de même que les [traduction] « noms de la partie qui a reçu les virements » et des renseignements sur ses comptes. Selon les demandeurs, les parties qui ont envoyé et reçu les virements sont également des personnes non désignées nommément au sens du paragraphe 231.2(2).

[80] Ces arguments me semblent dénués de fondement. Comme je l’ai expliqué plus haut dans les présents motifs, les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément ne s’appliquent pas lorsque la demande péremptoire vise à obtenir des renseignements concernant une personne non désignée nommément qui ne fait pas l’objet de l’enquête de la ministre. Les demandeurs n’ont relevé aucun élément du dossier qui permet de dire que ces éléments des DPR renvoient à des parties faisant l’objet d’une enquête. En conséquence, je ne vois aucune raison de conclure qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR visant Triple Five sans suivre le processus prévu dans les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément.

[81] Dans le cas des DPR visant Gibraltar, les demandeurs ont également invoqué dans leur mémoire un autre argument relatif aux personnes non désignées nommément que je commenterai brièvement, même si les demandeurs ne sont pas revenus sur ce point pendant leur plaidoirie. Les DPR en question comportent une demande de renseignements et de documents à l’égard de [traduction] « toutes les entités non nommées plus haut que la fiducie de la famille Ghermezian établie le 15 février 1997 (ou l’un de ses prédécesseurs) possède actuellement ou possédait, que ce soit légalement ou à titre de bénéficiaire ». Les demandeurs soutiennent que cette demande vise à obtenir des renseignements ou des documents concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément au sens du paragraphe 231.2(2).

[82] Encore là, cet argument me semble dénué de fondement. Les demandeurs n’ont relevé aucun élément du dossier qui permet de dire que ces mots renvoient à des parties faisant l’objet d’une enquête. En conséquence, je ne vois aucune raison de conclure qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR visant Gibraltar sans suivre le processus prévu dans les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément.

D. La question de savoir si la DPR est invalide parce que la ministre n’a pas respecté les critères énoncés à l’article 231.6 de la LIR à l’égard des renseignements étrangers

(1) Dispositions légales pertinentes quant aux renseignements étrangers

[83] Cette prétention des demandeurs, qui concerne encore là les cinq DPR faisant l’objet du contrôle, est fondée sur l’article 231.6, qui est libellé ainsi :

Sens de renseignement ou document étranger

Definition of foreign‑based information or document

231.6 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

231.6 (1) For the purposes of this section, foreign based information or document means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

Obligation de fournir des renseignements ou documents étrangers

Requirement to provide foreign‑based information

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas, mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice served personally or by registered or certified mail, require that a person resident in Canada or a non‑resident person carrying on business in Canada provide any foreign‑based information or document.

Contenu de l’avis

Notice

(3) L’avis doit :

(3) The notice referred to in subsection 231.6(2) shall set out

a) indiquer le délai raisonnable, d’au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis;

(a) a reasonable period of time of not less than 90 days for the production of the information or document;

b) décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés;

(b) a description of the information or document being sought; and

c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers recherchés dans le délai ci‑dessus.

(c) the consequences under subsection 231.6(8) to the person of the failure to provide the information or documents being sought within the period of time set out in the notice.

Révision par un juge

Review of foreign information requirement

(4) La personne à qui l’avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d’envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

(4) The person on whom a notice of a requirement is served under subsection 231.6(2) may, within 90 days after the service of the notice, apply to a judge for a review of the requirement.

Pouvoirs de révision

Powers on review

(5) À l’audition de la requête, le juge peut :

(5) On hearing an application under subsection 231.6(4) in respect of a requirement, a judge may

a) confirmer la mise en demeure;

(a) confirm the requirement;

b) modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances;

(b) vary the requirement as the judge considers appropriate in the circumstances; or

c) déclarer sans effet la mise en demeure s’il est convaincu que celle‑ci est déraisonnable.

(c) set aside the requirement if the judge is satisfied that the requirement is unreasonable.

Précision

Idem

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

Suspension du délai

Time period not to count

(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où la requête est définitivement réglée ne compte pas dans le calcul :

(7) The period of time between the day on which an application for review of a requirement is made pursuant to subsection (4) and the day on which the application is finally disposed of shall not be counted in the computation of

a) du délai indiqué dans l’avis correspondant à la mise en demeure qui a donné lieu à la requête;

(a) the period of time set out in the notice of the requirement; and

b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie conformément au paragraphe 152(4).

(b) the period of time within which an assessment may be made pursuant to subsection 152(4).

Conséquences du défaut

Consequence of failure

(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n’est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure.

(8) If a person fails to comply substantially with a notice served under subsection 231.6(2) and if the notice is not set aside by a judge pursuant to subsection 231.6(5), any court having jurisdiction in a civil proceeding relating to the administration or enforcement of this Act shall, on motion of the Minister, prohibit the introduction by that person of any foreign‑based information or document covered by that notice.

[84] Ces dispositions concernent les demandes visant l’obtention de « renseignements ou documents étrangers », qui s’entendent, selon le paragraphe 231.6(1), de renseignements accessibles, ou de documents situés, à l’étranger qui peuvent être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la LIR, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la LIR.

[85] Lorsque la ministre signifie une mise en demeure en vertu de l’article 231.6, la personne à qui elle est signifiée bénéficie de certaines protections. Selon le paragraphe 231.6(3), la mise en demeure doit donner à la personne un délai d’au moins 90 jours pour fournir les renseignements ou documents en question, décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés et préciser les conséquences du défaut de les fournir. Selon le paragraphe 231.6(4), la personne à qui la mise en demeure est signifiée a le droit, dans les 90 jours suivant la date de signification, de la contester par voie de requête. Le paragraphe 231.6(5) permet au juge saisi de la requête de confirmer la mise en demeure, de la modifier de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances ou de la déclarer sans effet s’il est convaincu qu’elle est déraisonnable.

(2) Application du paragraphe 231.2(1) aux renseignements étrangers

[86] Les demandeurs soutiennent que, selon les descriptions figurant dans les DPR, les documents et renseignements demandés sont, à première vue, accessibles ou situés à l’étranger et constituent donc des renseignements étrangers. Par conséquent, disent‑ils, il était déraisonnable de la part de la ministre de délivrer les DPR au titre de l’article 231.2 plutôt que de l’article 231.6. Pour étayer cette prétention, les demandeurs font valoir que le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant que les documents et renseignements demandés dans les DPR sont situés ou accessibles au Canada.

[87] Le défendeur répond que la ministre n’est pas tenue de suivre le processus prévu à l’article 231.6 à l’égard des documents et renseignements étrangers, car, même si une partie des renseignements sollicités sont situés à l’étranger, ce fait n’invalide pas les DPR délivrées au titre de l’article 231.2. Au soutien de cette prétention, le défendeur se fonde en grande partie sur le fait que les demandeurs sont tenus de fournir tous les renseignements et documents qui sont demandés dans une DPR délivrée au titre de l’article 231.2 et qui sont en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde, même s’ils sont situés à l’étranger. Cela signifierait que, indépendamment du régime relatif aux renseignements étrangers, si les renseignements ou documents demandés se trouvent en la possession, sous l’autorité ou sous la garde des demandeurs, ceux‑ci devront les fournir, quel que soit l’endroit où ils se trouvent.

[88] Les demandeurs contestent cette interprétation de la LIR et invoquent à cette fin le principe d’interprétation légale voulant que le particulier l’emporte sur le général. Les demandeurs invoquent également l’explication de ce principe donnée dans l’arrêt James Richardson & Sons c MRN, [1984] 1 RCS 614, à la page 621 (citant l’arrêt Pretty c Solly (1959), 53 ER 1032) :

[traduction]

Il est de règle que, lorsqu’une même loi comporte une disposition particulière et une disposition générale et que cette dernière, prise dans son sens le plus large, l’emporte sur la première, la disposition particulière doit s’appliquer et la disposition générale doit être interprétée comme ne visant que les autres parties de la loi auxquelles elle peut s’appliquer.

[89] En d’autres termes, les demandeurs font valoir que, étant donné que le législateur a édicté l’article 231.6 pour couvrir spécifiquement les circonstances dans lesquelles la ministre souhaitait obtenir des renseignements et documents étrangers, le pouvoir plus général de délivrer des demandes de renseignements et de documents en vertu de l’article 231.2 ne devrait pas être interprété comme un pouvoir qui s’applique également à la production de renseignements et documents étrangers.

[90] Je reviens à nouveau à la norme de contrôle et je souligne que le rôle de la Cour consiste à décider, à la lumière des arguments des parties sur ce point, s’il était raisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR au titre de l’article 231.2 plutôt que de l’article 231.6. Comme je l’ai fait dans le cas de la question des personnes non désignées nommément, je souligne que la décision de recourir à l’article 231.2 plutôt qu’à l’article 231.6 est une décision implicite et que le contrôle judiciaire de cette décision repose sur les principes que j’ai examinés plus haut dans les présents motifs en me fondant sur les paragraphes 123 et 137‑138 de l’arrêt Vavilov. Pour déterminer si la décision implicite selon laquelle l’article 231.6 ne s’appliquait pas était raisonnable, je dois examiner le dossier et le résultat de la décision.

[91] Le défendeur invoque des décisions qui corroborent selon lui son interprétation large de l’effet de l’article 231.2. Il mentionne d’abord l’arrêt Revcon Oilfield Constructors Incorporated c Canada (Revenu national), 2017 CAF 22 [Revcon], pour faire valoir que les demandeurs doivent se conformer aux DPR délivrées au titre de l’article 231.2 si les renseignements et les documents demandés se trouvent en leur possession, sous leur autorité et sous leur garde. L’arrêt Revcon concernait un appel d’une ordonnance rendue en réponse à une demande que le ministre avait présentée au titre de l’article 231.7 de la LIR. L’appelante a fait valoir que la Cour fédérale n’avait pas le pouvoir de prononcer l’ordonnance, parce qu’elle enjoignait, directement ou indirectement, à son cabinet d’avocats de transmettre des documents, contrairement à des arrêts selon lesquels l’article 231.7 était dépourvu d’effet dans la mesure où il concernait des avocats et des notaires. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument et conclu que l’ordonnance avait été rendue uniquement contre l’appelante et non contre ses avocats.

[92] Lorsqu’il a formulé cette conclusion, le juge Stratas a souligné que l’ordonnance obligeait l’appelante à communiquer tous les documents qui se trouvaient en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient. Cependant, cette observation concernait la conclusion selon laquelle l’ordonnance s’adressait uniquement à l’appelante. Elle ne constitue pas une conclusion portant que l’ordonnance s’appliquait aux documents qui étaient en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde et qui se trouvaient à l’étranger, car la décision n’indique pas que la portée extraterritoriale de l’ordonnance était une question en litige devant la Cour.

[93] Le défendeur invoque également l’arrêt R c McKinley Transport Ltd., [1990] 1 RCS 627 [McKinley], qui portait, dit‑il, sur des renseignements accessibles à l’étranger qui étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une personne au Canada. Le défendeur souligne que les livres et registres de la société contribuable canadienne se trouvaient à l’établissement de sa société mère au Michigan. Selon le défendeur, il n’est nullement mentionné, dans cet arrêt, que le paragraphe 231(3) de la LIR (la disposition remplacée par le paragraphe 231.2(1)) ne pouvait pas servir à obtenir des renseignements d’un contribuable canadien dont les documents se trouvaient aux États‑Unis, ce qui corrobore sa thèse.

[94] Cependant, je conviens avec les demandeurs que l’application du paragraphe 231(3) aux renseignements étrangers n’a pas été analysée dans l’arrêt McKinley, qui concernait une contestation de cette disposition fondée sur l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, le litige est né dans des circonstances qui ont précédé l’ajout à la LIR des dispositions relatives aux renseignements étrangers. À mon avis, l’arrêt McKinley ne corrobore nullement la thèse du défendeur.

[95] En ce qui a trait à la jurisprudence plus récente, le défendeur invoque aussi l’arrêt eBay de la Cour d’appel fédérale. La situation examinée dans cet arrêt s’apparente davantage à la question en litige en l’espèce, puisque l’appelante, eBay Canada Inc [eBay Canada], a fait valoir que le ministre ne pouvait pas exiger la communication de renseignements au titre de l’article 231.2, parce que les renseignements étaient situés à l’étranger et constituaient donc des renseignements étrangers au sens de l’article 231.6. La Cour fédérale a conclu que le ministre n’était pas tenu de recourir à l’article 231.6, même si les renseignements demandés étaient stockés sur des serveurs situés à l’étranger, et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion. Le défendeur se reporte notamment aux paragraphes 50 à 53 de cette décision, qui démontrent à son avis que la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur une conclusion selon laquelle les renseignements étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de eBay Canada.

[96] Encore là, je ne crois pas que cette décision corrobore la thèse du défendeur. Le résultat dans l’affaire eBay repose sur la conclusion de la Cour fédérale, confirmée par la Cour d’appel fédérale, selon laquelle les renseignements pertinents se trouvaient au Canada, car eBay Canada pouvait y avoir accès à partir de ses ordinateurs situés au Canada. Effectivement, la Cour d’appel fédérale termine son analyse en soulignant que, étant donné que les faits de l’affaire ne déclenchaient pas l’application de l’article 231.6, il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la présence de cet article dans le dispositif législatif réduisait les pouvoirs que l’article 231.2 confère au ministre lorsque la demande de production concerne des renseignements étrangers (au para 53). À mon avis, cette observation confirme expressément que la Cour d’appel fédérale n’examinait pas la prétention que le défendeur fait valoir en l’espèce.

[97] À l’audience, j’ai demandé aux avocats de commenter l’arrêt R c Pierlot, [1994] 1 CTC 134 [Pierlot], et sa pertinence quant au présent litige. Dans cette affaire‑là, la Section d’appel de la Cour suprême de l’Île‑du‑Prince‑Édouard était saisie de l’appel que l’appelant avait interjeté à l’encontre de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui parce qu’il ne s’était pas conformé à une demande péremptoire de renseignements délivrée au titre du paragraphe 231.2(1) de la LIR, laquelle demande visait à obtenir, notamment, le nom et l’adresse de toute succession qui lui avait versé de l’argent en héritage. L’appelant a soutenu que, étant donné que cet héritage provenait d’une succession familiale située en Belgique, les renseignements demandés étaient des renseignements étrangers et le ministre devait recourir à l’article 231.6 pour les obtenir.

[98] Rejetant l’appel, la Cour a conclu que, même si les noms et adresses des successions pouvaient être considérés comme des renseignements étrangers au sens de l’article 231.6, ils pouvaient également être demandés au titre du paragraphe 231.2(1), parce qu’il était illusoire de croire que l’appelant recevrait cet argent sans connaître les détails de sa provenance. En d’autres termes, le ministre demandait simplement à l’appelant quelque chose qu’il avait.

[99] À la lumière des observations respectives des parties sur l’arrêt Pierlot, je conclus que celui‑ci n’est pas utile pour la thèse du défendeur. Il ne permet pas de dire, contrairement à ce que celui‑ci affirme, que la ministre peut obtenir des renseignements étrangers au moyen d’une demande délivrée au titre de l’article 231.2, pourvu qu’ils soient en la possession, sous la garde ou sous l’autorité du destinataire de la demande. Le résultat découlait plutôt, un peu comme celui de l’affaire eBay, d’une conclusion factuelle selon laquelle le destinataire avait accès aux renseignements pertinents au Canada. En d’autres mots, ces décisions corroborent simplement la conclusion que, si les renseignements étrangers se trouvent également au Canada, ils peuvent être exigés au titre de l’article 231.2 en raison de leur emplacement au Canada. Elles ne permettent pas de conclure que les renseignements qui se trouvent uniquement à l’étranger peuvent être exigés au titre de l’article 231.2 parce qu’ils sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde du destinataire de la demande de renseignements.

[100] Eu égard aux prétentions respectives des parties sur ce point, le défendeur ne m’a pas convaincu que le régime légal de la LIR permet à la ministre d’exiger la communication des renseignements étrangers au moyen du paragraphe 231.2(1). Cependant, mon rôle ne consiste pas à en arriver à une conclusion définitive sur ce point et il n’est pas nécessaire que je le fasse pour trancher les présentes demandes de contrôle judiciaire, étant donné qu’un autre argument du défendeur (que j’examine ci‑dessous dans les présents motifs) me convainc du caractère raisonnable des décisions de délivrer les DPR sans recourir à l’article 231.6.

(3) Incertitude quant à l’emplacement des renseignements demandés

[101] Le dossier dont disposait le décideur et dont la Cour est saisie en l’espèce n’indique pas l’endroit où se trouvent les renseignements et documents effectivement demandés. Cependant, le défendeur reconnaît qu’une partie des renseignements sollicités dans les DPR pourraient se trouver à l’étranger et que cette possibilité ressort des feuilles de renseignements portées à l’attention du décideur. Le défendeur a fait valoir que la possibilité que les renseignements et documents se trouvent à l’étranger ne permet pas de conclure que la ministre doit recourir à l’article 231.6 pour en faire la demande et que, de ce fait, les DPR délivrées au titre du paragraphe 231.2(1) sont invalides. Effectivement, le dossier indique que, envisageant cette possibilité, la ministre a délivré des demandes distinctes au titre des articles 231.2 et 231.6 pour obtenir ces renseignements (bien que seules les demandes délivrées au titre de l’article 231.2 fassent l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire).

[102] Les demandeurs répondent que le poids de la preuve dont le décideur était saisi indique que les renseignements demandés sont des renseignements étrangers et que le décideur ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que les renseignements se trouvaient au Canada. En conséquence, soutiennent les demandeurs, il était déraisonnable de la part du décideur de solliciter les renseignements au titre de l’article 231.2 plutôt que de l’article 231.6.

[103] Je conviens que le décideur disposait de certains renseignements qui étayent la prétention des demandeurs selon laquelle les renseignements sollicités sont des renseignements étrangers. Les demandeurs se fondent en partie sur le fait que différentes entités qui font l’objet des DPR ont été constituées et sont exploitées à l’étranger. Les feuilles de renseignements renferment également des données qui portent sur l’emplacement possible des renseignements et documents sollicités. Ainsi, la feuille de renseignements concernant Gherfam indique que le représentant du contribuable a précédemment mentionné que le Mall of America (dont le refinancement fait l’objet de la DPR visant Gherfam) est situé aux États‑Unis, que la comptabilité relative à cette entité est faite là‑bas et que les documents étayant la comptabilité relative au Mall of America ne sont pas tenus au Canada. Dans la même veine, la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi indique qu’une partie des renseignements qui corroborent les DPR visant Triple Five et Gibraltar ont été fournis par le gouvernement de Hong Kong. En revanche, la feuille de renseignements indique également que le gouvernement de Hong Kong a confirmé qu’une partie des relevés bancaires ont été postés aux adresses de M. Vaturi au Canada.

[104] Cependant, l’emplacement des renseignements n’est pas une question que la Cour doit trancher dans les présentes demandes. Le dossier ne renferme pas suffisamment d’éléments de preuve corroborant une conclusion sur cette question. Le rôle de la Cour consiste plutôt à déterminer, à la lumière de ce dossier, s’il était raisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR au titre de l’article 231.2 plutôt que de l’article 231.6. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que cette décision était déraisonnable. J’estime convaincante la prétention du défendeur selon laquelle il ne faut pas nécessairement s’attendre à ce que la ministre connaisse l’emplacement des renseignements et documents qu’elle sollicite à l’aide des pouvoirs que lui confère la LIR. La ministre n’est pas nécessairement tenue non plus de croire l’information que lui donne le contribuable quant à cet emplacement. Sans trancher la question, je n’éliminerais pas la possibilité que, dans certains cas, le dossier dont dispose la ministre indique de façon tellement évidente que les renseignements demandés se trouvent à l’étranger qu’il serait déraisonnable de sa part de procéder autrement qu’au titre de l’article 231.6. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce.

[105] Comme le défendeur l’explique, la ministre a le droit de procéder à « une foule de contrôles » (mots récemment employés dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67 [Cameco] au para 43) dans le cadre des efforts qu’elle déploie pour vérifier si une personne s’est conformée à la LIR. Dans l’arrêt eBay, la Cour d’appel fédérale a expliqué que les pouvoirs du ministre découlaient du fait que le régime fiscal canadien est fondé sur l’autodéclaration (au para 34) :

34 La Cour suprême du Canada a donné d’autres indications pertinentes pour l’interprétation des pouvoirs d’exécution conférés par la Loi. Par exemple, à la page 648 de l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, qui statuait sur une thèse contestant en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés le pouvoir du ministre d’exiger la production de documents, la juge Wilson faisait observer que le principal inconvénient d’un régime fiscal fondé sur l’autodéclaration tel que le nôtre est que certains contribuables essaieront de frauder le fisc, par exemple en omettant de déclarer leurs revenus. Par conséquent, écrivait‑elle,

[...] le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi [...] Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal.

[106] Dire que la ministre est tenue de croire l’information que lui donne le contribuable quant à l’emplacement des renseignements et documents qu’elle sollicite en vertu des pouvoirs que lui confère la LIR serait incompatible avec le fondement de ces pouvoirs.

[107] Bien entendu, cela ne signifie pas que la demande péremptoire délivrée au titre de l’article 231.2 s’applique à l’étranger. Cela signifie simplement qu’il n’est pas nécessaire de déterminer l’emplacement des documents et renseignements demandés avant de délivrer la demande en question. Si la ministre conclut que le destinataire ne s’est pas conformé à une demande fondée sur le paragraphe 231.2(1), par exemple en ne communiquant pas des documents et renseignements qui, selon elle, sont situés au Canada, elle peut, en vertu de l’article 231.7, présenter une demande à la Cour fédérale afin d’obtenir une ordonnance de conformité. Effectivement, je comprends, d’après les observations des avocats des deux parties, que des demandes en ce sens sont déjà pendantes en ce qui concerne les DPR. Contrairement à la demande de contrôle judiciaire, la demande fondée sur l’article 231.7 permettrait aux parties de présenter des éléments de preuve concernant l’emplacement des renseignements et documents, afin que la Cour puisse décider s’il y a lieu de rendre l’ordonnance sollicitée.

[108] Comme je l’ai déjà souligné, la ministre a délivré non seulement les DPR examinées en l’espèce, mais également des demandes de renseignements étrangers au titre de l’article 231.6. Les demandeurs soutiennent qu’en délivrant ces dernières demandes, la ministre a reconnu que les renseignements sollicités sont des renseignements étrangers. Les demandeurs ajoutent que la ministre ne devrait pas avoir le droit d’invoquer à la fois les articles 231.2 et 231.6 et de délivrer simultanément les deux types de demandes de renseignements. Ils invoquent à cet égard les différences entre les régimes applicables aux deux dispositions, notamment en ce qui concerne les délais accordés aux personnes concernées pour fournir les renseignements demandés et les conséquences pouvant découler du défaut de les fournir.

[109] En réponse, le défendeur invoque l’arrêt R c Grimwood, [1987] 2 RCS 755 (aux para 2‑3), et la décision Bayer Inc c Canada (Procureur général), 2020 CF 750 [Bayer] (au para 51) pour faire valoir que la ministre n’est pas limitée quant au nombre de demandes de renseignements qu’elle peut délivrer. Même si je conviens que ces décisions corroborent cette prétention, elles ne sont pas vraiment pertinentes, car ni l’un ni l’autre n’examinent la question de savoir si la ministre peut délivrer des demandes de renseignements simultanément au titre des articles 231.2 et 231.6.

[110] Néanmoins, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la ministre ne peut pas le faire. Encore là, cela ne signifie pas que la ministre peut invoquer tant l’article 231.2 que l’article 231.6 pour obtenir des renseignements étrangers. Cela signifie plutôt qu’il est possible qu’une partie des renseignements et documents sollicités se trouvent au Canada et une autre à l’étranger. Les documents et renseignements situés au Canada seraient visés par la demande fondée sur l’article 231.2 et assujettis aux conséquences que prévoit la disposition, dont la possibilité qu’une demande d’ordonnance de conformité soit présentée au titre de l’article 231.7. Pour leur part, les documents et renseignements étrangers seraient visés par la mise en demeure fondée sur l’article 231.6 ainsi que par les conséquences que prévoit cette disposition, y compris l’interdiction, aux termes du paragraphe 231.6(8), de présenter en preuve, dans une instance civile subséquente, tout renseignement ou document étranger qui n’a pas été produit en réponse à la mise en demeure. À mon avis, les arguments des demandeurs n’établissent pas que l’utilisation simultanée des articles 231.2 et 231.6 donne lieu à une contradiction.

[111] Je reviens maintenant à nouveau à la norme de contrôle et au résultat des présentes affaires et je ne vois aucune raison de conclure, à la lumière des arguments des demandeurs concernant les dispositions relatives aux renseignements étrangers, que le décideur a agi de manière déraisonnable en délivrant les DPR au titre du paragraphe 231.2(1).

E. La question de savoir si la DPR est invalide parce qu’elle n’a pas été délivrée pour l’application et l’exécution de la LIR

(1) Le critère applicable

[112] Comme le prévoit expressément le paragraphe 231.2(1), la demande de renseignements et documents fondée sur cette disposition doit être délivrée pour l’application ou l’exécution de la LIR. Les parties admettent que le critère à appliquer pour savoir si la ministre agit dans ce but est un critère objectif (voir, p. ex., McKinley, à la p 639). Hormis cette admission, les parties ne s’entendent pas sur la façon précise dont cette question doit être examinée.

[113] Comme point de départ, le défendeur invoque l’arrêt Canadian Bank of Commerce c Attorney General of Canada, [1962] RCS 729, à la page 739 :

[traduction]

La demande visait à obtenir des renseignements portant sur l’assujettissement à l’impôt d’une ou de plusieurs personnes déterminées faisant l’objet d’une enquête à ce sujet; il s’agit là d’une fin relative à l’application ou à l’exécution de la Loi. [...]

[114] Cette observation est réitérée dans l’arrêt McKinley, à la p 639, et dans l’arrêt Saipem Luxembourg S.A. c Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218 [Saipem], au paragraphe 26. Dans ce dernier arrêt, la Cour d’appel fédérale souligne que l’objet est atteint même si la plupart des renseignements demandés s’avèrent non pertinents. Dans l’arrêt Tower c MRN, 2003 CAF 307 [Tower], la Cour d’appel fédérale a expliqué les principes pertinents en ces termes (au para 29) :

29 La portée du paragraphe 231.2(1) a été abordée dans un certain nombre de causes (voir R. c. McKinlay Transport, précitée, James Richardson & Sons c. Ministre du Revenu national, précitée; AGT Limited c. Procureur général du Canada, précitée; et R. c. Jarvis, 2002 D.T.C. 7547 (C.S.C.), paragraphe 51). Les principes pertinents établis par ces tribunaux affirment que l’évaluation de l’obligation fiscale d’un contribuable est un objectif lié à l’application et l’exécution de la Loi. Une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l’évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. C’est là un seuil peu élevé. Le paragraphe 231.2(1) accorde au ministre un pouvoir plus étendu pour obtenir des renseignements que s’il s’agissait pour lui, par exemple, de procéder à un interrogatoire préalable dans le cadre d’un appel en matière d’impôt sur le revenu.

[Non souligné dans l’original]

[115] Le défendeur souligne la mention, dans l’arrêt Tower, du seuil peu élevé applicable au critère, qui s’explique par le fait qu’une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l’évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. Dans ce contexte, le défendeur soutient que si les DPR, examinées objectivement, visent à obtenir des renseignements qui peuvent se rapporter à la dette fiscale des personnes au sujet desquelles la ministre mène une enquête, la délivrance des DPR en question sera raisonnable.

[116] Je conviens que ces principes découlent de la jurisprudence mentionnée plus haut. Cependant, les demandeurs invoquent à leur tour des décisions qui, selon eux, introduisent des principes additionnels à prendre en compte pour décider si une demande vise l’application ou l’exécution de la LIR.

[117] Les demandeurs invoquent l’arrêt Montreal Aluminium Processing Ltd. c Canada (Procureur général) [1992] ACF no 951 (CAF) [Montreal Aluminium], au paragraphe 12, pour alléguer que le destinataire d’une demande de renseignements a droit à un avis équitable sur la fin pour laquelle la ministre entend exercer ses pouvoirs en vertu du paragraphe 231.2(1) :

13 Il est établi en droit que le critère qui consiste à savoir si le ministre, lorsqu’il exerce ses pouvoirs en vertu du paragraphe 231.2(1), agit pour une fin visée dans la loi est un critère objectif. À mon avis, on peut soutenir que le destinataire d’une demande a droit à un avis équitable sur la fin pour laquelle le ministre entend exercer les pouvoirs qu’il tient du paragraphe 231.2(1). Par conséquent, je pense qu’une allégation suivant laquelle une déclaration d’intention fausse ou trompeuse invalide une demande ne sera pas nécessairement repoussée hors de tout doute.

[118] Le défendeur nie que la mention de l’avis équitable dans l’arrêt Montreal Aluminium ait valeur de précédent. Cette affaire concernait un appel d’une décision par laquelle un juge des requêtes avait rejeté la requête des défendeurs en vue de faire radier la déclaration des demandeurs. Accueillant l’appel, la Cour d’appel fédérale a conclu que la prétention des demandeurs selon laquelle ils avaient droit à un avis équitable sur la fin que visait le ministre était une prétention soutenable et non une prétention qui était vouée à l’échec. Le défendeur soutient que ce raisonnement ne peut être considéré comme une conclusion que la loi reconnaît ce droit au destinataire d’une demande de renseignements. Il souligne aussi que le paragraphe précité de l’arrêt Montreal Aluminium a été repris dans la décision Capital Vision (au para 71), mais que l’argument de l’existence d’un droit à un avis équitable n’y est pas analysé plus à fond.

[119] Je souscris aux arguments du défendeur sur l’arrêt Montreal Aluminium. Je souligne également que tant dans l’arrêt Montreal Aluminium que dans la décision Capital Vision, il était reproché au ministre de ne pas avoir déclaré tout à faire franchement l’objet des demandes de renseignements concernées. La mention du droit à un avis équitable peut peut‑être se comprendre dans ce contexte particulier. En revanche, dans la présente affaire, je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve indiquant que la ministre avait agi de mauvaise foi ou qu’elle visait une fin irrégulière. Je conclus donc que la Cour ne doit pas évaluer les DPR faisant l’objet du contrôle en l’espèce sous l’angle d’un quelconque principe d’« avis équitable ».

[120] Les demandeurs font également valoir que, pour établir que les DPR ont été délivrées pour l’application ou l’exécution de la LIR, il est nécessaire de prouver que la vérification fiscale connexe a été entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel véritable et qu’elle vise à assurer le respect de la LIR. Les demandeurs invoquent l’arrêt Canada (Revenu national) c Chambre immobilière du Grand Montréal, 2007 CAF 346 [CIGM], dans lequel la Cour d’appel fédérale a formulé la conclusion suivante (au para 49) :

49 Ayant ainsi défini le critère applicable à une demande d’autorisation judiciaire formulée sous le paragraphe 231.2(3), je suis d’opinion qu’il ressort de l’avis de demande ex parte du MRN, supporté par la dénonciation assermentée de la vérificatrice Christiane E. Joly, que la vérification fiscale, en l’espèce, a été entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel véritable et qu’elle vise à s’assurer du respect de la Loi.

[121] Dans la décision Hydro‑Québec, le juge Roy s’est fondé sur la mention, dans l’arrêt CIGM, d’une vérification fiscale qui a été entreprise de bonne foi et avait un fondement factuel véritable (voir, p. ex., les para 58, 70, 75 et 100) pour conclure à l’absence de vérification de cette nature dans l’affaire dont il était saisi.

[122] Invoquant ces décisions, les demandeurs soutiennent que la ministre doit prouver qu’elle mène une vérification fiscale de bonne foi sur la base d’un fondement factuel véritable, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Cependant, il faut reconnaître que tant l’arrêt CIGM que la décision Hydro‑Québec concernaient des requêtes fondées sur le paragraphe 231.2(3) qui visaient à obtenir une autorisation de délivrer une demande de renseignements à des personnes non désignées nommément. Dans une requête de cette nature, la ministre est la partie requérante et peut présenter un affidavit établissant qu’elle mène une vérification qui respecte les exigences mentionnées dans ces décisions.

[123] En revanche, il n’est guère possible de présenter une preuve de cette nature dans une demande de contrôle judiciaire relative à des demandes délivrées au titre du paragraphe 231.2(1), en effet, sous réserve d’exceptions restreintes, le dossier de la Cour doit se limiter en pareil cas à celui dont le décideur était saisi. Cela ne signifie pas que la bonne foi de la ministre et la véracité des enquêtes qu’elle mène ne sont pas pertinentes quant aux demandes délivrées au titre du paragraphe 231.2(1). Cependant, à moins que les demandeurs ne présentent des éléments de preuve indiquant que la ministre a agi de mauvaise foi ou visait une fin irrégulière, j’estime que les principes invoqués dans les décisions CIGM et Hydro‑Québec ajoutent peu d’éléments à la jurisprudence sur laquelle je me fonde dans les présentes demandes de contrôle judiciaire.

[124] Enfin, les demandeurs invoquent également des décisions dans lesquelles il est mentionné qu’un lien rationnel doit exister entre les renseignements sollicités dans une demande péremptoire et l’application et l’exécution de la LIR. Dans l’arrêt Saipem, après avoir examiné une décision précédente portant sur le caractère raisonnable d’une mise en demeure visant à obtenir des renseignements étrangers au titre de l’article 231.6, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes (au para 25) :

25 [...] J’en déduis que cela signifie que le savant juge était convaincu qu’il y avait un lien rationnel entre les renseignements recherchés et la question à l’égard de laquelle les renseignements avaient été demandés.

[Non souligné dans l’original]

[125] Dans la décision qu’il a récemment rendue dans l’affaire Bayer, le juge Fothergill invoque l’arrêt Saipem en ces termes (au para 51) :

51 Le ministre n’est pas limité en ce qui concerne le nombre de mises en demeure qu’il peut présenter en vertu du paragraphe 231.6(2) de la LIR. Apporter une modification à la mise en demeure existante afin de restaurer les critères déjà appliqués par l’ARC et limiter sa portée aux ententes conclues avec les 21 sociétés désignées de produits pharmaceutiques et de sciences de la vie n’empêchera pas que d’autres demandes de renseignements ou d’autres mises en demeure de fournir des renseignements, soient présentées pendant que la vérification se poursuit. La seule contrainte imposée au ministre est celle qu’un lien rationnel doit exister entre les renseignements demandés et l’application et l’exécution de la LIR (Saipem, au paragraphe 26).

[Non souligné dans l’original]

[126] Comme c’est le cas pour les décisions CIGM et Hydro‑Québec, je dois interpréter avec prudence les observations formulées dans l’arrêt Saipem et dans la décision Bayer, puisque ces affaires ne portaient pas sur des demandes délivrées au titre du paragraphe 231.2(1) de la LIR, mais plutôt sur des demandes de contrôle judiciaire à l’égard d’une mise en demeure de fournir des renseignements étrangers qui avait été délivrée au titre de l’article 231.6. Cependant, dans la décision Bayer, le juge Fothergill invoque la nécessité d’un lien rationnel entre les renseignements sollicités et l’application et l’exécution de la LIR dans le contexte de l’examen par la Cour, alors saisie d’une requête fondée sur le paragraphe 231.6(5) de la LIR, de la question de savoir si les renseignements sollicités sont pertinents quant à cette application ou cette exécution. Étant donné que cette question s’apparente à celle dont le paragraphe 231.2(1) exige l’examen, soit la question de savoir si la demande est délivrée pour l’application ou l’exécution de la LIR, l’exigence du « lien rationnel » pourrait s’appliquer aux affaires à trancher en l’espèce.

[127] Cela étant dit, à mon avis, l’exigence du « lien rationnel » a peu d’importance lorsqu’elle est examinée à la lumière du principe découlant de la jurisprudence passée en revue plus haut, selon lequel les DPR visent une fin permise par le paragraphe 231.2(1) lorsqu’elles ont pour objet d’obtenir des renseignements qui peuvent être pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt des personnes au sujet desquelles la ministre mène une enquête. Les demandeurs soutiennent que les décisions de délivrer les DPR n’étaient pas raisonnables, parce que le dossier n’indique pas l’existence d’un lien rationnel entre les renseignements sollicités dans les demandes et l’assujettissement à l’impôt des personnes visées par l’enquête de la ministre. Comme je l’ai mentionné plus haut, le défendeur répond que ces décisions étaient raisonnables, parce que les DPR visent à obtenir des renseignements qui pourraient être pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt de ces personnes. Il n’y a guère de différence selon moi entre ces deux formulations du critère que la Cour doit appliquer.

[128] Je passe donc à la question de l’application du critère aux cinq DPR dont la Cour est saisie.

(2) DPR visant Triple Five – dossiers T‑1439‑18 et T‑1440‑18

[129] Comme je l’ai déjà expliqué, chacune des deux DPR visant Triple Five a pour objet d’obtenir des renseignements et documents concernant sept sociétés nommées dans la ligne d’objet, notamment des renseignements et documents bancaires, y compris une liste de comptes bancaires, des relevés bancaires et des détails sur des virements entrants et sortants.

[130] La feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi indique l’identité des entités faisant l’objet d’une enquête, soit FFG97, T5WW et des sociétés liées, ainsi que la possibilité que des rajustements corrélatifs soient apportés à certaines années d’imposition dans le cas de MM. Ghermezian et Vaturi. Les demandeurs soulignent que les feuilles de renseignements ne comportent à peu près aucune mention explicite de FFG97 ou de T5WW dans la partie présentant des explications sur l’historique de la vérification et sur les renseignements et documents à demander. Si j’ai bien compris, les demandeurs font valoir que la feuille de renseignements n’établit aucun lien rationnel entre les renseignements sollicités (qui concernent les sept sociétés nommées) et l’assujettissement à l’impôt de FFG97 ou de T5WW.

[131] Je résumerais comme suit quelques‑uns des éléments clés de la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi :

  1. La vérification est menée dans le cadre d’une initiative relative aux entités apparentées et vise la famille Ghermezian et les entités économiques liées à celle‑ci. Quatre frères Ghermezian sont nommés;

  2. L’ARC a envoyé dans le passé des demandes de renseignements concernant dans bien des cas des entités étrangères, lesquelles demandes sont demeurées sans réponse ou ont fait l’objet d’une réponse tardive;

  3. Avant le début de la vérification, l’ARC a fait parvenir aux quatre frères Ghermezian un questionnaire visant à obtenir des renseignements, y compris l’identité de toutes les entités qui leur appartenaient ou qu’ils détenaient en fiducie, directement ou indirectement, de toutes les entités au sein desquelles ils occupaient ou avaient occupé un poste d’administrateur depuis 2011, ainsi que des renseignements concernant tous leurs autres comptes bancaires et avoirs personnels;

  4. L’ARC a appris que, depuis les années 1990 et 2000, le « groupe » avait des sociétés dans plusieurs pays « fiscalement avantageux ». Une fiducie avait été créée par des parents au profit des familles des quatre frères au Royaume‑Uni en 1997. Nader Ghermezian était l’administrateur de la plupart des sociétés de Hong Kong. En 2013, après avoir reçu le questionnaire de l’ARC, M. Ghermezian et (dans certains cas) son gendre, Marc Vaturi, ont démissionné du poste d’administrateur qu’ils occupaient au sein de plus de 30 sociétés de Hong Kong. Ils ont été remplacés par deux des fils de M. Ghermezian, appelés des « non‑résidents », mais l’ARC a mentionné dans une note qu’elle n’a pas confirmé qu’ils sont effectivement des non‑résidents. De plus, d’après une note en bas figurant dans cette partie de la feuille de renseignements, l’ARC possède des données reliant T5WW à la famille Ghermezian. Cependant, le fiscaliste du groupe s’est opposé à la communication de renseignements au sujet des sociétés de Hong Kong, soutenant que l’ARC n’a pas compétence sur des sociétés appartenant à des non‑résidents;

  5. Les données recueillies par l’équipe de vérification en 2015 ont démontré que plusieurs entités du groupe recevaient des virements d’entités apparentées étrangères ou leur en envoyaient, y compris des fonds transférés de trois sociétés de Hong Kong liées, détenues indirectement par la fiducie de 1997, à un membre du groupe qui était un résident du Canada. Même si M. Vaturi avait précédemment démissionné de son poste d’administrateur des sociétés de Hong Kong, des données concernant des virements électroniques indiquent que les virements ont été faits à partir de directives provenant du domicile de M. Vaturi et de son épouse au Canada;

  6. En se fondant sur des contrats et courriels qu’elle a obtenus, l’ARC croit que ces fonds proviennent d’activités d’entreprises exploitées à l’étranger, que M. Ghermezian et M. Vaturi continuent à contrôler les entités étrangères et que la gestion et le contrôle des entités ont lieu au Canada;

  7. Des renseignements bancaires obtenus du gouvernement de Hong Kong ont permis de confirmer que M. Vaturi contrôlait de nombreux comptes bancaires de Hong Kong et que certains des relevés bancaires correspondant à ces comptes lui étaient postés à des adresses canadiennes;

  8. L’ARC désire obtenir différents documents qui seraient normalement conservés dans les registres de procès‑verbaux des entités étrangères, des renseignements bancaires additionnels à l’égard de plusieurs sociétés de Hong Kong et plusieurs documents sources;

  9. L’ARC sollicite ces renseignements notamment pour vérifier l’appartenance de FFG97 à des sociétés affiliées étrangères, pour obtenir d’autres données étayant sa position selon laquelle les entités étrangères sont gérées et contrôlées depuis le Canada, pour vérifier l’origine des dépôts faits dans les comptes bancaires de l’épouse de M. Vaturi et celle des dépôts faits dans les comptes bancaires de Hong Kong afin de trouver des revenus non déclarés, pour déterminer l’origine des retraits des comptes afin de vérifier si des revenus additionnels ont été détournés vers d’autres contribuables ou vers des comptes bancaires inconnus des Vaturi ou des Ghermezian, et pour vérifier le revenu de FFG97 de 1997 jusqu’à ce jour.

[132] À mon avis, ces renseignements satisfont au critère peu exigeant à remplir pour prouver que les renseignements demandés dans les DPR visant Triple Five peuvent être pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt des personnes faisant l’objet d’une enquête (ou, en d’autres mots, qu’un lien rationnel existe entre les renseignements sollicités et cet assujettissement).

[133] Je comprends que la feuille de renseignements ne comporte aucun organigramme de société, ou d’autres données du même genre, expliquant précisément pourquoi la ministre croit que les sept sociétés auxquelles les DPR ont été envoyées sont liées aux personnes visées par l’enquête ou contrôlées par celles‑ci. La feuille de renseignements ne renferme aucune précision non plus sur la façon dont les renseignements et documents sollicités figureront dans l’évaluation par la ministre des différentes questions faisant l’objet du contrôle quant à l’assujettissement à l’impôt. Cependant, je ne crois pas que ce degré de précision soit nécessaire pour que le critère applicable soit établi.

[134] Le défendeur renvoie la Cour à la décision Succession Nadler c. Canada (Procureur général), 2005 CF 935 [Nadler], confirmée par 2005 CAF 385, dans laquelle la juge Gauthier (alors juge à la Cour fédérale) a donné les explications suivantes (au para 9) :

9 Le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supplément), ch. 1 (la Loi), se réfère expressément au recouvrement de toute somme payable en vertu de la Loi. La Loi n’exige pas que la tierce partie à qui il est demandé de communiquer les renseignements soit informée de l’objet de la demande péremptoire. Celle‑ci indique comme il se doit le nom du contribuable concerné, précise la disposition législative applicable et donne une description des renseignements requis, ce qui suffit à Canada‑Israel Securities Ltd. pour être en mesure de préparer sa réponse.

[135] Les DPR visant Triple Five satisfont aisément aux exigences énoncées dans la décision Nadler. Même lorsque j’examine ces DPR et la feuille de renseignements qui les étayent pour y trouver de l’information encore plus détaillée que ce qu’exige la décision Nadler, il m’apparaît indéniable que la ministre a des raisons de croire à l’existence de liens entre des membres des familles Ghermezian/Vaturi, la fiducie et la société faisant l’objet d’une enquête (FFG97 et T5WW) ainsi que les sociétés destinataires des DPR visant Triple Five. La feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi indique différents aspects liés à l’assujettissement à l’impôt dont l’exploration sera facilitée, croit la ministre, par l’obtention des renseignements et documents sollicités dans les DPR en question. Lorsque j’applique la norme de contrôle empreinte de déférence qui est décrite dans l’arrêt Vavilov, je ne vois rien dans le dossier qui me permet de conclure qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer ces DPR à ces fins.

[136] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné la prétention des demandeurs selon laquelle la ministre n’a pas compétence à l’endroit des entités étrangères qui font l’objet de l’enquête entreprise au moyen des DPR visant Triple Five. Pour étayer cette prétention, les demandeurs se fondent en partie sur des arguments concernant le critère applicable à la détermination du lieu de résidence d’une société et invoquent la décision Canada (Revenu national) c Lin, 2019 CF 646 [Lin], dans laquelle le juge Boswell formule les observations suivantes aux paragraphes 28‑29 :

B. Un non‑résident est‑il tenu de répondre à une demande de renseignements fondée sur l’article 231.21 de la LIR?

28 Le statut de résident au titre de la LIR (c.‑à‑d. résident habituel, résident de fait, personne réputée résider au Canada, personne réputée non‑résidente et non‑résident) influe sur l’obligation d’un particulier de payer de l’impôt. Toutefois, ce ne sont pas tous les non‑résidents qui sont exemptés de payer de l’impôt, car le paragraphe 2(3) de la LIR précise les circonstances dans lesquelles un non‑résident peut être tenu de payer de l’impôt sur du revenu gagné au Canada.

29 M. Lin a produit des déclarations de revenus pour la période visée par la vérification. Toutefois, en vertu de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1983, c F‑7, il ne relève pas de la compétence de la Cour de déterminer son statut de résident pour les besoins de la LIR pendant les années d’imposition. Cette question relève de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt parce qu’elle suppose de déterminer quelles sont, en tant que non‑résident, ses obligations fiscales en vertu de la LIR (Johnson c La Reine, 2007 CCI 288).

[137] Les demandeurs soutiennent que, avant de délivrer les DPR visant Triple Five, la ministre doit d’abord établir sa compétence à l’endroit des entités étrangères qui y sont mentionnées. Ainsi, de l’avis des demandeurs, la ministre pourrait exercer un recours devant la Cour canadienne de l’impôt selon les modalités exposées dans la décision Lin ou, dans le cas d’une société constituée à Hong Kong, un recours devant l’autorité compétente désignée par traité dans l’Accord fiscal entre le Canada et Hong Kong.

[138] Ces arguments ne me semblent pas convaincants. La décision Lin n’est pas utile pour les demandeurs, car la décision du juge Boswell de rejeter la demande d’ordonnance du ministre dans cette affaire‑là était imputable au manque de clarté des demandes du ministre, lesquelles n’indiquaient pas clairement si elles étaient adressées aux défendeurs personnellement ou à des entités qui leur étaient liées ou associées (para 30‑32). Le juge Boswell souligne à juste titre que la détermination du statut de résident d’un contribuable relève de la Cour canadienne de l’impôt et non de la Cour fédérale. Cependant, sa décision ne découlait pas de cette détermination et je ne crois pas que la décision Lin permet de dire qu’un différend quant au lieu de résidence d’une personne empêche la ministre d’exercer les pouvoirs que lui confèrent les articles 231 et suivants pour obtenir des renseignements et documents pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt de cette personne, y compris des documents portant sur la détermination du statut de résident.

[139] Il se pourrait qu’une cour de justice ou un autre organisme compétent en vienne à la conclusion, dans une instance ultérieure portée devant lui, que les contribuables faisant l’objet de l’enquête de la ministre en l’espèce ne résident pas au Canada et que cette conclusion touche l’assujettissement des contribuables à l’impôt canadien. Cependant, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la ministre ne peut, à l’heure actuelle, solliciter des renseignements et documents pertinents quant à cette question. Plus précisément, cet argument ne me convainc pas qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR visant Triple Five en l’espèce.

[140] Enfin, j’ai examiné l’argument des demandeurs selon lequel les DPR visant Triple Five ont une portée trop large, eu égard au nombre de personnes au sujet desquelles des renseignements et documents sont sollicités et au fait que ceux‑ci remontent à 21 ans. Les demandeurs soulignent que cette période est largement supérieure au délai de prescription de trois ans qui s’applique à l’établissement de nouvelles cotisations ou à la période de six ans pendant laquelle les entreprises doivent conserver leurs documents. Selon les demandeurs, les DPR constituent une recherche à l’aveuglette injustifiée; elles vont également à l’encontre du principe de la proportionnalité et sont abusives.

[141] Invoquant l’arrêt Cameco, les demandeurs font valoir que, même si les pouvoirs de la ministre sont larges, ils ne sont pas illimités. J’en conviens, mais cela ne signifie pas pour autant que les DPR visant Triple Five ont une portée trop large. Selon l’arrêt Cameco, le principe de la proportionnalité n’a aucun rôle à jouer lors d’une demande d’ordonnance en application de l’article 231.7 (au para 42). À mon avis, cette conclusion doit s’appliquer tout autant à une demande délivrée au titre du paragraphe 231.2(1) qui pourrait subséquemment devenir l’objet d’une ordonnance. Toujours selon l’arrêt Cameco, le ministre a le droit de déterminer la portée d’une vérification et la méthode utilisée (au para 43). Dans la décision Lin, la Cour fédérale souligne (au para 25) que la loi ne prescrit aucun délai pour présenter une demande de renseignements en vertu du paragraphe 231.1(1). Encore là, j’estime que cette observation s’applique tout autant à une demande fondée sur le paragraphe 231.2(1).

[142] Je comprends que les DPR visant Triple Five touchent plusieurs parties et couvrent une période assez longue. Cependant, eu égard à l’étendue apparente du groupe de sociétés au sujet duquel la ministre mène une enquête et à la fourchette de dates figurant sur la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi, ainsi qu’aux principes énoncés dans les décisions Cameco et Lin et résumés plus haut, je ne vois aucune raison de conclure que la portée des DPR visant Triple Five les rend déraisonnables.

(3) DPR visant Gibraltar – dossiers T‑1451‑18 et T‑1452‑18

[143] Comme je l’ai déjà expliqué, chacune des deux DPR visant Gibraltar vise à obtenir des registres de sociétés et des relevés bancaires concernant certaines sociétés étrangères qualifiées de sociétés gérées et contrôlées par MM. Ghermezian et Vaturi. Les DPR renvoient à sept sociétés, aux filiales de ces sociétés et à toute autre entité appartenant à la fiducie de la famille Ghermezian. Une des sept sociétés mentionnées dans les DPR visant Gibraltar est T5WW.

[144] À l’instar des DPR visant Triple Five, les DPR visant Gibraltar sont étayées par la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi, dont le contenu est résumé dans la section précédente des présents motifs. Comme c’était le cas pour les DPR visant Triple Five, je comprends que les demandeurs soutiennent que cette feuille de renseignements n’établit aucun lien rationnel entre les renseignements sollicités (qui concernent les sociétés et entités qui y sont mentionnées) et l’assujettissement à l’impôt de FFG97 ou de T5WW.

[145] Mon analyse précédente de cette question à l’égard des DPR visant Triple Five, notamment quant aux arguments des demandeurs sur la compétence et sur la portée des renseignements demandés, s’applique de la même façon aux DPR visant Gibraltar. J’ajoute que, dans ces dernières DPR, les renseignements sollicités comprennent des renseignements concernant T5WW et les entités que possède FFG97 légalement ou à titre de bénéficiaire (soit les deux questions faisant l’objet de l’enquête). À mon avis, l’information figurant sur la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi satisfait au critère peu exigent à remplir pour démontrer que les renseignements sollicités dans les DPR visant Gibraltar peuvent être pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt des personnes faisant l’objet d’une enquête (ou, en d’autres termes, qu’un lien rationnel existe entre les renseignements sollicités et cet assujettissement).

[146] Les arguments des demandeurs ne me convainquent pas qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR visant Gibraltar en l’espèce.

(4) DPR visant Gherfam – dossier T‑1501‑18

[147] Comme je l’ai déjà expliqué de façon plus détaillée dans les présents motifs, l’objet de la DPR visant Gherfam est d’obtenir (au moyen de la demande GEI‑27) certains documents et catégories de documents portant sur une opération de restructuration et de refinancement conclue en 2014 en liaison avec le Mall of America et (au moyen de la demande GEI‑29) des renseignements et documents concernant T5MN, y compris des documents indiquant les actifs historiques de T5MN et de ses entités liées et les états financiers de T5MN.

[148] Selon la feuille de renseignements concernant Gherfam, l’enquête de la ministre vise les fiducies familiales américaines (Mall of America). La demanderesse Gherfam fait valoir que la feuille de renseignements la concernant n’établit aucun lien rationnel entre les renseignements sollicités et l’assujettissement à l’impôt de ces fiducies.

[149] Les arguments des deux parties sur ce point portent en grande partie sur le fait que les deux documents GEI‑27 et GEI‑29 renvoient à une question qui porterait sur : [traduction] « GG‑01 (lieu de résidence des fiducies) ». Ces renvois, d’autres mentions figurant dans la DPR visant Gherfam et de la feuille de renseignements concernant celle‑ci indiquent que la ministre cherche à obtenir des documents et renseignements au moyen de la DPR visant Gherfam pour étayer sa thèse selon laquelle les fiducies sont des résidents du Canada. Cependant, la demanderesse fait valoir que le dossier n’établit pas l’existence d’un lien rationnel entre les renseignements et documents précis qui sont demandés et la question du lieu de résidence. Le défendeur répond que la ministre n’est nullement tenue de fournir dans la DPR des explications détaillées quant à la façon dont les renseignements seront utilisés pour l’évaluation de la question du lieu de résidence, pas plus qu’il n’est nécessaire que de telles explications figurent sur la feuille de renseignements, pour que la DPR soit jugée raisonnable.

[150] Je résumerais comme suit quelques‑uns des éléments clés qui figurent sur la feuille de renseignements concernant Gherfam (sans tenir compte des renvois à la fiducie Gherzian Dynasty (American Dream), qui n’est pas visée par la DPR faisant l’objet du contrôle) :

  1. La demande doit être signifiée à Gherfam, dont les administrateurs actuels sont identifiés comme étant les quatre frères Ghermezian, et concerne les années d’imposition allant de 2002 à 2016 pour les fiducies familiales américaines (Mall of America);

  2. Avant le début de la vérification, l’ARC a fait parvenir aux quatre frères Ghermezian un questionnaire visant à obtenir des renseignements, y compris l’identité de toutes les entités qui leur appartenaient ou qu’ils détenaient en fiducie, directement ou indirectement, de toutes les entités au sein desquelles ils occupaient ou avaient occupé un poste d’administrateur depuis 2011, ainsi que des renseignements concernant tous leurs autres comptes bancaires et avoirs personnels;

  3. L’ARC a appris que, depuis les années 1990 et 2000, le « groupe » a des sociétés dans plusieurs pays « fiscalement avantageux ». Une fiducie avait été créée par des parents au profit des familles des quatre frères au Royaume‑Uni en 1997. Nader Ghermezian était l’administrateur de la plupart des sociétés de Hong Kong. En 2013, après avoir reçu le questionnaire de l’ARC, M. Ghermezian et (dans certains cas) son gendre, Marc Vaturi, ont démissionné du poste d’administrateur qu’ils occupaient au sein de plus de 30 sociétés de Hong Kong. Ils ont été remplacés par deux des fils de M. Ghermezian, appelés des « non‑résidents », mais l’ARC a mentionné dans une note qu’elle n’a pas confirmé qu’ils sont effectivement des non‑résidents. De plus, selon une note en bas de page figurant dans cette partie de la feuille de renseignements, l’ARC possède des données reliant T5WW à la famille Ghermezian. Cependant, le fiscaliste du groupe s’est opposé à la communication de renseignements au sujet des sociétés de Hong Kong, soutenant que l’ARC n’a pas compétence sur des sociétés appartenant à des non‑résidents. Le contribuable a été informé que l’ARC a découvert que la fiducie établie au Royaume‑Uni en 1997 est, dans les faits, un résident du Canada (ou, subsidiairement, est réputée l’être);

  4. En 2002, le groupe a créé huit fiducies familiales aux États‑Unis. Selon les actes de fiducie, l’objet de celles‑ci était d’éviter l’assujettissement à l’impôt canadien. Les quatre frères ont été nommés à titre de protecteurs des fiducies et chacun d’eux est également fiduciaire des deux fiducies qui portent son nom. Bien que deux autres membres de la famille, les mêmes personnes pour les huit fiducies, soient nommés fiduciaires de chaque fiducie, plusieurs dispositions de l’acte de fiducie précisent que le frère nommé et les protecteurs prennent les décisions de la fiducie;

  5. Un des objets de l’examen consiste à déterminer le lieu de résidence de ces huit fiducies. Selon les dispositions déterminatives du paragraphe 94(1) de la LIR, un apport doit être fait à la fiducie par un Canadien. La définition de l’apport est très large et pourrait comprendre un transfert, une garantie, un prêt et différentes autres opérations reliant les fiducies au Canada. En 2006, les huit fiducies familiales ont été utilisées aux fins de l’acquisition d’environ 67 % du Mall of America. Dans le cas des fiducies familiales américaines, aucune date de prescription ne s’applique, car ces fiducies n’ont jamais produit de déclaration de fiducie au Canada;

  6. Les données recueillies par l’équipe de vérification en 2015 ont démontré que plusieurs entités du groupe recevaient des virements d’entités liées étrangères ou leur en envoyaient, y compris des fonds transférés de trois sociétés de Hong Kong liées, détenues indirectement par la fiducie de 1997, à un membre du groupe qui était un résident du Canada. Même si M. Vaturi avait précédemment démissionné de son poste d’administrateur des sociétés de Hong Kong, des données concernant des virements électroniques indiquent que les virements ont été faits à partir de directives provenant du domicile de M. Vaturi et son épouse au Canada;

  7. Les documents et renseignements demandés sont précisés dans les documents GEI‑27 et GEI‑29. Ces éléments sont nécessaires pour corroborer les thèses principale et secondaire (subsidiaire) de l’ARC au sujet du lieu de résidence des huit fiducies américaines de la famille Ghermezian (Mall of America). La thèse principale de l’ARC repose sur une détermination factuelle du lieu de résidence de la fiducie en fonction des règles de common law. Sa thèse secondaire consiste à appliquer l’article 94 de façon à présumer que les fiducies dont il a été déterminé qu’elles sont des non‑résidents aux fins de l’impôt sur le revenu canadien sont des fiducies résidant au Canada aux fins de l’impôt sur le revenu sous certaines conditions.

[151] La DPR visant Gherfam et la feuille de renseignements la concernant indiquent toutes les deux que l’article 94 de la LIR (tant avant qu’après une modification apportée en 2007) est pertinent quant à la détermination par la ministre du lieu de résidence des fiducies qui font l’objet de son enquête. Comme je l’ai mentionné plus haut, cette disposition est qualifiée dans la feuille de renseignements de disposition ayant pour effet de présumer qu’une fiducie est un résident canadien en raison d’un apport à la fiducie effectué par un Canadien. La feuille de renseignements décrit différentes formes possibles de cet apport, notamment un transfert, une garantie ou un prêt.

[152] Les parties ont également présenté des observations sur l’article 94 à l’audience relative aux présentes demandes. La demanderesse soutient que l’article 94 est une disposition législative complexe et que les renvois à cette disposition dans la DPR et sur la feuille de renseignements ne sont pas suffisamment détaillés pour expliquer adéquatement pourquoi la ministre croit que les renseignements et documents sollicités au moyen de la DPR pourraient, par suite de l’application de cette disposition, toucher le lieu de résidence des fiducies aux fins de l’impôt sur le revenu canadien. Cependant, je conviens avec le défendeur que la demanderesse sollicite un degré de précision supérieur à celui que la loi exige de la ministre. Effectivement, comme je l’ai mentionné plus haut, la Cour fédérale a expliqué, dans la décision Nadler, que la LIR n’exige pas que la tierce partie à qui il est demandé de communiquer les renseignements soit informée de l’objet de la demande péremptoire (au para 9).

[153] Il ne m’appartient pas non plus, dans le cadre des présents contrôles judiciaires, d’analyser les complexités liées à l’application de l’article 94, ni de chercher à savoir si la feuille de renseignements les décrit adéquatement ou si les renseignements fournis au sujet des opérations qui font l’objet de la DPR visant Gherfam indiquent que cette disposition s’applique vraisemblablement par suite de ces opérations ou en raison d’un aspect de celles‑ci. J’estime que les renseignements et documents qui sont demandés dans la DPR au sujet de ces opérations pourraient être pertinents quant à la question de la résidence ou, en d’autres termes, qu’un lien rationnel existe entre les deux aspects. En ce qui a trait à la question de savoir si la DPR visant Gherfam a été délivrée pour l’application ou l’exécution de la LIR, la preuve au dossier satisfait au critère peu élevé exigé pour étayer le caractère raisonnable de la DPR.

[154] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné les arguments de la demanderesse au sujet de la portée de la DPR visant Gherfam, y compris la fourchette d’années à laquelle elle s’applique. Comme c’était le cas pour les autres DPR et pour la feuille de renseignements concernant Ghermezian et Vaturi, que j’ai commentées plus haut dans les présents motifs, la portée des renseignements sollicités au moyen de la DPR visant Gherfam est justifiée par l’étendue du groupe de sociétés et par la fourchette de dates qui, d’après la feuille de renseignements concernant Gherfam, est visée par l’enquête de la ministre. Je ne vois aucune raison de conclure que la portée de la DPR visant Gherfam la rend déraisonnable.

[155] J’ai également examiné les prétentions de la demanderesse selon lesquelles la ministre n’a pas compétence sur les fiducies qui font l’objet de l’enquête menée au moyen de la DPR visant Gherfam. La demanderesse a invoqué les arguments comparables à ceux qui ont précédemment été passés en revue dans les présents motifs relativement aux autres DPR, y compris des arguments sur le critère à appliquer pour déterminer le lieu de résidence d’une fiducie.

[156] Je ne répéterai pas l’analyse que j’ai menée au sujet de l’argument de la compétence invoqué à l’égard des autres DPR, si ce n’est pour affirmer que je rejette pour les mêmes raisons cet argument dans le cas de la DPR visant Gherfam. Il se pourrait que, dans des litiges ultérieurs, il soit décidé que les fiducies ne sont pas des résidents du Canada. Cependant, la demanderesse ne m’a pas convaincu que la ministre ne peut pas, à l’heure actuelle, solliciter des renseignements et documents pertinents quant à cette décision. Plus précisément, cet argument ne me convainc pas qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer la DPR visant Gherfam en l’espèce.

[157] Cependant, la demanderesse a soulevé d’autres arguments au sujet de la DPR visant Gherfam et je dois les examiner avant de trancher la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑1501‑18.

[158] D’abord, la demanderesse souligne que, dans le document GEI‑27 de la DPR visant Gherfam, il est mentionné, relativement aux différentes catégories de documents de financement demandés, que les copies de documents fournies en réponse à cette demande doivent être des copies certifiées de la version signée. En plus de soutenir que ce processus nécessiterait l’accès à des documents situés à l’étranger, la demanderesse fait valoir que la ministre outrepasse sa compétence en exigeant que la demanderesse suive ce processus plutôt que de produire des documents qui existent déjà.

[159] Il n’est pas nécessaire que je m’attarde à cet argument, car l’avocat du défendeur a informé la Cour à l’audience que la ministre avait informé la demanderesse qu’elle n’exigeait plus de copies certifiées.

[160] Toutefois, la demanderesse a formulé une autre prétention qui, même si elle ne fait pas partie de ses principaux arguments, mine à mon avis le caractère raisonnable d’un élément de la DPR visant Gherfam. Voici le texte de la demande formulée dans le dernier paragraphe clé du document GEI‑29 :

[traduction]

4. Fournir tous les renseignements ou explications supplémentaires qui sont pertinents quant à la question de savoir si les règles de l’ancien article 94 de la Loi (dans le cas des années d’imposition précédant 2007) s’appliquent aux fiducies Royce et Regent en ce qui a trait à l’opération décrite dans la section du contexte de la présente demande.

[161] La demanderesse soutient que ce paragraphe n’est pas suffisamment précis pour lui permettre de comprendre ce qu’elle doit fournir en réponse. Le texte du paragraphe oblige la demanderesse à mener une analyse juridique concernant l’application de l’ancien article 94, notamment en formulant des hypothèses sur la façon dont la ministre invoquerait cette disposition, puis à déterminer les renseignements qui pourraient être pertinents quant aux besoins de cette analyse.

[162] Je conviens que ce paragraphe est problématique. Comme je l’ai déjà expliqué, le défendeur invoque l’analyse menée dans la décision Nadler (au para 9), dans laquelle la juge Gauthier n’a relevé aucun problème grave lié à la demande péremptoire dans cette affaire‑là, parce que celle‑ci indiquait comme il se devait le nom du contribuable concerné, précisait la disposition législative applicable et donnait une description des renseignements requis, ce qui suffisait à Canada‑Israel Securities Ltd. pour être en mesure de préparer sa réponse. À mon avis, le paragraphe 4 du document GEI‑29 ne donne pas une description suffisamment précise des renseignements demandés pour permettre à la demanderesse de préparer sa réponse à ce paragraphe. J’en arrive donc à la conclusion que la DPR visant Gherfam n’est pas raisonnable à cet égard.

F. La question de savoir si la réparation que sollicitent les demandeurs convient dans les circonstances

[163] Cette question m’amène à l’examen des réparations sollicitées dans les présentes demandes de contrôle judiciaire. Les demandeurs présentent une longue liste de réparations qu’ils sollicitent dans chacune des demandes. Cependant, ils ne formulent aucun argument de fond étayant les différentes réparations sollicitées et demandent simplement l’annulation des DPR. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les demandes présentées dans les dossiers de la Cour portant les numéros T‑1439‑18, T‑1440‑18, T‑1451‑18 et T‑1452‑18, étant donné que j’ai conclu que les DPR pertinentes sont raisonnables, ces demandes seront rejetées.

[164] Cependant, dans le cas du dossier T‑1501‑18, je conclus qu’un élément de la DPR visant Gherfam est déraisonnable, ce qui soulève la question de la réparation qui convient. Je ne vois aucune raison d’examiner l’une ou l’autre des réparations possibles, sauf l’annulation de la DPR. Subsidiairement, il y aurait peut‑être lieu d’envisager une forme de dissociation, c’est‑à‑dire de retrancher le paragraphe 4, qui est problématique, et de conserver le reste du document. Je souligne que le juge Fothergill a opté pour cette solution dans la décision Bayer (aux para 49‑52). Cependant, cette affaire concernait une mise en demeure fondée sur l’article 231.6 de la LIR. Le paragraphe 231.6(5) dispose expressément que, sur présentation d’une requête visant à contester la mise en demeure, la Cour peut prendre différentes mesures, notamment modifier la mise en demeure de la façon qu’elle estime indiquée dans les circonstances.

[165] La Cour pourrait peut‑être opter pour une solution semblable dans le cadre du contrôle judiciaire concernant, comme c’est le cas en l’espèce, une demande péremptoire fondée sur le paragraphe 231.2(1). Cependant, à l’audience, j’ai demandé à l’avocat du défendeur quelle était la réparation qui conviendrait selon lui si j’en arrivais à la conclusion qu’un élément d’une DPR n’est pas raisonnable. Le défendeur a répondu que la mesure qui conviendrait serait l’annulation de la DPR, avec motifs à l’appui. Je comprends que la ministre voudrait subséquemment délivrer à nouveau la DPR en omettant l’élément déraisonnable ou en apportant d’autres correctifs en fonction de la conclusion. Étant donné que le défendeur n’a pas demandé le retrait de l’élément déraisonnable et qu’aucune des parties n’a présenté d’observations étayant l’accessibilité ou l’utilité de cette solution, j’annulerai dans mon jugement la DPR visant Gherfam et je renverrai la décision de délivrer la DPR au décideur pour nouvelle décision conformément aux présents motifs.

V. Dépens

[166] À l’audience, chacune des parties a confirmé qu’elle sollicite des dépens et soutenu que les dépens devaient suivre l’issue de la cause dans chaque affaire. Étant donné que le défendeur a eu gain de cause dans les dossiers de la Cour portant les numéros T‑1439‑18, T‑1440‑18, T‑1451‑18 et T‑1452‑18, il a droit à ses dépens dans ces quatre affaires. Par ailleurs, étant donné que la demanderesse Gherfam Equities Inc. a eu gain de cause dans le dossier T‑1501‑18, bien que sur une question mineure, elle a droit à ses dépens dans cette affaire.


JUGEMENT dans les dossiers T‑1439‑18, T‑1440‑18,

T‑1451‑18 et T‑1452‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Les présentes demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Dans chaque demande, les demandeurs sont tenus de payer les dépens du défendeur.

JUGEMENT dans le dossier T‑1501‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La demande de renseignements du 10 juillet 2018, délivrée par un représentant de la ministre du Revenu national au titre du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl), est annulée et la décision de délivrer cette demande de renseignements est renvoyée au décideur pour nouvelle décision conformément aux motifs de la Cour.

  3. Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


ANNEXE A

Définitions

Definitions

231 Les définitions qui suivent s’appliquent aux articles 231.1 à 231.8

231 In sections 231.1 to 231.8,

personne autorisée Personne autorisée par le ministre pour l’application des articles 231.1 à 231.5 (authorized person)

authorized person means a person authorized by the Minister for the purposes of sections 231.1 to 231.5; (personne autorisée)

document Sont compris parmi les documents les registres. Y sont assimilés les titres et les espèces. (document)

document includes money, a security and a record; (document)

juge Juge d’une cour supérieure compétente de la province où l’affaire prend naissance ou juge de la Cour fédérale. (judge)

judge means a judge of a superior court having jurisdiction in the province where the matter arises or a judge of the Federal Court. (juge)

maison d’habitation Tout ou partie de quelque bâtiment ou construction tenu ou occupé comme résidence permanente ou temporaire, y compris :

dwelling‑house means the whole or any part of a building or structure that is kept or occupied as a permanent or temporary residence and includes

a) un bâtiment qui se trouve dans la même enceinte qu’une maison d’habitation et qui y est relié par une baie de porte ou par un passage couvert et clos;

(a) a building within the curtilage of a dwelling‑house that is connected to it by a doorway or by a covered and enclosed passageway, and

b) une unité conçue pour être mobile et pour être utilisée comme résidence permanente ou temporaire et qui est ainsi utilisée. (dwelling‑house)

(a) a unit that is designed to be mobile and to be used as a permanent or temporary residence and that is being used as such a residence; (maison d’habitation)

Enquêtes

Inspections

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

231.1 (1) An authorized person may, at all reasonable times, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act,

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

(a) inspect, audit or examine the books and records of a taxpayer and any document of the taxpayer or of any other person that relates or may relate to the information that is or should be in the books or records of the taxpayer or to any amount payable by the taxpayer under this Act, and

b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

(b) examine property in an inventory of a taxpayer and any property or process of, or matter relating to, the taxpayer or any other person, an examination of which may assist the authorized person in determining the accuracy of the inventory of the taxpayer or in ascertaining the information that is or should be in the books or records of the taxpayer or any amount payable by the taxpayer under this Act,

à ces fins, la personne autorisée peut :

and for those purposes the authorized person may

a) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;

(a) subject to subsection 231.1(2), enter into any premises or place where any business is carried on, any property is kept, anything is done in connection with any business or any books or records are or should be kept,

b) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.

(b) and require the owner or manager of the property or business and any other person on the premises or place to give the authorized person all reasonable assistance and to answer all proper questions relating to the administration or enforcement of this Act and, for that purpose, require the owner or manager to attend at the premises or place with the authorized person.

Autorisation préalable

Prior authorization

(2) Lorsque le lieu mentionné à l’alinéa (1)c) est une maison d’habitation, une personne autorisée ne peut y pénétrer sans la permission de l’occupant, à moins d’y être autorisée par un mandat décerné en vertu du paragraphe (3).

(2) Where any premises or place referred to in paragraph 231.1(1)(c) is a dwelling‑house, an authorized person may not enter that dwelling‑house without the consent of the occupant except under the authority of a warrant under subsection 231.1(3)

Mandat d’entrée

Application

(3) Sur requête ex parte du ministre, le juge saisi peut décerner un mandat qui autorise une personne autorisée à pénétrer dans une maison d’habitation aux conditions précisées dans le mandat, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

 

(3) Where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied by information on oath that

a) il existe des motifs raisonnables de croire que la maison d’habitation est un lieu mentionné à l’alinéa (1)c);

(a) there are reasonable grounds to believe that a dwelling‑house is a premises or place referred to in paragraph 231.1(1)(c),

b) il est nécessaire d’y pénétrer pour l’application ou l’exécution de la présente loi;

(b) entry into the dwelling‑house is necessary for any purpose relating to the administration or enforcement of this Act, and

c) un refus d’y pénétrer a été opposé, ou il existe des motifs raisonnables de croire qu’un tel refus sera opposé.

(c) entry into the dwelling‑house has been, or there are reasonable grounds to believe that entry will be, refused,

Dans la mesure où un refus de pénétrer dans la maison d’habitation a été opposé ou pourrait l’être et où des documents ou biens sont gardés dans la maison d’habitation ou pourraient l’être, le juge qui n’est pas convaincu qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour l’application ou l’exécution de la présente loi peut ordonner à l’occupant de la maison d’habitation de permettre à une personne autorisée d’avoir raisonnablement accès à tous documents ou biens qui sont gardés dans la maison d’habitation ou devraient y être gardés et rendre tout autre ordonnance indiquée en l’espèce pour l’application de la présente loi.

 

the judge may issue a warrant authorizing an authorized person to enter the dwelling‑house subject to such conditions as are specified in the warrant but, where the judge is not satisfied that entry into the dwelling‑house is necessary for any purpose relating to the administration or enforcement of this Act, the judge may

[EN BLANC]

(d) order the occupant of the dwelling‑house to provide to an authorized person reasonable access to any document or property that is or should be kept in the dwelling‑house, and [BLANK]

[EN BLANC]

(e) make such other order as is appropriate in the circumstances to carry out the purposes of this Act, to the extent that access was or may be expected to be refused and that the document or property is or may be expected to be kept in the dwelling‑house.

[BLANK]

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

  • a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

  • b) qu’elle produise des documents.

 

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return;

or

(b) any document.

Personnes non désignées nommément

Unnamed persons

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

Autorisation judiciaire

Judicial authorization

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

(3) A judge of the Federal Court may, on application by the Minister and subject to any conditions that the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection (1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) if the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

(a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

....

....

Sens de renseignement ou document étranger

Definition of foreign‑based information or document

231.6 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

231.6 (1) For the purposes of this section, foreign based information or document means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

Obligation de fournir des renseignements ou documents étrangers

Requirement to provide foreign‑based information

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas, mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice served personally or by registered or certified mail, require that a person resident in Canada or a non‑resident person carrying on business in Canada provide any foreign‑based information or document.

Contenu de l’avis

Notice

(3) L’avis doit :

(3) The notice referred to in subsection 231.6(2) shall set out

a) indiquer le délai raisonnable, d’au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis;

(a) a reasonable period of time of not less than 90 days for the production of the information or document;

b) décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés;

(b) a description of the information or document being sought; and

c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers recherchés dans le délai‑ci dessus.

(c) the consequences under subsection 231.6(8) to the person of the failure to provide the information or documents being sought within the period of time set out in the notice.

Révision par un juge

Review of foreign information requirement

(4) La personne à qui l’avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d’envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

(4) The person on whom a notice of a requirement is served under subsection 231.6(2) may, within 90 days after the service of the notice, apply to a judge for a review of the requirement.

Pouvoirs de révision

Powers on review

(5) À l’audition de la requête, le juge peut :

(5) On hearing an application under subsection 231.6(4) in respect of a requirement, a judge may

a) confirmer la mise en demeure;

(a) confirm the requirement;

b) modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances;

(b) vary the requirement as the judge considers appropriate in the circumstances; or

c) déclarer sans effet la mise en demeure s’il est convaincu que celle‑ci est déraisonnable.

(c) set aside the requirement if the judge is satisfied that the requirement is unreasonable.

Précision

Idem

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

Suspension du délai

Time period not to count

(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où la requête est définitivement réglée ne compte pas dans le calcul :

(7) The period of time between the day on which an application for review of a requirement is made pursuant to subsection (4) and the day on which the application is finally disposed of shall not be counted in the computation of

a) du délai indiqué dans l’avis correspondant à la mise en demeure qui a donné lieu à la requête;

(a) the period of time set out in the notice of the requirement; and

b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie conformément au paragraphe 152(4).

(b) the period of time within which an assessment may be made pursuant to subsection 152(4).

Conséquences du défaut

Consequence of failure

(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n’est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure

(8) If a person fails to comply substantially with a notice served under subsection 231.6(2) and if the notice is not set aside by a judge pursuant to subsection 231.6(5), any court having jurisdiction in a civil proceeding relating to the administration or enforcement of this Act shall, on motion of the Minister, prohibit the introduction by that person of any foreign‑based information or document covered by that notice.

Ordonnance

Compliance order

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

Avis

Notice required

(2) La demande n’est entendue qu’une fois écoulés cinq jours francs après signification d’un avis de la demande à la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée.

(2) An application under subsection (1) must not be heard before the end of five clear days from the day the notice of application is served on the person against whom the order is sought.

Conditions

Judge may impose conditions

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

(3) A judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

Outrage

Contempt of court

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à une ordonnance peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l’ayant ainsi reconnu coupable.

(4) If a person fails or refuses to comply with an order, a judge may find the person in contempt of court and the person is subject to the processes and the punishments of the court to which the judge is appointed.

Appel

Appeal

(5) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d’appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l’ordonnance. Toutefois, l’appel n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel.

(5) An order by a judge under subsection (1) may be appealed to a court having appellate jurisdiction over decisions of the court to which the judge is appointed. An appeal does not suspend the execution of the order unless it is so ordered by a judge of the court to which the appeal is made.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑1439‑18, T‑1440‑18, T‑1451‑18, T‑1452‑18, T‑1501‑18

INTITULÉS :

NADER GHERMEZIAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et entre;

MARC VATURI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et entre;

NADER GHERMEZIAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et entre;

MARC VATURI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et entre;

GHERFAM EQUITIES INC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence à toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

lES 12 ET 13 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT et motifs :

Le juge SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 9 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Bobby Sood

Stephen Ruby

pour les demandeurs

Rita Araujo

Jesse Epp‑Fransen

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips

& Vineberg S.E.N.C.R.L, S.R.L.

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.