Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                          Date : 20031211

                                                                                                                                     Dossier :    T-904-02

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                           Citation :     2003 CF 1458

Ottawa (Ontario) ce 11e jour de décembre 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                            MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

                                                                                                                                  Partie demanderesse

                                                                              - et -

                              ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                       LOCAL 70397

                                                                                                                                     Partie défenderesse

                                                                              - et -

                      COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                      Partie intervenante

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Le Musée des beaux-arts du Canada (le « Musée » ) demande un contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ) de statuer sur une plainte portée par L'Alliance de la fonction publique du Canada, Local 70397 ( « L'Alliance » ) et d'effectuer une enquête.

[2]                 Dans sa plainte, L'Alliance allègue que le plan d'évaluation des emplois du Musée comporte des dispositions discriminatoires à l'encontre des groupes majoritairement féminins qu'elle représente.

[3]                 Selon le Musée, L'Alliance s'était engagée dans sa convention collective à réviser ce plan par le biais du comité paritaire et à soumettre toutes disputes et différents quant à ce processus à un arbitre/médiateur expressément désigné dans l'annexe H de la convention collective. Le protocole d'entente à l'annexe H fait partie intégrante de la convention collective et l'arbitre/médiateur a le pouvoir de rendre une décision finale et exécutoire.

[4]                 Le Musée soumet que la convention collective prévoit expressément que le comité devait s'assurer de la conformité du plan avec les principes d'une bonne classification, avec l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6, (la « Loi » ) et avec le principe de l'application universelle et non-sexiste.


[5]                 Il appert qu'un problème de fond se souleva alors que le comité venait tout juste de commencer son travail de révision. D'une part, l'expert de L'Alliance était d'avis que la structure même du plan qui fut préparé par un consultant ( « Mercer » ) n'est pas acceptable. Selon lui, il fallait réécrire le tout. D'autre part, l'expert du Musée soutenait que le plan est conforme à l'article 11 de la Loi. Il ne fallait donc faire que certains ajustements à être approuvé par le comité paritaire.

[6]                 Ce différent est soumis à l'arbitre/médiateur qui rencontre les parties à plusieurs reprises. Le 22 septembre 2000, après cinq rencontres entre les parties et l'arbitre, L'Alliance dépose une plainte auprès de la Commission.

[7]                 Le 1er novembre 2000, le Musée indique à la Commission qu'elle ne devrait pas intervenir dans le débat jusqu'à ce que le processus prévu à la convention collective soit terminé. Le 14 janvier 2001, l'arbitre/médiateur rend une décision qu'il qualifie d'intérimaire. Il note aux pages 33, 34 et 39 de cette décision :

[...]

The above indicates to the undersigned mediator/arbitrator that the Mercer plans were not basically flawed in meeting the requirements of gender neutral and complying with Article 11 of the CHRA but could be amended to more clearly meet such criteria.

[...]

CONCLUSION ARRIVED AT BY THE MEDIATOR/ARBITRATOR

In view of the above, the undersigned mediator/arbitrator does not consider that the analytic criticism and the jurisprudence submitted constitute sufficient evidence in the case against the Job Evaluation Plan's conformity with the requirements outlined in Appendix H to condem the plan but raises sufficient queries to recognize that the Plan could be improved to dissipate the concerns of the Alliance and all of its members

[...]   

the undersigned mediator/arbitrator orders the parties to recall the Joint Committee in meetings and to carry out fully its mandate in order to arrive at a jointly satisfactory Job Evaluation Plan modeled after the existing plan as at the date of the signature of the collective labour agreement on June 17, 1998.

In order to carry out the mandate of the Parity Committee, the Alliance should prepare a revised version of the Questionnaire and Guide taking into consideration the analytic criticisms, outlined in Mr. Durbers' reports and turning these into constructive criticisms particularly as follows:


[...]

Upon reception by the NGC of the reviewed Questionnaire and Plan, the Parity Committee should meet and exchange in view of resolving the dispute and arriving at a reviewed and amended Job Evaluation Plan, gender neutral and respecting the dictates of Article 11 of the Canadian Human Rights Act and be free of overlaps and double counting.

[8]                 Le 30 août 2001, une nouvelle Annexe H est signée par les parties en même temps que leur nouvelle convention collective, on y indique que les parties reconnaissent que le 14 janvier 2001, l'arbitre Pierre N. Dufrêsne a rendu une décision partielle au sujet de l'application de l'Annexe H de la convention collective précédente et qu'elles feront tous les efforts possibles pour respecter cette décision dans les meilleurs délais afin que les objectifs de l'Annexe H de la convention collective précédente (soit la mise à niveau du plan avec les bons principes de classification, l'article 11 de la Loi, et le principe de l'application universelle et non-sexiste) soient atteints. L'impact d'une telle entente n'a pas été discuté dans la correspondance entre les parties et la Commission.

[9]                 Le 29 janvier 2002, la Commission fait parvenir aux deux parties, un rapport initial de leur enquêtrice en vertu de l'article 41(1) de la Loi qui recommande que la Commission mène une enquête sur la plainte déposée par L'Alliance.

[10]            Après avoir considéré les commentaires des parties, le 15 mai 2002, la Commission informe les parties qu'elle statuera sur la plainte et elle indique :

-                 notwithstanding the fact that the Arbitrator has retained jurisdiction in this matter, the Arbitrator has ruled on the issue of discrimination;


-              the pursuit of a remedy under the collective agreement does not preclude this Commission from investigating a complaint filed under the Canadian Human Rights Act; and

-                 the respondent is federally regulated and thus falls within the Commission's jurisdiction.

           

[11]            Le Musée soumet que :

i)          La Commission a fait une erreur dans son appréciation des faits en concluant que l'arbitre/médiateur avait statué sur la question de la discrimination.   

ii)          À cause de cette erreur d'interprétation, la Commission n'a pas ou n'a pu exercer sa compétence et évaluer si le plaignant aurait dû épuiser en premier lieu, le recours interne qui lui était ouvert (article 41(1)a) de la Loi).

iii)         La Commission a erré en fait et en droit en décidant de poursuivre son enquête car l'arbitre/médiateur déjà saisi du dossier avait compétence exclusive en vertu de la convention collective et de l'article 58 du Code canadien du Travail,L.R. 1985, ch. L-2 (le « Code » ), pour décider de toutes questions liées à la non-conformité du plan avec l'article 11 de la Loi.

[12]            Il est opportun de noter que dans sa correspondance avec la Commission et dans la présente demande, le Musée n'a soulevé aucun argument fondé sur l'article 41(1)b) ou c) de la Loi. Le mémoire du demandeur, le rapport de l'enquêtrice et la lettre de la Commission du 15 mai 2002, sont entièrement basés sur l'article 41(1)a). Toutefois, à l'audition, le Musée a plaidé l'absence de juridiction de la Commission même si l'arbitre avait rendu une décision finale et a indiqué à la Cour par la suite que l'article 41(1)c) était aussi pertinent puisque la Commission devait rejeter la plainte si celle-ci excédait sa compétence.

[13]            L'Alliance argue que la Cour ne devrait pas intervenir au niveau de la décision de la Commission d'enquêter sur la plainte.


[14]            Sur la question d'erreur de fait, la défenderesse soumet que si la décision de l'arbitre/médiateur a deux interprétations possibles, la Cour ne peut conclure que la décision de la Commission est déraisonnable et elle ne devrait donc pas casser la décision. La défenderesse indique aussi que la détermination de cette question n'est pas essentielle pour décider de la présente demande de contrôle judiciaire puisque même si l'arbitre/médiateur n'avait pas statué sur la question de la discrimination, l'article 41 de la Loi donne compétence à la Commission d'intervenir et d'enquêter sur la plainte formulée par L'Alliance.

[15]            La Commission, à titre d'intervenante, soumet qu'elle a juridiction pour statuer sur cette plainte. Selon elle, la Loi est claire. Ni le Code, ni la convention collective ne lui enlève le pouvoir d'enquêter une plainte de discrimination en vertu de la Loi.

ANALYSE

[16]            Avant d'analyser le mérite de la présente demande de contrôle, la Cour doit décider si cette demande est prématurée puisque que comme l'a indiqué L'Alliance, il s'agit d'une étape très préliminaire dans le processus de traitement des plaintes prévu à la Loi. Il n'y a pas encore eu d'enquête. S'il s'agit d'une décision interlocutoire, y a-t-il des circonstances exceptionnelles qui justifient un contrôle judiciaire à ce stade ?


[17]            Les parties sont d'accord pour dire qu'à moins que la Cour n'intervienne pour dire que la Commission devait rejeter la plainte, la Commission devrait normalement rendre une autre décision, cette fois en vertu de l'article 44 de la Loi.

[18]            Les dispositions pertinentes de la Loi sont donc les suivantes :



41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

[...]                                             

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

[...]

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(4) Après réception du rapport, la Commission :

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu'elle juge indiquée, de la décision qu'elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

[mes soulignés]

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[...]

42. (1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision.

[...]          

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(I) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(I) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

[my emphasis]


[19]            Comme le texte de l'article 41 l'indique, règle générale la Commission doit statuer ( « deal with » ) sur toutes les plaintes déposées en vertu de la Loi. La Commission ne décide pas des droits substantifs des parties sauf, lorsqu'elle rejette une plainte en vertu de l'article 42(1) ou de l'article 44(3)b).

[20]            L'article 42 de la Loi ne traite que des décisions rejetant une plainte en vertu de l'article 41(1) et de l'obligation pour la Commission de motiver de telles décisions.

[21]            Comme les articles 44(2)a) et b) et 44(3)ii) l'indiquent, la Commission doit à cette deuxième étape (soit après enquête) revoir les mêmes circonstances que celles énoncées au paragraphe 41(1)a), b), c), d) et e) et décider si le plaignant doit être renvoyé devant à une autre autorité compétente ou si sa plainte doit être rejetée. Les décisions rendues en vertu de ces articles sont sujettes à un contrôle judiciaire.


[22]            Selon moi, à moins de circonstances exceptionnelles (y inclus une absence de compétence) (Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne) (C.A.), [2000] 4 C.F. 255), la Cour devrait refuser de réviser une demande de contrôle judiciaire d'une décision de statuer sur une plainte rendue avant enquête en vertu de l'article 41(1).

[23]            Ceci veut donc dire que j'aurais rejeté la présente demande de contrôle judiciaire si elle n'était fondée que sur une erreur dans l'application de l'article 41(1)a). Une telle demande aurait été prématurée. Comme on peut aisément l'imaginer dans l'espèce, une décision finale de l'arbitre/médiateur dans cette procédure d'arbitrage accélérée, devrait normalement avoir été rendue lorsque la Commission ré-évaluera le dossier en vertu de l'article 44. Une décision de la Cour sur la question i) décrite au paragraphe 11 ci-dessus sera vraisemblablement inutile. De plus, il se peut que la plainte ne soit pas justifiée en égard particulièrement aux amendements à être approuvées par le comité paritaire.

[24]            Il est important que l'enquête sur d'éventuels manquements à des droits reconnus comme fondamentaux en vertu de la Loi procède le plus rapidement possible et que le processus de traitement des plaintes suive son cours jusqu'à une décision finale de la Commission en vertu de l'article 44 de la Loi soit rendue.

[25]            Le Musée et la Commission sont d'accords pour dire que si la Commission n'a pas compétence pour statuer sur la plainte, la Cour devrait intervenir immédiatement et cassé la décision. Je suis d'accord. Mais comme je l'ai dit, si la Commission a compétence pour statuer sur la plainte de L'Alliance, la Cour n'entend pas réviser sa décision en vertu de l'article 41(1)a) puisqu'il n'y a aucune circonstance exceptionnelle qui justifie une telle intervention à cette étape préliminaire.


[26]            Les trois parties s'entendent que la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission sur une question de compétence telle que celle-ci est celle de la décision correcte.

[27]            Toutefois, tel que requis par la Cour suprême du Canada, je dois tout de même procéder à déterminer à l'aide de la méthode pragmatique et fonctionnelle, si c'est bien cette norme qui s'applique dans l'espèce.

[28]            La Loi ne contient pas de clause privative et est muette quant au droit d'en appeler des décisions de la Commission. Celles-ci sont révisables en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[29]            Quant à l'expertise de la Commission relativement à celle de la Cour fédérale, comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 F.C.A. 854, la Loi ne confère pas de pouvoir général de statuer sur des questions de droits à la Commission. Elle lui donne, à certains articles, tel que l'article 41(1)c), le pouvoir d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante. Normalement, en vertu de l'article 41(1)c), la Commission est appelée à vérifier si la plainte devant elle a trait à une activité ou entreprise de nature fédérale. C'est d'ailleurs à ce niveau que son analyse s'est limitée dans le présent dossier. En égard à cette expertise limitée de la Commission, il n'y a pas lieu d'accorder de déférence particulière.


[30]            L'objet de la Loi est d'assurer que tous les individus ont droit à l'égalité et de les protéger contre certains actes discriminatoires décrits dans la Loi dans le cadre d'activités ou d'entreprises fédérales. L'article 41 consacre le devoir de la Commission de statuer sur toutes les plaintes reçues, sauf celles qui, selon elle, devraient être rejetées pour un des motifs énumérés.

[31]            La question de compétence soulevée par le Musée est une question qui requiert un examen de principes de droit généraux assez complexes. Il ne s'agit pas simplement d'interpréter la Loi mais d'analyser l'impact d'une autre législation (le Code du travail) sur la juridiction de la Commission. Elle déborde le simple cadre de la Loi.

[32]            À la lumière de cette analyse, je confirme que j'appliquerai la norme de la décision correcte.

[33]            La plainte de L'Alliance relèverait normalement de la compétence de la Commission, la dessus les parties semblent être d'accord. Mais, le Musée plaide que comme l'essence du « litige » devant la Commission concerne une matière visée par la convention collective, il ne peut plus faire l'object d'une plainte ou d'une enquête en vertu de la Loi, non plus que d'une décision par le Tribunal des droits de la personne.

[34]            L'allégué principal dans la plainte du 22 septembre 2000 se lit comme suit:


The job evaluation plan of the National Gallery of Canada stands as a policy or practice that deprives or tends to deprive female employees of the Gallery of employment opportunities on the ground of sex. As well, the application of this job evaluation practice constitutes differential treatment in the course of employment in relation to female employees on the ground of sex. As such, use of this job evaluation plan constitutes a violation of Section 7 and 10 of the Canadian Human Rights Act.

[35]            L'Alliance indique ensuite que les détails de sa plainte se trouvent énoncés dans un rapport d'expert. Il s'agit là du même rapport que celui soumis à l'arbitre/médiateur par L'Alliance et sur la base duquel la décision du 14 janvier 2001 fut rendue. Il est important de noter que la Cour suprême du Canada a répété à nombreuses reprises que pour déterminer si un litige résulte de la convention collective, il faut tenir compte non pas de la façon dont les questions juridiques peuvent être formulées, mais biens des faits entourant le litige qui opposent les parties. (voir Weber c. Ontario Hydro [1995] 2 R.C.S. 929 précité au par. 43 et Régina Police Assn. Inc. c. Régina (Ville) Board of Police Commissionners, [2000] 1 R.C.S. 929 au par. 25).

[36]            Selon moi, eu égard au contexte factuel, l'essence de la plainte devant la Commission, concerne une matière visée par la convention collective. Toutefois, il s'agit là de l'essence de la plainte et non pas de l'essence d'un litige devant la Commission puisque la Commission n'est pas une instance décisionnelle et que seul le Tribunal des droits de la personne peut rendre une décision à caractère obligatoire. La Cour n'est pas convaincue que le processus de traitement des plaintes géré par la Commission puisse être qualifié de "litige". Mais comme les parties n'ont pas soulevé ce point, j'analyserai donc la question soumise comme s'il s'agissait bien d'un litige.


[37]          L'essence de la plainte est identique à l'essence de la dispute soumise à l'arbitre/médiateur. Le litige devant l'arbitre/médiateur découle d'une situation de fait expressément prévue à la convention collective. Même si au lieu d'invoquer l'article 11 de la Loi, L'Alliance soumet sa plainte en vertu des articles 7 et 10 de la Loi, cela n'a pas pour effet de changer l'essence du "litige" qui découle expressément ou implicitement de l'interprétation, de l'application, de l'administration de l'inexécution de la convention collective (voir par exemple Régina Police Assn. Inc., précitée, par. 25 et Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324,[2003] CSC No. 42).

[38]            Il serait donc artificiel de tenter de qualifier autrement la nature de la plainte devant la Commission. Mais, ceci m'amène à m'interroger si dans l'espèce, on ne se trouve pas à la limite du test énoncé dans l'arrêt Weber, précitée, car la Cour, malgré cette conclusion quant à l'essence de la plainte ne peut conclure que la Commission n'a plus compétence pour statuer sur cette plainte.

[39]            Dans Weber, précitée, la Cour suprême du Canada devait déterminer si le régime législatif prévoyant l'arbitrage exécutoire de tous les différents découlant de la convention collective empêchait les parties de soumettre ces disputes aux tribunaux de droit commun. (Régina Police Assn. Inc., précitée, par. 22).


[40]            Dans Régina Police Assn. Inc., précitée, la Cour suprême du Canada a utilisé la même approche qu'elle avait utilisé dans Weber mais cette fois, pour déterminer lequel des deux régimes législatifs (soit la convention collective ou le Police Act, 1990, S.S. 1990-91, ch. P-15.01de la Saskatchewan et son règlement), devait s'appliquer à un litige impliquant des membres du corps policier. Toutefois, dans cet arrêt, la décision d'appliquer le modèle de la compétence exclusive était facilitée par le fait que les deux régimes prévoyaient expressément ou implicitement la question du chevauchement.

[41]            La convention collective à son article 8 excluait expressément de son application les cas où les dispositions du Police Act s'appliquaient. Alors que le Police Act prévoyait à l'article 60(3):


(3) Lorsque la convention collective prévoit une procédure applicable à la cessation des services d'un membre pour des motifs autres que ceux qui sont visés par la présente partie, la cessation des services s'effectue conformément à la procédure et au motif prévu dans la convention collective.

[mes soulignés]

(3) Where a collective bargaining agreement provides a procedure for terminating       the services of a member for reasons other than those provided in this Part, that procedure shall be used for terminating the services of a member for the reasons provided in the collective bargaining agreement.

[my emphasis]


[42]            Ayant déterminé que la nature du litige faisant l'objet du grief devant l'arbitre était essentiellement de nature disciplinaire, une matière visée par le Police Act, la Cour suprême du Canada pu aisément appliquer le modèle de la compétence exclusive et confirmer la décision de l'arbitre de rejeter le grief.


[43]            Il est important de noter que la Cour suprême du Canada nous dit dans cet arrêt que l'instance décisionnelle (ici la Commission) pour déterminer si elle a compétence, doit rechercher l'intention du législateur telle qu'énoncée dans le ou les textes législatifs régissant les parties (Regina Police Assn. Inc., précitée, par. 23). Il appert aussi que le modèle de la compétence exclusive a été adopté afin de garantir que l'attribution de compétence à une institution décisionnelle que n'avait pas envisagé le législateur ne porte pas atteinte à un régime législatif (Régina Police Assn. Inc., précitée para. 26). La Cour nous dit de plus (voir par. 34) qu'il faut éviter de donner aux dispositions législatives des interprétations formalistes qui priveraient l'instance décisionnelle de sa compétence alors que le législateur a clairement voulu qu'elle entende un litige.

[44]            Dans le présent contexte, le législateur a clairement envisagé que la Commission aurait à statuer sur des plaintes impliquant des matières visées par des conventions collectives puisque plusieurs des actes discriminatoires décrits dans la Loi sont des activités normalement régies par ces conventions et donc soumises à l'arbitrage obligatoire, soit les politiques et lignes de conduites vis-à-vis les promotions, la formation, les mutations ou en matière salariale.

[45]            L'article 41(1) prévoit spécifiquement la possibilité que la situation dont on se plaint devant la Commission puisse aussi faire l'objet d'un grief.


[46]            Non seulement le législateur était-il conscient de la possibilité de chevauchement mais il a choisi de donner à la Commission la discrétion de décider s'il était préférable dans un cas donné que la procédure de grief soit d'abord épuisée (voir Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999], 1 C.F. 459, par. 32). C'est donc dire qu'il entendait que la Commission puisse statuer sur une telle plainte pendant ou après l'épuisement de la procédure de grief (41(1)a)). Il indique aussi que la Commission a discrétion pour décider si une plainte pourrait être avantageusement instruite (dans un premier temps ou à toutes les étapes) en vertu d'une autre loi fédérale. (41)(1)b)).    Cela sous-entend nécessairement la possibilité d'une compétence concurrente.

[47]            La Cour ne peut donc souscrire à l'interprétation restrictive de l'article 41 mise de l'avant par la Musée selon laquelle l'article 41 ne peut s'appliquer à une plainte dont l'essence est une question visée par la convention collective.

[48]            Ce n'est pas la première fois que l'argument est soulevé. Il a été rejeté par la juge Tremblay-Lamer dans Société Radio Canada c. Paul, [1999] 2 C.F. 3 et par le juge Beaudry dans Société Radio Canada et Syndicat des communications de Radio-Canada, [2002] A.C.F. no 1060, même s'il est vrai que les faits dans ces affaires n'étaient pas identiques à ceux devant moi, le raisonnement et la conclusion des deux juges me semblent très convaincants.

[49]            Même en reconnaissant le rôle important de l'arbitrage en matière de relation de travail et de l'interprétation généreuse que l'on doit donner au Code du travail, la Cour ne peut mettre de côté le choix exprimé par le législateur. Elle ne peut conclure à l'absence de juridiction de la Commission de traiter une plainte qui dénonce clairement un acte discriminatoire prévu à la Loi et ce même si l'essence d'une telle plainte porte aussi sur une question visée par la convention collective.

                                                                                   

[50]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

"Johanne Gauthier"

Juge                     


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-904-02

INTITULÉ :                                        Musée des beaux-arts du Canada

          - et -

Alliance de la fonction publique du Canada

          - et -

Commission canadienne des droits de la personne

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

DATE DE L'AUDIENCE :              le 8 octobre 2003

MOTIFSde l'ordonnance : Madame le juge Johanne Gauthier

DATE DES MOTIFS :                      le 12 décembre 2003

COMPARUTIONS:

Me Nancy Boyle                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Geneviève Desmarais

James Cameron                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Andrea Wright                                                                               POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Desjardins Ducharme Stein Monast      POUR LE DEMANDEUR

Montréal, Québec

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne    POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa, Ontario

Commission canadienne des droits de la personne                       POUR L'INTERVENANTE

Ottawa, Ontario                                    


                                                  

                                       Cour fédérale

Date : 20031211

Dossier : T-904-02

Entre :

MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

                                               - et -

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA LOCAL 70397

                                                                                                                              

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                                          


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.