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Date : 20200917


Dossier : IMM‑2415‑19

Référence : 2020 CF 908

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ESAK YAKOB ABREHAM, YORDANOS KIFLE FISHATSION, MILYON ESAK YAKOB (REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ESAK YAKOB ABREHAM)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 11 février 2019 [la décision] par laquelle un agent des visas [l’agent] du Haut‑commissariat du Canada à Nairobi (Kenya) a refusé leur demande de résidence permanente présentée à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de personnes de pays d’accueil, aux termes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], adopté en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]  Pour les motifs expliqués de manière plus approfondie ci‑après, la présente demande est rejetée. J’ai examiné les arguments avancés par les demandeurs et je conclus que la décision est raisonnable et qu’elle a été prise d’une manière équitable sur le plan procédural.

II.  Contexte

[3]  Les demandeurs sont Esak Yakob Abreham [le demandeur principal], son épouse et leur fils. Tous citoyens de l’Érythrée, et ils vivent actuellement dans un camp de réfugiés en Éthiopie.

[4]  Les demandeurs ont fui l’Érythrée en 2015. D’après le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] du demandeur principal, il a été appelé sous les drapeaux du service national de l’Érythrée au sein duquel il a servi pendant 18 ans. Toujours d’après son FDA, il a été accusé d’avoir mobilisé des camarades du service national et a été incarcéré pendant neuf mois avant d’être relâché en septembre 2015. Le FDA indique que le service national a menacé le demandeur principal d’une détention indéfinie s’il tentait de mobiliser des membres de ce service.

[5]  Le Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR] a reconnu la qualité de réfugiés aux demandeurs. Le demandeur principal ayant de la famille au Canada, les demandeurs ont présenté en 2017 une demande de résidence permanente par l’intermédiaire d’une programme de parrainage. Le 15 décembre 2018, un agent a reçu le demandeur principal et son épouse en Éthiopie.

III.  La décision à l’examen

[6]  Dans la décision à l’examen datée du 11 février 2019, l’agent cite les exigences liées aux catégories des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et des personnes de pays d’accueil, énoncées aux articles 145 et 147 du Règlement respectivement, ainsi que l’alinéa 139(1)c) du Règlement, qui régit la délivrance des visas de résident permanent aux membres de ces catégories. L’agent déclare ensuite ce qui suit :

[traduction]

Après avoir attentivement évalué l’ensemble des facteurs relatifs à votre demande, je ne suis pas convaincu que vous apparteniez à l’une des catégories prescrites en raison des disparités relevées entre votre exposé circonstancié écrit et votre témoignage à l’entrevue. Par exemple, les circonstances dans lesquelles vous avez été libéré de prison dont vous avez fait part dans la demande étaient différentes de ce que vous m’avez relaté à l’entrevue. Bien que votre demande mentionne que vous avez été mis en liberté, vous avez déclaré à l’entrevue que vous vous étiez échappé de prison. Les détails quant à la raison de votre arrestation étaient également différents. Je vous ai fait part de ces préoccupations, mais votre réponse ne les a pas dissipées. Par conséquent, vous ne remplissez pas les exigences de [l’alinéa 139(1)c)].

[7]  Les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] font également état de ces préoccupations et indiquent qu’elles l’ont amené à douter de la crédibilité de la demande. L’agent mentionne avoir fait part de ces préoccupations au demandeur principal, mais ajoute que ses réponses n’ont pas suffi à les dissiper.

[8]  La décision mentionne également le paragraphe 11(1) de la Loi et l’obligation qu’il impose à l’agent des visas de délivrer un visa à l’étranger s’il est convaincu que ce dernier n’est pas interdit de territoire et qu’il remplit les exigences de la Loi, y compris du Règlement. D’après la décision, l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs remplissaient les exigences de la Loi et du Règlement, pour les motifs expliqués plus tôt dans la décision, et il a refusé leur demande de visa de résident permanent.

IV.  Les questions à trancher et la norme de contrôle applicable

[9]  Les observations des demandeurs soulèvent les questions suivantes :

  1. Les préoccupations de l’agent en matière de crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

  2. La décision est‑elle déraisonnable du fait que l’agent n’a pas convenablement évalué l’allégation de persécution des demandeurs?

  3. L’agent a‑t‑il contrevenu à l’équité procédurale en ne fournissant pas aux demandeurs une occasion adéquate de présenter une réponse relativement à ses préoccupations?

  4. L’agent a‑t‑il déraisonnablement ou incorrectement invoqué l’article 11 de la Loi?

[10]  Comme le laisse entendre leur formulation, les deux premières questions sont sujettes à la norme de la décision raisonnable. La question de l’équité procédurale est régie par la norme de la décision correcte ou autrement dit, elle n’est soumise à aucune norme, mais nécessite plutôt d’évaluer la question de savoir si l’obligation d’équité a été respectée (voir p. ex., Al Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 373, au para 23).

[11]  Comme le laisse entendre la formulation de la dernière question énoncée précédemment concernant le paragraphe 11(1) de la Loi, les demandeurs n’ont fait valoir aucune position quant à la norme de contrôle à laquelle elle devrait être soumise. Le défendeur soutient que la norme du caractère raisonnable trouve à s’appliquer, car la question en est une d’interprétation et d’application de la loi constitutive de l’agent. Je suis porté à souscrire à cette position, mais il n’est pas nécessaire que je tranche la question. Comme je l’explique plus loin dans ces motifs, la question du paragraphe 11(1) n’a aucune conséquence sur l’issue de la présente affaire.

V.  Analyse

A.  Les préoccupations de l’agent en matière de crédibilité étaient‑elles déraisonnables?

[12]  Dans le contexte de leur contestation des conclusions défavorables de l’agent en matière de crédibilité, les demandeurs font valoir tout d’abord que ces conclusions reposaient sur des disparités dans la preuve, liées à des détails dépourvus de pertinence, mineurs ou périphériques. Comme le faisait remarquer le juge Harrington dans la décision Gorqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 920, au para 6, le décideur ne doit pas axer son analyse sur quelques incohérences mineures ou secondaires au point de « couper les cheveux en quatre ».

[13]  Les préoccupations de l’agent en matière de crédibilité reposaient sur trois types d’incohérences relevées entre la demande écrite des demandeurs et leur preuve orale :

  1. la raison de l’incarcération du demandeur principal par les autorités érythréennes ‑ d’après sa demande, il avait été accusé de mobiliser des camarades du service national, alors que les demandeurs ont déclaré durant leur témoignage qu’il avait été arrêté pour avoir dépassé la durée de son congé autorisé de l’armée;
  2. la question de savoir si le demandeur principal a été remis en liberté ou s’il s’est échappé de prison – d’après sa demande, il avait été remis en liberté, mais il a déclaré durant son témoignage qu’il s’était échappé;
  3. la question de savoir si le demandeur principal a été malade puis hospitalisé durant la séquence des événements ayant abouti à sa sortie de prison ‑ il a déclaré durant son témoignage qu’il s’était échappé de prison pour aller à l’hôpital, puis qu’il était ensuite retourné chez lui, tandis que sa demande ne mentionnait aucun de ces détails.

[14]  Les demandeurs soutiennent que ces disparités étaient mineures et dépourvues de pertinence et qu’en leur accordant trop d’importance, l’agent a perdu de vue l’essence de la demande d’asile, à savoir que le demandeur principal a passé 18 ans dans un service national forcé et illimité et qu’il a été détenu pendant huit mois. Je ne peux souscrire à cette description de l’analyse de l’agent. Les demandeurs sollicitaient une protection en faisant valoir que le demandeur principal a été victime d’un service militaire obligatoire et d’une détention en conséquence. Comme le fait valoir le défendeur, la raison de sa détention dans le contexte de ce service, qu’il se soit échappé de l’armée ou qu’il ait été remis en liberté, et (s’il s’est échappé) la manière dont sa fuite s’est déroulée sont directement pertinentes quant à la raison pour laquelle le demandeur principal sollicite une protection.

[15]  De plus, lorsque l’agent l’a mis en présence de ces disparités, le demandeur principal n’a pas vraiment fourni d’explication. En ce qui concerne sa maladie et son hospitalisation, il a seulement déclaré qu’il pouvait s’agir d’une erreur technique du traducteur. Quant à la raison de sa détention, il a déclaré : [traduction« Je pense que c’était la raison et il est possible que j’aie oublié ». Je ne vois rien de déraisonnable à ce que l’agent ait tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité en se basant sur cette preuve.

[16]  Les demandeurs soutiennent également que l’agent a eu tort de ne pas apprécier leur preuve dans le contexte des conditions qui règnent en Érythrée, lesquelles comprennent notamment un service militaire illimité, une conscription obligatoire, et la détention arbitraire des déserteurs ou des opposants au régime. Ils s’appuient sur la décision rendue par le juge Mainville dans Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589, au para 30, suivant laquelle s’il peut être établi que l’agent a rendu sa décision sans connaître la situation dans le pays, ceci peut en soit constituer un motif valable pour infirmer la décision dans le cadre d’une instance de contrôle judiciaire.

[17]  À mon avis, une telle inférence ne peut être tirée dans le cas qui nous occupe. La décision Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519 [Ghirmatsion] illustre les circonstances dans lesquelles un agent peut être tenu de considérer la preuve sur les conditions dans le pays pour évaluer le fondement objectif d’une demande d’asile. Dans cette affaire, la juge Snider a conclu que l’agente avait négligé d’examiner la preuve documentaire disponible pour apprécier la vraisemblance du récit du demandeur par rapport à ce qui était connu des conditions dans son pays d’origine (para 69). Il est possible d’établir une distinction entre cette affaire et le cas présent, dans lequel les conclusions défavorables de l’agent en matière de crédibilité reposaient non pas sur la vraisemblance des allégations des demandeurs dans le contexte de la situation en Érythrée, mais plutôt sur les incohérences de leur exposé circonstancié.

[18]  En résumé, je ne vois aucune raison de revenir sur les conclusions de l’agent en matière de crédibilité.

B.  La décision était‑elle déraisonnable du fait que l’agent n’a pas convenablement évalué l’allégation de persécution des demandeurs?

[19]  Les demandeurs ont fait remarquer en premier lieu lorsqu’ils ont soulevé ce point qu’ils s’étaient vus reconnaître la qualité de réfugiés par l’UNHCR. Ils soutiennent que l’agent était tenu de tenir compte de cette désignation et d’expliquer pourquoi il est parvenu à une conclusion contraire.

[20]  Les deux parties ont présenté à la Cour des décisions concernant la portée d’une décision antérieure de l’UNHCR lorsque les autorités canadiennes évaluent une demande d’asile au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs invoquent l’explication de la juge Snider aux paragraphes 57 à 59 de Ghirmatsion :

[57]  Il n’est fait aucune mention dans les notes du STIDI non plus que dans la décision du statut reconnu au demandeur par le HCR. Je conviens que la reconnaissance du statut de réfugié par le HCR n’a pas un caractère déterminant; l’agente avait pour mandat d’évaluer la crédibilité du demandeur et d’établir le bien‑fondé de sa demande au regard des lois canadiennes applicables. Selon le Guide OP 5, néanmoins, le HCR joue un rôle important et pertinent lorsqu’il s’agit de traiter les demandes selon la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières. À mon avis, le statut de réfugié accordé au demandeur par le HCR constituait, de manière personnelle, un facteur pertinent. Dans Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425 (QL) (C.F. 1re inst.), le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) avait affaire au défaut d’un décideur d’examiner un document pertinent qui concernait le demandeur de manière fort personnelle. Le juge Evans a alors énoncé le principe suivant fréquemment cité (paragraphe 17) :

[P]lus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[58]  La désignation comme réfugié par le HCR était un élément si important de la preuve du demandeur qu’il est possible de déduire du défaut de l’agente de l’avoir mentionnée dans ses motifs qu’elle a rendu sa décision sans en tenir compte. C’était pourtant une question centrale aux fins de la décision. Face à un demandeur reconnu comme réfugié par le HCR, l’agente aurait dû expliquer dans son évaluation de la demande pourquoi elle ne souscrivait pas à la décision de cet organisme. L’agente n’était pas tenue de souscrire aveuglément à la désignation du HCR; elle avait toutefois l’obligation d’en tenir compte. Or, faute pour un agent des visas d’avoir expliqué pourquoi il n’a pas souscrit à une désignation du HCR, la Cour n’a aucun moyen de savoir si cet élément de preuve d’une grande pertinence a été pris en compte.

[59]  L’erreur ainsi commise par l’agente constitue un motif suffisant d’infirmation de la décision. Je le répète, toutefois, la reconnaissance par le HCR du statut de réfugié n’a pas un caractère déterminant; il incombait toujours à l’agente d’évaluer par elle‑même la preuve dont elle était saisie, y compris la preuve concernant le statut de réfugié du HCR.

[21]  Le défendeur s’appuie pour sa part sur une décision plus récente, soit celle rendue par la juge Gagné dans Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621 [Gebrewldi], aux para 28 à 35 :

[28]  En ce qui concerne le statut reconnu aux demandeurs par le HCR, la Cour a mentionné que ce statut n’est pas déterminant et qu’en fait, un agent est tenu d’effectuer sa propre évaluation de l’admissibilité d’un demandeur au statut de réfugié, conformément au droit canadien (B231 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1218, au paragraphe 58; Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 57; Pushparasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 27). Le Guide OP 5, « Réinstallation à partir de l’étranger » (lignes directrices), indique que les agents des visas devraient tenir compte de la désignation reconnue à un demandeur par le HCR au moment d’examiner sa demande de statut de réfugié au Canada (Pushparasa, précité, au paragraphe 26; Ghirmatsion, précité, au paragraphe 56). Toutefois, les « lignes directrices n’ont pas force de loi et ne constituent pas un code définitif ou rigide » (Pushparasa, précité, au paragraphe 27). Par conséquent, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur déterminant dans le cadre d’une demande d’asile présentée au Canada.

[29]  Il est important de noter que la Cour a déclaré, à maintes reprises, qu’au moment d’examiner la décision d’un agent, l’analyse ne se limite pas à la lettre de décision. Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) font également partie des motifs de l’agent (Pushparasa, précisé, au paragraphe 15; Khowaja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 823, au paragraphe 3; Kotanyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 507, au paragraphe 26).

[30]  La Cour a déclaré que si un agent omet de faire référence au statut reconnu à un demandeur par le HCR dans les notes et dans la décision, il a alors commis une erreur susceptible de révision. Une telle erreur constitue un motif suffisant pour infirmer la décision (Ghirmatsion, précité, aux paragraphes 57 à 59). Cependant, la décision de la Cour dans Pushparasa indique que si, à la lecture de la décision et des motifs dans leur ensemble, il ressort clairement que l’agent « était au fait » de la désignation du demandeur à titre de réfugié, cela suffit au respect de la norme imposée (Pushparasa, précité, aux paragraphes 27 à 29). Dans Pushparasa, le juge Yvan Roy a déclaré ce qui suit :

Les notes du STIDI montrent clairement que l’agent était au fait de la désignation par le HCR au moment de l’entrevue du demandeur. Une photocopie de la carte valide figure à la page 55 du dossier certifié du tribunal [DCT]. Le dossier montre aussi un échange par courrier électronique entre un représentant et le HCR sur la question de savoir si le demandeur avait aussi présenté une demande aux États‑Unis (DCT, à la page 28). Lors de son entrevue avec les autorités canadiennes, le demandeur a été interrogé sur l’état des discussions avec les autorités de l’immigration des États‑Unis (Pushparasa, précité, au paragraphe 28).

[31]  Le juge Roy a ajouté qu’indépendamment de la désignation, l’agent avait conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences de la LIPR et du Règlement quant au bien‑fondé de sa demande, ce qui est un facteur déterminant. Le juge Roy a conclu que la décision de l’agent était raisonnable.

[32]  En l’espèce, il ressort clairement du dossier certifié du tribunal que l’agente était au fait de la désignation reconnue par le HCR aux demandeurs. Des photocopies des cartes de réfugiés délivrées par la République du Soudan au nom de la demanderesse principale et au nom de son mari figurent dans le dossier. Le dossier démontre également que dans les notes du SMGC, l’agente a reconnu le statut de réfugiés des demandeurs dans la République du Soudan et qu’elle y a fait référence.

[33]  Même si l’agente ne fait pas expressément référence au statut reconnu par le HCR aux demandeurs dans la lettre de décision, la décision dans son ensemble, qui comprend les notes et le dossier, contient des éléments qui indiquent qu’elle était au fait de ce statut. La jurisprudence exige que soit menée une évaluation approfondie de l’admissibilité d’un demandeur en vertu du droit canadien. C’est ce que l’agente a fait en l’espèce.

[34]  La décision de l’agente, lue dans son ensemble, établit qu’elle a reconnu le statut de réfugié des demandeurs et qu’une évaluation approfondie du bien‑fondé de la demande a été menée, conformément au droit canadien.

[35]  Ni le statut reconnu par le HCR aux demandeurs, ni les documents sur la situation dans le pays ne peuvent remplacer la preuve personnelle. Compte tenu des préoccupations importantes en matière de crédibilité soulevées par l’agente et du fondement même de la demande des demandeurs, je suis d’avis que la décision appartient aux issues possibles acceptables. Par conséquent, la décision de l’agente est raisonnable et je ne vois aucune raison de la modifier.

[22]  Suivant mon application des principes définis dans ces précédents, je ne vois aucune raison de revenir sur la décision de l’agent. Les notes de ce dernier consignées dans le SMGC mentionnent le statut conféré par l’UNHCR aux demandeurs. Conformément à l’analyse menée dans Gebrewldi, il est évident que l’agent était conscient de ce statut. Les demandeurs soutiennent qu’il était en plus tenu d’expliquer pourquoi il n’a pas souscrit à la désignation (voir Ghirmatsion, au para 58). Cependant, je juge que cette explication se retrouve dans l’analyse effectuée par l’agent quant à la crédibilité.

[23]  Les demandeurs font également valoir que l’agent a eu tort de ne pas tenir compte de tous les motifs de persécution susceptibles de s’appliquer compte tenu des conditions en Érythrée, ni de la catégorie des personnes de pays d’accueil au titre de la Loi. Cependant, je conviens avec le défendeur qu’une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ne peut aboutir simplement en raison des conditions défavorables qui règnent dans le pays d’origine au chapitre des droits de la personne. Les demandeurs d’asile doivent établir un lien entre leur situation et la persécution qui règne dans ce pays (voir p. ex., Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 563, au para 14). Ayant conclu que la preuve des demandeurs liée à leurs circonstances personnelles n’était pas crédible, il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas être convaincu qu’ils remplissaient les exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières.

[24]  En ce qui concerne la catégorie des personnes de pays d’accueil, les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas considéré leur admissibilité au titre de cette catégorie. D’après eux, les notes du SMGC démontrent que l’agent n’a considéré que la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières, puisque ces notes se terminent par la mention suivante : [traduction« Compte tenu des documents et des renseignements dont je dispose, je ne suis pas convaincu que [le demandeur principal] satisfasse à la définition de réfugié ».

[25]  Cet argument pose problème, car il fait abstraction du contenu de la lettre du 11 février 2019 dans laquelle l’agent fait part de sa décision. Cette lettre mentionne les exigences relatives à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières au titre de l’article 145 du Règlement et à celle des personnes de pays d’accueil au titre de l’article 147. Elle indique ensuite, compte tenu des disparités relevées entre l’exposé circonstancié écrit et le témoignage, que l’agent n’est pas convaincu que le demandeur principal appartienne à [traduction« l’une des catégories prescrites ». La lettre atteste que l’agent a rejeté la demande d’asile des demandeurs à la fois au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de celle des personnes de pays d’accueil, en raison de préoccupations liées à la crédibilité ayant fondé la décision. Encore une fois, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de l’agent.

C.  L’agent a‑t‑il contrevenu à l’équité procédurale en ne fournissant pas aux demandeurs une occasion adéquate de répondre à ses préoccupations?

[26]  De ce que je saisis de leurs observations, les demandeurs reconnaissent que l’agent leur a donné durant l’entrevue la possibilité de répondre à ses préoccupations en matière de crédibilité qu’il a évoquées en détail à cette occasion. Ils soutiennent toutefois que l’occasion qui leur a été offerte était insuffisante et affirment par exemple qu’il aurait peut‑être été approprié de leur fournir une lettre d’équité procédurale exposant par écrit les préoccupations.

[27]  Je conclus que cet argument est peu fondé. Les notes du SMGC indiquent que l’agent a fait part au demandeur principal des incohérences particulières ayant finalement abouti aux conclusions défavorables en matière de crédibilité et qu’il a réclamé des explications. Les demandeurs n’ont avancé aucune décision étayant la position portant que les principes d’équité procédurale obligeaient l’agent à exposer par écrit les préoccupations en matière de crédibilité surgies durant l’entrevue. J’estime que l’occasion que leur a donnée l’agent durant l’entrevue satisfait aux exigences applicables en matière d’équité procédurale.

D.  L’agent a‑t‑il déraisonnablement ou incorrectement invoqué l’article 11 de la Loi?

[28]  Les demandeurs font valoir que l’agent a irrégulièrement invoqué l’article 11 de la Loi. Je crois comprendre, compte tenu des observations écrites et des arguments oraux des parties, que les demandeurs ont soulevé cette question de l’article 11 de la Loi en réponse aux arguments initialement avancés par le défendeur. La disposition applicable, soit le paragraphe 11(1) de la Loi, est libellée ainsi :

Visa et documents

Application before entering Canada

11(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[29]  Le défendeur soutient dans son mémoire des arguments que l’agent a le droit de refuser une demande au titre du paragraphe 11(1) lorsque la preuve permettant d’établir si le demandeur est interdit de territoire est insuffisante. Le défendeur a invité la Cour à consulter des décisions telles que Sadeq Samandar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1117, au para 23, à l’appui du principe portant que l’agent peut ne pas être convaincu que le demandeur n’est pas interdit de territoire en raison de préoccupations liées à la véracité de son témoignage.

[30]  En réponse à ces arguments, les demandeurs soutiennent que la jurisprudence invoquée par le défendeur portait sur des affaires dans lesquelles les préoccupations liées à l’interdiction de territoire [traduction« couvaient sous la surface ». Ils soutiennent que l’agent ne peut s’appuyer sur des [traduction« préoccupations imaginaires liées à l’interdiction de territoire » pour invoquer l’article 11. En d’autres mots, cette disposition peut être invoquée lorsqu’il n’est pas possible d’évaluer des préoccupations manifestes liées à une interdiction de territoire en raison de problèmes de crédibilité. Les demandeurs font valoir qu’il n’existait pas de telles préoccupations liées à une interdiction de territoire en l’espèce.

[31]  Il n’est pas nécessaire d’en dire davantage sur cette question qui a été soulevée selon moi à cause d’une incompréhension de la décision. Aux termes du paragraphe 11(1), l’agent qui examine une demande de visa doit le délivrer s’il est convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire ET qu’il remplit les exigences de la Loi. De ce que je saisis de la décision rendue en l’espèce, l’agent a rejeté la demande des demandeurs non pas en raison de préoccupations liées à leur interdiction de territoire, mais plutôt parce qu’il n’était pas convaincu que les exigences de la Loi (et du Règlement pris en vertu de cette Loi) avaient été remplies. C’est‑à‑dire que les demandeurs n’ont pas convaincu l’agent qu’ils remplissaient les exigences de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de celle des personnes de pays d’accueil. La décision ne reposait pas sur des préoccupations liées à l’interdiction de territoire.

[32]  À ce titre, l’argument des demandeurs concernant l’article 11 ne justifie pas de conclure que la décision est déraisonnable.

VI.  Conclusion

[33]  Comme je n’ai relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2415‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2415‑19

INTITULÉ :

ESAK YAKOB ABREHAM, YORDANOS KIFLE FISHATSION, MILYON ESAK YAKOB (REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ESAK YAKOB ABREHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 août 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 17 septembre 2020

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

pour les demandeurs

Nadine Silverman

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aide juridique Ontario

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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