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Date : 20201222


Dossiers : T‑1631‑19

T‑1633‑19

Référence : 2020 CF 1181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2020

En présence de madame la juge Roussel

Dossier : T‑1631‑19

ENTRE :

REBEL NEWS NETWORK LTD

demanderesse

et

CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATES COMMISSION) et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Dossier : T‑1633‑19

ET ENTRE :

ANDREW JAMES LAWTON et TRUE NORTH CENTRE FOR PUBLIC POLICY

demandeurs

et

CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATES COMMISSION) et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Les présents motifs concernent quatre (4) requêtes qui ont été instruites ensemble le 18 juin 2020.

[2] La Commission des débats des chefs [la Commission] sollicite une ordonnance radiant dans leur intégralité et sans autorisation de modification les avis de demande de contrôle judiciaire déposés respectivement par Rebel News Network Ltd [Rebel News] dans le dossier nT‑1631‑19, et par Andrew James Lawton et True North Centre for Public Policy [collectivement appelés True North] dans le dossier nT-1633-19. Selon la Commission, les demandes sont théoriques.

[3] True North sollicite une ordonnance lui accordant l’autorisation de modifier son avis de demande.

[4] Enfin, Rebel News sollicite, en vertu des articles 317 et/ou 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles des CF] une ordonnance enjoignant à la Commission de produire un meilleur dossier certifié du tribunal.

[5] Pour les motifs qui suivent, les requêtes présentées par la Commission en vue de faire radier les avis de demande de contrôle judiciaire de Rebel News et de True North sont accueillies et la requête présentée par True North en vue de faire modifier son avis de demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de mes conclusions sur les deux (2) premières requêtes, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la requête présentée par Rebel News en vue de forcer la Commission à produire un meilleur dossier certifié du tribunal.

II. Contexte

A. Parties à la requête

[6] Rebel News est une société constituée sous le régime d’une loi fédérale qui [traduction] « exploite sur l’ensemble du territoire canadien une entreprise populaire d’actualités et de médias en ligne ».

[7] True North est un organisme de bienfaisance enregistré auprès du gouvernement du Canada, dont le siège social est situé à Richmond, en Colombie-Britannique. Elle traite de l’actualité canadienne et internationale sur son site Web.

[8] Andrew Lawton est collaborateur et rédacteur chez True North.

[9] La Commission a été créée par le décret C.P. 2018-1322, à titre d’organisme indépendant chargé notamment « d’organiser un débat des chefs dans chaque langue officielle au cours de chaque période électorale d’une élection générale ». La Commission a organisé les débats des chefs fédéraux de 2019 [les débats] qui ont eu lieu en anglais le 7 octobre 2019 et en français le 10 octobre 2019.

[10] Le Procureur général du Canada [le PGC] a également été constitué partie défenderesse dans les dossiers T-1631-19 et T-1633-19. Il a soumis de brèves observations à l’appui des requêtes présentées par la Commission en vue de faire radier les avis de demandes de Rebel News et de True North.

B. Les débats des chefs et le processus d’accréditation

[11] Le 23 septembre 2019, la Commission a publié un communiqué de presse précisant la date des débats de 2019 et contenant un avis aux médias selon lequel « [l]es représentants des médias qui désirent couvrir les débats doivent faire une demande d’accréditation au moyen du Portail d’accréditation du gouvernement du Canada [qui] est maintenant ouvert et [qui] fermera à 23 h 59 HAE le 4 octobre 2019 ». Aucun renseignement supplémentaire n’a été fourni dans le communiqué de presse concernant le processus d’accréditation ou les critères appliqués pour accepter ou refuser une demande d’accréditation.

[12] Au cours du délai qui leur était imparti pour soumettre une demande, David Menzies et Keean Bexte, de Rebel News, et Andrew Lawton, de True North, ont fait une demande d’accréditation.

[13] Après avoir consulté le Secrétariat de la Tribune de la presse parlementaire canadienne [le Secrétariat de la Tribune de presse], la Commission a élaboré et adopté le 3 octobre 2019 des lignes directrices d’accréditation qui n’ont pas été rendues publiques. Il y était indiqué que « la Commission accréditera les journalistes et les organismes médiatiques qui respectent les normes reconnues en matière de journalisme indépendant. Elle écarte les organismes médiatiques qui participent à des plaidoyers et à de l’activisme politique ».

[14] Le 4 octobre 2019, le chef du Secrétariat de la Tribune de presse a informé Rebel News et True North que l’accréditation leur était refusée. Voici le texte de ces décisions [les décisions] :

[traduction]

[s’agissant de Rebel News]

Votre demande d’accréditation médiatique pour les débats des chefs fédéraux de 2019 a été refusée. Nous sommes d’avis que votre organisme participe activement à des activités militantes.

[s’agissant de True North]

Votre demande d’accréditation médiatique pour les débats des chefs fédéraux de 2019 a été refusée. La section « about » du site tnc.news fait clairement état du fait que True North participe activement à des activités militantes.

C. Demandes de contrôle judiciaire

[15] Le 7 octobre 2019, Rebel News a introduit une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle alléguait que la Commission n’avait pas respecté ses droits procéduraux et ses droits substantiels. Plus précisément, elle affirmait que la Commission avait agi de façon injuste, déraisonnable, illégale et arbitraire : (1) en ne communiquant pas de critères valables pour accréditer Rebel News et pour évaluer sa carte de presse; (2) en permettant à la partisanerie politique d’influencer et d’entacher l’examen de la Commission; (3) en accordant l’accréditation à d’autres représentants des médias qui, de toute évidence, [traduction] « participent activement à des activités militantes »; (4) en ne motivant pas suffisamment sa décision.

[16] En plus de demander l’autorisation de faire instruire d’urgence sa demande de contrôle judiciaire, Rebel News sollicitait les réparations suivantes :

  • a) une ordonnance annulant la décision de la Commission et la remplaçant par une ordonnance accordant à Rebel News l’accréditation requise pour lui permettre d’assister aux débats et de les couvrir;

  • b) à titre subsidiaire, une ordonnance annulant la décision et la renvoyant à la Commission avec la directive d’accorder à Rebel News l’accréditation requise pour lui permettre d’assister aux débats et de les couvrir;

  • c) un jugement déclaratoire portant que la Commission a agi de façon injuste, déraisonnable, illégale et arbitraire en prenant sa décision sans disposer d’un dossier suffisant et en ne motivant pas suffisamment sa décision;

  • d) un jugement déclaratoire portant que la Commission a agi de façon injuste, déraisonnable et/ou illégale en refusant d’accorder l’accréditation à Rebel News au motif qu’elle participerait à des activités militantes, tout en accordant l’accréditation à d’autres médias et représentants des médias qui participent à des activités militantes;

  • e) un jugement déclaratoire portant que la Commission a manqué à son obligation de répondre aux attentes légitimes de Rebel News, qui s’attendait à ce que la commission examine sa demande de manière équitable et transparente, sans parti pris politique;

  • f) un jugement déclaratoire portant que la Commission a violé les droits acquis de Rebel News à ce que sa demande soit examinée de manière équitable et transparente, sans parti pris politique;

  • g) un jugement déclaratoire portant que la Commission a agi de façon injuste, déraisonnable et illégale en faisant participer le chef du Secrétariat de la Tribune de presse à la prise de décision et/ou lui confiant l’initiative de prendre cette décision alors qu’il ne faisait pas partie de la Commission chargée de le faire;

  • h) un jugement déclaratoire portant que la Commission n’a pas suivi ses propres processus, procédures et protocoles ou le décret la constituant;

  • i) une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir une copie du compte rendu complet du processus décisionnel ayant conduit à cette décision, et notamment :

    • (i) les critères appliqués pour décider quels représentants des médias devaient être accrédités;

    • (ii) les éléments sur lesquels la Commission s’est fondée pour prendre sa décision;

    • (iii) les courriels ou autres types de correspondance échangés entre les commissaires au sujet de la décision;

    • (iv) le décompte du vote des commissaires;

    • (v) la participation, le titre et le rôle du chef du Secrétariat de la Tribune de presse dans le processus décisionnel et la décision;

    • (vi) tout autre document utilisé ou cité dans le cadre du processus décisionnel ou pour parvenir à la décision elle-même;

  • j) une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir une liste complète des critères de sélection appliqués par la Commission pour décider d’accorder l’accréditation;

  • k) une ordonnance enjoignant à la Commission de préciser à quel moment la décision avait été prise, compte tenu du fait qu’elle a été transmise le dernier jour ouvrable avant le débat en anglais, ce qui excluait toute possibilité réelle de faire appel de la décision ou d’en demander le contrôle judiciaire;

  • l) une ordonnance enjoignant à la Commission— qui s’est notamment donné comme objectif d’améliorer la transparence — de communiquer une liste de ceux à qui l’accréditation a été accordée et de confirmer qu’aucun d’entre eux ne participe à quelque type que ce soit d’activités militantes;

  • m) une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir des renseignements détaillés au sujet de ses relations avec le chef du Secrétariat de la Tribune de presse, notamment des précisions permettant de savoir à quel titre et en vertu de quel pouvoir le chef agissait lorsqu’il a examiné et refusé les demandes d’accréditation de Rebel News.

[17] Le même jour, True North a introduit une demande de contrôle judiciaire. Dans son avis de demande, elle allègue que la procédure suivie par la Commission était injuste, que sa décision n’était pas suffisamment motivée et que la conduite de la Commission était [traduction] « arbitraire » et équivalait à [traduction] « une tentative de censure ». Elle sollicitait les réparations suivantes :

  • a) une ordonnance annulant la décision de la Commission;

  • b) une ordonnance enjoignant à la Commission de lui communiquer des éléments d’information concrets et raisonnables lui permettant de comprendre sa décision, y compris le détail du processus décisionnel suivi par la Commission pour examiner les demandes d’accréditation, les raisons pour lesquelles la Commission a pris cette décision, des explications indiquant en quoi sa décision est compatible avec son mandat, ainsi que des précisions sur les personnes qui ont participé à la décision;

  • c) une ordonnance enjoignant à la Commission de fournir des renseignements détaillés au sujet des relations entre le chef du Secrétariat de la Tribune de presse et la Commission, notamment des précisions permettant de savoir à quel titre et en vertu de quel pouvoir le chef agissait lorsqu’il a examiné et refusé les demandes d’accréditation de TrueNorth.

D. Injonctions

[18] Le 7 octobre 2019, Rebel News et True North ont également déposé des requêtes tendant à obtenir : 1) une injonction interlocutoire visant à obtenir une ordonnance accordant aux demandeurs l’accréditation requise pour couvrir les débats ou 2) à titre subsidiaire, une injonction interlocutoire visant à obtenir une ordonnance enjoignant à la Commission de leur accorder l’accréditation [les requêtes en injonction].

[19] Comme le débat en anglais et le débat en français devaient avoir lieu respectivement le 7 octobre 2019 et le 10 octobre 2019, le juge Russel W. Zinn a entendu les requêtes en injonction le 7 octobre 2019.

[20] Le 7 octobre 2019, le juge Zinn a conclu que Rebel News et True North avaient satisfait au critère à trois volets leur permettant d’obtenir l’injonction qu’elles demandaient. Il a rendu les deux ordonnances suivantes :

  • a) La Commission des débats des chefs/Leaders’ Debates Commission accordera à David Menzies et à Keenan [sic] Bexte de Rebel News l’accréditation médiatique requise pour leur permettre d’assister aux débats des chefs fédéraux ayant lieu le lundi 7 octobre 2019 en anglais et le jeudi 10 octobre 2019 en français et de les couvrir;

  • b) La Commission des débats des chefs/Leaders’ Debates Commission accordera à Andrew James Lawton de True North Centre de Public Policy l’accréditation médiatique requise pour lui permettre d’assister aux débats des chefs fédéraux ayant lieu le lundi 7 octobre 2019 en anglais et le jeudi 10 octobre 2019 en français et de les couvrir.

[21] La Commission a accrédité Rebel News et True North, qui ont participé aux débats et les ont couverts et qui ont participé à la mêlée de presse qui a suivi le face-à-face.

[22] Le 17 octobre 2019, la Commission a déposé un avis d’appel visant à faire annuler les ordonnances du juge Zinn.

[23] Le 13 novembre 2019, le juge Zinn a motivé par écrit ses ordonnances.

[24] Il a tout d’abord conclu que les demandes de Rebel News et de True North étaient susceptibles d’être accueillies sur le fond et que les décisions seraient annulées au motif qu’elles étaient déraisonnables et inéquitables sur le plan procédural. Il a fait observer ce qui suit :

[32] Malgré leur brièveté, je conclus que les décisions faisant l’objet du contrôle servent de fondement à la décision de refus d’accréditation, notamment le fait que, selon la Commission, les demandeurs participent à des plaidoyers. Toutefois, je conclus que les décisions manquent de discernement, de rationalité et de logique, et qu’elles ne sont donc ni justifiées ni intelligibles.

[33] Il ne ressort pas clairement des décisions ou du mandat de la Commission pourquoi le plaidoyer empêcherait un demandeur d’obtenir une accréditation [...] À mon avis, le dossier ne permet pas d’appuyer pas cette observation.

[...]

[37] Il y a également des éléments de preuve au dossier selon lesquels certaines des organisations de presse ont déjà soutenu des candidats et des partis en particulier lors d’élections générales. La Commission répond que dans ces cas, les plaidoyers figuraient dans les éditoriaux ou étaient produits par des chroniqueurs. Il est donc possible de se demander où doit être fixée la limite quant à ce qui constitue ou non un plaidoyer qui empêche un demandeur d’être accrédité. Une telle question renvoie au manque de rationalité et de logique concernant l’exigence interdisant les plaidoyers.

[38] Il en va de même pour le manque de transparence. Sans aucune explication quant à la signification à donner au[x] terme[s] [traduction] « plaidoyer » [et « activités militantes »] et comme la Commission a accrédité certaines organisations ayant participé à des plaidoyers, je comprends mal pourquoi la Commission a rendu de telles conclusions en ce qui concerne les demandeurs.

[39] Par conséquent, je conclus que les demandeurs sont susceptibles d’obtenir gain de cause sur le fond en annulant les décisions jugées déraisonnables.

[...]

[57] Il ressort des décisions que le motif de refus d’accréditation était que Rebel News et True North [...] [traduction] « participe[nt] activement à des plaidoyers. À aucun moment la Commission n’a informé les demandeurs des exigences relatives à l’obtention d’une accréditation. Si le but de la Commission était que l’accréditation ne soit pas accordée aux organisations qui participent activement à des plaidoyers, il aurait alors dû être énoncé dans une procédure juste et ouverte, adaptée quant à l’importance de la décision prise, que les activités de plaidoyer auraient une incidence négative sur la décision d’accorder l’accréditation et les demandeurs auraient alors dû avoir la possibilité de donner leur point de vue et de prouver à la Commission s’ils participaient ou non à des plaidoyers.

[58] Comme je l’ai mentionné précédemment, il est tout aussi déconcertant que la Commission n’ait fourni aucune description de ce que l’on entend par [traduction] « plaidoyer » [et par « activités militantes »] dans l’examen de ces demandes et qu’il existe des éléments de preuve selon lesquels certains organismes de presse accrédités participent à des plaidoyers. La Commission n’explique pas pourquoi certains types de plaidoyers n’ont pas d’incidence sur l’accréditation tandis que d’autres en ont une.

[59] Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs sont susceptibles d’avoir gain de cause lors de l’audience sur le fond en contestant les décisions relatives à l’accréditation pour le motif qu’elles sont toutes deux déraisonnables et injustes sur le plan de la procédure.

[...]

[25] Deuxièmement, le juge Zinn a conclu que les décisions de la Commission causeraient un tort irréparable à Rebel News et à True North en les privant de la possibilité de participer à la mêlée de presse.

[26] Troisièmement, le juge Zinn a conclu que la prépondérance des inconvénients militait en faveur de Rebel News et de True North.

[27] La Commission s’est désistée de son appel le 9 décembre 2019.

E. Les requêtes dont la Cour est saisie

[28] Le 23 janvier 2020, la Commission a déposé des requêtes visant à obtenir la radiation, dans leur intégralité et sans autorisation de modification, des avis de demande de contrôle judiciaire déposés par Rebel News et par True North au motif que ces demandes étaient devenues théoriques. La Commission affirme de façon générale qu’il n’existe plus de litige réel entre les parties.

[29] Le 10 février 2020, True North a signifié à la Commission une requête en autorisation de modifier son avis de demande.

[30] Le même jour, Rebel News a déposé une requête visant à obtenir, en vertu des articles 317 et/ou 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles des CF] une ordonnance enjoignant à la Commission de produire des documents qui sont pertinents quant à sa demande de contrôle judiciaire et qui, selon ce qu’elle affirme, auraient dû faire partie du dossier certifié du tribunal que la Commission a produit en décembre 2019.

[31] Le 11 mars 2020, la protonotaire Martha Milczynski a ordonné l’instruction conjointe des quatre (4) requêtes.

III. Analyse

A. Principes juridiques applicables

[32] L’article 221 des Règles des CF permet à la Cour de radier tout acte de procédure qui « ne révèle aucune cause d’action valable ». La Cour d’appel fédérale a reconnu que, même si cet article s’applique aux actions, une demande de contrôle judiciaire peut également être radiée en vertu de la compétence absolue qu’a la Cour pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588, à la p. 600 (CAF) [David Bull]; Canada (Ministre du Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 47 et 48 [JP Morgan]; 1397280 Ontario Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2020 CF 20 au para 11).

[33] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que le critère minimal à satisfaire pour pouvoir radier une demande de contrôle judiciaire est le même que dans le cas de la radiation d’une action (Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 32 et 33 [Wenham]). Une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire ne devrait être accueillie que dans la situation exceptionnelle dans laquelle la demande est « manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull, à la p. 600). Le critère applicable à la radiation d’une demande a également été formulé comme suit : est-il évident et manifeste que la demande est vouée à l’échec? (Wenham, au para 33 et 65) ou encore : est-on en présence d’un défaut dirimant ou d’une déficience flagrante, c’est-à-dire d’un « vice fondamental et manifeste [...] qui infirmerai[t] à la base [la capacité de notre Cour] à instruire la demande » (JP Morgan, au para 47).Notre Cour a, tout comme la Cour d’appel fédérale, jugé qu’il était possible de radier un avis de demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique (Cardin c Canada (Procureur général), 2017 CAF 150 au para 8; Lukács c Canada (Office des Transports), 2016 CAF 227 au para 1, 6 [Lukács]; Kardava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 159; Moses c Canada, 2003 CF 1417 au para 11[Moses]; Fogal c Canada, [1999] ACF no 788 [Fogal]).Une affaire est théorique lorsqu’il n’y a plus de question à trancher entre les parties et qu’une ordonnance n’aurait pas de portée pratique (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 au para 15 et 16 [Borowski]; Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 au para 10 [Démocratie en surveillance]; Lukács, au para 7). Si l’affaire est théorique, la Cour peut malgré tout décider d’instruire quand même la cause si les circonstances le justifient. Voici les facteurs dont la Cour tient compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire : 1) la présence ou l’absence de débat contradictoire, (2) l’opportunité d’utiliser des ressources judiciaires limitées; (3) la sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur. L’examen de ces facteurs n’est pas un processus mécanique. Pour exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour devrait tenir compte de l’ensemble des facteurs, tout en reconnaissant que ceux-ci ne tendront peut-être pas tous vers la même conclusion (Démocratie en surveillance, au para 13).

B. Les demandes sont théoriques

[34] Je suis d’accord avec la Commission et le PGC pour dire que les demandes de Rebel News et de True North sont théoriques.

[35] Dans leur avis de demande de contrôle judiciaire respectif, Rebel News et True North affirment que la Commission a agi de façon déraisonnable et a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de leur accorder l’accréditation requise pour leur permettre d’assister aux débats et de les couvrir. Le juge Zinn a examiné ces allégations lors de l’instruction des requêtes en injonction le 7 octobre 2019. Il a conclu que Rebel News et True North avaient satisfait au critère à trois volets applicable à l’injonction demandée et a ordonné à la Commission d’accorder l’accréditation à Rebel News et à True North, qui ont par la suite assisté aux débats et les ont couverts. Le juge Zinn a également estimé que la conclusion de la Commission selon laquelle Rebel News et True North avaient participé à des « activités militantes » manquait de logique et de transparence et que la Commission avait selon toute vraisemblance manqué à son obligation d’équité procédurale.

[36] Lorsque le juge Zinn a fait droit à leur demande d’injonction le 7 octobre 2019, Rebel News et True North ont obtenu l’essentiel des réparations qu’elles cherchaient à obtenir par leur demande. Le fondement sous-jacent du différend entre les parties n’existe plus. Permettre à ces demandes de suivre leur cours n’aurait aucun effet pratique sur les droits des parties.

[37] Rebel News affirme qu’il reste des questions à trancher entre les parties et en veut pour preuve son avis de demande, dans lequel elle réclame d’autres réparations en plus de l’accréditation qui lui permettrait d’assister aux débats. True North affirme elle aussi qu’il y a encore des questions accessoires à examiner, notamment les faits à l’origine de l’élaboration de la politique sur laquelle cette décision serait fondée et qui, à son avis, pourrait guider le pouvoir exécutif lorsqu’il sera appelé à l’avenir à se prononcer sur des demandes d’accréditation des médias. True North affirme que d’importantes questions concernant le bien-fondé des mesures prises par la Commission demeurent sans réponse.

[38] Les mesures accessoires réclamées par Rebel News et par True North ne constituent pas une question à trancher entre les parties.

[39] Dans son avis de demande, Rebel News sollicite un certain nombre de jugements déclaratoires confirmant que la Commission a agi de façon injuste, déraisonnable et illégale dans le processus décisionnel qu’elle a suivi. Les jugements déclaratoires réclamés s’apparentent davantage à des conclusions qu’un tribunal peut tirer pour annuler une décision qu’à des réparations accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Par exemple, si le juge du fond souscrit à l’avis du juge Zinn suivant lequel la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision, cette conclusion fera partie des motifs du juge. Une partie ne peut réclamer un jugement déclaratoire enjoignant au tribunal de motiver davantage sa décision. Dans le même ordre d’idées, si le juge conclut que la Commission a agi de façon injuste, cette conclusion ferait probablement partie des motifs de sa décision et non d’un jugement déclaratoire.

[40] Cela dit, même si les jugements déclaratoires réclamés par Rebel News faisaient partie des réparations que l’on peut obtenir dans le cadre d’un contrôle judiciaire, notre Cour a jugé qu’on ne peut pas se soustraire à l’application de la doctrine du caractère théorique par le biais d’une demande de jugement déclaratoire. Le tribunal refuse de rendre un jugement déclaratoire lorsqu’il n’y a plus de litige réel (Moses, au para 13; Assoc. Pauktuutit des femmes inuit c. Canada, 2003 CFPI 139 au para 14; Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137 au para 21 [Rahman]; Fogal, au para 24 et 25).

[41] Il n’y a aucune garantie que le juge qui statuera sur le fond se prononcera sur toutes les questions soulevées par Rebel News. Le juge n’est pas tenu d’aborder toutes les questions soulevées par les parties dès lors qu’une seule de ces questions lui permet de trancher le litige. En l’espèce, le juge Zinn a conclu que la décision manquait de rationalité et de logique et ne permettait pas de savoir en quoi le fait de se livrer à des activités militantes empêchait quelqu’un d’être accrédité. La décision n’était donc ni justifiée ni intelligible. Le juge du fond pourrait décider d’annuler la décision pour ce seul motif, laissant donc que les questions accessoires soulevées dans l’avis de demande sans réponse.

[42] Quant aux autres réparations réclamées par Rebel News et par True North dans leur avis de demande, elles ne sont pas du type de celles qu’on peut généralement obtenir dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Rebel News et True North demandent à la Cour de rendre des ordonnances enjoignant à la Commission de fournir des renseignements et des documents et de répondre à une série de questions sur le processus décisionnel. Après examen des réparations demandées, je constate que Rebels News et True North tentent de transformer leur demande de contrôle judiciaire en commission d’enquête. Les ordonnances qu’elles sollicitent s’apparentent par ailleurs davantage à des demandes d’accès à l’information. Le fait que la Commission n’est pas assujettie à la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 ne donne pas à Rebel News et à True North le droit de transformer une demande de contrôle judiciaire en mécanisme d’obtention de documents par d’autres moyens que ceux qui sont prévus par les Règles des CF. Néanmoins, même si elles devaient obtenir les ordonnances qu’elles réclament, ces ordonnances n’auraient aucune conséquence ou effet juridique pratique. Rebel News et True North ont déjà obtenu la réparation essentielle qu’elles réclamaient et le litige sous-jacent est purement théorique.

C. Modifier l’avis de demande ne met pas les demandeurs à l’abri d’une conclusion que leur demande est théorique

[43] True North soutient, par le biais de sa requête en autorisation de modifier, qu’elle sollicite des réparations supplémentaires qui sont fondamentales pour les parties et qui sont dans l’intérêt public. Elle demande en particulier à la Cour :

  • a) de rendre une ordonnance enjoignant à la Commission de [traduction] « fournir tous les détails des consultations qui, selon la Commission, auraient eu lieu entre elle et le Secrétariat de la Tribune de presse, ou l’un quelconque de ses membres, y compris notamment les courriels, le détail des réunions et toute autre communication »;

  • b) [traduction] « un jugement déclaratoire portant que la décision viole la liberté de presse et la liberté d’expression garanties aux demandeurs par l’alinéa 2b) de la [Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Charte]] ».

[44] True North affirme que les réparations demandées découlent essentiellement des mêmes faits que la réparation réclamée dans l’avis de demande initiale et que la Cour devrait néanmoins analyser ces allégations dans le cadre de son examen [traduction] « global ».

[45] Se fondant sur l’arrêt Canderel Ltd c Canada, [1994] 1 CF 3 (CAF) au paragraphe 10, True North soutient que la Cour devrait permettre que des modifications soient apportées aux actes de procédure à tout stade de l’action pour déterminer la véritable question en litige entre les parties. Il convient d’autoriser ces modifications dans la mesure où cela ne cause pas à la partie adverse un préjudice qui ne saurait être réparé par une adjudication de dépens et où cela est dans l’intérêt de la justice.

[46] La Commission ne s’oppose pas à ce que True North modifie son avis de demande pour plaider l’alinéa 2b) de la Charte. Elle s’oppose toutefois à plusieurs des autres modifications proposées par True North. Elle fait valoir que, lorsqu’elle est saisie d’une requête en modification d’un avis de demande, la Cour doit d’abord examiner la question préliminaire de savoir si la modification « comporte une possibilité raisonnable de succès » dans le contexte du droit et du processus judiciaire (GCT Canada Limited Partnership c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2020 CF 348 au para 67). Pour déterminer si la modification a une possibilité raisonnable de succès, la Cour tient compte de la pertinence des actes de procédure.

[47] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que les modifications proposées par True North ne mettent pas sa demande à l’abri de la conclusion qu’elle est théorique. Même si je devais accepter que, dans les modifications qu’elle propose, True North réclame également des réparations en vertu de la Charte, le fait d’alléguer une violation de la Charte ne transforme pas automatiquement une demande de nature théorique en un litige réel, et n’oblige pas la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider d’examiner une demande de nature théorique. La réponse à la question de savoir si la Commission a violé les droits garantis à True North par la Charte n’aura aucun effet pratique sur les droits de True North, qui a obtenu l’essentiel de la réparation qu’elle sollicitait, en l’occurrence être accréditée et pouvoir participer aux débats.

[48] De plus, la conclusion par laquelle True North demande à la Cour d’ordonner à la Commission de fournir tous les détails des consultations qui ont eu lieu entre elle et le Secrétariat de la Tribune de presse déborde le cadre d’un contrôle judiciaire et est contraire à son objectif. Aucune des réparations prévues à l’alinéa 18.1a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, ne s’applique à la demande de True North, y compris un bref de mandamus, pour lequel plusieurs conditions doivent être réunies avant que la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire.

[49] Plusieurs des autres modifications que True North souhaite apporter à son avis de demande ne satisfont pas non plus aux exigences de base que doivent respecter les actes de procédure dans le cadre d’un avis de demande et elles seraient radiées en raison de leur caractère théorique pour les mêmes raisons que celles qui s’appliquent à la demande principale.

[50] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la requête présentée par True North en vue de modifier son avis de demande de contrôle judiciaire.

D. Les demandes ne devraient pas être examinées sur le fond

[51] Comme j’ai conclu que les demandes de contrôle judiciaire sont théoriques, je passe à la deuxième étape de l’analyse pour examiner si je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en permettant l’instruction sur le fond des demandes. Comme je l’ai signalé précédemment, les facteurs dont notre Cour tient compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire sont les suivants : (1) la présence ou l’absence de débat contradictoire (2) l’opportunité d’utiliser des ressources judiciaires limitées et (3) la sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur.

[52] La Commission fait valoir qu’il n’y a pas de débat contradictoire utile en droit en ce qui a trait à la question pour laquelle la réparation est demandée, en l’occurrence l’accréditation de Rebel News et de True North. Le juge Zinn a ordonné à la Commission de réexaminer sa décision en leur faveur et d’accréditer les journalistes, ce que la Commission a fait. Les débats ont eu lieu. Il n’y a plus de question de fond à plaider. En outre, l’avenir de la Commission est incertain. La question de savoir si elle continuera à exister dans sa forme actuelle est, au mieux, incertaine. Dans ces conditions, il n’y a pas de débat contradictoire actif à l’égard duquel notre Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire en décidant de statuer sur ces demandes théoriques.

[53] La Commission fait également valoir qu’aucun des facteurs de l’analyse relative à l’économie des ressources judiciaires — en l’occurrence la question de savoir si la même question est susceptible de se présenter de nouveau et échappe au contrôle judiciaire et celle de savoir si cette question théorique est une question d’intérêt national ou d’importance publique — ne donne à penser que la Cour devrait utiliser ses ressources limitées.

[54] Enfin, la Commission est d’avis que le fait de statuer sur les demandes de nature théorique risque d’empiéter sur les pouvoirs du législateur fédéral, étant donné que la constitution d’une commission chargée d’organiser les débats constitue le privilège exclusif du pouvoir exécutif.

[55] En réponse, Rebel News affirme de façon générale que la conclusion que les questions soulevées dans la demande sont théoriques aurait concrètement pour effet de soustraire à tout type de contrôle judiciaire les décisions de la Commission et de tout autre organisme analogue. Elle affirme en outre que la demande soulève des questions d’intérêt national et d’importance publique parce qu’elle a des répercussions sur les médias, le journalisme, la démocratie et la liberté de presse. Dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, des élections pourraient être déclenchées à tout moment et on se retrouvera avec un échéancier aussi serré. Les deux parties sont directement concernées par l’issue de l’affaire. Rebel News soutient qu’à tout le moins, une décision devrait être rendue après avoir examiné l’ensemble de la preuve afin de bien saisir l’importance de ce qui est en jeu pour les plaideurs et, plus largement, pour la démocratie.

[56] True North soutient qu’il existe toujours un débat contradictoire entre les parties en ce qui concerne la violation de la Charte et le différend sur la décision elle-même. Le [traduction] « différend porte sur le fait que le pouvoir exécutif a pris une décision arbitraire, déraisonnable, partisane, entachée de partialité, contraire à l’équité procédurale et inconstitutionnelle. Le contrôle judiciaire a pour objet de vérifier la légalité du processus décisionnel de l’État et de faire respecter la primauté du droit et la démocratie, ce qui commande la tenue d’une audience en bonne et due forme sur les conditions dans lesquelles la décision a été prise ».

[57] True North affirme également que, comme elle continue de couvrir les activités du Parlement et qu’elle s’attend à participer aux débats électoraux à venir et à en rendre compte, il est probable que cette situation se répétera à la suite des décisions prises par la Commission ou par l’entité qui la remplacera en ce qui concerne l’acceptation ou l’accréditation des médias et des journalistes ou, d’une manière essentiellement similaire, des décisions du gouvernement du Canada à cet égard. Bien que les débats soient terminés, il n’a pas été possible de revoir les décisions de la Commission, d’examiner la violation des droits des demandeurs en tant que membres de la presse et de proposer des balises pour éviter que la situation se répète à l’avenir. True North affirme que l’intérêt qu’il y a à examiner ces importantes questions d’intérêt public l’emporte sur tout souci d’économie des ressources judiciaires.

[58] Après avoir examiné les observations de Rebel News et de True North, je ne suis pas convaincue que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à permettre à ces demandes de suivre leur cours.

[59] L’exception à la règle relative aux demandes de nature théorique qui « échappent au contrôle judiciaire » dont il est question dans les arrêts Borowski et Démocratie en surveillance s’applique à des questions qui, de par leur nature même, se prêtent mal au contrôle judiciaire en raison de leur caractère urgent (Borowski, aux p. 360, 361 et 364; Démocratie en surveillance, au para 14 et 18). Rebel News et True North ont été en mesure de soumettre leur demande à la Cour et d’obtenir la réparation qu’elles réclamaient. Même s’il est vrai qu’elles ont dû présenter leur demande dans un délai très court, il est hypothétique de conclure que les décisions que la Commission rendrait à l’avenir en matière d’accréditation seraient assujetties à des délais aussi serrés.

[60] De plus, on ne sait pas avec certitude si la Commission prendra d’autres décisions d’accréditation à l’avenir ou si de telles décisions soulèveront les mêmes questions. Comme nous l’avons déjà signalé, la Commission a été créée par le décret C.P. 2018-1322, à titre d’organisme indépendant chargé « d’organiser un débat des chefs dans chaque langue officielle au cours de chaque période électorale d’une élection générale ». Le décret oblige le commissaire à présenter au ministre des Institutions démocratiques, au plus tard cinq (5) mois après la date laquelle l’élection générale a eu lieu [l’élection générale de 2019 en l’espèce], un rapport « qui comprend des conseils détaillés sur l’avenir de la Commission, des recommandations sur la portée du mandat de la Commission — lesquelles sont accompagnées d’une justification détaillée — ». Bien qu’il soit possible que la Commission continue d’exister et qu’elle soit de nouveau appelée à se prononcer sur des demandes d’accréditation, il est entièrement spéculatif et prématuré de présumer que le législateur fédéral adoptera les recommandations contenues dans le rapport. Le législateur fédéral pourrait décider de retirer à la Commission la responsabilité de l’accréditation et la confier à un tiers, auquel cas le jugement rendu en l’espèce par notre Cour n’aurait aucune conséquence juridique pratique. Même si Rebel News et True North obtenaient les jugements déclaratoires et les renseignements qu’elles réclament, leur droit d’obtenir l’accréditation à l’avenir n’en serait pas pour autant garanti.

[61] Vu la portée des réparations demandées et les moyens énoncés dans les avis de demande, il existe un risque réel qu’un jugement rendu sur la demande principale puisse, en réalité ou en apparence, constituer une ingérence dans la prérogative du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif du gouvernement, à qui il revient de déterminer l’existence et la portée du mandat de la Commission à l’avenir (Rahman, au para 25). Dès lors que le mandat et les principes directeurs de la Commission ont été définis et qu’une personne ou une entité s’estime lésée par les actions de la Commission, cette personne ou cette entité peut saisir la Cour de l’affaire. Il est tout aussi spéculatif de supposer qu’une décision sera prise en fonction des mêmes faits, de la même situation et du même contexte. À mon avis, permettre que les demandes suivent leur cours ne constituerait pas une utilisation efficace de nos ressources judiciaires limitées.

[62] En ce qui concerne les allégations formulées par True North quant à la violation de la Charte, j’admets qu’il s’agit d’une allégation sérieuse. Toutefois, il n’appartient pas à notre Cour de trancher des questions purement abstraites et théoriques s’il n’y a pas d’utilité évidente à accorder le jugement déclaratoire sollicité par le demandeur (Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 242 au para 9). La Cour suprême du Canada a jugé que les tribunaux devaient s’abstenir de se prononcer sur une question de droit lorsque cela n’est pas nécessaire pour trancher l’affaire, surtout lorsque la question est d’ordre constitutionnel. Cette règle de conduite repose sur l’idée que toute déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel risque de causer à des affaires à venir un préjudice dont les conséquences n’ont pas été prévues (Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97 au para 9 à 12). Eu égard aux circonstances de l’espèce, des réparations de droit administratif ont effectivement été accordées par le juge Zinn et il n’est pas nécessaire que le juge du fond tranche la question constitutionnelle.

[63] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincue que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à permettre aux demandes de suivre leur cours.

E. Affidavit Lawton

[64] Dans ses observations en réponse aux requêtes en radiation, la Commission a fait valoir que l’affidavit qui avait été souscrit par M. Lawton et qui avait été déposé par True North avait été irrégulièrement soumis à la Cour parce qu’il avait été présenté par une partie qui répondait à une requête en radiation (JP Morgan, au para 52). Elle a également fait valoir que l’affidavit n’avait aucune valeur probante et qu’il était rempli de spéculations et de ouï-dire. Vu ma décision d’ordonner la radiation des avis de demande de Rebel News et de True North, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question. Je ne me suis pas fondée sur cet affidavit pour rédiger les présents motifs.

IV. Dispositif

[65] Compte tenu de ma décision de faire droit aux requêtes présentées par la Commission en vue de faire radier les demandes de Rebel News et de True North et de rejeter la requête présentée par True North en vue d’être autorisée à modifier son avis de demande, la requête en production d’un meilleur dossier certifié du tribunal présentée par Rebel News est par conséquent rejetée.

[66] Les demandes de Rebel News et de True North sont par conséquent radiées sans possibilité de modification en raison de leur caractère théorique.

V. Dépens

[67] La Commission réclame les dépens suivants :

  • a) pour les requêtes en radiation : la somme de 4 551,72 $ (TVH et débours inclus) à payer solidairement par RebelNews et par TrueNorth;

  • b) pour la requête visant à faire modifier les actes de procédure de TrueNorth : la somme de 2 881,50 $ (TVH incluse);

  • c) pour la requête fondée sur l’article 318 : la somme de 5 593,50 $ (TVH incluse).

[68] Le procureur général Canada ne réclame pas de dépens compte tenu de son rôle limité et du peu d’observations qu’il a présentées lors de l’examen des requêtes.

[69] En réponse au mémoire de dépens de la Commission, True North affirme qu’elle ne devrait pas être condamnée aux dépens. Elle soutient que, lorsque le litige porte sur une question d’intérêt public général, les tribunaux exercent, le cas échéant, leur pouvoir discrétionnaire en refusant d’adjuger des dépens.

[70] Après avoir examiné les observations de True North, je ne suis pas convaincue que je devrais déroger à l’usage bien établi qui prévoit que la partie qui succombe paie les dépens de la partie qui triomphe. Bien que les requêtes en radiation de la Commission concernent deux (2) demandes de contrôle judiciaire et même si la Commission pourrait réclamer des dépens contre Rebel News et True North individuellement, la Commission a accepté de réduire le montant qu’elle réclame étant donné qu’elle a adopté la même position sur les deux requêtes. J’estime qu’il s’agit d’un bon compromis. Les dépens sont adjugés à la Commission au montant fixe de 4 551,72 $ payable solidairement par Rebel News et par True North.

[71] Cela étant dit, en vertu de l’article 400 des Règles des CF, j’ai toute latitude pour déterminer le montant des dépens. Comme la requête en modification de True North et les requêtes en radiation de la Commission sont inextricablement liées, j’ai décidé de n’adjuger aucuns dépens à la Commission en ce qui concerne la requête présentée par True North en vue de faire modifier son avis de demande. Il n’y a pas non plus de dépens en ce qui concerne la requête en production d’un meilleur dossier certifié du tribunal présentée par Rebel News, puisque cette dernière a réussi à obtenir des documents supplémentaires en réponse à sa requête.


ORDONNANCE dans les dossiers T‑1631‑19 et T‑1633‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. Les requêtes en radiation de la Commission sont accueillies;

  2. L’avis de demande dans le dossier de la Cour no T‑1631‑19 est radié, sans possibilité de modification;

  3. L’avis de demande dans le dossier de la Cour no T‑1633‑19 est radié, sans possibilité de modification;

  4. La requête présentée par TrueNorth en vue de modifier son avis de demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  5. La requête en production d’un meilleur dossier certifié du tribunal présentée par Rebel News est rejetée;

  6. Les dépens sont adjugés à la Commission au montant fixe de 4 551,72 $ payable solidairement par RebelNews et par TrueNorth.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1631‑19

INTITULÉ :

REBEL NEWS NETWORK LTD c CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATES COMMISSION) et autre

ET DOSSIER :

T‑1633‑19

INTITULÉ :

ANDREW JAMES LAWTON et autre c CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATES COMMISSION) et autre

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par voie de VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juin 2020

OrdonnancE ET motifs :

La juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Aaron Rosenberg

David Elmaleh

Pour la demanderesse,

REBEL NEWS NETWORK LTD

Lisa Bildy

Marty Moore

POUR LES DEMANDEURS,

ANDREW JAMES LAWTON ET TRUE NORTH CENTRE FOR PUBLIC POLICY

Ewa Krajewska

Mannu Chowdhury

Pour le défendeur,

CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATE COMMISSION)

John Provart

Benjamin Wong

Pour le défendeur,

le procureur général du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Re-Law LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse, REBEL NEWS NETWORK LTD

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Toronto, Ontario

Pour le défendeur,

CANADA (COMMISSION DES DÉBATS DES CHEFS/LEADERS’ DEBATE COMMISSION)

Justice Centre for Constitutional Freedoms

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS,

ANDREW JAMES LAWTON ET TRUE NORTH CENTRE FOR PUBLIC POLICY

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur,

le procureur général du Canada

 

 

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