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Date : 20050117

Dossier : T-6317-82

Référence : 2005 CF 53

Ottawa (Ontario) ce 17ième jour de janvier 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                         MONSIEUR PAUL-ARTHUR GRENIER et

MADAME PAUL-ARTHUR GRENIER

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                             

                                                                                                                                     Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Monsieur Paul-Arthur Grenier et madame Jacqueline Grenier ("le demandeur" et "la demanderesse" respectivement, et conjointement "les demandeurs") se représentant eux-mêmes, poursuivent Sa Majesté la Reine ("la défenderesse") pour un montant en dommage de 2 463 500,00 $ découlant de l'isolation de leur maison de plus de 200 ans avec de la mousse isolante d'urée-formaldéhyde ("la MIUF"). Initialement, les enfants des demandeurs poursuivaient mais ils ont renoncé à leur recours ultérieurement. De même, les demandeurs et leurs enfants ont aussi poursuivi en Cour supérieure, district de Québec, le Procureur général du Québec, l'installateur de la MIUF ("Styrojet") et le manufacturier du produit ("Borden"), mais par déclaration de règlement hors cour, les demandeurs renonçaient à la poursuite et une requête en péremption d'instance fut adjugée en ce qui concerne Borden.


BREF HISTORIQUE DE LA SITUATION FACTUELLE

[2]                En 1959, les demandeurs devenaient propriétaire d'une vieille maison située au 2285, avenue Royale, à Beauport, Québec.

[3]                Suite à la crise pétrolière des années 1970, le gouvernement fédéral mit sur pied un programme d'isolation de maison par lequel le propriétaire pouvait obtenir une subvention.

[4]                En juin 1980, le demandeur, après avoir consulté l'annuaire téléphonique, contacta Styrojet pour accomplir le travail d'isolation de la vieille maison. Après une visite des lieux, le représentant de Styrojet l'informa qu'il allait percer les murs à certains endroits pour permettre l'injection de la MIUF moyennant un montant de 591,00 $. Un contrat fut signé et les travaux ont été effectués dans les jours suivants.

[5]                En avril 1981, la MIUF fut déclarée inutilisable par le gouvernement fédéral pour des fins d'isolation et une interdiction complète fut annoncée en décembre 1981.

[6]                En février 1982, les demandeurs et leurs enfants consultent le Dr Jean-Yves Bhérer pour que celui-ci remplisse le formulaire du Centre de toxicologie pour personne vivant dans une maison isolée à la MIUF. Ceux-ci l'informent entre autres qu'ils ont les yeux irrités et une certaine toux. Après un examen où le médecin n'a rien "observé" concernant les conséquences d'une exposition à la MIUF, celui-ci signe un rapport dans lequel il conclut à des problèmes de santé compatibles à une exposition modérée à la MIUF pour chacun des membres de la famille.

[7]                Au mois d'août 1982, le demandeur subit un premier infarctus inférieur du myocarde. Il en subira au moins trois autres par la suite. Des problèmes d'ordre psychiatrique reliés à sa situation coronarienne furent détectés en 1985-1986. Il fut traité à ce sujet.

[8]                En 1982, le demandeur, voulant faire enlever la MIUF, consulta deux entrepreneurs. Ceux-ci refusèrent de faire le travail étant donné que le produit devait être enlevé de l'intérieur. Selon le demandeur, il fut obligé de l'enlever avec l'aide de sa famille. Pour faire le travail, le demandeur ne consulta, ni n'envisagea d'autres alternatives et le travail s'échelonna jusqu'en 1983. Ce fut un travail complexe et de longue haleine.

[9]                À l'occasion du premier infarctus du demandeur et pendant sa convalescence, la demanderesse dut assumer des tâches supplémentaires à l'égard des enfants et elle participa de façon importante à l'enlèvement de la MIUF. Sa santé en subira des conséquences, notamment, des problèmes de haute pression et d'arthrite qui ne se sont jamais atténués.

[10]            Le demandeur fut déclaré incapable de travailler en juin 1985 par le Dr Bhérer et ce, en raison de la maladie d'Alzheimer. Il quitta donc son emploi de professeur en mécanique. La situation médicale des demandeurs ne s'est pas améliorée par la suite. Toutefois, l'Alzheimer diagnostiqué se résorba, mais la situation coronarienne du demandeur demeurait un sujet de préoccupation pour ses médecins.

[11]            Dans le but de minimiser les coûts de l'enlèvement de la MIUF pour les propriétaires de maisons, le gouvernement fédéral mit sur pied un programme de remboursement. Le ou vers le 15 avril 1983, le demandeur reçut un chèque au montant de 6 627,55 $. En juillet 1983, un inspecteur de la Société canadienne d'hypothèque et de logement ("la S.C.H.L.") évalua le coût pour enlever la MIUF de la maison des demandeurs à 18 000,00 $.

[12]            Sommairement, les dommages réclamés par les demandeurs se ventilent de la façon suivante :

-           perte de salaire, 45 000,00 $ par année :                            675 000,00 $

-           primes d'assurance, 900,00 $ par année :                             13 500,00 $

-           coût des médicaments, 3 000,00 $ par année     :                  45 000,00 $

-           arrêt de coeur du demandeur, suivi de 4 infarctus,

souffrances inconvénients, perte de jouissance de

la vie :                                                                  700 000,00 $

-           maladie de la demanderesse occasionnée par la

MIUF :                                                                              200 000,00 $


-           dommages et souffrances souffert par les 5 enfants,

dont 3 ont subi des opérations :

-     5 @ 150 000,00 $ par enfant :                                    750 000,00 $

-           réparations à la maison :                                                      80 000,00 $

------------------        

Total :                                                               2 463 500,00 $

SOMMAIRE DE LA PREUVE ET DE L'ARGUMENTATION DES DEMANDEURS

[13]            Les demandeurs ont témoigné ainsi que trois de leurs enfants, soit Sylvain, Martin et Chantal. Le Dr Germain Thériault ("Dr Thériault") du laboratoire des Sciences de l'activité physique de l'Université Laval et le Dr Bhérer, médecin de famille, qui fit les évaluations des symptômes de la famille en relation avec l'exposition avec la MIUF en février 1982, ont aussi témoigné.

[14]            En août 1979, dans le cadre d'un programme de recherche de la condition physique et de la santé de l'Université Laval, la famille au complet fut examinée par les membres d'un groupe de médecins et les résultats individuels leur furent communiqués. Sommairement, les résultats démontrent que la famille était en général en bonne santé. À l'exception de la demanderesse qui l'était un peu moins (sa tension artérielle et son poids ont été commentés par le docteur Thériault mais ceci n'indiquait pas un problème significatif).


[15]            Suite à l'examen en février 1982, le docteur Bhérer témoigne à l'effet que les membres de la famille démontraient, sans exception, des problèmes de santé compatibles à une exposition à la MIUF. Toutefois, lors du contre-interrogatoire, il expliqua que les symptômes (céphalée, sécheresse du nez, irritation oculaire, sécheresse de la peau) reliés à l'exposition à la MIUF lui avaient été communiqués par les membres de la famille, que son examen objectif n'ajoutait rien de plus et qu'en général, l'apparence générale de chacun lui apparaissait "bonne". De plus, il confirma avoir fait en 1985 un diagnostic de maladie d'Alzheimer au sujet du demandeur et qu'il avait signé une déclaration d'incapacité permanente à cet effet. Il précisa que l'Alzheimer n'était pas reliée à l'exposition à la MIUF.

[16]            Les enfants Sylvain et Martin ont relaté que la situation en générale était différente depuis l'isolation de la maison. Sylvain précisa qu'il s'était fait enlever une bosse dans le dos mais qu'il en avait aucune séquelle actuellement. Martin informa qu'il avait une certaine difficulté à respirer mais qu'il avait choisi de ne pas se faire opérer. Chantal expliqua qu'elle fut opérée pour l'inflammation des sinus qui lui causait des problèmes de respiration. Après l'opération, elle passa sa convalescence chez ses grands-parents. Les autres enfants (France et Sonya) n'ont pas témoigné.

[17]            La demanderesse témoigna à l'effet que son état de santé s'est détérioré après l'installation de la MIUF. Suite au premier infarctus de son mari, elle a dû intensifier son travail à la maison et elle participa de façon très active aux travaux pour retirer la MIUF de la maison. Elle fait remarquer que la vie n'est plus la même depuis l'installation de la MIUF et que la famille a subi des inconvénients majeurs. Elle souffre d'arthrose et elle a été opérée à l'un des genoux. Elle demande à la Cour de faire le nécessaire pour que le dossier se termine et que la famille puisse revenir à une vie normale. Elle vit intensément le dossier de la MIUF mais elle désire que ça "arrête".

[18]            Pour le demandeur, la vie allait bien avant l'isolation de la maison. La famille était en bonne santé, il enseignait la mécanique diesel à la Commission scolaire, il avait des projets d'invention en cours et il améliorait lui-même la maison familiale en y effectuant des rénovations. Il prétend que la situation a changé suite à l'isolation de la maison à la MIUF. Il mentionne de façon générale qu'il avait vu à la télévision le Ministre de la Consommation et des Corporations, M. André Ouellet ("le Ministre") qui invitait les propriétaires de maisons à se joindre au programme d'isolation du gouvernement fédéral et qu'en retour une subvention serait disponible. Il décida de participer à ce programme, fit faire les travaux d'isolation par Styrojet et par la suite recevait la subvention.

[19]            Suite à l'isolation de la maison, sa santé et celle de sa famille périclita. Il eut des problèmes coronariens et il perdit la capacité d'assumer son emploi. Il vécut avec son épouse un stress considérable ce qui occasionna des répercussions sur sa santé. Tous ses problèmes seraient reliés à la MIUF. Le 26 mars 1992, un représentant (celui-ci n'a pas témoigné) du bureau de dépannage des victimes de la MIUF du gouvernement provincial testa par Gastec la maison et détecta 1,8 ppm de formaldéhyde (ce test et le résultat ne sont pas admis et sont fortement contestés par la défenderesse). Ce résultat est supérieur à ce qui est acceptable pour une maison résidentielle (0,1 ppm). La famille a alors été obligée d'enlever la MIUF car aucun entrepreneur ne voulait le faire. Elle n'avait pas le choix.

[20]            Le demandeur reconnaît fumer un paquet de cigarettes par jour et il conteste la véracité des rapports médicaux qui mentionnent qu'à un certain moment il buvait six (6) bières par jour et qu'en raison de sa consommation d'alcool il n'a pas été capable de passer un test de tapis roulant vers les années 1985. Toutefois, il ne conteste pas avoir eu à un certain moment des problèmes de santé mentale ("dépression déguisée").


[21]            Il considère que les procédures judiciaires entreprises en 1982 auraient dû se dérouler beaucoup plus rapidement et il ne comprend simplement pas pourquoi les procédures furent interrompues sauf pour mentionner que son dossier a été "arnaqué" (on se rappellera que six (6) causes types ont été référées et entendues par le juge Hurtubise, juge de la Cour supérieure du district de Montréal et qu'après de très longues auditions, un jugement fut signé le 13 décembre 1991 - Rita Berthiaume et al. c. The Border Company Limited et al., [1992] R.J.Q. 76). Il explique avoir signé la déclaration de règlement hors cour contre Styrojet mais ajoute qu'il l'a fait sous pression. Il ajoute que la signature de la demanderesse sur la déclaration est fausse mais il ne peut expliquer qui aurait signé pour elle.

[22]            Concernant les dommages, les demandeurs les justifient en se référant à la baisse de valeur de la maison, le peu d'amélioration fait à la maison, la perte de salaire, les inconvénients sur la famille, le stress, etc.

[23]            Se représentant lui-même ainsi que la demanderesse, le demandeur n'a pas argumenté en fonction de la notion de faute reliée aux dommages. Il n'a pas déposé de jurisprudence. Ayant dit ceci, la Cour considère avoir bien compris la situation et que celle-ci a été totalement analysée pour les fins du présent jugement.

SOMMAIRE DE LA PREUVE ET DE L'ARGUMENTATION DE LA DÉFENDERESSE

[24]            La défenderesse fit témoigner deux (2) représentants de la S.C.H.L., M. Jacques Charlebois ("M. Charlebois") et M. Ken Ruest ("M. Ruest"), les deux étant technologue en génie civil. Deux (2) médecins ont témoigné : le docteur Yvan Gauthier, psychiatre ("Dr Gauthier") et le docteur John Osterman, spécialiste en santé communautaire et santé au travail ("Dr Osterman"). À la demande de la partie défenderesse et après avoir entendu les médecins énumérer leurs qualifications, la Cour les a reconnu comme experts et ils ont respectivement déposé leur rapport. Le cinquième témoin de la défenderesse fut M. Rhéal Galarneau ("M.


Galarneau"), inspecteur agréé et estimateur en bâtiment et entrepreneur général. Après avoir présenté ses qualifications, il fut reconnu expert par la Cour. Il déposa un rapport co-signé par M. Roger Boucley ("M. Boucley"), ingénieur et inspecteur en bâtiment.

[25]            M. Charlebois a travaillé pour le Centre de la MIUF de 1982 à 1986. Ce Centre fut mis sur pied pour répondre aux nombreuses demandes du public et pour élaborer entre autres, un programme de formation pour enlever la MIUF pour les entrepreneurs et les propriétaires de maison. Il informa qu'il y avait des alternatives à enlever la MIUF : le scellement, l'assèchement des cavités murales, la purification de l'air, le nettoyage des conduits etc., mais que l'impact sur la valeur des maisons créa une telle pression qui eut comme résultat de favoriser l'enlèvement du produit comme solution. Le Centre recommandait aux propriétaires d'engager des entrepreneurs qui avaient suivi la formation et que si ce n'était pas possible, de le faire soi-même en autant que la formation avait été suivie. Il expliqua que le gaz dégagé par la MIUF pouvait provenir d'autres sources et que celles-ci pouvaient avoir un impact sur la qualité de l'air. Il contribua à la production d'un manuel informant des méthodes pour enlever la MIUF. Il reconnaît que 0,1 ppm était la norme acceptable pour une maison et que 1,8 ppm était un résultat élevé.


[26]            M. Ruest a travaillé pour un consultant (Scanada Consultant) du gouvernement fédéral de 1981 à 1998 lorsqu'il s'est joint à la S.C.H.L. à titre de recherchiste principal. À titre d'employé du consultant, il participa à la prise d'échantillon de l'air de centaines de maisons isolées à la MIUF. Il n'a jamais retracé un résultat de 1,8 ppm. Il considère que le système de test Gastec n'est pas aussi fiable que le dosimètre. Ce dernier donne des résultats objectifs tandis que le système Gastec fait appel à la subjectivité. Le dosimètre prend en considération l'air sur une longue période tandis que le système Gastec ne donne un résultat que pour un instant. Il fait remarquer que le résultat de 1,8 ppm a été détecté dans le mur, ce qui donne un résultat bien différent lorsque la comparaison se fait avec l'air ambiant d'une pièce de la maison sur plusieurs jours. Il corrobore le témoignage de M. Charlebois en expliquant les alternatives à l'enlèvement de la MIUF. Il informa que la présence élevée de gaz se trouve dans les jours suivant l'isolation à la MIUF et que par la suite elle diminue complètement. Il considère que la MIUF comme isolant est acceptable. Les pays européens et tous les états des États-Unis l'utilisent à l'exception du Massachusetts. Il expliqua que l'interdiction de la MIUF au Canada en décembre 1981 fut faite non pas suite à des études scientifiques mais plutôt en conséquence de la multitude de plaintes reçues.

[27]            Après avoir examiné les demandeurs, le docteur Gauthier considère que ceux-ci ont vécu les événements très intensément et de façon disproportionnée à ce qui est normalement acceptable. Il fait un diagnostic de trouble délirant de type persécution et de "folie à deux". La demanderesse se situe à un moindre degré comparativement au demandeur. Ayant eu accès aux dossiers médicaux des demandeurs, il constate que le diagnostic est conforme à l'historique médical de chacun. Il est d'opinion que les événements entourant la MIUF ont engendré un stress mais précise que la MIUF ne peut pas être la cause des maladies coronariennes documentées aux dossiers pour le demandeur ou être la cause de l'état médical de la demanderesse.


[28]            Le Dr Osterman, ayant aussi examiné les demandeurs, explique que le formaldéhyde existe dans les êtres humains. Le corps le consomme par la respiration (provenant de la fumée de cigarette, la cuisson, les tissus, le contre-plaqué, etc.) ou encore en mangeant. On le retrouve dans les croûtes de pain, certains fruits, etc. Il considère que 1,8 ppm est « digérable » pour le corps (celui-ci en digère 50 000 ppm quotidiennement). Toutefois, il reconnaît qu'un tel résultat créerait de la toux, le larmoiement des yeux et le clignotement de ceux-ci. Il ajoute que l'exposition à la formaldéhyde ne créée pas d'effet cumulatif. Il opine qu'il n'y a pas de consensus que le stress psychique cause une maladie cardiaque et affirme que la MIUF n'est pas la cause d'une telle maladie. Son rapport constate que le docteur Yves Morin, le 12 octobre 1984, suite à une coronarographie du demandeur, identifia une obstruction d'une artère. L'état cardiaque du demandeur est explicable par la consommation d'un paquet de cigarettes par jour, l'embonpoint, le manque d'exercice et la consommation d'alcool. La demanderesse a une histoire médicale qui démontre de la haute pression, du diabète et de l'arthrite. Ces constatations ne sont pas reliées à la MIUF. Il passe en revue le cas des enfants en indiquant que le résultat de la biopsie de la "bosse" (gonflement) de Sylvain ne fait pas partie du dossier et qu'aucun lien ne peut être fait avec la MIUF, que l'opération aux voies respiratoires de Chantal est en partie causée par une déviation naturelle dès la naissance et que la MIUF a peut être ajouté à la situation mais que le dossier ne le démontre pas.

[29]            Dans son rapport, M. Galarneau, après avoir visité la maison, conclut que la vieille maison des demandeurs n'était pas apte à recevoir de la MIUF et que l'installateur aurait dû envisager d'autres types d'isolant. De plus, il avise que lors de l'enlèvement de la MIUF, la méthode et le processus de sécurité étaient déficients et dangereux pour la santé des membres de la famille. En terminant, le test de la qualité de l'air démontre que la présence de formaldéhyde est à l'intérieur des normes reconnues.


[30]            Par l'entremise de ses avocats, la défenderesse plaide que les demandeurs n'ont pas été capable d'attribuer une faute au ministre Ouellet. La seule preuve est le témoignage imprécis du demandeur. On y retrouve aucun vidéo ou document pouvant démontrer que certains propos du Ministre étaient l'équivalent d'une faute. Il est impensable que le Ministre puisse avoir dit : utilisez les services de Styrojet avec tel genre de produit. Le Ministre n'a pas visité la maison des demandeurs, n'a pas choisi l'installateur et n'a pas participé à la confection du produit ou encore à son installation. Le programme de subvention et d'isolation créé par le gouvernement fédéral n'est pas un élément contribuable à la faute. Si faute il y a, elle serait attribuable à une ou des parties non impliquées dans la présente procédure.

[31]            De façon subsidiaire, la défenderesse ajoute qu'il n'y a pas de preuve que la MIUF est toxique et dangereuse. La qualité de l'air peut être affectée par d'autres sources polluantes (à titre d'exemple, la fumée de cigarette). Le taux de 1,8 ppm détecté en mars 1982 a été fait avec un instrument non fiable et l'échantillon d'air provenait de l'intérieur du mur et ce test a eu lieu à l'heure du dîner. Pour ce qui est de l'infarctus subi par le demandeur, il a été causé par une artère bouchée et non par la MIUF. Quant à la demanderesse, elle a vécu les inconvénients des infarctus du demandeur. Sa tâche a été considérablement augmentée et elle participa très activement à l'enlèvement de la MIUF.

[32]            En ce qui concerne les dommages, ils ne sont pas reliés à la défenderesse et elle ne peut pas en être responsable.

LE DROIT

[33]            Pour réussir dans une telle procédure, les demandeurs ont un fardeau de preuve à assumer et ils doivent présenter de la preuve permettant la constatation d'une faute reprochable à la défenderesse reliée à la détérioration de leurs situations médicales et aux dommages qui en découlent. Il existe cinq conditions générales que les demandeurs devaient démontrer :


C            qu'il y avait une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre le Ministre et les demandeurs;

C            que la déclaration en question était fausse, inexacte ou trompeuse;

C            que le Ministre avait agi d'une manière négligente;

C            que les demandeurs se sont fiés d'une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence; et

C            que le fait de s'être fié à la déclaration était préjudiciable en ce sens que les demandeurs doivent avoir subi un préjudice. (Voir Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 S.C.R. 87 au par. 33.)

[34]            Voyons maintenant les constatations que la preuve telle que présentée nous permet de faire.

LES CONSTATATIONS DÉCOULANT DE LA PREUVE

[35]            Il est difficile sinon impensable d'envisager la possibilité que les demandeurs aient assumé leur fardeau de preuve. Ils ont témoigné avec la participation de certains de leurs enfants et de deux (2) médecins (Dr Thériault et Dr Bhérer). Ces derniers confirment que l'état de santé de la famille en 1979, avant l'isolation à la MIUF à l'été 1979, était bonne et que l'exposition à la MIUF permettait l'identification modérée de problèmes de santé (la céphalée, la toux etc.) en février 1982. Ces problèmes ont été communiqués au Dr Bhérer mais ce dernier ne fait aucune conclusion objective. Au contraire, son examen conclut à la normalité presqu'à 100% pour tous les membres de la famille.


[36]            Toutefois, la preuve est silencieuse quant à la situation médicale de la famille de juin 1980 à février 1982 (date de l'isolation de la maison et premier examen de la famille suite à l'isolation). Si la situation avait été dangereuse et intolérable, les membres de la famille ne l'auraient pas vécu pendant 20 mois sans avoir recours à une consultation médicale.

[37]            Il est intéressant de replacer certains événements dans leur contexte. L'interdiction de l'utilisation de la MIUF comme isolant remonte à décembre 1981. La visite de la famille chez le médecin (Dr Bhérer) pour le Centre de toxicologie du Québec pour personne habitant une maison isolée à la MIUF a eu lieu deux (2) mois plus tard (en février 1982). L'élément déclencheur pour la visite médicale n'apparaît pas être l'état de santé précaire des membres de la famille mais plutôt l'interdiction de la MIUF et la visite chez le médecin pour qu'il remplisse le formulaire du Centre de toxicologie du Québec.


[38]            Quant à l'état médical des demandeurs, leurs dossiers médicaux démontrent que les origines de leurs problèmes sont en partie génétique ou encore causé par les habitudes de vie. À l'égard du demandeur, le docteur Osterman témoigna à l'effet que la consommation d'un paquet de cigarettes par jour, la consommation d'une certaine quantité d'alcool, l'embonpoint et le manque d'exercice sont des éléments pouvant contribuer à un infarctus. De plus, le dossier médical révèle que l'une des artères était bloquée. Toutes ces considérations expliquent l'état médical du coeur du demandeur. Sa santé mentale dans les années 1984-1985 est aussi expliquée par les problèmes cardiaques. Quant à la demanderesse, la haute pression, l'arthrose, et l'embonpoint sont d'origine en partie génétique et sont causés par une contribution personnelle. De façon non contredite, les docteurs Gauthier et Olsterman sont d'opinion que la MIUF n'est pas la cause des problèmes de santé cardiaque et mentale du demandeur ainsi que de l'état de santé de la demanderesse.

[39]            Les demandeurs prétendent que le stress engendré par les événements concernant la MIUF a occasionné leurs problèmes médicaux. Le docteur Osterman est d'opinion qu'il n'y a pas de consensus à l'effet que le stress psychique cause des maladies cardiaques.

[40]            Encore plus important, les demandeurs n'ont pas présenté de la preuve pouvant permettre de conclure que la MIUF est dangereuse et peut causer des troubles médicaux de grande importance. À nouveau, le témoignage du Dr Osterman est intéressant à ce sujet. Il explique que même une exposition à 1,8 ppm est tolérable par le corps humain. Au sujet du taux de 1,8 ppm retracé en mars 1982, la Cour note que l'inspecteur, M. Daniel Lessard, n'a pas témoigné, que le test fut effectué avec l'instrument Gastec plutôt qu'avec un dosimètre (ce dernier étant plus fiable), que l'échantillon fut pris à une seule reprise dans le mur et à l'heure du dîner. Le seul autre résultat que le dossier révèle est que le taux de ppm identifié était de plus de 0,05. (Voir P-1, onglet 38 Urée-Formaldéhyde Foam Insulation Program, March 20, 1997 ).

[41]            L'autre aspect de la preuve médicale est le rapport du Dr Gauthier, psychiatre. Il conclut, après avoir rencontré les demandeurs et avoir consulté leurs dossiers médicaux, à un diagnostic de trouble délirant de type persécution et de "folie à deux". Pour des raisons évidentes et par respect pour les demandeurs, la Cour constate le diagnostic sans plus de commentaire.

[42]            Concernant les reproches dirigés par les demandeurs contre le ministre Ouellet, la Cour ne peut pas les retenir. À ce sujet, la preuve est faible sinon presque inexistante et elle se limite au témoignage du demandeur et à certains articles de journaux. La preuve n'est pas plus documentée. Ayant constaté ceci, la Cour ajoute que l'invitation (du Ministre si telle était la preuve) à participer à un programme de subvention ne rend pas celui-ci responsable du travail de l'installateur ou encore du manufacturier du produit. Il faudrait une preuve impliquant le Ministre dans le choix du produit et sa formulation ou encore une association de ce dernier à un engagement de résultat garanti. La preuve à ce sujet est inexistante. Quant au lien de causalité (si une faute était retenue contre la défenderesse) la preuve non contredite des médecins Osterman et Gauthier est à l'effet que l'état médical des demandeurs n'est pas reliée à la MIUF.

[43]            Finalement, une petite remarque concernant les dommages bien qu'il ne soit pas essentiel de les commenter, étant donné les conclusions ci-haut. Les demandeurs n'ont pas su prouver leurs dommages. Ils ont lancé des chiffres sans présenter de preuve à l'appui. Dans l'hypothèse où la situation vécue par les demandeurs soit reprochable à la défenderesse, il serait difficile d'identifier l'exactitude des dommages avec la preuve qui fut présentée, sauf peut-être certaines réclamations matérielles.


CONCLUSION

[44]            Ayant fait les précédentes constatations, la Cour voudrait préciser qu'elle ne doute pas de la sincérité et de l'honnêteté des demandeurs. Ils ont une perception et un vécu des événements qui les amènent à comprendre la situation comme ils le font. Toutefois, il y a une marge importante entre leur perception et la réalité juridique applicable à la présente situation et cette dernière ne peut pas refléter leur propre perception. La Cour ne doute pas que les conséquence de l'insolation à la MIUF ont imposé sur eux et leur famille un fardeau important qui a troublé leur vie. Toutefois, ceci n'est pas nécessairement la cause de leurs problèmes médicaux par la suite et l'exercice judiciaire n'est pas de trouver « un coupable » à tout prix.

[45]            Les demandeurs n'ont pas assumé leur fardeau de preuve. Ils n'ont pas été en mesure d'identifier une faute reprochable au ministre Ouellet, élément essentiel pour envisager une condamnation. De plus, la preuve ne démontre pas de lien causal entre la MIUF et l'état médical des demandeurs. Selon la preuve présentée, leur état médical s'explique autrement que par les conséquences de l'exposition à la MIUF. En dernier lieu, les dommages réclamés ne sont pas appuyés par de la preuve documentaire ou autrement.

[46]            La Cour, ayant siégé cinq (5) jours, a tenté de permettre aux demandeurs de présenter leur preuve sous son plus beau jour. C'est ce qu'ils ont fait mais la preuve présentée n'était pas suffisante ou concluante pour leur permettre d'assumer leur fardeau. Sur le plan humain, la Cour sympathise avec les demandeurs mais pas au point de leur accorder ce qu'ils demandent. Le droit doit prévaloir.

[47]            Ayant à l'esprit les propos de la demanderesse qui demandait à la Cour que "ça finisse", la Cour ose espérer que la présente décision expressément motivée en détail de façon compréhensible pour eux, leur permettra de tourner la page. À ce sujet, la Cour se réserve le droit et la discrétion d'accorder les frais ultérieurement sur demande de l'une des parties, le principe étant que la partie qui gagne se voit octroyer les frais. En osant espérer que ceci saura faciliter le dénouement de ce dossier pour toutes les parties.

C'EST POURQUOI LA COUR CONCLUT :

-            La demande des demandeurs est rejetée et l'allocation des frais est réservée, le tout sujet à une demande provenant de l'une des parties.

                  "Simon Noël"                  

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        T-6317-82

INTITULÉ :                                       M. Paul-Arthur Grenier et Mme Paul-Arthur Grenier c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                Québec

DATE DE L'AUDIENCE :               Du 6 au 10 décembre 2004

MOTIFS :                                          L'honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                     le 17 janvier 2005

COMPARUTIONS :

M. Paul-Arthur Grenier                                                              POUR LES DEMANDEURS

Me Marie-Geneviève Masson                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Me Stéphane Nobert

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Paul-Arthur Grenier

Beauport (Québec)                                                                    POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la justice Canada                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)


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