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Date : 20201231


Dossier : IMM‑183‑20

Référence : 2020 CF 1195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLUWAFUNSHO JULIANA OYADOYIN

EMMANUEL KEHINDE OYADOYIN

EMMANUELLA TAIWO OYADOYIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 20 décembre 2019 dans laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé le rejet de leur demande d’asile, étant donné qu’il existait une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable à Port Harcourt, au Nigeria.

[2]  La demanderesse principale [la DP] et ses enfants mineurs sont citoyens du Nigeria et demandent l’asile en raison de leur crainte d’actes de mutilation génitale féminine et de scarification de la part des chefs du village du côté du mari de la demanderesse. Les demandeurs craignent également le mari même, ainsi que la famille de la femme que ce dernier a rendue enceinte. Les demandeurs sont arrivés au Canada en avril 2018 en provenance des États-Unis.

[3]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile, car les demandeurs n’ont pas démontré que la PRI était déraisonnable. La SAR a confirmé la décision.

[4]  Le concept de PRI désigne une situation dans laquelle une personne peut être un réfugié dans une partie d’un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Il appartient au demandeur d’asile de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans la PRI ou que la situation est telle qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, aux pages 593 et 597 (CAF)).

[5]  La présente demande de contrôle judiciaire porte sur le caractère raisonnable des conclusions de la SAR concernant l’absence d’une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI et le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve en appel. Une décision raisonnable est intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[6]  Je tiens à souligner, à titre préliminaire, que même si les demandeurs n’ont pas présenté d’affidavit personnel comme l’exigent les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, alinéa 10(2)d), le dossier certifié du tribunal dans la présente affaire suffira pour l’examen de la présente demande (Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 455, aux paragraphes 18 et 19; Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 532, aux paragraphes 12 à 15).

[7]  Les demandeurs soutiennent qu’ils risquent d’être persécutés à Port Harcourt en raison de la capacité des agents de persécution de les retrouver, compte tenu des liens familiaux et des antécédents de la DP dans la ville en question, et ce, en plus de communications antérieures entre son père et son mari.

[8]  Les demandeurs avancent en outre que les éléments de preuve en appel auraient dû être admis, car ils n’auraient pas pu être présentés dans la semaine précédant la décision de la SPR étant donné leur provenance du Nigeria; et qu’ils étaient importants pour la détermination de la motivation des agents de persécution de retrouver les demandeurs. Les éléments de preuve attestent des menaces et une agression contre le père de la DP par des agresseurs inconnus à la recherche de la DP.

[9]  En l’espèce, la décision de la SAR est déraisonnable quant au premier volet de l’analyse de la PRI, car elle omet d’examiner les éléments de preuve qui montrent que les agents de persécution seraient facilement en mesure de retrouver les demandeurs dans la PRI, ce qui pourrait constituer une possibilité sérieuse de persécution.

[10]  Les demandeurs ont été jugés crédibles; la SAR a reconnu que la mère, un frère et une sœur de la DP résidaient à Port Harcourt; et la DP elle-même y a étudié pendant sept ans, soit trois ans avant de rencontrer son mari. Il ressort du dossier que les agents de persécution, à tout le moins le mari, seraient raisonnablement mis au courant de l’information.

[11]  En examinant la possibilité de trouver les demandeurs, la SAR a notamment souligné qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant que les membres de la famille vivant dans la PRI étaient en contact ou coopéreraient avec les agents de persécution; les demandeurs n’ont pas à communiquer leurs coordonnées; et la DP a la garde des enfants. La SAR a toutefois omis d’examiner si la connaissance des liens importants des demandeurs avec la PRI pouvait militer en faveur de la capacité des agents de persécution de les retrouver, si ces derniers étaient motivés à le faire, et si cela constituait une possibilité sérieuse de persécution.

[12]  Même si la SAR est présumée avoir examiné l’ensemble du dossier, elle ne semble pas avoir tenu compte d’éléments de preuve importants au regard de son évaluation (voir la décision Ntirandekura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 564, au paragraphe 4). Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable; et il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la recevabilité des éléments de preuve en appel. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑183-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire doit être instruite à nouveau. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑183‑20

 

INTITULÉ :

OLUWAFUNSHO JULIANA OYADOYIN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DécembrE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 DÉcembrE 2020

 

COMPARUTIONS :

Saïd Le Ber‑Assiani

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Attorneys

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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