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Date : 20201230


Dossier : T‑816‑19

Référence : 2020 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

HESAMEDDIN ABBASPOUR TAZEHKAND

demandeur

et

LA BANQUE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] a rejeté la plainte du demandeur, qui reprochait à la Banque du Canada [la Banque] d’avoir commis un acte discriminatoire, fondé sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique, en refusant de le convoquer en entrevue [la plainte]. La Commission a décidé de rejeter la plainte [la décision], conformément à la recommandation formulée dans le rapport d’enquête [le rapport] rédigé par un de ses enquêteurs. La décision a été rendue au titre du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi].

I. Les faits

[2] Le demandeur a obtenu une maîtrise en mathématiques en 2007 et un doctorat en mathématiques en 2012. Il est également détenteur d’une maîtrise en affaires publiques et internationales depuis 2015.

[3] Le 9 octobre 2016, le demandeur a posé sa candidature au poste d’analyste (maîtrise, nouveaux diplômés) à la Banque. Parmi les [traduction] « exigences principales », l’avis d’emploi précisait que le poste exigeait ce qui suit : [traduction] « Scolarité : diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA) », obtenu entre 2015 et 2017.

[4] Le 23 novembre 2016, le demandeur a communiqué avec la Banque pour s’enquérir de l’avancement de sa candidature. La Banque lui a répondu le 5 décembre 2016 que sa candidature n’avait pas été retenue, parce que d’autres candidats possédaient une [traduction] « vaste expérience ». Le demandeur a réécrit à la Banque par courriel, en soulignant que le poste visait les nouveaux diplômés seulement, de sorte que [traduction] « l’expérience ne pouvait avoir été un facteur déterminant ». La défenderesse a répondu encore une fois, affirmant que d’autres candidats [traduction] « avaient mis en valeur des activités para‑universitaires et des notes élevées ».

[5] Désireux d’en savoir davantage sur les raisons du rejet de sa candidature, le demandeur a envoyé un courriel le 9 décembre 2016 au chef de l’exploitation de la Banque pour demander des éclaircissements. Cette fois, le 15 décembre 2016, une cadre supérieure de la banque, la directrice, Recrutement et Mobilité internationale [la directrice], a communiqué avec le demandeur. Elle l’a informé, notamment, du fait que [traduction] « [sa] formation universitaire, bien qu’approfondie, n’était pas particulièrement pertinente au regard de ce que recherchait les divisions du secteur financier cette année ». Le demandeur n’était pas d’accord avec cette évaluation et, dans sa réponse envoyée par courriel le 20 décembre 2016, il a déclaré qu’il avait effectué des travaux de cours pertinents dans le passé.

[6] Le 22 décembre 2016, la directrice a organisé un processus de « révision à l’aveugle » afin de valider l’équité de l’évaluation initiale. Le nom du demandeur et les caractéristiques susceptibles de l’identifier ont été supprimés de son dossier de candidature, qui a ensuite été acheminé à des gestionnaires n’ayant pas participé au processus initial. Cette « révision à l’aveugle » a confirmé la première évaluation et mis en relief, en particulier, le fait que le demandeur ne possédait pas de maîtrise dans un domaine propre à l’économie et n’avait pas rédigé de thèse sur un sujet pertinent en matière de politique monétaire, contrairement à d’autres candidats. Je souligne que le demandeur n’a été informé de cette « révision à l’aveugle » qu’après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire à la Cour.

[7] Le 5 janvier 2017, la directrice a de nouveau communiqué par courriel au demandeur pour lui souligner qu’il n’avait pas rédigé de thèse pertinente qui aurait montré qu’il possède des connaissances suffisantes en matière de politique monétaire. Le demandeur a répondu le même jour qu’il avait effectivement suivi une formation pertinente en matière de politique monétaire et a ajouté que [traduction] « [v]os explications sont très peu convaincantes, et je pense encore qu’on me traite injustement dans ce dossier ».

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Le 5 octobre 2017, le demandeur a porté plainte à la Commission, au titre de l’article 7 de la Loi. Il a fait valoir que la Banque lui avait refusé un emploi en raison de sa race, ou de son origine nationale ou ethnique. La Loi prévoit ce qui suit :

Emploi

Employment

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

BLANK

on a prohibited ground of discrimination

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

[9] La Banque a eu la possibilité de répondre à la plainte, ce qu’elle a fait dans une lettre datée du 24 avril 2018. Le 8 août 2018, le demandeur a déposé une lettre en réponse aux observations de la Banque.

[10] L’enquêteur a examiné les arguments des parties et remis son rapport daté du 21 décembre 2018.

[11] Dans le rapport, l’enquêteur a conclu que le demandeur n’était pas qualifié pour le poste.

[12] L’enquêteur a également conclu que la candidature du demandeur n’avait pas été écartée pour des raisons liées à sa race, ou à son origine nationale ou ethnique.

[13] Sur le fondement du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, le rapport recommandait le rejet de la plainte :

Rapport

Report

44 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

44 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[14] Le rapport a été envoyé aux deux parties pour commentaires. Le demandeur a réagi au rapport le 18 janvier 2019. La défenderesse n’a présenté aucune autre observation. Le rapport et la réponse du demandeur ont été transmis à la Commission afin qu’elle décide de la suite à y donner : rejeter la plainte, demander au Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] d’instruire la plainte ou prendre toute autre mesure.

[15] Le 27 mars 2019, la Commission a rendu sa décision et suivi la recommandation formulée dans le rapport, soit de rejeter la plainte.

[16] La Commission a jugé que le demandeur n’avait [traduction] « pas présenté d’autre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de ne pas le convoquer en entrevue ou de ne pas l’embaucher était fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique ».

[17] La Commission a également conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences essentielles du poste.

[18] La décision était libellée ainsi :

[traduction]

La Commission souscrit à la recommandation de rejeter la plainte.

Dans ses observations après la divulgation, le plaignant a fourni des informations visant à corriger ce qu’il voyait comme des erreurs dans le rapport d’enquête. Malgré ces erreurs prétendues, il est clair que le plaignant ne possédait pas les qualifications essentielles exigées pour le poste affiché. La défenderesse exigeait qu’un candidat ait obtenu une maîtrise, entre 2015 et 2017, dans un des domaines énumérés dans une liste. Le plaignant était détenteur d’un doctorat en mathématiques, un des domaines énumérés, obtenu en 2012, année qui tombe en dehors de la période fixée par la défenderesse. Ainsi, le plaignant ne possédait pas les qualifications essentielles exigées pour le poste. Le plaignant n’a pas présenté d’autre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de ne pas le convoquer en entrevue ou de ne pas l’embaucher était fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique.

III. Les questions en litige

[19] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Commission a‑t‑elle manqué aux principes de justice naturelle et/ou à l’équité procédurale?

  2. La décision est‑elle raisonnable?

IV. La norme de contrôle

A. Les principes de justice naturelle et/ou l’équité procédurale

[20] La première question en litige soulève un enjeu d’équité procédurale. À mon humble avis, les enjeux d’équité procédurale doivent être examinés selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Ceci étant dit, je souhaite souligner le fait que, dans Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas, au para 69, la Cour d’appel fédérale dit qu’il peut être nécessaire de procéder selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42 ». Mais voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [le juge Rennie]. Voir aussi La‑Haddad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 274 aux para 10-11, et Ibid c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 359 aux para 39-40. Les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23, indiquent aussi que la norme de contrôle en matière d’équité procédurale est la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[21] Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 50, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé de la cour de révision qui doit appliquer la norme de la décision correcte :

[50] [...] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Le caractère raisonnable

[22] La deuxième question en litige soulève un enjeu relatif au caractère raisonnable. À cet égard, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a déclaré que Vavilov établissait un cadre révisé servant à déterminer la norme de contrôle applicable pour les décisions administratives. L’analyse a comme point de départ une présomption selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Cette présomption peut être réfutée dans certaines situations, dont aucune n’est applicable à la deuxième question en litige dans la présente affaire. Par conséquent, la deuxième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[23] Dans Société canadienne des postes, le juge Rowe explique ce qui constitue une décision raisonnable et la démarche que doit suivre la cour de révision quand elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). [...]

[Non souligné dans l’original.]

[24] Selon la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreintes des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[25] Au paragraphe 86 de Vavilov, la Cour suprême du Canada précise aussi qu’il « ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ».

[26] L’arrêt Vavilov confirme que les décideurs administratifs peuvent apprécier et évaluer la preuve qui leur est soumise et qu’« à moins de circonstances exceptionnelles », les cours de révision ne modifieront pas les conclusions de fait. La Cour suprême enjoint également aux cours de révision dans Vavilov de « s’abstenir » d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

V. Analyse

[27] À titre préliminaire, la Banque conteste la recevabilité de la pièce I jointe à l’affidavit du demandeur, soit un rapport du Commissariat à la protection de la vie privée [le Commissariat à la vie privée]. La Commission ne disposait pas de ce document quand elle a rendu sa décision. La Banque a soutenu qu’une cour de révision doit s’appuyer exclusivement sur les éléments de preuve présentés au décideur et qu’aucune exception à cette règle générale ne s’applique en l’espèce. La Banque a donc demandé à la Cour de ne pas accepter cette pièce en preuve ou de ne pas prendre en considération l’information qu’elle contient.

[28] Le demandeur fait valoir que le rapport du Commissariat à la vie privée devrait être admis en preuve, parce qu’il illustre la mauvaise conduite de la Banque à son endroit et montre que la Banque l’a forcé à se tourner vers le Commissariat à la vie privée pour obtenir des renseignements plutôt que de les lui fournir. De plus, le demandeur affirme que le Commissariat à la vie privée lui a donné raison en ce qui a trait à la conduite de la Banque.

[29] En toute déférence, je ne suis pas convaincu qu’il y a lieu d’accepter la pièce I. Il s’agit d’une nouvelle preuve, c’est‑à‑dire d’un élément que ni l’enquêteur ni la Commission n’avaient à leur disposition. Dans la décision Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 997 [Davidson], qui porte sur le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission rendue conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, le demandeur avait présenté un certain nombre de documents obtenus au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21. Au paragraphe 52, j’ai conclu que ces documents n’étaient pas recevables, parce que ni l’enquêteur ni la Commission n’en avaient été saisis et qu’ils ne répondaient aux critères d’aucune des exceptions à la règle voulant que le contrôle judiciaire soit un examen des éléments dont disposait le décideur, et, de façon générale, de rien d’autre. Cette règle est énoncée dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, le juge Stratas [Association des universités].

[30] J’ai rendu une décision semblable à l’audience en l’espèce, où je me suis exprimé ainsi (texte révisé pour des raisons de grammaire, de références jurisprudentielles, de citations et de contenu) :

[traduction]

1. Le demandeur a prié la Cour d’examiner un document de deux pages, émanant du Commissariat à la protection de la vie privée [le document]. Il affirme essentiellement que ce document illustre un comportement de la Banque qui a une incidence sur le contrôle de la décision par la Cour. Il soutient que, dans le cadre du contrôle judiciaire, il est en droit d’analyser la conduite de la défenderesse dans une autre instance afin d’apprécier le caractère raisonnable de sa demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission. Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire ou souhaitable pour la Cour d’examiner le travail d’autres décideurs pour les besoins d’une telle instruction.

2. Le demandeur admet que le document a été rendu public après le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Il est reconnu que ni l’enquêteur ni la Commission n’avaient été saisis du document en lien avec la décision qui fait l’objet du contrôle.

3. Il est bien établi, quoique ce ne soit peut‑être pas connu du demandeur qui agit pour son propre compte, que le contrôle judiciaire repose sur l’examen des seuls documents dont disposait le décideur et de la décision qui est contestée. D’autres documents peuvent être admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais seulement s’ils répondent aux conditions énoncées en droit. Je me reporte à cette fin à l’arrêt Association des universités, où le juge Stratas déclare ce qui suit :

[20] Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l’espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l’affidavit de M. Juliano.

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers’ Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot‑de‑vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot‑de‑vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée).

4. En toute déférence, bien qu’il y ait des exceptions, je considère qu’aucune d’entre elles ne s’applique à la demande formulée par le demandeur en l’espèce. Je constate que cette demande n’a pas été présentée par voie de requête, mais je passe outre à cette exigence, parce que le document en question a été versé dans le dossier du demandeur avec le reste des documents et parce que la défenderesse a eu la possibilité d’y réagir, puisqu’elle s’est opposée au dépôt de la pièce I accompagnant l’affidavit du demandeur. Les deux parties ont pu débattre de ce point par écrit à mon intention, puis ont pu préciser leurs arguments de vive voix à l’audience.

5. Je conclus que le document n’est pas admissible et n’aurait pas dû être versé dans le dossier du demandeur. Par conséquent, je ne vais pas en tenir compte dans ma décision.

A. Les principes de justice naturelle et l’équité procédurale

[31] Selon le demandeur, la Commission a fait une erreur quand elle a déterminé qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste, soit une maîtrise obtenue, entre 2015 et 2017, dans un des [traduction] « domaines énumérés dans une liste ». Une des [traduction] « exigences principales » du poste était de détenir [traduction] « diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA) ».

[32] Le demandeur soutient que le mot [traduction] « comme » [l’expression « such as » dans l’original anglais] annonce des exemples à des fins d’illustration, et non pas une liste exhaustive, et il souligne que l’avis d’emploi ne contient pas de [traduction] « domaines énumérés dans une liste ». Je conviens que l’expression [traduction] « domaines énumérés dans une liste » est effectivement utilisée par la Commission. Bien que je sois d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme qu’il s’agit d’exemples à des fins d’illustration, ce n’est pas infini. Un diplôme sera acceptable s’il entre dans un [traduction] « domaine apparenté », c’est‑à‑dire semblable à la maîtrise en finance. C’est le sens ordinaire de la phrase complète. Par conséquent, les diplômes mentionnés constituent des exemples de ceux que la Banque considérait comme apparentés à la maîtrise en finance. À mon avis, l’utilisation du mot « énumérés » par la Commission n’est pas vraiment déterminante. De plus, le choix de ce terme n’entraîne aucune iniquité procédurale quand, comme il se doit, on analyse l’ensemble de la décision.

[33] Le demandeur a fait aussi valoir que la Banque [traduction] « adopt[ait] une position assez bizarre, soit que la maîtrise en informatique [était] plus pertinente pour le poste d’analyste annoncé qu’une maîtrise de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa ». Je souligne que le demandeur est titulaire d’une maîtrise en affaires publiques et internationales.

[34] L’avis d’emploi faisait partie du dossier déposé à la Commission; d’après le demandeur, celle-ci en a fait une interprétation erronée, ce qui montre qu’elle n’a pas tenu compte du dossier dont elle disposait avant de rendre sa décision. Cette affirmation constitue la base de l’argument du demandeur relatif à l’équité procédurale.

[35] En toute déférence, à la lumière du dossier en l’espèce, l’argument du demandeur concernant l’équité procédurale n’est pas fondé.

[36] Je conviens qu’au nom de l’obligation d’équité procédurale, la Commission doit apprécier la pertinence de poursuivre l’examen d’une manière équitable, neutre et rigoureuse : voir, par exemple, Desgranges c Canada (Service d’appui aux tribunaux administratifs), 2020 CF 315 [Desgranges], où la juge Kane s’exprime en ces termes aux para 29 et 30 :

[29] Comme il est mentionné dans la décision Desgranges 1, le rôle de la Commission consiste à déterminer s’il faut transmettre la plainte au Tribunal (Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 [Cooper]; Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, 46 ACWS (3d) 923 [Slattery], aux par. 14 et 15, conf. Par [1996] ACF no 385 (CA), 62 ACWS (3d) 761; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, 144 ACWS (3d) 509, aux par. 37 et 38). La Commission exerce une fonction d’examen préalable, et non une fonction décisionnelle.

[30] Dans la décision Georgoulas, la Cour a donné un aperçu et fourni un résumé des principes pertinents tirés de la jurisprudence (notamment Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, 323 DLR (4e) 699, aux par. 30 à 34; Cooper; Slattery; Sketchley; Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, 474 NR 366; et Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114, 19 Admin LR (6e) 177), qui s’appliquent tous également à la présente affaire. Au paragraphe 87 de la décision Georgoulas, la Cour a souligné ce qui suit :

87 Voici une synthèse des principes tirés de la jurisprudence qui ont été appliqués en l’espèce :

La Commission n’est pas un organe décisionnel — il lui est plutôt demandé d’établir si une plainte justifie un examen plus approfondi. La Commission doit évaluer si « la preuve est suffisante » ou, autrement dit, elle doit mener un examen préalable.

La Commission jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les circonstances justifient de poursuivre l’examen.

Au nom de l’obligation d’équité procédurale, la Commission doit apprécier la pertinence de poursuivre l’examen d’une manière équitable, neutre et rigoureuse.

L’appréciation de la rigueur de l’enquête commande la retenue à l’égard du décideur pour ce qui a trait à l’évaluation de la valeur probante de la preuve et de la pertinence de poursuivre l’enquête. L’enquête doit se borner aux questions fondamentales; il n’est pas demandé à l’enquêteur de prendre en compte chaque petit détail.

La Commission jouit d’une grande latitude quant à sa procédure d’enquête.

La norme de la perfection ne saurait régir une enquête relative aux droits de la personne.

[Non souligné dans l’original.]

[37] Cependant, la décision et le rapport en l’espèce montrent que la Commission a bel et bien procédé à un examen rigoureux du dossier. La Cour ne se borne pas à réviser la courte décision de la Commission; elle le fait, évidemment, mais elle prend connaissance aussi du rapport qui sous‑tend la décision, lequel, dans un cas semblable à la présente affaire, constitue avec la décision de la Commission l’ensemble de la décision qui est l’objet du contrôle judiciaire. Les deux documents sont examinés comme un tout, et non pas séparément : voir Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 [le juge Linden] au para 37; Piché c Canada (Procureur général), 2008 CAF 356 [le juge Létourneau] au para 14; Asghar c Rogers Communications Inc, 2020 CF 951 [le juge Diner] au para 17; O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448 [la juge Kane] au para 12.

[38] Le rapport et la décision confirment que l’enquêteur a bel et bien examiné rigoureusement les observations du demandeur. De fait, une bonne partie du rapport est tirée des observations présentées par le demandeur au moment du dépôt de sa plainte et dans sa réplique à la réponse donnée par la Banque lorsque l’enquêteur a sollicité ses commentaires au sujet de la plainte. Par exemple, aux paragraphes 35 et 36, le rapport cite des documents déposés par le demandeur. Également, les paragraphes 37 et 38 se fondent sur les observations présentées par le demandeur et la Banque, sur l’avis d’emploi et le dossier de candidature du demandeur :

[traduction]

Preuve documentaire

Exigences principales pour le poste d’analyste (nouveau diplômé)

35. L’avis d’emploi précisait que les candidats devaient avoir obtenu leur diplôme entre janvier 2015 et décembre 2017.

36. Les autres exigences principales énoncées pour le poste étaient les suivantes :

Scolarité : diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA)

Langues : la connaissance de l’anglais ou du français est essentielle

Aptitudes pour la communication : excellentes qualités interpersonnelles et capacité de communiquer clairement de l’information et des idées adaptées aux destinataires en ayant recours à des communications écrites et orales claires et convaincantes

Apprentissage et perfectionnement : capacité de se motiver et de faire preuve d’engagement envers l’apprentissage continu et l’autoperfectionnement

Travail en équipe et collaboration : capacité de nouer des relations de travail positives en appuyant les décisions de l’équipe, en cherchant à résoudre les conflits et en favorisant la coopération et les partenariats

Aptitudes pour la planification et l’organisation : capacité d’organiser le travail efficacement, d’établir des priorités, de façon à permettre la réalisation des tâches ainsi que des projets avec la diligence voulue et à l’intérieur de délais serrés

Innovation : capacité de générer de nouvelles idées, de concevoir des approches novatrices et de prendre des décisions innovantes

Aptitudes pour la recherche : capacité de lancer et de mener des projets de recherche approfondis

Aptitudes pour l’analyse et habiletés techniques :

capacité d’analyser des sujets complexes touchant l’économie et la finance, de repérer des problèmes multidimensionnels et de trouver des réponses ou des stratégies appropriées en conséquence

intérêt démontré envers les enjeux stratégiques liés à la stabilité financière

connaissance des enjeux stratégiques liés aux systèmes financiers, y compris les réformes réglementaires importantes qui sont en cours

capacité d’intégrer des champs d’expertise spécialisés et complexes, par exemple l’analyse des marchés financiers, l’analyse économique et l’analyse des questions réglementaires

Champs d’études : cours suivis dans au moins un des domaines suivants :

la macroéconomie

la microéconomie

l’économétrie

l’analyse quantitative

la finance

Analyse et conclusion

37. Le tableau ci‑dessous compare les qualifications essentielles pour le poste d’analyste (nouveau diplômé) et les qualifications du plaignant, telles qu’elles figurent dans les documents fournis par ce dernier à la Banque dans son dossier de candidature : lettre de présentation, curriculum vitae et relevé de notes (2015) pour la maîtrise ès arts, Affaires publiques et internationales.

Exigences principales pour le poste d’analyste (nouveau diplômé)

Qualifications du plaignant

Scolarité : diplôme de maîtrise obtenu entre janvier 2015 et décembre 2017 en finance ou dans un des domaines apparentés suivants :

économie,

informatique,

mathématiques,

statistiques,

administration des affaires

Maîtrise ès arts, Affaires publiques et internationales, obtenue en 2015.

Doctorat en mathématiques obtenu en 2012.

Maîtrise en mathématiques obtenue en 2007.

Langues : La connaissance de l’anglais ou du français est essentielle

Candidature présentée en anglais

Aptitudes pour la communication : excellentes qualités interpersonnelles et capacité de communiquer clairement de l’information et des idées adaptées aux destinataires en ayant recours à des communications écrites et orales claires et convaincantes

Expérience en rédaction technique — a rédigé des notes d’information et des mémoires qui exigeaient de choisir l’information critique et pertinente, puis de recourir à un style d’écriture permettant de communiquer parfois énormément d’information de façon concise

Apprentissage et perfectionnement : capacité de se motiver et de faire preuve d’engagement envers l’apprentissage continu et l’autoperfectionnement

Non précisé dans le dossier de candidature

Travail en équipe et collaboration : capacité de nouer des relations de travail positives en appuyant les décisions de l’équipe, en cherchant à résoudre les conflits et en favorisant la coopération et les partenariats

Non précisé dans le dossier de candidature

Aptitudes pour la planification et l’organisation : capacité d’organiser le travail efficacement, d’établir des priorités, de façon à permettre la réalisation des tâches ainsi que des projets avec la diligence voulue et à l’intérieur de délais serrés

Non précisé dans le dossier de candidature

Innovation : capacité de générer de nouvelles idées, de concevoir des approches novatrices et de prendre des décisions innovantes

Non précisé dans le dossier de candidature

Aptitudes pour la recherche : capacité de lancer et de mener des projets de recherche approfondis

A occupé des postes en recherche comme analyste stratégique, notamment dans le cadre d’une étude sur la politique africaine du Brésil couvrant une période de 50 ans. « J’ai des qualités qui seront des plus utiles pour la recherche, quelle qu’elle soit, par exemple la capacité de scinder un problème en parties plus petites et donc plus facile à gérer. Cela permet aussi une planification et une gestion plus efficaces des ressources affectées à des projets complexes ».

Aptitudes pour l’analyse et habiletés techniques :

capacité d’analyser des sujets complexes touchant l’économie et la finance, de repérer des problèmes multidimensionnels et de trouver des réponses ou des stratégies appropriées en conséquence

intérêt démontré envers les enjeux stratégiques liés à la stabilité financière

connaissance des enjeux stratégiques liés aux systèmes financiers, y compris les réformes réglementaires importantes qui sont en cours

capacité d’intégrer des champs d’expertise spécialisés et complexes, par exemple l’analyse des marchés financiers, l’analyse économique et l’analyse des questions réglementaires

Qualités acquises grâce à sa « formation en mathématiques », « qui permet d’aller chercher une certaine clarté et une orientation réfléchie qui, à leur tour, contribuent à l’élaboration d’une approche systématique dans la résolution de problèmes ».

« Je suis en mesure d’utiliser mes connaissances en mathématiques pour traduire des résultats quantitatifs à l’intention de ceux qui évoluent dans le milieu des politiques. » Expérience acquise entre autres dans le cadre de divers mandats de recherche dans le milieu universitaire et en entreprise privée, dans différents domaines, notamment les données financières et administratives, la politique étrangère et la communication de données.

Champs d’études : cours suivis dans au moins un des domaines suivants :

  • la macroéconomie

  • la microéconomie

  • l’économétrie

  • l’analyse quantitative

  • la finance

 

Le plaignant a déclaré qu’il a été exempté des cours suivants :

macroéconomie

microéconomie en politique publique

Les trois autres cours obligatoires ne figuraient pas sur le relevé de 2015 du plaignant.

38. D’après l’information ci‑dessus et les éléments de preuve recueillis durant l’enquête, il semble que le plaignant ne possède pas bon nombre des qualifications essentielles requises, et cette lacune ainsi que le fait que le plaignant n’ait pas pu montrer dans son curriculum vitae et dans sa lettre de présentation que les cours suivis ou son expérience avaient porté sur des sujets liés à la politique monétaire ou à la stabilité du système financier sont les seules raisons du rejet de sa candidature.

[39] Voici ce qu’a conclu l’enquêteur :

[traduction]

Résumé

39. À la lumière des éléments de preuve qui ont été recueillis, le plaignant n’était pas qualifié pour le poste affiché, et le fait que sa candidature ait été écartée n’a rien à voir avec la race, ou avec l’origine nationale ou ethnique du plaignant.

[40] En outre, la Commission mentionne dans sa décision que le demandeur [traduction] « a fourni des informations visant à corriger ce qu’il voyait comme des erreurs dans le rapport [...]. Malgré ces erreurs prétendues, il est clair que le [demandeur] ne possédait pas les qualifications essentielles exigées pour le poste affiché ». Ces propos établissent en outre que la Commission a rigoureusement examiné la preuve amenée par le demandeur dans ses observations, y compris les explications formulées par la Banque pour écarter la candidature du demandeur, les contradictions apparentes dans l’avis d’emploi, les statistiques concernant le statut en matière d’immigration d’autres candidats pour le poste ainsi que les erreurs apparemment contenues dans le rapport. La Commission a conclu que ces éléments n’équivalaient pas à une preuve pouvant appuyer la prétention du demandeur, selon laquelle l’omission de le convoquer en entrevue se fondait sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique.

[41] Je comprends que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de la Commission et de l’enquêteur, mais il s’agit d’un désaccord relativement au résultat, ce qui ne constitue pas un argument touchant l’équité procédurale.

[42] En toute déférence, compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’argument du demandeur suivant lequel la Commission n’a pas examiné rigoureusement son dossier n’est pas fondé.

[43] Le demandeur a invoqué un autre élément sous‑tendant son argument quant à l’iniquité de la décision, c’est‑à‑dire le fait que la Commission a commis une erreur quand elle a déclaré que le demandeur [traduction] « n’a pas présenté d’autre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de ne pas le convoquer en entrevue ou de ne pas l’embaucher était fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique ». Le demandeur fait valoir qu’il a bel et bien présenté une preuve suffisante à la Commission.

[44] Pour les motifs décrits ci‑dessus, ces observations ne fournissent aucun fondement à l’argument selon lequel il y a eu manquement à l’équité procédurale. Le demandeur confond son désaccord quant aux conclusions tirées par la Commission et l’enquêteur avec de l’iniquité procédurale.

[45] En résumé, les arguments du demandeur relatifs à l’iniquité procédurale sont non fondés.

B. Le caractère raisonnable

[46] Le demandeur conteste plusieurs aspects de la décision, y compris la question de savoir si la Commission a apprécié de manière raisonnable son allégation de discrimination fondée sur la race, ou sur l’origine nationale ou ethnique, et s’il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste. J’aborderai maintenant ces points.

[47] Le demandeur remet en question la conclusion de la Commission suivant laquelle [traduction] « [il] n’a pas présenté d’autre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de ne pas le convoquer en entrevue ou de ne pas l’embaucher était fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique ». Le demandeur affirme que cette conclusion est contraire à la preuve, et fait valoir qu’il a bel et bien présenté des éléments de preuve pertinents, mais qu’ils n’ont pas été pris en considération par la Commission. Plus précisément, selon le demandeur, la Commission n’a pas tenu compte (i) des explications contradictoires données par la Banque pour justifier le rejet de sa candidature; (ii) de l’avis d’emploi fourni à la Commission par la Banque, qui est différent de celui qui a été réellement publié; (iii) des statistiques relatives au statut en matière d’immigration ou de citoyenneté des candidats qui ont été interviewés puis embauchés pour le poste; (iv) de l’exigence concernant les [traduction] « champs d’études » recherchés pour le poste, ou encore de certains éléments de preuve présentés (ce qui constitue, en substance, son argument, soit qu’il répondait aux exigences essentielles du poste, contrairement à ce qu’ont conclu l’enquêteur et la Commission); (v) du rapport du Commissariat à la vie privée (qui est irrecevable devant la Cour, puisqu’il s’agit d’une nouvelle preuve).

[48] La Banque soutient en résumé que le demandeur n’a fourni aucune preuve d’un lien entre sa race ou son origine nationale ou ethnique et la décision de la Banque de ne pas le convoquer en entrevue. Je suis d’accord.

[49] La Banque affirme également que la plainte a été l’objet d’une enquête en bonne et due forme et qu’elle a été dûment rejetée par la Commission, puisque celle‑ci a conclu, de façon raisonnable, que le demandeur ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste. Encore une fois, en toute déférence, je suis d’accord avec la Banque.

[50] J’examinerai maintenant les cinq points précis mentionnés plus haut qui ont été avancés par le demandeur.

[51] Au point (i), j’imagine que le demandeur veut souligner que la Commission n’a pas raisonnablement tenu compte du fait que la Banque avait présenté [traduction] « quatre explications contradictoires pour justifier que [s]a candidature était rejetée ». Initialement, le demandeur avait assimilé cela à de l’iniquité procédurale, ce qui n’est pas le cas. Toutefois, je vais m’y attarder ici. La Banque a affirmé que les réponses qu’elle a fournies se complètent et ont été données, parce que le demandeur continuait de réclamer des renseignements supplémentaires sur la raison du rejet de sa candidature. En toute déférence, je ne suis pas convaincu que la Banque ait agi déraisonnablement lorsqu’elle a répondu comme elle l’a fait au demandeur dans leurs multiples courriels. Il y a des contradictions mineures, mais les réponses se complètent. Ce qui est plus important, c’est que, à mon avis, les réponses de la Banque informent le demandeur qu’il ne répond pas aux [traduction] « exigences principales » minimales relativement à l’obtention récente d’une maîtrise dans un domaine apparenté à la finance, et que d’autres candidats étaient plus qualifiés que lui. Cette affirmation n’est aucunement déraisonnable, puisqu’elle correspond au dossier dont disposait la Banque.

[52] À cet égard, c’est l’employeur potentiel (la Banque, en l’occurrence) qui a normalement le droit de décider qui possède les qualifications requises pour un emploi : voir Lavigne c Canada (Justice), 2009 CF 684 [le juge Shore] au para 2; MacAdam c Canada (Procureur général), 2014 CF 443 [le juge Mosley] au para 54. La situation est tout autre si l’employeur commet un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite, de sorte que la question importante est la suivante : y a‑t‑il eu discrimination en l’espèce? Bien que le demandeur allègue une discrimination suffisante pour justifier l’instruction de sa plainte par le Tribunal, il ne suffit pas d’alléguer la discrimination; une distinction pour un motif illicite visé par la Loi doit être raisonnablement manifeste, et le demandeur doit en avoir été personnellement victime : Desgranges, aux para 80-82; Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 877 [le juge Elliott] au para 35. Je me pencherai sur l’argument présenté par le demandeur concernant sa maîtrise en affaires publiques et internationales quand la question sera soulevée plus loin dans les présents motifs.

[53] À cette étape‑ci, aucun élément ne rattache l’échange de courriels et les déclarations à la plainte du demandeur pour discrimination fondée sur la race, ou sur l’origine nationale ou ethnique.

[54] Au point (ii), le demandeur fait valoir que la Commission n’aurait pas dû recourir aux mauvaises qualifications pour l’emploi et il soutient que la Banque a remis à la Commission une liste de qualifications qui était différente de l’avis d’emploi soumis par le demandeur. Selon moi, cette allégation n’est pas fondée, parce que, dans les faits, un seul avis d’emploi a été examiné par l’enquêteur et la Commission, soit celui‑là même qui avait été déposé par le demandeur avec sa plainte. Cet argument repose donc sur une base factuelle incorrecte. La Commission disposait du bon avis d’emploi. Cependant, et en toute déférence, même si la Banque s’était fiée au mauvais avis d’emploi, ce qu’elle n’a pas fait, les différences sont insignifiantes. En effet, la décision se fondait sur la conclusion que le demandeur ne possédait pas une qualification qui figurait dans les deux avis d’emploi, à savoir l’exigence d’être titulaire d’une maîtrise, en finance ou dans un domaine apparenté, qui avait été décernée entre 2015 et 2017.

[55] Durant l’audience, le demandeur a présenté cet argument pour démontrer une mauvaise conduite de la part de la Banque. La défenderesse a expliqué que l’avis d’emploi différent pour le poste, celui qui a été présenté à la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire, mais pas au décideur, provenait de sa base de données interne qui contenait plus de renseignements que l’avis d’emploi public. Cela semble, au mieux, être une erreur innocente; le dossier présenté aux décideurs renfermait le bon avis d’emploi, et c’est ce qui importe, selon moi, lors d’un contrôle judiciaire.

[56] Il est certain, à cette étape‑ci, que rien ne donne à entendre que la Banque a commis un acte discriminatoire envers le demandeur à cause de sa race, ou de son origine nationale ou ethnique.

[57] Au point (iii), le demandeur mentionne que les statistiques relatives au statut en matière d’immigration ou de citoyenneté des candidats qui ont été convoqués en entrevue puis embauchés pour le poste n’ont pas été suffisamment prises en considération dans le rapport. La défenderesse, dans ses commentaires à l’enquêteur, s’est exprimée ainsi :

[traduction]

Selon les données agrégées tirées d’un processus d’auto‑identification datant de 2017, 23 % des employés de la Banque ont déclaré appartenir à une minorité visible. Dans les divisions de l’économie, dont fait partie le poste d’analyste convoité par M. Tazehkand, la proportion d’employés qui s’identifiaient comme membres de minorités visibles est encore plus élevé, à 27 %.

[58] Le demandeur, en réponse à ces commentaires, a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Sans information supplémentaire, par exemple le pourcentage de candidats qui s’identifient comme membres de minorités visibles, ces chiffres ne prouvent justement rien.

La présente plainte en est un bon exemple. J’ai déposé une demande d’accès à l’information pour obtenir des statistiques sur le statut des candidats en matière d’immigration au fur et à mesure que leur demande franchissait les diverses étapes du processus d’embauche pour le poste que je désirais obtenir. Les résultats montrent que les citoyens canadiens représentaient moins de 55 % de tous les candidats (267/487) mais qu’ils constituaient 80 % des personnes embauchées (4/5).

[59] La défenderesse soutient que la Banque n’a pas tenu compte de la race ni de l’origine nationale ou ethnique de l’un quelconque des candidats dans son processus d’embauche et a répondu à l’enquêteur en ces termes :

[traduction]

En réponse à ce que déclare M. Tazehkand dans sa plainte, la Banque souligne d’abord qu’elle ne tient pas compte de l’origine nationale ou ethnique dans son processus d’embauche. M. Tazehkand n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que son origine nationale ou ethnique était connue de quiconque était impliqué dans le processus ou qu’elle a été mentionnée par qui que ce soit participant au processus.

[60] J’ai examiné le dossier et, à mon humble avis, rien ne permet d’identifier la race, ou l’origine nationale ou ethnique, du demandeur. Le seul moment où on s’approche de cet aspect, c’est quand on demande aux candidats de préciser leur statut en matière d’immigration, et le demandeur a répondu qu’il était résident permanent. Cette question était posée afin que les recruteurs puissent déterminer l’employabilité du candidat, étant donné que le statut en matière d’immigration peut, à l’occasion, empêcher une personne de travailler au Canada. La réponse du demandeur a établi qu’il le pouvait.

[61] Le demandeur n’a pas été personnellement convoqué en entrevue.

[62] On n’a pas demandé au demandeur de préciser sa race, et il n’a donné aucun renseignement à ce sujet, ni non plus sur sa nationalité ou son origine ethnique. À ces égards, rien dans le dossier ne permet au demandeur d’alléguer qu’il a été personnellement victime de discrimination en raison de sa race, ou de son origine nationale ou ethnique.

[63] Malgré tout, le demandeur conteste la conclusion à laquelle est parvenue la Commission, soit qu’il [traduction] « n’a pas présenté d’autre élément de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de ne pas le convoquer en entrevue ou de ne pas l’embaucher était fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique ».

[64] Il semble que le demandeur soit d’accord avec ma description du dossier. Cependant, il fait valoir que je devrais néanmoins conclure qu’il a été victime de discrimination fondée sur sa race, ou sur son origine nationale ou ethnique.

[65] À cette fin, il me demande d’apprécier à nouveau la preuve ainsi que de conclure que la décision et le rapport sont déraisonnables. Cette demande se heurte à deux obstacles : premièrement, cette proposition n’est pas fondée. Deuxièmement, et de toute façon, la Cour n’est pas en mesure de dégager, dans la présente affaire, une circonstance exceptionnelle justifiant qu’elle apprécie à nouveau les éléments de preuve.

[66] À cet égard, le demandeur a répondu au rapport. Il y a énoncé les mêmes arguments que devant la Cour. Dans sa réponse, il s’exprimait ainsi :

[traduction]

Le processus d’embauche en ligne de la Banque du Canada exige que les candidats précisent leur statut en matière d’immigration : à savoir s’ils sont citoyens canadiens, résidents permanents ou ni l’un ni l’autre. À la lecture de mon dossier de candidature, la Banque du Canada savait que je n’avais pas la citoyenneté canadienne, et la discrimination envers ceux qui ne sont pas citoyens canadiens constitue par définition de la discrimination fondée sur l’origine nationale.

En plus de mon statut en matière d’immigration, le CV que j’ai présenté précisait que je détiens un baccalauréat ès sciences en mathématiques de l’Université de technologie Sharif, située à Téhéran, en Iran.

L’automne dernier, j’ai déposé une demande à la Banque du Canada au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels afin d’obtenir tous les dossiers et documents qui me concernent, établis depuis le 1er octobre 2016. Par suite de cette demande, la Banque du Canada a fourni en tout trois courriels, ce qui était surprenant, puisque je possédais moi‑même au moins deux douzaines de courriels échangés avec elle. Par conséquent, j’ai déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada au sujet de la réponse nettement insuffisante de la Banque du Canada, après quoi cette dernière m’a remis près de 150 pages de documents et bon nombre de courriels qu’elle n’avait pas communiqués auparavant. Toutefois, la Banque du Canada a caviardé une grande partie de ces courriels au nom du privilège avocat‑client. En d’autres termes, la Banque du Canada prétend que je n’ai fourni aucune preuve, alors qu’elle a refusé de divulguer des courriels internes qui pourraient contenir de tels éléments de preuve.

[67] Je ne suis pas convaincu que la Commission et l’enquêteur ont agi de manière déraisonnable. Les préoccupations du demandeur ont été transmises à l’enquêteur et à la Commission, qui les ont tous deux écartées. Bien qu’il soit possible que la Banque ait déterminé que l’Université de technologie Sharif se trouvait à Téhéran, en Iran, il n’y en a aucune preuve que ce fut le cas. Il faut souligner que le dossier de candidature du demandeur pour le poste ne précisait pas l’endroit où se situait cette université. Il n’y a rien qui donne à entendre que la Banque a tiré d’une telle déduction une conclusion quelconque au sujet de la race, ou de l’origine nationale ou ethnique, du demandeur.

[68] Je souligne également que le demandeur, dans sa lettre de présentation adressée à la Banque, a précisé qu’il avait également vécu en Iran, en Autriche et en Turquie. Encore une fois, cependant, rien ne rattache ces pays à la race, ou à l’origine nationale ou ethnique, du demandeur. Nous ne savons tout simplement pas quelles sont les origines raciales, nationales ou ethniques du demandeur. Je ne suis pas convaincu que la Banque connaissait l’origine raciale, nationale ou ethnique du demandeur. Encore une fois, à cette étape‑ci de l’analyse, je ne suis pas convaincu que le dossier appuie une allégation de discrimination en raison de la race, ou de l’origine nationale ou ethnique, qui aurait raisonnablement justifié que la Commission défère l’affaire au Tribunal.

[69] En outre, selon cette argumentation extrêmement hypothétique, non corroborée par le dossier, la Cour est invitée à apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et à déterminer que la maîtrise du demandeur en affaires publiques et internationales répondait à une exigence fondamentale du poste, soit être titulaire d’une maîtrise apparentée à une maîtrise en finance. L’enquêteur et la Commission ont conclu différemment.

[70] La Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises, et tout récemment dans l’arrêt Vavilov, que la cour de révision ne doit pas apprécier à nouveau la preuve, à moins de circonstances exceptionnelles. Pourtant, en toute déférence, il me semble que c’est exactement ce que le demandeur me demande de faire. Or, je suis incapable de trouver des circonstances exceptionnelles en l’espèce. Au paragraphe 125 de Vavilov, la Cour suprême déclare : « [i]l est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur” », renvoyant à l’extrait suivant de l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 :

[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[Non souligné dans l’original.]

[71] En appliquant les motifs de la Cour suprême en l’espèce, je ne suis pas convaincu que la décision ou le rapport sont déraisonnables quand ils concluent que le demandeur n’a pas été victime de discrimination en raison de sa race, ou de son origine nationale ou ethnique. Autrement dit, à cette étape‑ci également, il n’y a aucune preuve qui justifie cette allégation, et il n’y a pas non plus de circonstances exceptionnelles obligeant raisonnablement la Cour à apprécier à nouveau le dossier.

[72] Je souligne aussi que cet argument a été clairement présenté à l’enquêteur et à la Commission qui l’ont rejeté : voir Slattery c Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst), [1994] 2 CF 574 [le juge Nadon] (le défaut d’examiner seulement les éléments de preuve les plus importants justifiera l’intervention judiciaire, et uniquement lorsque les parties n’auront pas déjà eu la possibilité de corriger l’omission); Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 [les juges Décary, Linden et Sexton] (ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose).

[73] Au point (iv), le demandeur plaide que la Commission a, soit mal interprété l’exigence du poste relative aux [traduction] « champs d’études », soit fait fi de certains éléments de preuve. Encore une fois, en toute déférence, je ne suis pas d’accord. Le rapport montre que la Commission a raisonnablement interprété l’avis d’emploi en concluant qu’il était exigé, comme qualification essentielle pour le poste, d’avoir suivi un cours dans un des domaines énumérés dans une liste; tant l’enquêteur que la Commission ont raisonnablement conclu, à mon avis, que le demandeur ne répondait pas à une [traduction] « exigence principale » (termes repris de l’avis d’emploi) du poste ou à une [traduction] « qualification essentielle » (termes utilisés dans la décision), cette exigence principale ou cette qualification essentielle (une maîtrise dans un domaine apparenté à la finance) étant clairement précisée dans l’avis d’emploi.

[74] Bref, la Banque a raisonnablement jugé, du moins à mon humble avis, que la maîtrise du demandeur en affaires publiques et internationales ne s’apparentait pas suffisamment à une maîtrise en finance pour qualifier le demandeur.

[75] Le demandeur n’est pas d’accord et soutient que sa maîtrise en affaires publiques et internationales est apparentée à une maîtrise en finance.

[76] De fait, le demandeur est même allé jusqu’à déclarer que la Banque [traduction] « adopt[ait] une position assez bizarre, soit que la maîtrise en informatique [était] plus pertinente pour le poste d’analyste annoncé qu’une maîtrise de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa » quand il a pu prendre connaissance du rapport avant son envoi à la Commission.

[77] La Commission a rejeté les observations du demandeur.

[78] Je ne suis pas convaincu que la Banque a traité de façon déraisonnable cet argument. Il lui incombait, en premier lieu, en dehors de toute distinction pour un motif illicite, de déterminer si le demandeur possédait les qualifications recherchées. Le débat lancé à plusieurs reprises par le demandeur, soit que sa maîtrise en affaires publiques et internationales s’apparentait suffisamment à une maîtrise en finance, repose sur des faits. Par conséquent, c’était à la Banque de trancher, à moins qu’elle ne se soit livrée à une pratique discriminatoire illicite, comme le fait valoir le demandeur.

[79] Le demandeur me demande d’apprécier à nouveau la preuve, et il juge que son diplôme était suffisamment apparenté à une maîtrise en finance pour rendre l’appréciation de la Banque déraisonnable. Pour les motifs déjà mentionnés, j’ai conclu que la Cour ne devrait pas apprécier à nouveau le dossier, à moins de circonstances exceptionnelles. Je ne peux pas voir de circonstances exceptionnelles entourant cet aspect des observations du demandeur, pas plus que dans son argumentation antérieure : voir Vavilov au para 125, renvoyant à l’extrait suivant de l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 :

[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[Non souligné dans l’original.]

[80] La Commission et l’enquêteur ont, une fois de plus, pris expressément en considération les préoccupations du demandeur, puis les ont rejetées. À cet égard, le rapport de l’enquêteur est extrêmement détaillé. Comme il est précisé plus haut, l’enquêteur cite, par exemple, aux paragraphes 35 et 36 de son rapport des documents déposés par le demandeur. Les paragraphes 37 et 38 se fondent sur des observations du demandeur et de la Banque, sur l’avis d’emploi ainsi que sur le dossier de candidature du demandeur :

[traduction]

Preuve documentaire

Exigences principales pour le poste d’analyste (nouveau diplômé)

35. L’avis d’emploi précisait que les candidats devaient avoir obtenu leur diplôme entre janvier 2015 et décembre 2017.

36. Les autres exigences principales énoncées pour le poste étaient les suivantes :

Scolarité : diplôme de maîtrise en finance ou dans un domaine apparenté, comme l’économie, l’informatique, les mathématiques, les statistiques, l’administration des affaires (MBA)

Langues : la connaissance de l’anglais ou du français est essentielle

Aptitudes pour la communication : excellentes qualités interpersonnelles et capacité de communiquer clairement de l’information et des idées adaptées aux destinataires en ayant recours à des communications écrites et orales claires et convaincantes

Apprentissage et perfectionnement : capacité de se motiver et de faire preuve d’engagement envers l’apprentissage continu et l’autoperfectionnement

Travail en équipe et collaboration : capacité de nouer des relations de travail positives en appuyant les décisions de l’équipe, en cherchant à résoudre les conflits et en favorisant la coopération et les partenariats

Aptitudes pour la planification et l’organisation : capacité d’organiser le travail efficacement, d’établir des priorités, de façon à permettre la réalisation des tâches ainsi que des projets avec la diligence voulue et à l’intérieur de délais serrés

Innovation : capacité de générer de nouvelles idées, de concevoir des approches novatrices et de prendre des décisions innovantes

Aptitudes pour la recherche : capacité de lancer et de mener des projets de recherche approfondis

Aptitudes pour l’analyse et habiletés techniques :

capacité d’analyser des sujets complexes touchant l’économie et la finance, de repérer des problèmes multidimensionnels et de trouver des réponses ou des stratégies appropriées en conséquence

intérêt démontré envers les enjeux stratégiques liés à la stabilité financière

connaissance des enjeux stratégiques liés aux systèmes financiers, y compris les réformes réglementaires importantes qui sont en cours

capacité d’intégrer des champs d’expertise spécialisés et complexes, par exemple l’analyse des marchés financiers, l’analyse économique et l’analyse des questions réglementaires

Champs d’études : cours suivis dans au moins un des domaines suivants :

la macroéconomie

la microéconomie

l’économétrie

l’analyse quantitative

la finance

Analyse et conclusion

37. Le tableau ci‑dessous compare les qualifications essentielles pour le poste d’analyste (nouveau diplômé) et les qualifications du plaignant, telles qu’elles figurent dans les documents fournis par ce dernier à la Banque dans son dossier de candidature : lettre de présentation, curriculum vitae et relevé de notes (2015) pour la maîtrise ès arts, Affaires publiques et internationales.

Exigences principales pour le poste d’analyste (nouveau diplômé)

Qualifications du plaignant

Scolarité : diplôme de maîtrise obtenu entre janvier 2015 et décembre 2017 en finance ou dans un des domaines apparentés suivants :

économie,

informatique,

mathématiques,

statistiques,

administration des affaires

Maîtrise ès arts, Affaires publiques et internationales, obtenue en 2015.

Doctorat en mathématiques obtenu en 2012.

Maîtrise en mathématiques obtenue en 2007.

Langues : La connaissance de l’anglais ou du français est essentielle

Candidature présentée en anglais

Aptitudes pour la communication : excellentes qualités interpersonnelles et capacité de communiquer clairement de l’information et des idées adaptées aux destinataires en ayant recours à des communications écrites et orales claires et convaincantes

Expérience en rédaction technique — a rédigé des notes d’information et des mémoires qui exigeaient de choisir l’information critique et pertinente, puis de recourir à un style d’écriture permettant de communiquer parfois énormément d’information de façon concise

Apprentissage et perfectionnement : capacité de se motiver et de faire preuve d’engagement envers l’apprentissage continu et l’autoperfectionnement

Non précisé dans le dossier de candidature

Travail en équipe et collaboration : capacité de nouer des relations de travail positives en appuyant les décisions de l’équipe, en cherchant à résoudre les conflits et en favorisant la coopération et les partenariats

Non précisé dans le dossier de candidature

Aptitudes pour la planification et l’organisation : capacité d’organiser le travail efficacement, d’établir des priorités, de façon à permettre la réalisation des tâches ainsi que des projets avec la diligence voulue et à l’intérieur de délais serrés

Non précisé dans le dossier de candidature

Innovation : capacité de générer de nouvelles idées, de concevoir des approches novatrices et de prendre des décisions innovantes

Non précisé dans le dossier de candidature

Aptitudes pour la recherche : capacité de lancer et de mener des projets de recherche approfondis

A occupé des postes en recherche comme analyste stratégique, notamment dans le cadre d’une étude sur la politique africaine du Brésil couvrant une période de 50 ans. « J’ai des qualités qui seront des plus utiles pour la recherche, quelle qu’elle soit, par exemple la capacité de scinder un problème en parties plus petites et donc plus faciles à gérer. Cela permet aussi une planification et une gestion plus efficaces des ressources affectées à des projets complexes ».

Aptitudes pour l’analyse et habiletés techniques :

capacité d’analyser des sujets complexes touchant l’économie et la finance, de repérer des problèmes multidimensionnels et de trouver des réponses ou des stratégies appropriées en conséquence

intérêt démontré envers les enjeux stratégiques liés à la stabilité financière

connaissance des enjeux stratégiques liés aux systèmes financiers, y compris les réformes réglementaires importantes qui sont en cours

capacité d’intégrer des champs d’expertise spécialisés et complexes, par exemple l’analyse des marchés financiers, l’analyse économique et l’analyse des questions réglementaires

Qualités acquises grâce à sa « formation en mathématiques », « qui permet d’aller chercher une certaine clarté et une orientation réfléchie qui, à leur tour, contribuent à l’élaboration d’une approche systématique dans la résolution de problèmes ».

« Je suis en mesure d’utiliser mes connaissances en mathématiques pour traduire des résultats quantitatifs à l’intention de ceux qui évoluent dans le milieu des politiques. » Expérience acquise entre autres dans le cadre de divers mandats de recherche dans le milieu universitaire et en entreprise privée, dans différents domaines, notamment les données financières et administratives, la politique étrangère et la communication de données.

Champs d’études : cours suivis dans au moins un des domaines suivants :

  • la macroéconomie

  • la microéconomie

  • l’économétrie

  • l’analyse quantitative

  • la finance

 

Le plaignant a déclaré qu’il a été exempté des cours suivants :

macroéconomie

microéconomie en politique publique

Les trois autres cours obligatoires ne figuraient pas sur le relevé de 2015 du plaignant.

38. D’après l’information ci‑dessus et les éléments de preuve recueillis durant l’enquête, il semble que le plaignant ne possède pas bon nombre des qualifications essentielles requises, et cette lacune ainsi que le fait que le plaignant n’ait pas pu montrer dans son curriculum vitae et dans sa lettre de présentation que les cours suivis ou son expérience avaient porté sur des sujets liés à la politique monétaire ou à la stabilité du système financier sont les seules raisons du rejet de sa candidature.

[81] Voici ce qu’a conclu l’enquêteur :

[traduction]

Résumé

39. À la lumière des éléments de preuve qui ont été recueillis, le plaignant n’était pas qualifié pour le poste affiché, et le fait que sa candidature ait été écartée n’a rien à voir avec la race, ou avec l’origine nationale ou ethnique du plaignant.

[82] Je ne suis pas convaincu que cette analyse est déraisonnable. Il me semble plutôt que l’enquêteur a vraiment pris la peine de répondre aux préoccupations du demandeur, et il l’a fait au regard des contraintes factuelles et juridiques.

[83] En dernier lieu, au point (v), le demandeur affirme que la décision manque de minutie, parce que, selon lui, la Commission a rejeté sa plainte avant que soient résolues ses autres plaintes présentées au Commissariat à la vie privée.

[84] Cette observation n’est pas fondée. J’ai souligné pourquoi je n’acceptais pas de nouveaux éléments de preuve sur ce point, car ils sont survenus après le début du contrôle judiciaire. On ne peut reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en considération des éléments dont elle ne disposait pas.

[85] Je ne peux pas non plus souscrire à la proposition selon laquelle la Commission aurait dû retarder sa décision tant que le Commissariat à la vie privée ne s’était pas prononcé. Je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de l’enquêteur et de la Commission de rédiger le rapport et de rendre la décision dans les meilleurs délais, sans attendre les résultats d’autres instances devant un décideur différent, ce qui pourrait supposer des appels et des délais supplémentaires.

[86] Il est aussi pertinent de souligner que le demandeur n’a demandé ni à la Commission ni à l’enquêteur d’attendre la décision du Commissariat à la vie privée.

[87] De toute manière, étant donné que l’information demandée a été fournie par la suite au demandeur, le Commissariat à la vie privée a considéré que l’affaire était [traduction] « résolue » [en gras dans l’original].

[88] Je souligne l’essentiel d’un autre argument du demandeur, soit qu’il est justifié de critiquer la Banque et que la décision devrait être infirmée, en raison de la conduite de la Banque qui aurait été [traduction] « mauvaise » à son endroit. En toute déférence, cette critique n’a rien à voir avec le contrôle judiciaire dans les circonstances de la présente affaire, lequel implique un examen du dossier dont disposait le décideur selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec la défenderesse, quand elle soutient que le demandeur n’a pas précisé à la Commission la nature des documents dont la communication pouvait être ordonnée par le Commissaire à la vie privée ni non plus quelle en serait la pertinence.

[89] Le demandeur a plutôt fait valoir, sans donner de précisions, qu’il était possible que certains documents puissent être communiqués. Il a demandé à la Commission et/ou à l’enquêteur d’émettre des hypothèses quant à ce qui pourrait en résulter, mais, en toute déférence, aussi quant à l’absence de résultats. Dans l’arrêt Desgranges, la juge Kane, avec laquelle je suis d’accord, a conclu, au paragraphe 73, que la Commission n’est pas obligée de tenir compte d’éléments de preuve qui n’ont pas été fournis ou qui n’existent peut‑être même pas :

[73] On ne peut reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’éléments de preuve statistiques qui n’ont pas été fournis, et qui n’existent probablement pas. Monsieur Desgranges a reconnu ignorer si des statistiques existaient, mais a fait valoir qu’il aurait fallu en recueillir et les prendre en considération. Il n’a pas démontré en quoi les statistiques sur l’âge des personnes embauchées aux postes LP01 au sein du SCDATA (qui, apparemment, ne comptait qu’un avocat principal et un avocat au moment pertinent) auraient été des « preuves manifestement essentielles » dans le cadre du traitement de sa plainte. Le fait que M. Desgranges s’appuie sur la décision Walden, aux paragraphes 109 à 118, pour faire valoir que les éléments de preuve de nature statistique sont utiles pour détecter les cas de discrimination ne tient pas compte d’autres passages pertinents de la décision en question, y compris l’affirmation selon laquelle une telle preuve statistique ne suffit pas, à elle seule, à établir la discrimination. Il doit y avoir d’autres éléments de preuve qui établissent un lien entre le motif de discrimination invoqué par le plaignant et le traitement défavorable allégué (Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Ministre du Développement social), 2010 CF 1135, 194 ACWS (3d) 1222, au par. 18; Stukanov c Canada (Procureur général), 2018 CF 854, 295 ACWS (3d) 823, aux par. 17 et 18; Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 877, 307 ACWS (3d) 587, au par. 35).

[90] Le demandeur relève également que l’auteur du rapport [traduction] « n’a pas pris son travail au sérieux », parce qu’il n’a pas examiné les qualifications essentielles du poste qui, selon le demandeur, ne sont pas appropriées pour un poste destiné à des nouveaux diplômés. Dans Desgranges, la Cour rappelle au paragraphe 74 que « la Commission dispose d’une grande latitude dans la conduite de ses enquêtes. L’enquêt[eur] n’est pas [tenu] de se pencher sur toutes les éventuelles questions accessoires ou non liées. En outre, l’enquête peut être approfondie sans être exhaustive ». Je suis d’accord, et je conclus que cette observation n’est pas fondée, compte tenu en particulier des conclusions du rapport, citées aux paragraphes 80 et 81 ci‑dessus.

[91] À cette étape‑ci, je conclus que la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable et est justifiée au regard de la preuve dont était saisie la Commission et des contraintes juridiques. Elle est fondée sur une analyse rationnelle, et elle se tient.

[92] J’ajoute que, à bien des égards, le demandeur invite la Cour à entreprendre, ce qui lui est interdit, un examen de novo de la décision de la Commission; voir Vavilov, au para 125, et Desgranges, au para 28.

C. La conduite de la défenderesse

[93] Le demandeur a soulevé un grand nombre de questions qui seraient liées à la « conduite » de la Banque au sujet de ses décisions.

[94] Par exemple, le demandeur critique le fait que la Banque ait convoqué la directrice comme témoin, alors que ce n’est pas elle qui, à la Banque, a écarté initialement sa candidature. Il affirme que c’est la personne ayant examiné sa candidature au départ qui aurait dû témoigner. Il critique aussi le processus de révision à l’aveugle mené par la Banque après sa plainte initiale; sa candidature a été envoyée au groupe responsable du poste, mais également à la division de l’économie pour un poste d’économiste, et ce sont les motifs du refus de cette division qui ont été transmis au demandeur. Enfin, le demandeur déclare que l’avis d’emploi du poste fourni par la Banque contredit l’avis d’emploi qu’il a lui‑même fourni.

[95] Cependant, ce qui est réellement en jeu devant la Cour, ce sont la décision et le dossier. Je suis aussi d’accord pour dire que la prétention du demandeur au sujet du témoin assigné par la Banque relève d’une question de choix des témoins, ce qui ne suffit pas, surtout que le demandeur n’a pas reproché à la directrice d’être un témoin inapproprié ou inadmissible, comme il aurait pu le faire en invoquant les Règles des cours fédérales DORS/98‑106. Quant aux allégations du demandeur relatives au processus suivi par la Banque pour examiner ses qualifications par rapport aux exigences du poste, je répète que je ne vois pas comment ce point permettrait au demandeur d’établir qu’il a été l’objet d’un traitement discriminatoire en raison de sa race, ou de son origine nationale ou ethnique. Enfin, comme je l’ai déjà mentionné, les accusations du demandeur suivant lesquelles la Banque a fourni un avis d’emploi différent n’ont aucune pertinence, parce que l’enquêteur disposait du bon avis.

VI. Conclusion

[96] La Cour a examiné les observations du demandeur touchant l’équité procédurale et le caractère raisonnable. J’ai conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale, et je rejetterai la demande de contrôle judiciaire sur ce point.

[97] Je ferai de même en ce qui concerne les arguments relatifs au caractère raisonnable de la décision, pour les raisons décrites précédemment.

[98] Avec le recul et après avoir examiné la décision de la Commission et le rapport comme un seul tout, étant donné que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor à la recherche d’erreurs et conscient que je dois également faire preuve de retenue à l’égard de la décision, je conclus que la décision est justifiée au regard du dossier, c’est‑à‑dire les faits en l’espèce et les contraintes juridiques. De plus, la décision est transparente et intelligible. Je ne peux déceler de lacune dans ce qui constitue une analyse cohérente et rationnelle ni d’erreur fatale. À mon humble avis, les faits ont mené directement à la conclusion énoncée par la Commission dans sa décision, soit que le demandeur ne possédait pas les qualifications essentielles recherchées pour le poste, et je suis d’avis qu’il n’y avait pas de preuve substantielle de discrimination fondée sur la race, ou sur l’origine nationale ou ethnique. En résumé, la décision se tient. Les points soulevés par le demandeur quant à une mauvaise conduite de la part de la banque ne corroborent pas ses prétentions, pas plus que ses critiques relatives à la procédure. Par conséquent, la demande doit être rejetée..

VII. Les dépens

[99] Les parties ont présenté des observations sur les dépens à la fin de l’audience, comme ils y étaient tenus. Le demandeur a sollicité des dépens de 1 000 $, tout compris, s’il avait gain de cause. La défenderesse a réclamé des dépens de 2 500 $, tout compris, si elle avait gain de cause. Conformément à mon pouvoir discrétionnaire, je considère que les dépens devraient suivre l’issue de la cause. Compte tenu des circonstances de l’affaire, et selon mon examen, il est raisonnable d’ordonner au demandeur de verser à la défenderesse la somme globale de 2 500 $, tout compris, à titre de dépens de la présente demande.


JUGEMENT dans le dossier T‑816‑19

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Le demandeur versera à la défenderesse la somme globale de 2 500 $, tout compris, à titre de dépens de la présente demande.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑816‑19

 

INTITULÉ :

HESAMEDDIN ABBASPOUR TAZEHKAND c BANQUE DU CANADA

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 23 NOVEMBRE 2020 À PARTIR D’OTTAWA (ONTARIO) (COUR ET PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 30 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Hesameddin Abbaspour Tazehkand

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Larissa Volinets Schieven

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emond Harnden LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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