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Date : 20040723

Dossier : IMM-5687-03

Référence : 2004 CF 1033

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                    

ENTRE :

                                                               LEONIDHA GUCI

TEUTA GUCI

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Leonidha et Teuta Guci sont mariés et citoyens de l'Albanie. Ils demandent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La Commission a rejeté la demande d'asile du couple au motif qu'ils avaient délibérément arrangé leurs récits de manière à se faire reconnaître le statut de réfugiés. La Commission a aussi conclu que la crainte d'être persécutés que les Guci disaient avoir n'avait pas de fondement objectif.


[2]                Les demandeurs allèguent que la Commission a tiré des conclusions de fait erronées tant en ce qui a trait à leur crédibilité qu'en ce qui a trait au fondement objectif de leur crainte d'être persécutés. Ils affirment que la preuve qui a été présentée à la Commission n'étaye pas de telles conclusions.

Les allégations des demandeurs

[3]                Les demandeurs allèguent tous deux craindre d'être persécutés en Albanie du fait de la participation de la demanderesse aux activités du Parti démocratique et de l'emploi qu'elle a eu dans le passé avec les forces de la police secrète albanaise (le SHIK). Ils affirment aussi qu'ils craignent la famille de la demanderesse, qui est catholique et qui désapprouve le mariage de la demanderesse avec une personne de foi orthodoxe grecque.

[4]                La demanderesse affirme qu'elle a été active sur le plan politique au sein du Parti démocratique en Albanie à partir du début des années 90, à l'exception d'une période s'étendant sur 1995 et 1996, alors qu'elle travaillait comme inspecteur du SHIK à la section des fraudes financières.

[5]                Dans ses fonctions au SHIK, la demanderesse n'avait aucun contact avec le public et elle n'avait pas à effectuer des arrestations. Elle a décrit son travail comme étant plutôt [traduction] « un travail de bureau » .


[6]                Après avoir quitté le SHIK, la demanderesse a repris ses activités politiques. En 1997, elle participait avec son frère à une démonstration du Parti démocratique, lorsqu'il a été tué devant ses yeux. La demanderesse affirme que les meurtriers étaient membres du Parti socialiste.

[7]                Alors qu'elle continuait à travailler pour le Parti démocratique, elle a fait la connaissance de Azem Haidari, le chef du parti. Elle dit qu'il a été son conseiller et son mentor. Lorsque M. Haidari a été assassiné en 1998, la demanderesse a assisté aux funérailles. Elle affirme que, quelques jours plus tard, on lui a ordonné de se présenter à la police. Au lieu de se présenter à la police, la demanderesse s'est enfuie en Grèce parce qu'elle savait que la police maltraitait les membres du Parti démocratique.

[8]                La demanderesse a fait la connaissance de son mari en Grèce en janvier 1999. Il avait lui-même fui l'Albanie en 1990. Ils se sont ultérieurement mariés et ils ont eu une fille. Le demandeur est de foi orthodoxe grecque alors que la famille de la demanderesse est catholique romaine. La demanderesse affirme que sa famille était opposée au mariage et que, en conséquence de son mariage, elle a perdu le soutien de sa famille. Le demandeur décrit la situation en des termes plus tranchants : la famille de la demanderesse les aurait menacés de mort s'ils retournaient en Albanie.

[9]                En 2001, les demandeurs sont venus au Canada. Leur fille vit actuellement avec les parents du demandeur en Albanie.

La décision de la Commission

[10]            La Commission a conclu que la demanderesse avait été membre active du Parti démocratique à partir de 1991 jusqu'à son départ de l'Albanie en 1998, à l'exception de la période où elle avait travaillé pour le SHIK. La Commission a aussi accepté de ne pas interpréter comme étant l'absence d'une crainte subjective de retourner en Albanie la décision du couple de ne pas essayer de s'établir en Grèce. Pour la Commission, les questions à trancher étaient de savoir si les demandeurs étaient crédibles et s'ils craignaient avec raison d'être persécutés s'ils retournaient en Albanie.

[11]            Étant donné que le demandeur n'avait pas vécu en Albanie depuis 1990, la Commission a conclu qu'il pouvait craindre d'être persécuté seulement du fait de sa relation avec son épouse. La Commission a donc concentré son attention sur la situation de la demanderesse.


[12]            En ce qui a trait aux craintes de la demanderesse liées à son emploi au sein du SHIK, la Commission a noté que sa période d'emploi avait été inférieure à une année, et qu'elle n'avait pas eu de contact avec le public dans l'exécution de son travail. À l'époque où la demanderesse travaillait pour le SHIK, le Parti démocratique était au pouvoir en Albanie. Par conséquent, les irrégularités qu'elle aurait pu noter auraient été les agissements de gens nommés par le Parti démocratique.

[13]            La Commission a noté que le Parti socialiste est maintenant au pouvoir en Albanie et que les socialistes n'avaient aucune raison de craindre que la demanderesse détienne des renseignements qui puissent les compromettre. Par conséquent, il n'y avait aucune raison pour le gouvernement de vouloir la réduire au silence.

[14]            En ce qui a trait à la crainte que la demanderesse disait éprouver relativement à sa participation aux activités du Parti démocratique, la Commission a examiné la preuve documentaire portant sur la détention et le meurtre pour des motifs politiques de membres du Parti démocratique en Albanie. Elle a aussi pris en considération l'affidavit de M. Bernd Fischer, un expert des questions albanaises. La Commission a conclu qu'il n'y avait aucune preuve de détentions fréquentes et généralisées équivalant à persécution, de traitements cruels et inhumains, de torture ou que les membres du Parti démocratique couraient un risque pour leur vie en Albanie. Les personnes qui couraient un risque d'être persécutées étaient en général les membres du parti qui étaient très en vue et les journalistes.


[15]            La Commission a conclu que la demanderesse n'était ni un membre du parti très en vue ni une journaliste. La seule raison qui pouvait faire d'elle la cible d'une persécution aurait été son omission de se présenter à la police en 1998 conformément à l'ordre qu'elle disait avoir reçu. La Commission a cependant noté que la demanderesse n'avait pas déposé cette assignation. En outre, elle ne possédait aucun renseignement qui aurait indiqué que les autorités étaient toujours à sa recherche. La Commission a donc conclu qu'il n'y avait pas de réelle possibilité que quelqu'un en Albanie s'intéresse à la demanderesse en raison de sa désobéissance à cette assignation cinq ans plus tôt.

[16]            La Commission a rejeté l'allégation des demandeurs selon laquelle la famille de la demanderesse constituait une menace et elle a jugé défavorablement cette allégation parce que les demandeurs n'avaient fait mention de cette menace dans ni l'une ni l'autre de leurs narrations des faits.

[17]            Finalement, la Commission a fait observer que, selon les notes prises au point d'entrée, le demandeur aurait dit que ses raisons pour venir au Canada étaient [traduction] « économiques » et qu'il venait au Canada pour trouver du travail. D'après la Commission, les notes révèlent que le demandeur a affirmé que son père avait été persécuté en Albanie, mais pas lui. La Commission affirme en outre que les notes ne font aucune mention d'une crainte de persécution de la part du demandeur en raison des activités politiques de son épouse ou de son travail au sein du SHIK. Il n'est fait aucune mention non plus d'une crainte liée à la famille de la demanderesse.

[18]            Les notes prise au point d'entrée concernant les déclarations de la demanderesse ne mentionnent rien quant à ses activités politiques, à son emploi au sein du SHIK et à la crainte que sa famille lui inspire. La Commission n'a pas accepté les raisons que les demandeurs ont fournies pour expliquer les différences entre les notes du point d'entrée et leurs témoignages devant la Commission. La Commission a conclu que les demandeurs avaient de façon significative arrangé leurs récits de manière à se faire reconnaître le statut de réfugiés.

[19]            En conséquence, la Commission a rejeté leurs demandes. Elle a conclu que les demandeurs ne seraient pas vraisemblablement exposés à un risque grave de persécution, ou à un risque pour leur vie ou d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités s'ils retournaient en Albanie.

Les questions en litige

[20]            Les demandeurs ont allégué que la Commission avait commis une erreur de droit en tirant des conclusions de fait sur leur crédibilité et sur le fondement objectif de leur crainte d'être persécutés qui n'étaient pas étayées par la preuve ou qui ne tenaient pas compte de la preuve qui lui avait été présentée.


La norme de contrôle

[21]            Les conclusions contestées sont des conclusions de fait. Par conséquent, la norme de contrôle qui s'applique est la décision manifestement déraisonnable; voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

La Commission pouvait-elle tirer les conclusions qu'elle a tirées sur la crédibilité?

[22]            J'examine d'abord les conclusions que la Commission a tirées sur la crédibilité. Comme cela a été noté à de nombreuses reprises, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a une expertise bien établie en ce qui concerne les questions de fait, y compris l'évaluation de la crédibilité de demandeurs d'asile. En fait, cette expertise est au coeur même de la compétence de la Commission.

[23]            Il est clair que la Commission a été préoccupée par l'évolution des récits des demandeurs, de leurs premières déclarations au point d'entrée, à leurs récits des faits dans leurs FRP et enfin à leurs témoignages devant la Commission. Il est exact que le demandeur a bien dit au point d'entrée que [traduction] « tout le monde » était persécuté dans la famille de sa femme. Cependant, la Commission a eu raison de faire observer que le demandeur n'avait fait aucune mention de ses craintes en rapport particulièrement avec les activités politiques ou l'emploi de son épouse ou encore avec des menaces proférées par la famille de son épouse. Le demandeur attribue cette omission à des difficultés qu'il aurait éprouvées avec l'interprète au point d'entrée.

[24]            J'ai examiné la transcription et les explications fournies par le demandeur quant à ces incohérences, y compris les raisons pour lesquelles il avait d'abord dit qu'il était venu au Canada pour des raisons économiques. Selon moi, il était raisonnable de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ce point.                                                                       

[25]            J'estime également qu'il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable à partir de l'omission de la demanderesse de faire savoir au point d'entrée quelle était la source directe de sa crainte ou de mentionner dans son FRP la crainte que sa famille lui inspirait. Elle dit bien dans son FRP que son mariage lui avait fait perdre le soutien de sa famille. Mais, à mon humble avis, perdre le soutien de sa famille et craindre qu'elle ne vous assassine sont deux choses très différentes.

[26]            Par ailleurs, j'écarte l'observation des demandeurs selon laquelle il incombait à la Commission de leur faire savoir qu'elle entretenait des doutes quant à leur crédibilité. La Commission n'est aucunement tenue à l'audience de mettre devant les yeux de demandeurs qui sont représentés par un avocat les incohérences et les contradiction évidentes de leurs récits; voir Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1833 (1re inst.) (Q.L.), distinction faite d'avec Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.).


La crainte des demandeurs d'être persécutés était-elle objectivement fondée?

[27]            La conclusion de la Commission selon laquelle la crainte des demandeurs d'être persécutés n'était pas objectivement fondée n'était pas non plus manifestement déraisonnable.

[28]            La demanderesse a témoigné qu'elle avait découvert des irrégularités commises par des membres du Parti démocratique alors qu'elle travaillait pour le SHIK. Elle a dit qu'elle avait signalé ces irrégularités après son départ, mais qu'elle ne savait pas si des mesures avait été prises ou non sur la foi de ses dénonciations. La demanderesse a donné la raison suivante pour expliquer pourquoi elle craignait d'être persécutée en raison de son ancien emploi dans le SHIK : [traduction] « Parce que je connais des personnes, je sais pertinemment que des personnes ont été assassinées, des personnes qui avaient travaillé pour le SHIK » .

[29]            Monsieur Fischer a bien affirmé dans son rapport que de nombreux agents du SHIK qui avaient travaillé dans le régime précédent avaient été tués. La Commission a accepté que M. Fischer était un expert des questions albanaises. Cela ne veut pas dire, cependant, qu'elle se devait d'accepter tout ce qu'il a dit. Une bonne partie du rapport de M. Fischer est constitué d'une analyse très générale de la situation en Albanie. Bien qu'il ait effectivement fait des commentaires précis sur les allégations des demandeurs, il est clair qu'il n'a pas une connaissance directe de leur situation et qu'il s'appuie entièrement sur ce qu'on lui a dit qu'ils ont vécu en Albanie.

[30]            En outre, M. Fischer ne donne aucune explication sur l'identité des personnes tuées, sur ce qu'elles avaient fait au sein du SHIK ou sur le quand ou le pourquoi de leur assassinat. Aucun élément de preuve n'est mentionné non plus à l'appui de ses affirmations. L'examen de la décision révèle que la Commission a pris en considération le rapport de M. Fischer. La Commission avait le droit d'évaluer cette preuve, et de le faire par rapport aux autres renseignements disponibles quant à la situation en Albanie et par rapport aux explications données par la demanderesse quant à la nature de son travail au SHIK. C'est ce que la Commission a fait et je ne peux pas conclure que la conclusion qu'elle a tirée en ce qui concerne les risques posés par l'emploi que la demanderesse avait eu au sein du SHIK est manifestement déraisonnable.

[31]            De façon similaire, vu la description que la demanderesse a faite elle-même de ses responsabilités comme membre du Parti démocratique, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure qu'elle ne correspondait pas au profil des membres du parti qui étaient la cible du régime socialiste.


[32]            En ce qui a trait à la crainte qu'elle dit avoir en raison de son omission d'obtempérer à l'ordre qu'elle avait reçu en 1998 de se présenter à la police, il semble que la demanderesse n'ait jamais reçu officiellement cette l'assignation. Elle a témoigné qu'elle avait été mise au courant de cette assignation par un ami qui travaillait au bureau du procureur de la ville à Layja. La demanderesse n'a pas déposé de copie de cette assignation lors de l'audience devant la Commission. De plus, elle ne savait pas si les autorités la recherchaient encore. Dans ces circonstances, la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas vraisemblable que quelqu'un en Albanie s'intéresserait encore à elle en raison de son omission d'obéir à une assignation qui lui aurait été présentée plusieurs années auparavant, n'était pas manifestement déraisonnable.

[33]            Finalement, la Commission n'a pas accepté l'affirmation des demandeurs selon laquelle ils craignaient la famille de la demanderesse. Sur ce point, la Commission a noté que ni l'un ni l'autre demandeur n'avaient soulevé ce point dans leurs récits des faits, et elle a ainsi clairement commis une erreur, vu que le demandeur avait effectivement affirmé dans son FRP que la famille de son épouse les avait menacés de les tuer s'ils retournaient en Albanie.

[34]            Cependant, j'estime que cette erreur n'est pas en soi assez importante pour justifier que j'annule la décision, surtout compte tenu des autres incohérences dans le dossier en ce qui a trait aux menaces que la famille de la demanderesse aurait proférées.

Conclusion

[35]            En dépit des observations intéressantes présentées par l'avocat des demandeurs, j'estime que, en l'espèce, il n'y a pas d'erreur qui justifie la Cour d'annuler la décision de la Commission. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


Certification

[36]            Les parties n'ont pas demandé la certification d'une question et aucune ne se pose en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »              

                                                                                      ___________________________________

                                                                                                                        Juge

                                                                             

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5687-03

INTITULÉ :                                        LEONIDHA GUCI ET AL

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 14 JUILLET 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt                                                                         POUR LES DEMANDEURS

John Provart                                                                              POUR LE DÉFENDEUR                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario).

M4P 1L3                                                                                  POUR LES DEMANDEURS

John Provart

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR         

                                             

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