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                                                                                                                                           Date : 20040108

                                                                                                Dossier : T-891-03

                                                                                                                                      Citation: 2004CF23

Ottawa (Ontario), jeudi, ce 8e jour de janvier 2004

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC.,

une corporation dûment constituée selon les lois de la province

du Nouveau-Brunswick et ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association dûment immatriculée selon les lois de la province du Québec

Demanderesses

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée

par le MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

TABIB P.


[1]                 Au début de mai 2003, le ministre des Pêches et des Océans (le "ministre") annonçait son plan de gestion triennal du crabe des neiges dans le sud du golfe du St-Laurent (le "plan de gestion"). Le plan de gestion prévoit le total autorisé de capture ("TAC") de crabe dans les zones de pêche désignées et le pourcentage du TAC qui sera alloué aux pêcheurs traditionnels, aux Premières nations et à de nouveaux pêcheurs. Les demanderesses, qui représentent les pêcheurs de crabe traditionnels du golfe du St-Laurent, demandent par voie de contrôle judiciaire l'annulation du plan de gestion au motif que le ministre aurait outrepassé sa compétence entre autres, en fondant sa décision sur des considérations non-pertinentes, inappropriées, et étrangères aux objets de la Loi sur la pêche L-R.C. (1905), ch. F-14 et la Loi sur les océans L.C. (1996), ch. 31, et en contravention de son obligation de conservation et de protection du crabe des neiges.

[2]                 Par la requête dont la Cour est saisie, les demanderesses demandent que leur demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action, ainsi que d'autres mesures accessoires ou alternatives, soit: l'autorisation d'amender leur procédure afin d'ajouter des causes d'action et des mesures de redressement additionnelles, la prorogation des délais pour déposer leurs affidavits et la production, par la défenderesse, de certains documents sollicités en vertu de la Règle 317 des Règles de la Cour fédérale, 1998.


[3]                 La défenderesse, s'opposant à la requête des demanderesses, demande de plus pour sa part la modification de la désignation de la défenderesse et l'ajout, à titre de parties défenderesses, de toutes les personnes détenant des permis de pêche au crabe dans les zones touchées par le plan de gestion.

Requête des demanderesses pour instruire la demande comme une action                                                                                  

[4]                 L'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit ce qui suit:

18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Section de première instance statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

18.4(2) Exception

(2) La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Trial Division under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

18.4(2) Exception

(2) The Trial Division may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

[5]                 Une jurisprudence bien établie de cette Cour établit comme suit certains des facteurs qui peuvent être pris en considération lors de l'examen d'une telle demande (MacInnis c. Canada, [1994] 2 C.F. 464 (C.A.), Drapeau c. Canada (ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no. 536 (C.A.), Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé), [1997] A.C.F. no. 1273 (C.F.) et Del Zotto c. Canada (ministre du Revenu national), [1995] A.C.F. no. 1359 (C.F.)).

(1) La multiplicité non souhaitable des procédures;

(2) la volonté d'éviter les dépens et délais inutiles;


(3) la question de savoir si les questions en cause exigent une évaluation de l'attitude et de la crédibilité des témoins; et

(4) la nécessité pour le Cour de saisir l'ensemble de la preuve.

[6]                 Les demanderesses prétendent que les deux premiers critères entrent en jeu en l'espèce puisqu'elles ont l'intention d'intenter une action en dommages et intérêts pour recouvrer les pertes subies ou à subir par les pêcheurs traditionnels en raison de la mise en oeuvre du plan de gestion. Une telle action impliquerait selon elles les mêmes faits et questions de droit, de sorte qu'il serait propre à éviter la multiplicité de recours et les dépens et délais inutiles de convertir la demande de contrôle judiciaire en action et d'ainsi permettre l'amendement des procédures afin d'y inclure une demande de dommages et intérêts; les deux demandes pourraient ainsi être instruites conjointement.


[7]                 Cet argument ne peut être retenu. Non seulement n'existe-t-il présentement aucune action en dommages et intérêts, mais l'intention d'intenter une telle action que professent les demanderesses se heurte au fait qu'un tel recours n'appartient pas aux demanderesses. En effet, les demanderesses ne sont que des associations représentant les intérêts des pêcheurs traditionnels. De telles associations peuvent, à la rigueur, avoir l'intérêt requis pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire, mais il est clair qu'elles ne subissent elles-mêmes aucune perte financière ou économique de la mise en oeuvre du plan de gestion, et n'auraient donc pas le droit ou l'intérêt requis pour intenter une action en recouvrement des dommages et intérêts que pourraient subir leurs membres. Il n'existe donc aucune preuve ni indication de l'existence possible ou probable de recours liés dont l'instruction parallèle pourrait être évitée par l'instruction de la présente demande à titre d'action.

[8]                 Les demanderesses soutiennent que les faits en litige exigent l'évaluation de l'attitude et de la crédibilité des témoins. Les témoignages que les demanderesses comptent faire entendre incluent:

-      des témoignages d'experts quant à l'historique de la pêche au crabe, l'évaluation de la biomasse des stocks, les mesures nécessaires à la protection de l'industrie, l'impact de la surcapacité de pêche sur l'effondrement des stocks et l'effet négatif de l'augmentation de l'effort de pêche sur une base permanente.

-      des témoignages des pêcheurs et autres intervenants quant à ces mêmes faits.

-      des témoignages des fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans quant aux considérations qui ont mené le ministre à l'adoption du plan de gestion.

[9]                 Il faut ici noter qu'aucun affidavit n'a encore été versé au dossier. La Cour n'est donc pas en mesure de constater d'elle même la complexité des questions en jeu ou le volume et la nature des contre-interrogatoires qui pourraient être requis. L'exercice est donc purement spéculatif à ce stade, ce qui rend d'autant plus ardue la tâche des demanderesses.


[10]            La complexité ou le caractère technique de la preuve, à elles seules, ne sauraient justifier l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire comme une action, si il est par ailleurs possible de présenter cette preuve de façon intelligible par voie d'affidavit. Les demanderesses n'ont pas déchargé leur fardeau de démontrer que la preuve d'expert serait d'une telle complexité ou qu'elle requerrait des contre-interrogatoires approfondis où la crédibilité des experts serait mise en cause. L'affidavit même de l'expert soumis par les demanderesses au soutient de leur requête semble à la Cour exposer de façon claire et précise le fondement factuel de la demande, démentant du même coup leur argument voulant que cette expertise requière un témoignage de vive voix.

[11]            Qui plus est, et ceci s'applique tant aux témoignages d'expert que des pêcheurs, la majeure partie de la preuve proposée par les demanderesses quant à l'effet probable du plan de gestion sur les pêcheries ne semble pas pertinente au litige. En effet, tel que le soulignait le juge Strayer alors qu'il était de cette Cour dans l'arrêt Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42:

"En déterminant si un fonctionnaire ou un organisme a agi conformément à la loi en prenant la décision en question, la Cour peut se demander si celui-ci a bien interprété la loi et s'il a pris sa décision en se fondant sur des faits et des raisons liés au but dans lequel le pouvoir de décision a étéconféré. Cependant, dans cette limite permise, le décideur initial a le droit de prendre une décision que la Cour ne peut pas annuler même si, par hasard, elle ne souscrit pas à son avis."


[12]            De la même façon, ici, le rôle de la Cour en contrôle judiciaire se limite à considérer si le ministre a ou non fondé sa décision sur des considérations pertinentes. Il n'incombe pas à la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle du ministre en considérant si le ministre a pris la "bonne" décision, et si le plan de gestion adopté aura effectivement l'effet prévu par les objectifs de la loi. Paraphrasant le juge Strayer dans la décision précitée, je ne peux voir comment le preuve que se proposent de produire les demanderesses au sujet de l'effet néfaste du plan de gestion puisse être pertinente, sauf peut-être dans la mesure où elle pourrait montrer, si la chose est possible, qu'aucun fondement raisonnable n'aurait permis au ministre de conclure que le plan de gestion rencontrerait les objectifs permis par la loi.

[13]            Ainsi donc, je ne peux retenir l'argument des demanderesses à l'effet que la demande de contrôle judiciaire nécessite la détermination de questions de fait complexes nécessitant tout le processus d'un procès.

[14]            Quant à savoir si la crédibilité des fonctionnaires attachés au ministère des Pêches et des Océans serait un facteur à ce point déterminant qu'il requerrait une preuve viva voce, il est manifestement prématuré de spéculer sur la question, les affidavits de la défenderesse n'ayant pas été produits.

[15]            Finalement, au titre de la nécessité pour la Cour de saisir l'ensemble de la preuve, les demanderesses soulèvent essentiellement les mêmes arguments de fait, ajoutant cependant ce qui, selon moi, constitue le véritable motif de leur requête: la nécessité pour les demanderesses de pouvoir avoir accès au processus de divulgation de la preuve et d'interrogatoires préalables et d'assigner des témoins qui ne comparaîtraient pas volontairement.


[16]            Les demanderesses fondent leur demande de contrôle judiciaire, en partie, sur l'allégation que le ministre aurait adopté le plan de gestion en se basant sur des considérations étrangères aux objets de la loi. La preuve de cette allégation, si tant est qu'elle existe, se trouve forcément sous le contrôle de la défenderesse mais (et cela découle de la nature même de l'allégation) pourrait fort bien ne pas apparaître au dossier qui était officiellement devant le ministre au moment où la décision fut prise. De fait même, la divulgation de la défenderesse en réponse à la demande des demanderesses selon les Règles 317 et 318, ne semble contenir aucun élément étranger aux considérations légitimes prévues par la loi, d'où la demande accessoire des demanderesses de divulgation "complète" des documents demandés (dont il sera traité plus loin).

[17]            Je reconnais d'emblée les difficultés auxquelles les demanderesses font face à l'égard de leur allégation que le ministre a fondé sa décision sur des considérations étrangères aux objectifs de la loi ou a agi de façon arbitraire ou discriminatoire. Mais de là à conclure qu'il est nécessaire que la présente demande procède par voie d'action afin de permettre aux demanderesses de faire une enquête approfondie aux fins de tenter par tous les moyens de valider leurs allégations, il y a un pas, que je me refuse à franchir sur la foi de la preuve présentée devant moi.


[18]            Les demanderesses ont tenté de démontrer, par l'affidavit de M. Haché, que le ministre aurait lui-même dicté le contenu du dossier qui lui fut présenté, afin de justifier une décision qu'il avait déjà prise et fondée sur des considérations étrangères, de sorte que l'on doive craindre que sans processus de divulgation de la preuve et d'interrogatoire préalable, les demanderesses seraient privées d'une preuve réelle et pertinente. La preuve présentée ne me convainc pas. La "preuve" des demanderesses se limite à des spéculations, lesquelles ne semblent fondées que sur leur opinion que le plan de gestion est si fondamentalement vicié et de nature à mettre en péril les objectifs mêmes de la loi que des considérations étrangères doivent forcément avoir guidé la décision du ministre. Il n'existe aucune indication au dossier que, si de telles considérations ont existé, les demanderesses seraient dans l'impossibilité d'en faire la preuve sans le bénéfice des procédures d'instruction et de divulgation de la preuve d'une action.

[19]            Les demanderesses n'ont donc pas établi de motifs suffisants pour justifier une dérogation à la règle voulant que les demandes de contrôle judiciaire procèdent de façon sommaire.


Demandes accessoires des demanderesses

[20]            Les demanderesses n'ont pas spécifié les causes d'actions et mesures de redressement additionnelles qu'elles compteraient ajouter à leurs procédures si permission leur était accordée. Selon le contexte de cette requête, il semble que les modifications auraient porté sur un recours en dommages et intérêts, dans l'éventualité où la demande était convertie en action. Vu le rejet de la requête principale pour convertir la demande en action, la requête pour permettre un amendement devient académique et est refusée.

[21]            Pour ce qui est de la demande de prorogation des délais pour produire les affidavits des demanderesses, la défenderesse ne s'y oppose pas, mais demande qu'un délai équivalent lui soit accordé pour produire ses propres affidavits. La Cour note que les demanderesses ont exprimé leur intention de présenter la présente requête avant l'expiration des délais prévus à la Règle 306 et qu'il était raisonnable pour elles de ne pas préparer leurs affidavits avant que ne soit connue l'issue de cette requête. Par ailleurs, elles n'ont pas demandé que le délai accordé soit supérieur au délai de 30 jours prévu à la Règle 306. Le délai accordée sera donc de 30 jours suivant la date de la présente ordonnance. Quant au délai demandé par la défenderesse, la Cour ne considère pas que dans les circonstances, les demanderesses aient effectivement bénéficié d'un délai plus long que celui prévu aux Règles, ni qu'il y ait de toute façon quelque raison valable pour donner à la défenderesse un délai plus long que celui autrement prévu par les Règles.


[22]            Finalement, pour ce qui est de la demande de divulgation des demanderesses, la Règle 317(1) prévoit ce qui suit:

317(1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

317(1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

                                                                                         

[23]            J'adopte les motifs énoncés par le protonotaire adjoint Giles dans Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no. 1588, reprenant les principes énoncés par la Cour d'appel dans Canada c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455:

"[6] (...) À mon avis, les éléments pertinents comprennent tous les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance du décideur dans le cadre du processus décisionnel. Les éléments pertinents ne comprennent pas tous les documents qui concernent la question et qui ont pu se trouver sur le bureau du décideur à une date antérieure. Ils ne comprennent certainement pas l'ensemble des documents qui se trouvent dans son service ou dans sa zone de responsabilité."


[24]            La défenderesse a divulgué dans la déclaration de David C. Bevan les documents "qui étaient en la possession du Ministre des pêches et océans lorsqu'il a pris la décision qui fait l'objet [de cette demande]". Dans l'état actuel du dossier, les demanderesses n'ont pas démontré à la satisfaction de la Cour que les autres documents demandés, même s'ils étaient autrement en possession du ministre ou de son ministère et auraient pu être pertinents à la décision, sont effectivement des documents pertinents aux fins de la Règle 317 en ce qu'ils ont été pris en considération par le ministre pour prendre sa décision.

Requêtes de la défenderesse

[25]            La première partie de la requête de la défenderesse vise à modifier l'intitulé de la cause afin que la désignation de la défenderesse soit "Le ministre des Pêches et des Océans" plutôt que "Sa Majesté la Reine représentée par le ministre des Pêches et des Océans".


[26]            La jurisprudence de la Cour sur la question de la désignation appropriée de la Couronne fédérale dans une demande de contrôle judiciaire est pour le moins déroutante, et l'absence d'uniformité dans l'approche même des procureurs du ministère de la Justice n'arrange en rien les choses. D'une part, il est clair que l'office ou tribunal dont la décision fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire n'est pas une partie appropriée dans la demande (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général et Frank Bernard), [1994] 2 C.F. 447 (C.A.) et Yeager c. Canada (Service correctionnel), [2000] A.C.F. no. 537 (C.F.)). Ici c'est la décision du ministre qui fait l'objet de la demande, et le ministre ne serait donc pas la défenderesse appropriée. D'autre part, il a été tenu que lorsqu'un redressement particulier est requis qu'un représentant du gouvernement, c'est le ministre responsable d'administrer la loi et les règlements en cause qui doit être nommé et non son ministère (Mahmood c. Canada, [1998] A.C.F. no. 1345 (C.F.), Eniss c. Canada, [1995] A.C.F. No. 1593 (C.F.) et Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale (1985) 15 C.P.R. (3d) 1). Selon la défenderesse, ces décisions soutiennent sa prétention à l'effet que le ministre doit être nommé comme défendeur.

[27]            Il semble qu'à moins qu'une ordonnance spécifique ne soit requise à l'encontre du ministre, celui-ci n'est pas un défendeur approprié. En l'espèce, je ne considère pas que la demande d'une ordonnance annulant le plan de gestion et "renvoyant le plan de gestion au ministre avec l'obligation de respecter les principes de justice naturelle ainsi que les objets de la [loi]" constitue une ordonnance de redressement spécifique à l'encontre du ministre, au même titre qu'une ordonnance de mandamus ou d'injonction. En conséquence, le ministre n'est pas un défendeur approprié en l'instance.

[28]            Reste à savoir si la désignation de la défenderesse devrait être, non pas Sa Majesté la Reine mais le procureur général du Canada.

[29]            L'article 48 de la Loi sur les Cours fédérales, prévoit, par référence au modèle prévu en annexe, qu'une procédure "contre la couronne" peut nommer comme défenderesse "Sa Majesté la Reine".


[30]            Le juge Mackay, dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102, a opiné que l'article 48 s'applique tant aux actions qu'aux demandes de contrôle judiciaire, et qu'en conséquence, même si une demande de contrôle judiciaire constitue essentiellement une "procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral" et que le défendeur approprié serait le procureur général, une demande de contrôle judiciaire dirigée uniquement contre Sa Majesté la Reine n'est pas irrecevable.

[37] "Je ne suis pas disposé à rejeter la requête en certiorari au motif que ce recours est dirigé contre la mauvaise partie, comme le soutiennent les intimés. Bien que le procureur général ne soit pas mis en cause à titre de représentant légal du gouverneur général en conseil, les requérants ont constitué Sa Majesté la Reine intimée. Si la présente demande avait été une action, cette formule aurait été appropriée. Dans le cas d'une action, M. le juge Teitelbaum a statué qu'il suffisait de constituer Sa Majesté la Reine défenderesse et que, si le demandeur n'avait pas l'intention de poursuivre le procureur général personnellement, il était redondant de le mettre en cause. (Voir Kealey c. Canada (Procureur général), [1992] 1 C.F. 195 (1re inst.)). À mon avis, si Sa Majesté la Reine fait partie des intimés nommés dans une requête introductive d'instance, le défaut de nommer le procureur général à la place de Sa Majesté ne devrait pas entraîner l'irrecevabilité de la demande qui se rapporte aux décrets."

[31]            Les dispositions de la Règle 303(1) et (2), entrées en vigueur depuis cet arrêt, prévoient:

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

a) toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;

b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale ou de ses textes d'application qui prévoient ou autorisent la présentation de la demande.

(2) Dans une demande de contrôle judiciaire, si aucun défendeur n'est désigné en application du paragraphe (1), le demandeur désigne le procureur général du Canada à ce titre.

303. (1) Subject to subsection (2), an applicant shall name as a respondent every person

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or

(b) required to be named as a party under an Act of Parliament pursuant to which the application is brought.

(2) Where in an application for judicial review there are no persons that can be named under subsection (1), the applicant shall name the Attorney General of Canada as a respondent.


[32]            Je conclus de la discussion faite par le juge Mackay dans Vancouver Island Peace Society et de ces dispositions, que si une demande de contrôle judiciaire dirigée uniquement contre Sa Majesté la Reine demeure valide, il est néanmoins préférable qu'une telle demande soit dirigée contre le procureur général du Canada.

[33]            Finalement, la demanderesse requiert, aux termes de la Règle 303(1)(a), que tous les détenteurs de permis de pêche au crabe des neiges dans la zone touchée par le plan de gestion soient nommés comme parties défenderesses, à titre de personnes directement touchées par l'ordonnance recherchée. Outre les détenteurs de permis représentés par les demanderesses, il y aurait plus de 3000 détenteurs de permis.


[34]            Je conçois qu'au même titre que les pêcheurs membres des demanderesses peuvent avoir un intérêt à contester le plan de gestion, les détenteurs de permis de pêche décernés dans la zone affectée par le plan de gestion peuvent avoir un intérêt à faire valoir dans le processus de contrôle judiciaire. Cependant, il n'a pas été démontré qu'une ordonnance annulant le plan de gestion aurait pour effet d'annuler les permis déjà décernés ou de modifier les quotas déjà accordés. Qui plus est, les permis de pêche au crabe des neiges ne sont valides que pour la saison de pêche pour laquelle ils sont décernés. Les permis de pêche pour la saison 2003 ont déjà expiré, et les détenteurs n'ont aucun droit acquis à leur renouvellement. Les personnes que la défenderesse cherche à faire ajouter comme demandeur ne seraient donc pas "directement touchés" par l'ordonnance recherchée, puisque celle-ci n'affectera ou ne diminuera aucun droit qu'ils possèdent (voir Warner-Lambert Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2000), 193 F.T.R. 117 (C.F.).

[35]            Finalement, il convient de rappeler ici que ce ne sont pas les détenteurs de permis qui demandent à être joints comme défenderesses, mais la défenderesse qui cherche à les y joindre de force. Il m'appert que la nature pécuniaire et particulière du droit qui serait touché par l'ordonnance recherchée doit être d'autant plus manifeste dans un tel cas.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

1.          La requête des demanderesses pour que la demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action est rejetée.

2.          L'intitulé de la cause est modifié, de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné à titre de partie défenderesse, aux lieu et place de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Pêches et des Océans.

3.          La présente demande se poursuivra à titre d'instance à gestion spéciale.

4.          Sous réserve de toute directive ou ordonnance du juge ou protonotaire responsable de la gestion, l'échéancier pour les mesures à entreprendre dans l'instance est le suivant:

a)          Les demanderesses signifieront et déposeront leurs affidavits et pièces documentaires au plus tard 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

b)          Les délais à suivre pour les prochaines étapes dans cette instance seront tels que prévus aux Règles de la Cour fédérale, 1998.


5.          Le tout, frais à suivre.

ligne                                                                                                                                               "Mireille Tabib"        

                                                                                                                                                    Protonotaire


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-891-03

INTITULÉ :                                        ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC., une corporation dûment constituée selon les lois de la province du Nouveau-Brunswick et ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE, une association dûment immatriculée selon les lois de la province du Québec

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par le MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Le 17 novembre 2003

DATE DE L'AUDIENCE :              Halifax (Nouvelle-Écosse)

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] :           Mireille Tabib, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 janvier 2004

COMPARUTIONS:

Brigitte Sivret/Micheline Gleixner          POUR LA DEMANDERESSE

Moncton (Nouveau-Brunswick)

Dominique Gallant, Halifax (Nouvelle-Écosse)                              POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McInness Cooper, Moncton, (Nouveau-Brunswick)                   POUR LE DEMANDERESSE

Morris Rosenberg, Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDERESSE      


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