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     Date : 19980309

     T-578-96

Entre :

     MARILYN MARACLE et BRIAN MARACLE,

     Requérants,

     - et -

     LE CONSEIL DES SIX-NATIONS de la BANDE INDIENNE DES SIX-NATIONS

     DE LA RIVIÈRE GRAND et le MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

     ET DU NORD CANADIEN,

     Intimés,

     - et -

     RONALD LEROY HILL, AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE HOHUHES,

     au nom du CONSEIL DE LA CONFÉDÉRATION DES SIX-NATIONS

     DU TERRITOIRE DES SIX-NATIONS DE LA RIVIÈRE GRAND,

     Intervenant.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Voici les motifs à l'appui des ordonnances rejetant deux requêtes présentées par le Conseil des Six-Nations de la Bande indienne des Six-Nations de la rivière Grand (" le Conseil des Six-Nations ") en vue d'interjeter appel des décisions rendues sous forme d'ordonnances par le protonotaire adjoint le 16 février 1998.

[2]      La première requête visait l'annulation de sa décision de rejeter une requête présentée par le Conseil des Six-Nations en vue de faire rejeter ou annuler la demande de contrôle judiciaire dans la présente instance, qui aurait été introduite tardivement selon le par. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée. La deuxième requête visait l'annulation de la décision d'accueillir une requête présentée par Ronald Leroy Hill, aussi connu sous le nom de Hohuhes, au nom du conseil de la Confédération des Six-Nations du territoire des Six-Nations de la rivière Grand, en vue de se faire reconnaître la qualité d'intervenant dans la procédure de contrôle judiciaire. L'ordonnance permettant l'intervention énonçait des conditions limitant la preuve que l'intervenant pouvait produire et l'objet de l'intervention.

[3]      Lorsque les requêtes en appel des décisions du protonotaire ont été entendues le 2 mars 1998, l'avocat des requérants dans la présente instance, Marilyn Maracle et Brian Maracle, a contesté l'appel de la décision de ne pas rejeter la demande de contrôle judiciaire, et il a révélé que les requérants ne s'opposaient pas à la décision de reconnaître la qualité de l'intervenant dans l'instance. L'avocat de l'intervenant a contesté l'appel de l'ordonnance permettant l'intervention, et l'avocat du ministre intimé a déclaré ne pas prendre position dans l'appel relatif à la requête sollicitant le rejet de la procédure, mais il a précisé que, si cette requête n'était pas accueillie et si la procédure de contrôle judiciaire suivait son cours, le ministre appuyait la décision de reconnaître la qualité de l'intervenant.

[4]      L'avis de requête introductive d'instance daté du 8 mars 1996 demande un jugement déclaratoire portant que

     i)      un nouveau code électoral établi pour les Six-Nations par l'intimé, le Conseil des Six-Nations, le 15 août 1995, est invalide;
     ii)      une élection générale du conseil de bande tenue le 4 novembre 1995 sous le régime du nouveau code électoral est nulle;
     iii)      une élection partielle du conseil de bande tenue le 24 février 1996 sous le régime du nouveau code électoral est nulle;
     iv)      les élections du conseil de bande qui seront tenues à l'avenir sous le régime du nouveau code électoral seront nulles.

L'ordonnance rejetant une requête en radiation de la requête introductive d'instance

[5]      Parmi les arguments qu'il fait valoir dans son dossier de requête de l'intimé, le Conseil des Six-Nations soutient que la demande de contrôle judiciaire est tardive. Cette prétention constitue le fondement de sa requête, entendue le 16 février 1998, qui visait à faire rejeter la demande de contrôle judiciaire et qui a été rejetée par le protonotaire dans une ordonnance maintenant portée en appel. L'intimé soutient avec insistance que l'ordonnance est fondée sur une erreur de droit et qu'elle doit être annulée.

[6]      La Loi sur la Cour fédérale prévoit notamment :

             18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :                 
             a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;                 
             b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.                 
         ...                 
             18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.                 
             (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.                 

[7]      De l'avis du Conseil des Six-Nations, le protonotaire a commis une erreur de droit en ne rejetant pas la demande de contrôle judiciaire, car celle-ci a été introduite par dépôt après l'expiration du délai fixé par le par. 18.1(2), qui s'applique selon lui au jugement déclaratoire demandé en l'espèce et qui n'a pas été prorogé. De plus, il prétend que la demande n'est par validée du fait qu'elle a été introduite dans les 30 jours suivant l'élection partielle du 24 février 1996 tenue sous le régime du code électoral des Six-Nations, l'une des " décisions " contestées en l'espèce, car c'est la validité du code électoral même, adopté en août 1995 et approuvé par un arrêté du ministre intimé en novembre 1995, que les requérants contestent.

[8]      Quant aux requérants, ils prétendent, tout comme devant le protonotaire, que la demande de contrôle judiciaire ne vise pas à contester une décision du conseil de bande ni une décision du ministre. Les requérants tentent plutôt d'obtenir un jugement déclaratoire relativement au nouveau code électoral et aux élections tenues sous son régime. L'argumentation des requérants s'appuie sur l'interprétation de la Loi sur la Cour fédérale qui, à leur avis, ne limite pas les jugements déclaratoires aux cas où la réparation demandée vise uniquement les décisions d'un office fédéral. Elle se fonde aussi en partie sur l'interprétation de la définition de l'expression " conseil de la bande " figurant aux par. 2(1) et 74 (1) de la Loi sur les Indiens . Les requérants prétendent que la demande en l'espèce vise les actes ou procédures d'un office fédéral, autres qu'une " décision " ou qu'une " ordonnance " d'un tel office.

[9]      Dans la décision dont appel, le protonotaire Giles a rejeté la requête sollicitant le rejet ou la radiation de la demande sur une question préliminaire qu'il vaudrait mieux trancher, à son avis, après la présentation d'une plaidoirie complète lors de l'audition de la demande. L'argumentation des requérants ne l'a pas convaincu qu'il était manifeste que la demande de contrôle judiciaire était vouée à l'échec et que les prétentions des requérants et de l'intimé, le Conseil des Six-Nations, concernant le délai applicable à l'introduction d'une procédure en l'espèce, justifient une audition, comme dans le cours normal d'une procédure, lorsque la demande de contrôle judiciaire sera entendue par la Cour.

[10]      Je ne suis pas convaincu que le protonotaire a commis une erreur de droit. La question soulevée par la requête du Conseil des Six-Nations n'a pas été tranchée de façon définitive. Elle a simplement été reportée pour que la Cour l'entende et la tranche lors de l'audition de la demande. C'est le processus normal appliqué aux objections dans une procédure de contrôle judiciaire. Comme cette procédure vise à régler certaines questions de façon expéditive, elle mène habituellement à une audition sans requêtes interlocutoires. Une requête sollicitant le rejet de la demande avant l'audition des parties ne peut être accueillie que dans les cas où il est manifeste, même sans audition, que la demande du requérant est sans fondement.

[11]      Dans l'affaire Guérin c. Canada (Procureur général), [1996] J.C.F. no 745, 31 mai 1996 (C.F. 1re inst.), mon collègue, le juge Pinard, a rejeté une requête en prorogation du délai de dépôt d'une requête introductive d'instance sollicitant un jugement déclaratoire relativement à une décision portant que le requérant faisait l'objet d'un programme de surveillance intensive à l'intérieur de l'établissement correctionnel dans lequel il était détenu. Une requête en radiation de l'avis de requête introductive d'instance a également été accueillie. Selon mon interprétation de cette cause, elle touche nettement une décision relative à l'application d'un régime particulier à la partie qui demandait le jugement déclaratoire. Ces circonstances peuvent être distinguées des faits à l'origine de la présente demande de jugement déclaratoire.

[12]      Dans l'affaire Bone c. Bande indienne de Sioux Valley no 290 (1996), 107 F.T.R. 133, M. le juge Heald a souligné que le délai limité fixé par le par. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale avait été soulevé à titre préliminaire comme empêchant censément la Cour d'accorder la réparation demandée, de la nature d'un quo warranto, mais que les intimés avaient admis que le délai de prescription ne s'appliquait pas au jugement déclaratoire demandé. Il a conclu que la Cour a compétence pour accorder un jugement déclaratoire, compétence dont il est admis qu'elle n'était pas contestée dans cette cause.

[13]      Enfin, le protonotaire ne commet aucune erreur de droit, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des principes juridiques en cause, lorsqu'il ne tranche pas une question de droit de façon définitive. Je ne suis pas persuadé qu'il a commis une erreur de droit, ni qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire irrégulièrement. Pour ces motifs, j'ai rejeté la requête du Conseil des Six-Nations visant l'annulation de la décision par laquelle le protonotaire a permis que l'instance suive son cours. Mon ordonnance précise qu'elle ne porte nullement atteinte au droit de soulever lors de l'audition la question de l'application du par. 18.1(2) et du délai de prescription qu'il fixe à la demande de contrôle judiciaire.

L'ordonnance accueillant la demande d'intervention

[14]      Le conseil des Six-Nations soutient avec insistance que la décision par laquelle le protonotaire a accueilli la demande d'intervention devrait être annulée, principalement en raison du retard, à l'égard duquel aucune explication n'a été fournie, avec lequel cette demande a été introduite. De plus, il fait valoir que l'intervenant proposé défend la même thèse que les requérants et que, quoi qu'il en soit, l'intervention aurait dû être limitée aux observations relatives aux questions énoncées dans la demande en regard du dossier de la preuve qui est déjà clos.

[15] L'avocat de Ronald Leroy Hill, aussi connu sous le nom de Hohuhes, qui désire intervenir au nom du Conseil de la Confédération des Six-Nations du territoire des Six-Nations de la rivière Grand, a soutenu que les intérêts et les prétentions de l'intervenant proposé diffèrent de ceux des requérants. Je suis convaincu que c'est le cas. Bien que ces parties soutiennent toutes deux que le nouveau code électoral est invalide, le fondement de leur prétentions diffère, tout comme les effets de leurs observations différeront. Les requérants feront valoir que le code est invalide parce qu'il n'a pas été adopté pour les Six-Nations par la bande, avec comme simple conséquence qu'aucun code n'est en vigueur compte tenu de l'arrêté ministériel de novembre 1995. L'intervenant proposé estime que la compétence conférée au ministre par la Loi sur les Indiens se limite à l'abolition des procédures électorales établies en vertu de cette loi, ce qui signifie que cette loi ne limite plus le droit coutumier de la bande ou des bandes qui est en fait rétabli.

[16]      Cette conséquence juridique peut avoir de l'importance et risque de ne pas être présentée adéquatement à la Cour si l'intervenant proposé n'est pas autorisé à produire une preuve par affidavit sur cette question comme il se propose de le faire. L'ordonnance prononcée par le protonotaire lui permet de le faire, y compris en déposant, à titre de pièce jointe à un projet d'affidavit déjà remis aux parties, un extrait important d'un dossier historique. Je suis d'avis que l'ordonnance dont appel autorise à juste titre l'intervenant à produire cette preuve particulière et l'objet de l'intervention.

[17] J'examinerai enfin la plus grande préoccupation du Conseil des Six-Nations, savoir le retard avec lequel la demande d'intervention a été présentée. La requête a été introduite seulement en février 1998, alors que la demande de contrôle judiciaire a débuté par le dépôt de l'avis de requête introductive d'instance en mars 1996, l'audition étant alors fixée au 28 mars 1996. Le Conseil des Six-Nations craint notamment de subir un préjudice du fait de l'intervention tardive, à moins que la date d'audition ne soit maintenant reportée. Quoi qu'il en soit, il prétend que la requête n'a pas été introduite en temps opportun (voir Bande indienne Wewayakum c. Canada et Bande indienne Wewayakai (1993), 65 F.T.R. 292, à la page 297). Dans la décision Wewayakum, M. le juge Teitelbaum a mentionné les critères auxquels la personne qui se propose d'intervenir dans une procédure de contrôle judiciaire doit satisfaire en vertu de la règle 1611 des Règles de la Cour fédérale, tels que M. le juge Rouleau les a énoncés dans Rothmans, Benson & Hedges Inc c. Canada (Procureur général) (no 1) (1989), 29 F.T.R. 267. Le juge Teitelbaum a ajouté à ces critères un facteur additionnel, c'est-à-dire que le requérant qui désire intervenir doit déposer une requête en temps opportun de façon qu'aucune partie à l'instance ne subisse un préjudice si le requérant est autorisé à intervenir.

[18]      Le retard a selon moi joué un rôle important dans la décision du juge Teitelbaum de rejeter la requête en autorisation d'intervenir dans l'affaire Wewayakum. Dans cette cause, la requête a été présentée en juin 1993, soit quelque sept semaines après le début de l'instruction, dans une action dans laquelle la déclaration avait été déposée en décembre 1985. Si la demande a été déposée tardivement en l'espèce, c'est parce que les membres du groupe qui se propose d'intervenir devaient se consulter et parvenir à un consensus sur la question de savoir s'il y avait lieu d'intervenir. Quoi qu'il en soit, la demande a été introduite et tranchée à l'origine environ cinq semaines avant la date prévue de l'audition. Si une partie croit qu'elle risque de subir un préjudice en raison de l'ordonnance permettant l'intervention, j'estime que ce préjudice peut être évité en faisant fixer par la Cour une nouvelle date pour l'audition, si cette mesure s'avère nécessaire.

[19]      Je suis d'avis que la décision rendue par le protonotaire en l'espèce relevait de son pouvoir discrétionnaire. Je ne suis pas convaincu qu'il a commis une erreur de droit en appliquant les critères relatifs à l'intervention, y compris le préjudice éventuel qu'une partie pourrait subir parce qu'une requête tardive en autorisation d'intervenir a été accueillie.

Conclusion

[20]      Pour les motifs qui précèdent, la Cour a rejeté les deux requêtes présentées par le Conseil des Six-Nations en vue d'interjeter appel des décisions prononcées par le protonotaire dans des ordonnances prenant effet le 16 février 1998.

[21]      La Cour invite toute partie qui s'inquiéterait des arrangements maintenant pris pour l'audition de la demande de contrôle judiciaire à la suite de la décision de permettre à l'intervenant de participer à l'audition à communiquer avec le greffier pour convoquer un appel conférence réunissant toutes les parties et le juge en chef adjoint par intérim.



[22]      La Cour ordonne, de son propre chef, dans l'ordonnance délivrée relativement à la requête en vue d'interjeter appel de la décision de permettre l'intervention, que l'intitulé de l'instance soit modifié de façon à correspondre a celui qui apparaît au début des présents motifs.

     W.Andrew MacKay

                                             juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 9 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau,LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-578-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Marilyn Maracle et al. c.

                     le Conseil des Six-Nations et al.

LIEU DE L'AUDITION :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDITION :          2 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :          9 mars 1998

ONT COMPARU :

Me Owen Young              POUR LES REQUÉRANTS

Me Ben A. Jetten              POUR L'INTIMÉ, le Conseil des six-Nations

Me Gary Penner              POUR L'INTIMÉ, le ministre des Affaires indiennes et du                      Nord canadien

Me Paul Williams              POUR L'INTERVENANT

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Owen Young                  POUR LES REQUÉRANTS

Avocat

Hamilton (Ontario)

Me George Thomson              POUR L'INTIMÉ,

Sous-procureur général du Canada

Blake, Cassels & Graydon          POUR L'INTIMÉ,

Toronto (Ontario)              le Conseil des Six-Nations

Paul Williams              POUR L'INTERVENANT

Avocat

Territoire des Six-Nations de la rivière Grand (Ontario)

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