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     Date: 19980227

     Dossier: T-2570-96


OTTAWA (ONTARIO), LE 27 FÉVRIER 1998.


DEVANT :      MONSIEUR LE JUGE RICHARD


ENTRE

     JAVED AHMAD,

     NAHEED SURRYA AHMAD,

     TAHIRA PARVEEN CHAUDHRY,

     KHUSH B.R. CHAUDHRY,

     requérants,

    

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.


     ORDONNANCE

     Une demande de contrôle judiciaire ayant été présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en vue de l'obtention :

     a)      d'une déclaration portant que la présentation de la demande de renseignements adressée à Sydney Feldhammer par l'intimé, soit le ministre du Revenu national, à l'égard des requérants le 25 octobre 1996 constitue une violation déraisonnable des droits constitutionnels garantis à ces derniers par les articles 7 et 8 ainsi que par les alinéas 11c) et 11d) et par l'article 13 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Charte canadienne des droits et libertés) et les prive de leur droit au silence;
     b)      d'une déclaration portant que ladite demande de renseignements n'a pas été faite pour l'application et l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada), qu'elle constitue un recours abusif et qu'elle est irrégulière, illégale et nulle;
     c)      d'un bref de certiorari ou d'une réparation de la nature d'un bref de certiorari enjoignant au ministre du Revenu national de retourner immédiatement tout document, objet ou renseignement déjà obtenu en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada) à l'égard des requérants et interdisant au ministre de communiquer tout renseignement à une autre personne;
     d)      d'un bref de prohibition ou d'une réparation de la nature d'un bref de prohibition interdisant au ministre du Revenu national de demander des renseignements aux requérants ou de recevoir des renseignements au sujet des requérants en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada).

     IL EST ORDONNÉ CE QUI SUIT :

     1)      Les documents figurant aux pages 86 à 157 du dossier de demande des requérants sont radiés parce qu'ils ne sont pas conformes aux articles 1603 et 1606 des Règles de la Cour fédérale;

     2)      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


     John D. Richard

     Juge

Traduction certifiée conforme


François Blais, LL.L.




     Date: 19980227

     Dossier: T-2570-96


ENTRE


     JAVED AHMAD,

     NAHEED SURRYA AHMAD,

     TAHIRA PARVEEN CHAUDHRY,

     KHUSH B.R. CHAUDHRY,

     requérants,

    

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD :

NATURE DE L'INSTANCE

[1]      La présente instance se rapporte au paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi).

[2]      Le 22 novembre 1996, les requérants ont présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la cour fédérale en vue d'obtenir :

     a)      une déclaration portant que la présentation de la demande de renseignements adressée à Sydney Feldhammer par l'intimé, soit le ministre du Revenu national, à l'égard des requérants le 25 octobre 1996 constitue une violation déraisonnable des droits constitutionnels garantis à ces derniers par les articles 7 et 8 ainsi que par les alinéas 11c) et 11d) et par l'article 13 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Charte canadienne des droits et libertés) et les prive de leur droit au silence;
     b)      une déclaration portant que ladite demande de renseignements n'a pas été faite pour l'application et l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada), qu'elle constitue un recours abusif et qu'elle est irrégulière, illégale et nulle;
     c)      un bref de certiorari ou une réparation de la nature d'un bref de certiorari enjoignant au ministre du Revenu national de retourner immédiatement tout document, objet ou renseignement déjà obtenu en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada) à l'égard des requérants et interdisant au ministre de communiquer tout renseignement à une autre personne;
     d)      un bref de prohibition ou une réparation de la nature d'un bref de prohibition interdisant au ministre du Revenu national de demander des renseignements aux requérants ou de recevoir des renseignements au sujet des requérants en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada).

[3]      La demande est fondée sur les motifs suivants :

     a)      en présentant ladite demande et en s'y conformant, on porte atteinte d'une façon déraisonnable aux droits constitutionnels garantis aux requérants par les articles 7 et 8 ainsi que par les alinéas 11c) et 11d) et par l'article 13 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Charte canadienne des droits et libertés);
     b)      en présentant ladite demande et en s'y conformant, on prive les requérants du droit au silence;
     c)      ladite demande n'est pas faite pour l'application et l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada), comme l'exige le paragraphe 231.2(1) de ladite loi; elle constitue un recours abusif et elle est irrégulière, illégale, nulle et non avenue.

[4]      La décision contestée se rapporte à une demande de production de documents qui a été faite conformément à l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi. La demande est adressée au comptable des requérants, M. Sydney Feldhammer; elle est ainsi libellée :

     [TRADUCTION]
     DEMANDE DE PRODUCTION DE DOCUMENTS
     Objet :      Javed et Naheed Surrya AHMAD

             108, Northview

             Montréal (Québec)

             H4A 2X4

             Tahira Parveen et Khush B.R. CHAUDHRY

             162, Montevista

             Dollard-des-Ormeaux (Québec)

             H9B 3A3


     Monsieur,
     Pour l'application et l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu et conformément aux dispositions de l'alinéa 231.2(1)b) de ladite loi, je vous demande par les présentes de produire, dans les trente (30) jours qui suivront la date de réception de la demande, certains documents concernant les personnes susmentionnées, tels que :
     1.      toutes les pièces justificatives se rapportant à la préparation des états de l'avoir net;
     2.      toutes les feuilles de travail se rapportant à la préparation des états de l'avoir net;
     3.      une photocopie de tout document en votre possession qui peut être pertinent aux fins de l'impôt sur le revenu.
     Pour satisfaire à cette exigence, vous devrez fournir les documents qui sont ici demandés à l'agent du ministère qui se présentera à votre bureau.
     Vous pouvez également satisfaire à cette exigence en envoyant par la poste les documents demandés, par courrier recommandé, à l'attention de la personne susmentionnée dans le délai imparti au premier paragraphe des présentes.
     Nous tenons à attirer votre attention sur l'article 238 de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne l'omission de se conformer à la présente demande.

HISTORIQUE

[5]      Revenu Canada a reçu de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) des renseignements selon lesquels Javed Ahmad et Naheed Surrya Ahmad avaient été arrêtés et accusés de possession de dix kilogrammes d'héroïne et étaient soupçonnés de vivre du produit du crime.

[6]      Les renseignements reçus de la GRC en ce qui concerne l'arrestation de deux des requérants, Javed Ahmad et Naheed Surrya Ahmad, ont entraîné l'examen de la situation fiscale de chacun des quatre requérants.

[7]      En février 1995, la Division des enquêtes spéciales de Revenu Canada a décidé d'examiner les obligations fiscales de Javed Ahmad, de Tahira Parveen Chaudhry et de Khush B.R. Chaudhry pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991 et 1992 ainsi que l'obligation fiscale de Naheed Surrya Ahmad pour les années d'imposition 1990, 1991 et 1992.

[8]      Afin d'effectuer la vérification de l'obligation fiscale de chacun des requérants, l'intimé a demandé à ceux-ci de fournir les renseignements suivants :

     Javed Ahmad et Naheed Surrya Ahmad
     Un état de leurs actifs et de leurs dettes pour les années civiles 1990 à 1993 inclusivement;
     Un rapprochement entre le capital et les dépenses personnelles pour chaque année civile, de 1991 à 1993 inclusivement;
     Tahira Parveen Chaudhry et Khush B.R. Chaudhry
     Un état de leurs actifs et dettes pour les années civiles 1989 à 1993 inclusivement;
     Un rapprochement entre le capital et les dépenses personnelles pour chaque année civile, de 1990 à 1993 inclusivement;

[9]      Ces demandes ont d'abord été faites au moyen d'une lettre envoyée par Lise Hennessey, de Revenu Canada, le 15 février 1995 et par la suite au moyen d'une demande formelle de renseignements qui a été faite le 5 mai 1995 en vertu de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi.

[10]      En juillet 1995, le comptable des requérants, M. Sydney Feldhammer, a transmis à Revenu Canada les renseignements demandés par Lise Hennessey.

[11]      Le 25 octobre 1996, le ministre du Revenu national a fait le suivi au moyen d'une demande formelle de production de documents qui était faite conformément à l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi et dans laquelle on demandait à chacun des requérants de fournir :

     1)      toutes les pièces justificatives se rapportant à la préparation des états de l'avoir net;
     2)      toutes les feuilles de travail se rapportant à la préparation des états de l'avoir net;
     3)      une photocopie de tout autre document en la possession des requérants qui pouvait être pertinent aux fins de l'impôt.

[12]      Aucun des requérants ne s'est conformé à la demande de production de documents du 25 octobre 1996.

L'AFFIDAVIT

[13]      Les requérants ont déposé l'affidavit du 22 novembre 1996 de M. Sydney Feldhammer. Il y était notamment déclaré ceci :

     [TRADUCTION]
     1.      Je suis comptable et associé au sein du cabinet Feldhammer Fishman S.E.N.C., situé au 5050, De Sorel, bureau 110, Montréal (Québec) et j'ai personnellement connaissance des faits ci-après énoncés.
     2.      Je suis le comptable des requérants désignés dans l'avis de requête introductive d'instance ainsi que de la société Koh-i-noor Textiles Inc., située au 9437, Côte de Liesse, Dorval (Québec), exploitée par Javed Ahmad et par son frère, Khush B.R. Chaudhry.
     3.      En 1993, j'ai appris que Javed Ahmad et sa femme, Naheed Surrya Ahmad étaient accusés d'avoir enfreint une disposition de la Loi sur les stupéfiants (du Canada).
     4.      En 1993, l'avocat de la défense, Edward L. Greenspan, c.r., et l'avocat de la défense en second, Todd White, m'ont demandé de préparer des états de l'"avoir net" à l'égard de Javed Ahmad et de sa femme pour les années civiles 1989, 1990, 1991 et 1992, conformément à la demande qu'avait faite le ministère public dans l'affaire pénale. J'ai préparé ces documents et je les ai transmis à l'avocat de la défense en second pour qu'il les soumette au ministère public.
     5.      Par des lettres adressées à Javed Ahmad en date du 15 février 1995, Lise Hennessey, de la Division des enquêtes spéciales, au bureau du district de Montréal du ministère du Revenu national, a demandé des états signés des actifs et dettes au 31 décembre 1990, 1991, 1992 et 1993 ainsi qu'un rapprochement entre le capital et les dépenses personnelles du requérant pour les années civiles 1991, 1992 et 1993. La même demande a été faite à l'égard de la femme de M. Ahmad, Naheed Surrya Ahmad, ce qui représentait en tout 14 demandes. Javed Ahmad m'a transmis des copies de ces lettres peu de temps après les avoir reçues et m'a demandé de traiter avec le ministère du Revenu national. Une copie certifiée conforme des 14 demandes qui ont été faites par écrit m'a été montrée et est jointe à l'annexe "A" du présent affidavit.
     6.      Par des lettres adressées à Khush B.R. Chaudhry en date du 15 février 1995, Lise Hennessey, de la Division des enquêtes spéciales, au bureau du district de Montréal du ministère du Revenu national, a demandé des états signés des actifs et dettes de M. Chaudhry au 31 décembre 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993 ainsi qu'un rapprochement entre le capital et les dépenses personnelles de M. Chaudhry pour les années civiles 1990, 1991, 1992 et 1993. La même demande a été faite à l'égard de la femme de M. Chaudhry, Tahira Parveen Chaudhry, ce qui représentait en tout 18 lettres. Khush B.R. Chaudhry m'a transmis ces lettres peu de temps après les avoir reçues et m'a demandé de traiter avec le ministère du Revenu national. Une copie certifiée conforme des 18 demandes qui ont été faites par écrit m'a été montrée et est jointe à l'annexe "B" du présent affidavit.

     [...]

     11.      Le 10 juillet 1995 ou vers cette date, j'ai fourni à Lise Hennessey les états signés des actifs et dettes de Javed Ahmad et de Naheed Surrya Ahmad au 31 décembre 1991, 1992 et 1993 et un rapprochement entre leur capital et leurs dépenses personnelles pour les années civiles 1991, 1992 et 1993, sur une base commune en leurs qualités de conjoints.
     12.      Le 10 juillet 1995 ou vers cette date, j'ai fourni à Lise Hennessey les états signés des actifs et des dettes de Khush B.R. Chaudhry et de Tahira Parveen Chaudhry, au 31 décembre 1991, 1992 et 1993, ainsi qu'un rapprochement entre leur capital et leurs dépenses personnelles pour les années civiles 1991, 1992 et 1993, sur une base commune en leurs qualités de conjoints.
     13.      Je n'ai pas fourni les états de l'"avoir net" des requérants pour les années 1989 et 1990 parce que je croyais qu'il était interdit au ministère du Revenu national de les demander ou qu'il y avait prescription à cet égard.

     [...]

     15.      Après avoir demandé conseil à un avocat, les requérants m'ont informé qu'ils n'étaient pas prêts à fournir, conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada), d'autres renseignements financiers qui pouvaient être utilisés comme éléments de preuve contre Javed Ahmad et Naheed Surrya Ahmad dans l'affaire pénale ou contre les requérants dans toute procédure criminelle engagée en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada).

     [...]

     20.      Dans une lettre datée du 25 octobre 1996, qui m'a été adressée, Carole Gouin, directrice des Services fiscaux à Montréal, a demandé toutes les pièces justificatives et les feuilles de travail se rapportant à la préparation des "états de l'avoir net" des requérants ainsi qu'une photocopie de tout autre document en sa possession qui peut être pertinent aux fins de l'impôt sur le revenu. Une copie certifiée conforme de ladite demande m'a été montrée et est jointe à l'annexe "H" du présent affidavit.
     21.      L'avocat de la défense en second a récemment confirmé que les procédures engagées au criminel contre Javed Ahmad et sa femme sont encore en instance, mais que l'avocat de la défense a demandé un sursis.

[14]      L'intimé a déposé l'affidavit de Catherine Pennors, en date du 16 décembre 1996. Mme Pennors a confirmé que, en réponse à une demande de Revenu Canada, le comptable avait fourni un état de l'avoir net pour chacun des requérants et que l'autre demande de production de documents visait à permettre de mener à bonne fin la vérification et, le cas échéant, de préparer les cotisations d'impôt. Tant que pareils documents ne seront pas produits, il n'est pas possible d'effectuer la vérification conformément à la Loi.

LA DISPOSITION LÉGISLATIVE APPLICABLE

[15]      ARTICLE 231.2 :      Production de documents ou

                 fourniture de renseignements
     (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :
         a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;
         b) qu'elle produise des documents.

BUT DE LA DEMANDE

[16]      La preuve révèle que le ministre effectue une vérification de l'obligation fiscale de chaque requérant.

[17]      Le régime fiscal est un régime d'autodéclaration et d'autocotisation; le ministre du Revenu national est chargé d'appliquer et d'exécuter la Loi. À cette fin, le législateur a édicté plusieurs dispositions et notamment l'article 231.2, qui autorise le ministre à enquêter sur les contribuables et à faire une vérification à leur égard.

[18]      Conformément à la demande qui a été faite en vertu de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi, les requérants ont fourni des états signés de leur avoir net pour les années 1991, 1992 et 1993. Dans la présente instance, l'intimé ne cherche pas à obtenir des renseignements pour les années 1989 et 1990.

[19]      En vertu de l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi, l'intimé cherche à obtenir les pièces justificatives et les feuilles de travail se rapportant à la préparation des états de l'avoir net que les requérants ont signés et fournis par l'entremise de leur comptable le 10 juillet 1995.

[20]      Pour établir la situation fiscale de chaque requérant, les agents autorisés de Revenu Canada cherchent à examiner les pièces justificatives et les feuilles de travail se rapportant à la préparation des états de l'avoir net déjà fournis à Revenu Canada en juillet 1995.

[21]      Le critère qu'il convient d'appliquer pour déterminer si le ministre agit pour l'application et l'exécution de la Loi a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canadian Bank of Commerce c. Canada (P.G.), [1962] R.C.S. 729, et appliqué comme suit par la même cour dans l'arrêt James Richardson & Sons, Ltd. c. M.R.N., [1984] 1 R.C.S. 614, à la page 623 :

     Cependant, l'arrêt Canadian Bank of Commerce établit clairement que le paragraphe en question ne doit pas être interprété d'une façon aussi large. Le jugement de la Cour à la majorité rendu par le juge Cartwright établit ce qui suit :
         a) le critère applicable à la question de savoir si le Ministre agit dans un but prévu par la Loi est un critère objectif et cette question doit être tranchée en fonction d'une interprétation juste du paragraphe et en fonction de son application aux circonstances décrites;
         b) l'obtention de renseignements portant sur l'assujettissement à l'impôt d'une seule ou de plusieurs personnes déterminées dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête est une fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi;
         c) il n'est pas nécessaire que la personne à qui les renseignements sont demandés soit une personne dont l'assujettissement à l'impôt fait l'objet d'une enquête;
         d) le fait que des renseignements donnés puissent divulguer des opérations confidentielles qui mettent en cause des personnes qui ne font pas l'objet d'une enquête et qui peuvent ne pas être assujetties à l'impôt n'a pas pour effet d'invalider la demande.

[22]      Une vérification fiscale est actuellement en cours et la production de documents est destinée à permettre de poursuivre la vérification du revenu imposable de chacun des requérants pour les années ici en cause.

[23]      La preuve montre clairement que la demande de production de documents a été présentée pour l'application et l'exécution de la Loi. Les documents demandés sont nécessaires si l'on veut assurer le suivi à l'égard des renseignements que les requérants ont déjà fournis au ministre en juillet 1995 à l'égard de leur obligation fiscale1.

QUESTIONS RELATIVES À LA CHARTE

L'avis

[24]      Les requérants n'ont pas donné d'avis à l'égard d'une question constitutionnelle en vertu de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. L'intimé a soulevé la question dans son mémoire et dans son argumentation orale, et il a présenté des observations écrites et orales au sujet des allégations que les requérants avaient faites, à savoir qu'il était porté atteinte aux droits qui leur étaient garantis par la Charte. J'ai conclu qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits garantis aux requérants par la Charte.

L'article 7 et le droit au silence

[25]      Dans une vérification fiscale en soi il n'y a pas de suspect et il n'y a pas d'inculpé. Il s'agit d'une procédure de nature purement administrative.

[26]      Même à supposer que la liberté et la sécurité de la personne est en cause en vertu de l'article 7 de la Charte, dans le contexte d'une vérification fiscale, la privation de la liberté et de la sécurité de la personne des requérants n'équivaut pas à une violation des principes de justice fondamentale.

[27]      En l'espèce, une procédure administrative est en cause et la demande de production de documents respecte les principes de justice fondamentale puisqu'on a informé les requérants d'une façon suffisamment claire des documents précis qui sont demandés et de la fin à laquelle ils sont demandés, et que cette demande n'est pas déraisonnable ou qu'il n'y avait pas de mauvaise foi.

[28]      Dans la décision Tyler2, la Cour a interdit au ministre intimé de communiquer à la GRC les états signés obtenus en vertu de l'alinéa 231.2(1)a). Dans ce cas-ci, les requérants ont déjà fourni ces documents au ministre. C'est à la production des pièces justificatives en vertu de l'alinéa 231.2(1)b) qu'ils s'opposent.

L'article 8

[29]      Dans l'arrêt McKinlay, à la page 649, la Cour suprême du Canada a examiné la question de la constitutionnalité du paragraphe 231(3) de la Loi (maintenant paragraphe 231.2(1)) et a conclu que même si une demande formelle de production de documents est une "saisie" au sens de l'article 8 de la Charte , pareille "saisie" est raisonnable et ne viole donc pas l'article 8 :

     À mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n'entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d'impôt sur le revenu. Le droit du contribuable à la protection de sa vie privée à l'égard de ces documents est relativement faible vis-à-vis le Ministre. Ce dernier est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner. En même temps, le droit du contribuable à la protection de sa vie privée est garanti autant qu'il est possible de le faire puisque l'art. 241 de la Loi interdit la communication de ses documents et des renseignements qu'ils contiennent à d'autres personnes ou organismes.

Les alinéas 11c) et d), l'article 13 et le droit au silence

[30]      La vérification fiscale effectuée par Revenu Canada n'est pas une enquête en matière pénale; il s'agit d'une procédure purement administrative effectuée dans un contexte civil.

[31]      Les alinéas 11c) et d) protègent l'accusé contre l'obligation de témoigner et contre un témoignage incriminant.

[32]      À ce jour, Revenu Canada a rassemblé peu de renseignements dans le cadre de sa vérification sur la situation fiscale des requérants et rien ne montre, au vu du dossier, que Revenu Canada ait transmis les renseignements à la GRC ou à une autre personne relativement aux poursuites intentées au criminel contre Javed Ahmad et contre Naheed Surrya Ahmad.

[33]      Même si Javed Ahmad et Naheed Surrya Ahmad font face à des accusations criminelles en vertu de la Loi sur les stupéfiants, la protection des renseignements demandés, conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, ne les prive pas des droits constitutionnels qui leur sont garantis par la Charte.

[34]      En ce qui concerne Tahira Parveen Chaudhry et Khush B.R. Chaudhry, ils n'ont pas été accusés au criminel de sorte que la protection fournie par la Charte en vertu des alinéas 11c) et d) ne s'applique pas dans le cadre d'une vérification fiscale de nature purement administrative.

[35]      Aucun des quatre requérants n'est tenu de témoigner dans quelque affaire que ce soit; ils sont simplement obligés de produire les documents à l'appui des renseignements déjà fournis au ministre dans le cadre de la vérification fiscale. En outre, la demande est adressée à leur comptable.

CONCLUSION

[36]      Je conclus que la demande de production qui a été faite en vertu de l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi vise à une fin valide et qu'elle ne constitue pas un recours abusif.

[37]      Je conclus également que la demande ne porte pas atteinte aux droits garantis aux requérants en vertu des articles 7 et 8 ainsi que des alinéas 11c) et 11d) et de l'article 13 de la Charte ou au droit au silence.

[38]      Je conclus en outre que les requérants n'ont pas droit à une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus enjoignant au ministre de retourner immédiatement tous les renseignements et documents fournis à ce jour en vertu de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi.

[39]      Enfin, j'ordonne que les documents figurant aux pages 86 à 157 du dossier de demande des requérants soient radiés parce les articles 1603 à 1606 des Règles de la Cour fédérale n'ont pas été observés.


     "John D.Richard"

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 27 février 1998.



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier


DOSSIER :      T-2570-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JAVED AHMAD

     NAHEED SURRYA AHMAD
     TAHIRA PARVEEN CHAUDHRY
     KHUSH B.R. CHAUDHRY,
     et
     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 24 FÉVRIER 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      DU JUGE RICHARD

     EN DATE DU 27 FÉVRIER 1998



ONT COMPARU :

     Javed Ahmad, Naheed Surrya Ahmad, Tahira Parveen Chaudhry, Khush B.R. Chaudhry

         POUR LEUR PROPRE COMPTE

     Maria Grazia Bittichesu
     Ministère de la Justice (Montréal)
         POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     George Thomson
     Sous-procureur général du Canada
         POUR L'INTIMÉ
__________________

     1      Djokich c. Canada (P.G.), 96 D.T.C. 6214 (C.F. 1re inst.).

     2      Tyler c. M.R.N., 91 D.T.C. 5022, à la p. 5027 (C.A.F.).

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