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     Date : 20000726

     Dossier : IMM-5564-99


Entre

     HAIMANOT ZEWEDU

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (prononcés à l'audience à Toronto (Ontario)

     le mardi 18 juillet 2000)


Le juge HUGESSEN


[1]      La demanderesse présente quatre motifs dans ce recours en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle la section du statut de réfugié, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]      En premier lieu, elle soutient que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur sa crédibilité. La Commission a relevé des contradictions et des invraisemblances qu'elle aurait trouvées dans le témoignage de la demanderesse. Celle-ci a correctement attiré mon attention sur au moins deux points à l'égard desquels les conclusions de la Commission se révèlent douteuses. Cela n'est cependant pas suffisant. Il y avait nombre de faiblesses dans son témoignage, qu'a relevées la Commission et qui justifient pleinement ses conclusions en matière de crédibilité. Il aurait fallu bien plus que ce qu'a démontré la demanderesse à la Cour pour que nous infirmions une conclusion en matière de crédibilité tirée par une autorité administrative qui a eu l'avantage de l'entendre de vive voix au cours de l'audience.

[3]      Le deuxième motif pris par la demanderesse se rapporte à la conclusion par la Commission qu'elle n'avait pas une crainte objectivement fondée de persécution au cas où elle devrait rentrer dans son pays d'origine, l'Éthiopie. Cette conclusion était fondée sur des preuves documentaires que la Commission a choisi d'accepter et de tenir pour concluantes. En particulier, certaines de ces preuves provenaient d'un organisme du gouvernement des États-Unis. Selon la demanderesse, ces preuves proviennent d'une source entachée et sont inférieures à d'autres preuves documentaires que la Commission aurait dû accepter et qui l'auraient amenée à tirer une tout autre conclusion. À mon avis, la Commission ne commet aucune erreur de droit faute d'énumérer toutes les preuves dont elle disposait et faute de les passer en revue l'une après l'autre pour expliquer pourquoi elle accepte ou rejette tel ou tel élément de preuve. Il y avait bien des éléments de preuve sur lesquels elle pouvait se fonder pour conclure comme elle l'a fait. Il y avait aussi d'autres preuves qui auraient pu l'amener à tirer une conclusion différente, mais c'est à elle qu'il appartient d'examiner et d'apprécier les éléments de preuve, et je ne saurais dire qu'elle a commis une erreur de droit dans sa façon d'exercer ses fonctions.

[4]      Le troisième argument proposé par la demanderesse présente un certain intérêt; je me suis prononcé à ce sujet dans une autre cause jugée justement hier, de même que la Cour dans une affaire antérieure, Herrera1. La Commission a conclu que la demanderesse, qui ne s'était inscrite qu'après son arrivée au Canada à l'AAPO, organisation opposée selon ses dires au gouvernement éthiopien, avait participé à une manifestation organisée par cette dernière devant l'ambassade d'Éthiopie à Ottawa. La Commission a également conclu que sa participation à l'organisation et à la manifestation susmentionnée n'était pas sincère, qu'elle ne l'avait fait qu'en vue de sa revendication du statut de réfugiée, et qu'elle s'était arrangée d'une façon ou d'une autre pour se faire photographier pendant la manifestation, et qu'en fait, elle s'est servie de ces photographies pour preuve de ses activités militantes au Canada, lesquelles seraient de nature à l'exposer à la persécution en Éthiopie si elle devait y retourner.

[5]      Cet argument est que la Commission n'avait pas à fouiller dans les mobiles qui ont poussé la demanderesse à faire ce qu'elle a fait. Mais comme d'autres juges du siège et moi-même l'avons conclu dans des causes antérieures, l'examen de cette question n'est pas sans rapport avec l'affaire. L'analyse du mobile permet de savoir si la crainte subjective déclarée de persécution est authentique ou non. Cela dit cependant, il y a toujours un lien intime entre les éléments objectif et subjectif de la crainte de persécution, lien qui est au coeur de la définition de réfugié selon la Convention, et j'ai déjà conclu que ce serait une erreur de la part de la Commission de s'en remettre exclusivement à son avis qu'un demandeur ne craignait pas, sur le plan subjectif, d'être persécuté si elle n'examinait pas aussi le fondement objectif de cette crainte. En l'espèce cependant, la Commission n'a pas commis pareille erreur.

[6]      La demanderesse soutient encore que l'examen fait par la Commission de ses mobiles porte atteinte à la liberté d'expression que garantit la Charte à tout un chacun au Canada, et en particulier, à ceux qui revendiquent le statut de réfugié comme en l'espèce. Je pense qu'il s'agit là d'une fausse caractérisation de la situation. La liberté d'expression protège les expressions qui sont destinées après tout à être entendues. On exprime ses idées et ses pensées afin qu'elles soient entendues, appréciées et jugées par d'autres. Expression dans le vide n'est pas expression du tout. Il n'y a pas atteinte à la liberté d'expression de quelqu'un si une autre personne examine ce qu'il exprime pour juger s'il est sincère ou non, ou si les idées exprimées sont bonnes ou mauvaises. C'est ce que la Commission doit faire lorsqu'elle examine le mobile derrière des opinions politiques exprimées au Canada, afin de juger si celles-ci sont sincères ou non.

[7]      J'accepte cependant l'argument, qui est sérieux, de l'avocate de la demanderesse qu'il peut y avoir un risque d'atteinte à la liberté d'expression si la Commission se fonde exclusivement sur un examen du mobile des personnes revendiquant le statut de réfugié. Je n'en vois aucune preuve en l'espèce et je ne pense pas qu'il soit indiqué de la part de la Commission de se livrer systématiquement à ce genre d'examen.

[8]      J'estime par contre qu'il est parfaitement légitime de la part de la Commission d'examiner le contexte des opinions politiques exprimées par un demandeur d'asile dans ce pays, afin de s'assurer qu'il s'agit bien là de l'expression sincère de ses vues sur la situation politique dans son pays d'origine, et non pas d'une manoeuvre de fausse revendication du statut de réfugié.

[9]      Le dernier argument de la demanderesse se rapporte à l'audition simultanée de sa revendication et de celle d'une autre personne. Il s'agit là d'une question que les Règles de la section du statut soumettent expressément à la décision souveraine du président de l'audience. Ainsi que je l'ai fait observer antérieurement, le critère réside dans la question de savoir si la jonction s'est traduite par une injustice à l'égard de l'une ou l'autre des revendications entendues simultanément.

[10]      En l'espèce, je suis convaincu que la Commission a pris bien soin de juger séparément les deux revendications. La demanderesse ne relevé qu'un point à l'égard duquel l'une de ces demandes n'aurait pas été instruite séparément de l'autre, mais il s'agissait là d'un élément mineur. Je ne suis pas convaincu que dans les circonstances de la cause, il y ait eu une injustice qui m'eût permis de toucher à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire que la Commission tient des textes applicables.

[11]      Par ces motifs, je me propose de débouter la demanderesse de son recours.



     « James K. Hugessen »

     ________________________________

     Juge



Ottawa (Ontario)

le 26 juillet 2000





Traduction certifiée conforme,



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              IMM-5564-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Haimanot Zewedu

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :          18 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE HUGESSEN


LE :                      26 juillet 2000



ONT COMPARU :


Catherine Bruce                  pour la demanderesse

Ann Margaret Oberst                  pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Catherine Bruce                  pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Herrera c. M.E.I. (1993), 70 F.T.R. 253 (C.F. 1re inst.).

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