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Date : 20201214


Dossier : T‑1732‑19

Référence : 2020 CF 1150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2020

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

NICOLE M. IFI

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Ifi, conteste la décision d’un délégué (le délégué) du ministre du Revenu national (le ministre) par laquelle il a rejeté la demande de Mme Ifi visant l’exercice par celui‑ci de son pouvoir discrétionnaire de renonciation à l’impôt, aux pénalités et aux intérêts imposés sur les non‑résidents et les excédents relativement à des cotisations versées au compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI) de Mme Ifi.

[2] Le délégué a rejeté la demande de Mme Ifi au motif que Mme Ifi a continué de verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents à son CÉLI après avoir été avisée qu’elle avait versé des cotisations excédentaires en 2009. Mme Ifi soutient que la décision du délégué est déraisonnable parce qu’elle était résidente du Canada en 2009 et qu’elle n’a pas commis la même erreur lorsqu’elle a versé des cotisations à son CÉLI à titre de non‑résidente après 2009. Par conséquent, Mme Ifi soutient que la décision du délégué n’était pas justifiée au regard des motifs.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que la décision du délégué est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

II. Les faits

[4] En 2009, Mme Ifi a versé des cotisations à son CÉLI en tant que résidente canadienne. L’Agence du revenu du Canada (ARC) a avisé Mme Ifi par lettre du 1er juin 2010 qu’elle avait versé des cotisations excédentaires (lettre de 2010 de l’ARC). L’ARC a fixé un d’impôt de 33,81 $ sur la cotisation excédentaire, que Mme Ifi a payé sans délai.

[5] Mme Ifi a quitté le Canada en 2010 et a vécu dans plusieurs pays avant de s’installer à New York, où elle exerce actuellement la profession d’enseignante. Ignorant qu’elle était inadmissible à verser des cotisations à son CÉLI en tant que non‑résidente, Mme Ifi a versé de petites cotisations à son CÉLI chaque année entre 2010 et 2018, sauf en 2014, lorsqu’elle a versé des cotisations d’un peu plus de 30 000 $ à titre d’épargne‑retraite. Avant de verser les cotisations de 2014, Mme Ifi a consulté son représentant bancaire canadien pour s’assurer qu’elle était admissible à le faire. Mme Ifi a informé le représentant bancaire qu’elle n’était plus résidente canadienne; celui‑ci, après avoir consulté son directeur de banque, a informé Mme Ifi qu’elle pouvait verser des cotisations à son CÉLI.

[6] En juillet 2018, Mme Ifi s’est aperçue que le représentant de la banque l’avait mal conseillée. Mme Ifi a promptement vidé et fermé son CÉLI. Elle a téléphoné à l’ARC et on lui a conseillé de présenter une demande de renonciation par écrit.

[7] Mme Ifi a expédié une lettre au Centre de traitement CÉLI de l’ARC à Winnipeg dans laquelle elle demandait que le ministre renonce à l’impôt sur ses cotisations excédentaires et ses cotisations de non‑résidents versées à son CÉLI pour les années d’imposition 2010 à 2018, au motif que l’obligation de payer de l’impôt était attribuable à une erreur raisonnable (demande initiale). Dans la demande initiale, Mme Ifi a précisé qu’elle ignorait qu’il ne lui était pas possible de verser des cotisations à son CÉLI en tant que non‑résidente et qu’elle avait été mal conseillée par son représentant bancaire, qui lui avait mentionné qu’elle pouvait verser des cotisations en tant que non‑résidente.

[8] On a refusé la demande initiale de Mme Ifi (première décision). Dans la première décision, il est mentionné que Mme Ifi a continué de verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents à un CÉLI de 2010 à 2017, après que l’ARC l’ait informée qu’elle avait versé des cotisations excédentaires à un CÉLI en 2009. L’ARC a fixé un impôt, des pénalités et des intérêts de 27 640,74 $ pour les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées au CÉLI de Mme Ifi, effaçant de ce fait son épargne‑retraite.

[9] Mme Ifi a présenté une seconde demande d’examen indépendant de sa demande de renonciation (seconde demande). La seconde demande portait sur les années d’imposition 2014 à 2017, étant donné que la plupart des obligations fiscales de Mme Ifi se rapportaient à ces années. Elle a soutenu que son obligation fiscale pour les années d’imposition 2014 à 2017 découlait d’une erreur raisonnable. Elle a également soutenu que le fondement de la première décision était défectueux, puisque dans la lettre de 2010, l’ARC traitait d’une question qui n’était pas liée à son obligation fiscale à l’égard des cotisations de non‑résident versées au CÉLI, qu’elle avait payé promptement le montant dû à l’ARC et que l’affaire était close.

[10] La seconde demande de Mme Ifi a été rejetée (seconde décision). C’est cette seconde décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[11] Voici les paragraphes clés de cette seconde décision :

[traduction]

[…] Nous avons conclu que nous ne pouvons pas agréer à votre demande de renonciation à l’impôt concernant votre situation particulière.

Dans votre lettre, vous déclarez que votre institution financière ne vous a pas mentionné que vous ne pouviez pas verser de cotisations à un CÉLI à titre de non‑résidente.

Après un examen approfondi des renseignements fournis et des faits de votre dossier, nous avons conclu que vous avez continué à verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents à votre CÉLI de 2010 à 2018, après que l’ARC vous ait informée des cotisations excédentaires versées à votre CÉLI en 2009 par lettre expédiée le 1er juin 2010. Nous devons confirmer qu’après examen des documents que vous nous avez fait parvenir et des renseignements dont nous disposons, aucune circonstance ne justifie l’annulation de l’impôt sur les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées à votre CÉLI.

Il incombe à toute personne de se renseigner sur les règles du CÉLI après avoir reçu un avis.

La cotisation fiscale initiale étant exacte, nous ne modifierons pas votre formulaire RC243 Déclaration compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI) de 2010‑2018.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[12] Les décisions discrétionnaires par lesquelles le ministre ou son délégué refusent de renoncer à l’impôt et aux pénalités doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; décision Gekas c Canada (Procureur général), 2019 CF 1031 [décision Gekas] au para 12; décision Kapil c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1373 [décision Kapil] au para 19; arrêt Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd c Canada (Revenu national), 2018 CAF 136 au para 22.

[13] La question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la seconde décision par laquelle a été rejetée la demande de redressement de Mme Ifi était raisonnable.

[14] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une norme empreinte de déférence mais aussi rigoureuse : arrêt Vavilov, aux paras 12, 13, 75 et 85. La cour de révision s’intéresse à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision : arrêt Vavilov, aux paras 83, 86 et 99. La cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : arrêt Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : arrêt Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : arrêt Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[15] La Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl.) [la LIR] limite le montant des cotisations qu’un contribuable peut verser à un CÉLI. Le contribuable qui dépasse le plafond CÉLI est assujetti à l’impôt sur l’excédent : article 207.02 de la LIR. De plus, un non‑résident est assujetti à l’impôt sur les cotisations versées à un CÉLI, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce, à savoir l’article 207.03 de la LIR. Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de renoncer à tout ou partie de l’impôt dont un contribuable serait redevable en raison de cotisations excédentaires ou de cotisations de non‑résidents versées à un CÉLI, ou de l’annuler en tout ou en partie, si le contribuable : (i) convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable; et (ii) retire promptement la somme sur laquelle le particulier serait par ailleurs redevable de l’impôt, ainsi que le revenu qu’il est raisonnable d’attribuer à cette somme : paragraphe 207.06(1) de la LIR.

[16] L’assujettissement à l’impôt d’un contribuable sur des cotisations excédentaires ou des cotisations de non‑résidents versées à un CÉLI découle de l’application de la LIR à certains égards et non pas d’une décision discrétionnaire du ministre. Le pouvoir discrétionnaire du ministre se limite à l’octroi d’une dispense à titre exceptionnel lorsqu’il estime qu’une telle dispense est justifiée : décision Jenkins c Canada (Revenu), 2007 CF 295 au para 13. Les deux volets du critère prévu au paragraphe 207.06(1) doivent être respectés pour qu’un allègement soit envisagé à l’égard du contribuable; toutefois, le pouvoir discrétionnaire quant à la renonciation de tout ou partie de l’impôt dont un contribuable serait redevable appartient toujours au ministre : décision Kapil, au para 28.

[17] Mme Ifi soutient que le refus du délégué de renoncer à l’impôt sur les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées par celle‑ci à son CÉLI était déraisonnable. Mme Ifi soutient que le délégué s’est appuyé de façon déraisonnable sur la lettre de 2010 de l’ARC, qui informait celle‑ci de la cotisation excédentaire versée en 2009 à titre de résidente canadienne, pour conclure que les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées par Mme Ifi à un CÉLI entre 2010 et 2018 ne découlaient pas d’une erreur raisonnable. Selon Mme Ifi, il n’existe pas de lien rationnel entre la cotisation excédentaire versée en 2009 et les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées après 2009. Contrairement à ce qu’a conclu le délégué, Mme Ifi soutient que son obligation de payer l’impôt sur les cotisations excédentaires et les cotisations de non‑résidents versées entre 2010 et 2018 découle de son statut de non‑résidente, et qu’elle n’a pas « continué » à verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents à son CÉLI après réception de la lettre de l’ARC de 2010. De plus, Mme Ifi soutient que la seconde décision ne fait que reprendre le même motif de refus que la première décision et ne tient pas compte de son argument selon lequel le raisonnement de la première décision était défectueux. Par conséquent, Mme Ifi soutient que la seconde décision n’était pas transparente, intelligible ou justifiée : arrêt Vavilov, au para 15.

[18] Mme Ifi invoque les décisions Gekas, Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 [décision Jiang] et Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 CF 1565 [décision Weldegebriel] pour appuyer sa thèse. Dans l’affaire Gekas, la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de la part du ministre de tenir compte des cotisations excédentaires versées par le demandeur en 2014 lorsqu’il a évalué l’allègement à l’égard des cotisations excédentaires versées en 2016, car les deux cotisations n’étaient pas liées. En revanche, la Cour a confirmé la décision du ministre de refuser un allègement dans les décisions Jiang et Weldegebriel, les mises en garde antérieures de l’ARC étant dans les deux cas liés à l’allègement demandé. Dans l’affaire Jiang, le demandeur avait continué de verser des cotisations de non‑résident, malgré le fait que l’ARC lui eut fait parvenir plusieurs avis au sujet des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents. De même, dans l’affaire Weldegebriel, l’ARC a fait parvenir six avis au demandeur pour l’informer de ses cotisations excédentaires et la Cour a conclu que la décision du ministre était raisonnable malgré l’allégation du demandeur selon laquelle il n’avait pas reçu les avis. Mme Ifi soutient que l’espèce est différente des affaires Jiang et Weldegebriel parce que l’ARC ne lui a fait parvenir qu’une seule lettre et que par cette lettre, l’ARC ne l’a pas mise en garde au sujet des cotisations de non‑résidents à un CÉLI.

[19] Mme Ifi s’appuie également sur la décision Sangha c Canada (Procureur général), 2020 CF 712 [décision Sangha]. Elle soutient que la décision Sangha, rendue à la suite de l’arrêt Vavilov concernant le refus du ministre de renoncer à l’impôt sur les cotisations excédentaires versées au CÉLI, est particulièrement pertinente en l’espèce. Dans l’affaire Sangha, la Cour a estimé que la décision du ministre ne témoigne pas d’une évaluation cohérente du droit applicable et des faits et observations importants contenus au dossier et qu’en conséquence, le refus du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’obligation de payer l’impôt n’était ni intelligible ni justifié. Mme Ifi s’appuie sur le passage suivant du paragraphe 2 de la décision Sangha :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, parce que la décision présente des lacunes sur les plans de l’analyse et de la justification. Le délégué du ministre a omis d’évaluer raisonnablement les éléments de preuve versés au dossier et les observations présentées par M. Sangha dans sa demande de renonciation aux conditions énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5suppl.) (la LIR) nécessaires à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. L’examen approfondi de la demande par le délégué s’est limité à un énoncé superficiel selon lequel M. Sangha a fait une série de cotisations excédentaires malgré la mise en garde qu’il avait reçue au sujet du statut de son CÉLI. L’énoncé a indûment simplifié les événements qui ont donné lieu à l’imposition de l’impôt sur les cotisations excédentaires et, à lui seul, il ne constitue pas une explication adéquate du refus du ministre.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Mme Ifi soutient que les faits dans la décision Sangha ressemblent beaucoup aux faits de l’espèce et souligne que les paragraphes‑clés de la décision du délégué dans la décision Sangha sont presque identiques aux paragraphes clés de la seconde décision.

[21] Je conviens avec Mme Ifi que le rejet par le délégué de sa demande de renonciation était déraisonnable. Bien que les motifs écrits donnés par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale : arrêt Vavilov, aux paras 91 et 102. Je ne suis pas en mesure d’en dire autant concernant l’espèce. À mon avis, les motifs avancés ne comportent aucun mode d’analyse qui pourrait raisonnablement amener le décideur, au vu de la preuve, à la conclusion définitive qu’il a tirée : arrêt Vavilov, au para 102.

[22] Le rejet par le délégué de la demande de Mme Ifi était fondé sur le fait que Mme Ifi a continué de verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents à son CÉLI de 2010 à 2018, après que l’ARC l’ait avisée par lettre en 2010 des cotisations excédentaires versées à son CÉLI en 2009. Je souligne que Mme Ifi n’aurait pas pu « continuer » à verser des cotisations de non‑résidents à un CÉLI puisqu’elle était résidente canadienne en 2009. L’examen de la seconde décision en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle elle a été rendue démontre que la décision du délégué était fondée sur le fait que Mme Ifi avait « continué » de verser des cotisations excédentaires (arrêt Vavilov, au para 94). Cependant, bien que je sois disposée à admettre que la mention par le délégué du versement continu de cotisations de non‑résidents ait pu constituer un oubli ou une erreur de grammaire, le fondement de la seconde décision est néanmoins défectueux, car Mme Ifi n’a pas « continué » de verser des cotisations excédentaires pour deux raisons.

[23] Premièrement, lorsqu’il a déclaré que Mme Ifi a continué de verser des cotisations excédentaires de 2010 à 2018, le délégué a effectué une mauvaise interprétation qui semble soutenir que Mme Ifi a été une surcotisante récidiviste qui a versé de façon continue des cotisations excédentaires chaque année entre 2010 et 2018. En fait, Mme Ifi n’a pas versé de cotisations excédentaires en 2010, 2011, 2012 ou 2013 et n’a eu d’obligation de payer de l’impôt sur les cotisations excédentaires qu’en 2014, après avoir versé la cotisation de 30 075 $. Dans sa seconde demande, Mme Ifi a demandé au ministre de renoncer à l’impôt pour les années d’imposition 2014 à 2017, puisque la plus grande partie de l’impôt, des pénalités et des intérêts établis à son égard concernait ces années (se reporter au tableau ci‑dessous) :

Année

Cotisation de Mme Ifi

Impôt prélevé sur les cotisations excédentaires au CÉLI

Impôt prélevé sur les cotisations de non‑résidents

Pénalités

Intérêts sur arriérés

Total

2010

192

0

2,85

0

0

2,85

2011

28,50

0

8,09

0

3,29

11,38

2012

91,50

0

14,75

2,51

5,86

23,12

2013

58,50

0

23,85

4,05

7,51

35,41

2014

30 075

1 222,65

1 832,70

519,41

742,17

4 316,93

2015

533,11

2 502,62

3 693,26

1 053,30

1 077,54

8 326,72

2016

66

2 513,91

3 704,55

1 057,14

674,45

7 950,05

2017

16,50

2 518,84

3 709,48

498,27

247,69

6 974,28

Total

31 061,11

8 758,02

12 989,53

3 134,68

2 758,51

27 640,74

[24] Deuxièmement, le délégué a été déraisonnable lorsqu’il a soutenu que Mme Ifi a continué de verser des cotisations excédentaires après avoir reçu une mise en garde. Le délégué a omis de tenir compte du fait que la cotisation excédentaire de Mme Ifi de 2009 et ses cotisations excédentaires subséquentes n’étaient pas attribuables à la même erreur. Mme Ifi n’a pas répété l’erreur antérieure au sujet de laquelle l’ARC l’avait mise en garde lorsqu’elle a versé une cotisation excédentaire en 2014. La cotisation excédentaire en 2014 découle du fait que Mme Ifi n’avait pas accumulé de droits de cotisation à un CÉLI à titre de non‑résidente et, dès lors, la cotisation excédentaire de 2014 a été erronément considérée comme telle en raison du statut de non‑résidente de Mme Ifi. Si Mme Ifi était demeurée résidente du Canada, sa cotisation de 2014 n’aurait pas dépassé les droits de cotisation cumulatifs acquis entre 2010 et 2014 et Mme Ifi n’aurait pas eu d’impôt à payer pour les années d’imposition 2014 à 2017. À mon avis, cette situation est semblable à celle de l’affaire Sangha, dans laquelle le juge Walker a conclu que relevait du caractère déraisonnable le fait que le délégué ait omis de faire la distinction entre les cotisations excédentaires de M. Sangha versées et retirées avant juin 2017, qui avaient antérieurement fait l’objet d’un avis écrit, et sa cotisation subséquente de septembre 2017.

[25] De plus, je suis d’accord avec Mme Ifi lorsqu’elle soutient que la seconde décision devait consister en une décision indépendante de la première. Mme Ifi fait expressément valoir que le fondement de la première décision était défectueux et pourtant, par la seconde décision, on a refusé la demande de renonciation à l’impôt selon le même fondement que la première décision, sans prendre acte de l’argument de Mme Ifi et sans s’y intéresser. Le fait que le délégué n’ait pas tenu compte des observations de Mme Ifi au sujet des répercussions de la lettre de 2010 de l’ARC a rendu la décision déraisonnable : arrêt Vavilov, aux paras 127 et 128; décision Sangha, au para 27.

[26] Le défendeur soutient, contrairement à l’argument de Mme Ifi, que le délégué n’a pas fondé sa décision uniquement sur la cotisation excédentaire antérieure que Mme Ifi a versée à son CÉLI et que d’autres facteurs appuyaient la seconde décision.

[27] Le défenseur soutient que le délégué s’est appuyé sur le fait que dans la lettre de 2010 de l’ARC, on a aiguillé Mme Ifi vers le site Web de l’ARC et le Guide RC4466 pour obtenir de plus amples renseignements sur les CÉLI, notamment concernant les règles relatives aux cotisations des non‑résidents. Je ne suis pas convaincue que le délégué se soit appuyé sur cela en tant que facteur. Dans la seconde décision, il est mentionné que [traduction] « l’Agence du revenu du Canada vous a fait parvenir un avis au sujet d’une cotisation excédentaire versée à votre CÉLI en 2009 » et on conclut en mentionnant que « il incombe à la personne ayant reçu un avis de se renseigner sur les règles du CÉLI » (non souligné dans l’original). Par conséquent, il ressort clairement de la seconde décision que le délégué s’est appuyé sur l’avis précédent transmis par l’ARC à Mme Ifi au sujet d’une cotisation excédentaire et non sur les règles relatives aux cotisations de non‑résidents. De plus, Mme Ifi a soutenu que l’objet de la lettre de 2010 de l’ARC, à savoir les cotisations excédentaires, n’était pas lié à ses cotisations au CÉLI en tant que non‑résidente; toutefois, la seconde décision ne prend pas en considération cet argument. Le désaccord du délégué avec les observations de Mme Ifi aurait dû être mentionné et justifié dans la seconde décision. Rien n’indique dans la seconde décision que l’on ait signalé à Mme Ifi les règles du CÉLI afférentes aux cotisations de non‑résidents par l’intermédiaire de la lettre de 2010 de l’ARC ni que le délégué a envisagé la possibilité que cette lettre ait trait à autre chose que la cotisation excédentaire de Mme Ifi en tant que résidente canadienne.

[28] Le défendeur soutient également que Mme Ifi savait que le fait qu’elle soit résidente ou non‑résidente représentait un facteur pertinent, puisqu’elle a posé une question en ce sens à son institution bancaire. Le défendeur soutient que le fait que l’institution bancaire de Mme Ifi l’ait mal conseillée suite à cette question particulière était [traduction] « sans conséquence » à la lumière de la décision Fleet c Canada (Procureur général), 2010 CF 609 [décision Fleet]. Non seulement remets‑je en question le fait que le défendeur invoque la décision Fleet comme seule réponse au fait que la défenderesse ait été mal conseillée mais à plus forte raison, je ne souscris pas à l’observation du défendeur selon laquelle le délégué a inféré une connaissance des exigences en matière de résidence du CÉLI de la part de Mme Ifi du simple fait qu’elle a demandé conseil à son institution financière. Dans la seconde décision, on se borne à mentionner que l’institution financière de Mme Ifi [traduction] « n’a pas avisé [la demanderesse] qu’elle ne pouvait pas cotiser à un CÉLI à titre de non‑résidente ». La seconde décision est muette quant au fait que cela constituait le fondement du refus du délégué de renoncer à l’impôt.

[29] Il ne suffit pas qu’une décision administrative soit justifiable — elle doit aussi être justifiée au moyen des motifs : arrêt Vavilov, au para 86. À mon avis, le fait que Mme Ifi ait répété une erreur commise antérieurement après avoir été mise en garde par l’ARC constitue le seul motif à l’appui de la seconde décision. Cela est manifeste à la lecture à la fois de la déclaration figurant dans la seconde décision selon laquelle Mme Ifi [traduction] « a continué de verser des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents » à son CÉLI après avoir reçu la lettre de 2010 de l’ARC et de la déclaration selon laquelle il incombe à la personne de se renseigner sur les règles du CÉLI [traduction] « après avoir été mise en garde ». Pour les motifs ci‑dessus, j’estime que l’on n’a pas présenté, dans la seconde décision, une justification raisonnable du refus de renoncer à l’impôt redevable de Mme Ifi.

[30] Le défendeur soutient en outre que le ministre a tenu compte de la situation de Mme Ifi parallèlement aux lignes directrices énoncées dans le Guide des opérations fiscales pour les procédures d’allègement [lignes directrices sur l’allègement]. Bien que les lignes directrices sur l’allègement figurent dans le dossier, aucune mention n’en est faite dans la première décision ni dans la seconde décision et à mon avis, rien n’indique que la seconde décision ait tenu compte des principes énoncés dans les lignes directrices. Les lignes directrices sur l’allègement prévoient que bien qu’une personne ne se verra accorder, règle générale, qu’un seul allègement, le délégué a le pouvoir discrétionnaire de déroger à la règle générale et d’accorder un allègement à plusieurs reprises lorsque l’allègement précédent a été accordé il y a cinq ans ou plus. En l’espèce, aucun élément de preuve n’atteste que Mme Ifi a déjà obtenu un allègement. En 2009, lorsque Mme Ifi a versé des cotisations excédentaires à son CÉLI en tant que résidente canadienne, elle a payé l’impôt établi. De plus, l’ARC n’a jamais informé Mme Ifi de son inadmissibilité à verser des cotisations de non‑résidents et bien que Mme Ifi ait été avisée de sa cotisation excédentaire de 2009 (qui découlait d’une autre erreur), elle n’a pas versé de nouvelles cotisations excédentaires avant 2014, soit cinq ans plus tard.

[31] Enfin, le défendeur soutient que si la Cour devait conclure que la seconde décision est déraisonnable concernant les cotisations de non‑résidents de Mme Ifi, mais raisonnable concernant ses cotisations excédentaires, l’annulation d’une partie de la seconde décision constituerait une solution convenable. Comme j’estime que la seconde décision est déraisonnable à l’égard des deux éléments, la décision est annulée en entier.

V. Conclusion

[32] Pour les motifs qui précèdent, la décision du délégué de rejeter la renonciation à l’impôt découlant des cotisations excédentaires et des cotisations de non‑résidents versées à un CÉLI de Mme Ifi était déraisonnable, car elle ne présente pas la transparence, l’intelligibilité et la justification nécessaires. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[33] Aucune des parties ne demande de dépens; par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1732‑19

LA COUR STATUE :

  1. La seconde décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre délégué du ministre.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1732‑19

 

INTITULÉ :

NICOLE M. IFI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 AOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 dÉcembRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Gergely Hegedus

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexander Millman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada S.E.N.C.R.L.

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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