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                                                                 Date : 20020226

                                                    Dossier : IMM-6590-00

                                          Référence neutre : 2002 CFPI 200

Ottawa (Ontario), le 26 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                         YASSER ABDO AL-KHULAIDY

                        NAWAL MOHAMED AL-SHIRMANY

                             MAHA AL-KHULAIDY

                          SHIHAB AL-KHULAIDY

                                                               demandeurs

                                  - et -

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Les demandeurs, membres d'une jeune famille en provenance du Yémen, sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision défavorable rendue le 30 novembre 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR).


[2]                 Le demandeur est un médecin et un ancien joueur-vedette de soccer. Sa femme, la demanderesse, est enseignante. Le couple a deux enfants mineurs. La famille vivait à Sanaa et avait une vie aisée. La mère et quatre des frères et soeurs du demandeur vivaient aussi à Sanaa, alors que ses autres frères et soeurs vivaient à Hodeida, au Yémen, et à Jeddah, en Arabie saoudite. Toute la famille de la demanderesse vivait à Sanaa.

[3]                 Le demandeur se joignait régulièrement à des amis, les jeudis et vendredis après le repas du midi, pour « mâcher » une certaine plante et pour discuter de divers sujets. Le 1er juillet 1999, le demandeur se trouvait chez son ami et collègue Mohamad, en compagnie de deux autres amis, lorsque quatre hommes des services de la sécurité politique les ont arrêtés et les ont emmenés.

[4]                 Le demandeur a été séparé de ses amis, placé dans une cellule et interrogé. Les hommes qui le détenaient lui ont dit qu'ils savaient que ses amis et lui étaient membres du parti socialiste et du MOG, le parti d'opposition. Le demandeur a été giflé et frappé sur la plante des pieds et on lui a demandé d'avouer qu'il était un membre actif du parti socialiste et du MOG. L'interrogatoire s'est poursuivi pendant deux semaines, puis la fréquence a soudainement diminué. Le vendredi 16 juillet 1999, on a autorisé le demandeur à assister aux prières du vendredi où il a rencontré Abdullah, un officier qui le connaissait alors qu'il était un joueur-vedette de soccer.


[5]                 Abdullah a accepté d'aider le demandeur et l'a informé, une semaine plus tard, que la seule façon qu'il avait de s'en sortir était de s'évader. Des dispositions ont été prises et, avec l'aide d'Abdullah, le demandeur s'est évadé, puis est venu au Canada en compagnie de sa famille en passant par Djibouti et les États-Unis. Les demandeurs ont atteint Djibouti le 31 juillet 1999 qu'ils ont quitté le 21 août pour arriver à New York le même jour après être passés par Paris. Les demandeurs sont restés à Philadelphie pendant cinq (5) jours avant de venir au Canada où ils ont revendiqué le statut de réfugié.

[6]                 Le demandeur fonde sa revendication sur les opinions politiques qui lui sont imputées. Sa femme et ses enfants s'appuient sur la preuve soumise par le demandeur et fondent leurs revendications sur leur appartenance à un groupe social, la famille.

[7]                 La SSR a conclu que la crédibilité des demandeurs, leur omission d'avoir revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis et le bien-fondé de leur revendication étaient critiquables. Elle a décidé que les demandeurs n'étaient « pas totalement » crédibles et qu'une grande partie de leurs témoignages était peu vraisemblable. La SSR a établi que la crainte de persécution des demandeurs n'était pas fondée et était incompatible avec la preuve documentaire soumise lors de l'audience. La SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention étant donné que leur crainte de persécution n'avait pas de fondement objectif.

[8]                 Le demandeur soulève les questions suivantes :

           (a)        La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de la définition de réfugié au sens de la Convention contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2?


           (b)        La Section du statut de réfugié a-t-elle fondé sa décision ou son ordonnance sur une ou des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'elle ait pris en compte la preuve dont elle disposait?

           (c)        La Section du statut de réfugié a-t-elle fondé sa décision ou son ordonnance sur des conclusions quant à la vraisemblance appuyées sur des inférences qu'elle ne pouvait pas raisonnablement tirer?

[9]                 En concluant qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que les demandeurs, s'ils retournaient au Yémen, soient persécutés pour l'un des motifs prévus à la Convention, la SSR a tiré l'inférence suivante à la page 9 de sa décision :

                                 [...] Le tribunal arrive à la conclusion que c'est par erreur que le revendicateur a été arrêté le 1er juillet 1999, et que les autorités n'ont rien à lui reprocher, puisqu'il n'avait jamais rien fait contre elles; elles avaient en fait grandement atténué les sévices initiaux qu'elles lui avaient fait subir au moment où il a pris la fuite. Son évasion semble être passée inaperçue, et rien n'indique qu'il les intéresse encore.


[10]            Les demandeurs allèguent que la conclusion de la SSR, selon laquelle l'arrestation du demandeur était une erreur, était fondée sur une inférence qu'elle ne pouvait raisonnablement pas tirer compte tenu de la preuve dont elle disposait. Les demandeurs allèguent que le simple fait qu'ils ne savaient pas si les autorités au Yémen faisaient ouvertement des efforts pour retrouver le demandeur ne veut pas dire qu'il n'était pas recherché ou qu'il n'était pas en danger. Le demandeur principal allègue en outre que, contrairement à ce que la SSR faisait valoir, la fréquence des mauvais traitements qu'il avait subis en prison n'avait pas diminué de beaucoup avant qu'il ne s'évade. La position des demandeurs est que même si la fréquence de la torture et de l'interrogatoire avait diminué, cela ne signifie pas que les mauvais traitements subis par le demandeur avaient diminué suffisamment pour que la SSR puisse conclure qu'il n'intéressait pas les autorités ou qu'il avait été emprisonné par erreur. Les demandeurs soumettent que la SSR a accepté le témoignage quant à l'arrestation et à l'évasion et que c'est en se fondant sur ce témoignage que la SSR doit trancher.

[11]            Les demandeurs soumettent en outre que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a imposé une norme de preuve trop élevée aux demandeurs. Ils allèguent que le critère objectif n'est pas rigoureux au point d'exiger une probabilité de persécution, mais qu'il doit plutôt servir à établir s'il existe une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés s'ils devaient retourner dans leur pays d'origine.

[12]            Relativement à ce dernier point ci-dessus soulevé par les demandeurs, je suis convaincu que la SSR a appliqué la norme de contrôle appropriée. À la page 4 de ses motifs, la SSR a déclaré :

Pour que le tribunal puisse statuer que les revendicateurs sont des réfugiés au sens de la Convention, la preuve doit établir qu'ils ont de bonnes raisons de craindre d'être persécutés pour au moins l'un des motifs énoncés dans la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » . La norme de preuve à utiliser pour évaluer s'il existe de bonnes raisons est énoncée dans l'affaire Adjei, et elle exige que le tribunal ait la conviction qu'il existe une « chance raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » que les revendicateurs soient persécutés s'ils devaient retourner au Yémen, pour l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

Je suis convaincu, après avoir examiné les motifs de la SSR, qu'elle a appliqué la norme appropriée.


[13]            La SSR a en outre déclaré, après avoir accepté le témoignage des demandeurs selon lequel ils étaient « [...] deux personnes [...] effectivement totalement apolitiques » , qu'ils n'avaient pas établi qu'on pouvait leur imputer des opinions politiques qui justifieraient une crainte de persécution constituant un motif de revendiquer le statut de réfugié. La SSR a énoncé plusieurs motifs qui justifiaient sa conclusion.

[14]            La SSR a noté que la mère du demandeur, au cours de ses visites à ses autres enfants, n'avait pas mentionné que les autorités avaient déjà communiqué avec elle, ou qu'elles avaient communiqué avec le frère du demandeur qui vivait au Yémen, au sujet des allées et venues des demandeurs. De la même façon, divers membres de la famille des demandeurs ont eu la possibilité à maintes reprises de faire savoir s'il y avait eu des répercussions quant à la prétendue évasion du demandeur ou au départ prétendument illégal de la famille du Yémen. La preuve démontre que les familles des demandeurs n'avaient pas d'information à ce sujet.

[15]            Le demandeur a répondu de façon évasive lorsqu'on lui a demandé s'il avait communiqué avec son beau-frère, Abdul Hakim, qui vivait avec les demandeurs au Yémen et qui avait une clé de leur maison. Toutefois, la preuve révèle que le demandeur avait pris des dispositions pour que sa nièce, la fille d'Abdul Hakim, qui était venue aux États-Unis lui apporte son porte-documents qui contenait ses documents personnels.


[16]            À mon avis, la SSR pouvait, compte tenu de la preuve, conclure que l'évasion du demandeur était passée inaperçue et qu'il n'intéressait pas les autorités.

[17]            La SSR a en outre noté que le demandeur n'avait pas fait d'efforts pour tenter de savoir ce qu'il était advenu de ses amis qui avaient été arrêtés en même temps que lui. Il a témoigné qu'il ne voulait pas y être mêlé et qu'il ne les blâmait pas pour ce qui s'était passé. La SSR a conclu que le demandeur savait maintenant que ses amis n'étaient pas en danger et qu'il mentait ou alors qu'il n'était simplement pas préoccupé par leur sort ou par son propre sort au Yémen. Il ne s'agit pas d'une conclusion manifestement déraisonnable.

[18]            La SSR a de plus noté que la demanderesse, lors de l'audience, en réponse à une question du tribunal à savoir si elle pensait qu'elle serait en danger si elle retournait au Yémen, a répondu comme suit : [TRADUCTION] « Je devrais rendre des comptes au sujet du faux passeport, mais en ce qui concerne les activités politiques, lui seul (son mari) devrait s'expliquer. En ce qui concerne le volet politique, je ne le crois pas. Je pense que s'ils avaient eu des soupçons à mon sujet, ils m'auraient arrêtée » . La SSR a raisonnablement conclu, à mon avis, que ce témoignage a affaibli la revendication de la demanderesse quant à sa crainte d'être persécutée.


[19]            Je suis en outre d'avis que le tribunal pouvait raisonnablement conclure que, compte tenu du profil apolitique du demandeur, les autorités n'avaient pas de preuve à son sujet pas plus qu'elles ne s'intéressaient encore à lui de quelque façon. La SSR, lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait été arrêté par erreur, s'est appuyée sur le rapport du département d'État des États-Unis (DOS) qui a déclaré que les forces de sécurité arrêtaient arbitrairement des personnes et les détenaient mais que [TRADUCTION] « [l]a plupart de ces disparitions sont temporaires, et habituellement, les détenus sont remis en liberté quelques semaines ou quelques mois plus tard » . Il était loisible au tribunal de s'appuyer sur cette documentation pour tirer sa conclusion selon laquelle le demandeur avait été arrêté par erreur. À mon avis, cette conclusion était une conclusion que pouvait raisonnablement tirer le tribunal compte tenu du manque apparent de preuve démontrant que les autorités au Yémen s'intéressaient de quelque façon au demandeur.

[20]            Bien que je partage l'opinion des demandeurs selon laquelle la SSR a possiblement mal décrit les mauvais traitements que le demandeur a subis en prison lorsqu'elle a affirmé que la fréquence avait grandement diminué, je ne crois pas qu'une telle erreur soit déterminante. La preuve incontestable selon laquelle la fréquence de la « torture » et de l'interrogatoire avait diminué, et selon laquelle le demandeur pouvait sortir de sa cellule pour les prières du vendredi, peut amener à dire que la fréquence des mauvais traitements avait diminué.

[21]            Les motifs précédemment énoncés ont amené la SSR à conclure que les demandeurs n'avaient pas établi qu'il existe une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés pour l'un des motifs de la Convention s'ils retournaient au Yémen. Je suis d'avis, après avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve, qu'il n'était pas déraisonnable pour la SSR de tirer les conclusions qu'elle a tirées.


[22]            La jurisprudence de la Cour a clairement établi que « le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage » et pour « jauger la crédibilité d'un récit et [...] tirer les inférences qui s'imposent » [Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317, au paragraphe 4]. La Cour n'interviendra que lorsque les conclusions sont manifestement déraisonnables.

[23]            Je suis d'avis que les inférences tirées par la SSR et que ses conclusions en l'espèce sont fondées sur la preuve dont le tribunal disposait et étaient celles qu'elle pouvait raisonnablement tirer. Je conclus que la SSR n'a pas fondé sa décision sur une ou des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'elle ait pris en compte la preuve dont elle disposait. Je conclus que la décision ou les motifs de la SSR ne comportent pas d'erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.

[24]            Il s'agit en l'espèce d'une affaire dans laquelle la SSR a pris en considération et a apprécié tous les éléments de preuve, selon ce qu'elle doit faire en tant que tribunal spécialisé, puis a tiré une conclusion. Dans la mesure où cette conclusion n'est pas clairement erronée, elle n'est pas manifestement déraisonnable. Voir la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. no 300. Je conclus par conséquent que la décision de la SSR en l'espèce n'est pas clairement erronée, même si d'autres peuvent conclure autrement.


[25]            Pour les motifs précédemment énoncés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[26]            Les parties, après en avoir eu la possibilité, n'ont pas soumis aux fins de la certification de question grave de portée générale selon ce que prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Par conséquent, je ne certifierai pas de question grave de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue en date du 30 novembre 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

          

« Edmond P. Blanchard »

Juge

     

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                          IMM-6590-00

INTITULÉ :                                      Yasser Abdo Al-Khulaidy et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 4 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                  Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :              Le 26 février 2002

COMPARUTIONS :

John Rokakis                                        POUR LES DEMANDEURS

Greg G. George                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Rokakis                                        POUR LES DEMANDEURS

Windsor (Ontario)                     

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                        POUR LE DÉFENDEUR

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