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Date : 20040419

Dossier : ITA-1096-99

Référence : 2004 CF 581

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                                          - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE :

                                                LA CORPORATION STECKMAR/

                                                   STECKMAR CORPORATION

                                                                                                                             débitrice judiciaire

                                                                             et

                                               STECKMAR NATIONAL REALTY

                                             AND INVESTMENT CORPORATION

                                                                                                                                        tierce saisie

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la créancière saisissante, Sa Majesté la Reine, aux fins d'obtenir une ordonnance définitive de saisie-arrêt contre Steckmar National Realty and Investment Corporation (la tierce saisie) visant des avances qu'elle a reçues, sans intérêt, au cours des vingt-cinq (25) dernières années de la débitrice judiciaire, La Corporation Steckmar/ Steckmar Corporation, une corporation liée à la tierce saisie.

[2]                La débitrice judiciaire et la tierce saisie sont effectivement liées puisque les actions de la débitrice judiciaire sont détenues à quarante-neuf pour cent (49%) par Arthur Steckler, quarante-neuf pour cent (49%) par sa soeur et deux pour cent (2%) par sa mère, alors que les actions de la tierce saisie appartiennent toutes à M. Steckler.

[3]                M. Steckler agit, entre autres, à titre d'administrateur et dirigeant de la tierce saisie. Il fut présenté comme le représentant de la débitrice judiciaire et de la tierce saisie pour les fins des présentes procédures.

[4]                Les avances reçues par la tierce saisie - qui sont de la nature d'un prêt au sens de l'article 2314 du Code civil du Québec (C.c.Q.) - totalisent la somme de quatre millions deux cent cinquante-cinq mille cinq cent trente-quatre dollars (4 255 534,41$).


[5]                Il est à retenir d'entrée de jeu que bien que la créancière saisissante recherche la saisie de tout ce montant, elle vise à ce que lui soit réellement versée en bout de course non pas l'ensemble de ce montant mais bien une somme de 126 666,39$ plus les intérêts courus sur ce montant depuis octobre 1997. Cette somme correspond à l'endettement fiscal de la débitrice judiciaire et est consignée à un certificat qui fut déposé en cette Cour et qui aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.) ch. 1, telle que modifiée, a la même valeur et le même effet qu'un jugement de cette Cour.

[6]                La saisie-arrêt vise donc une mainmise d'un peu moins de 4% des avances reçues par la tierce saisie.

[7]                Suite à l'ordonnance de saisie-arrêt provisoire, M. Steckler, à titre d'administrateur et dirigeant de la tierce saisie, a produit au dossier de cette Cour une déclaration qui se lit comme suit :

1.              Le tiers saisi reconnaît devoir au débiteur judiciaire la somme de quatre millions deux cent cinquante-cinq mille cinq cent trente-quatre dollars et quarante et un (4,255,545.41$).

2.              La dette décrite au paragraphe précédent ne porte pas intérêt.

3.              Cette créance n'est pas contatée par écrit et il est convenu entre le débiteur judiciaire et le tiers saisi que le re-paiement du capital de la dette s'effectuera selon que la situation financière du tiers saisi le permettra.

4.              En date de la saisie-arrêt, le tiers saisi ne possède pas les liquidités nécessaires au remboursement de sa dette envers le débiteur judiciaire de telle sorte que sa dette n'est pas exigible.

5.              Le tiers saisi ne détient actuellement ou n'a en sa possession aucuns biens meubles appartenant au débiteur judiciaire.

[Non souligné dans l'original.]


[8]                Cette déclaration de la tierce saisie équivaut donc à établir que les parties ont convenu que le remboursement du prêt, soit l'exigibilité de ce dernier, s'opérerait quand la tierce saisie le pourrait financièrement et qu'en date de la saisie-arrêt provisoire, qui fut rendue le 13 décembre 1999, cette circonstance ne s'était pas encore présentée. Cet état de non remboursement du prêt demeure essentiellement vrai même en date de ce jour puisqu'il ressort du dossier que seule une somme d'environ 776 525 $ fut remboursée à la débitrice judiciaire dans le passé par la tierce saisie, soit une somme de 749 330 $ en 1996 et possiblement 27 195 $ à l'automne de 1999 (la preuve à l'égard de ce dernier paiement est peu claire).

[9]                Le 31 mars 2000 et le 17 novembre 2000 la créancière saisissante a procédé à l'interrogatoire sur affidavit de M. Steckler.

[10]            La tierce saisie s'oppose à la saisie-arrêt définitive entre ses mains du montant correspondant à la dette fiscale de la débitrice judiciaire en invoquant une série de moyens.

[11]            Une revue et analyse des principaux moyens soulevés par la tierce saisie nous permettra de voir si l'un ou l'autre de ceux-ci est véritablement de nature à prévenir la saisie-arrêt définitive recherchée par la créancière saisissante.

Analyse


[12]            La créancière saisissante ne conteste pas en soi la véracité des termes de l'entente intervenue entre la débitrice judiciaire et la tierce saisie, soit que le paiement s'effectuera selon que la situation financière de la tierce saisie le permettra. Elle juge toutefois que les Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) touchant la saisie-arrêt de même que le C.c.Q. permettent à cette Cour de considérer le prêt, dans la mesure et pour les fins de la saisie, immédiatement exigible.

[13]            La tierce saisie soumet comme premier moyen d'opposition que vu qu'elle ne conteste ni sa dette ni son obligation de payer mais simplement l'exigibilité de celle-ci, l'économie des règles 451(2) et 453 fait que la Cour ne peut rendre une ordonnance qu'en fonction de l'approche envisagée par le paragraphe 451(2) des Règles, soit une ordonnance de saisie-arrêt définitive exigeant simplement de la tierce saisie le paiement à la créancière saisissante lorsque la dette sera exigible.

[14]            Les règles 451 et 453 se lisent comme suit :

451.(1) Lorsque le tiers saisi n'a pas fait de consignation à la Cour selon la règle 450 et qu'il ne conteste pas la dette dont on le prétend redevable au débiteur judiciaire, ou lorsqu'il ne se présente pas en application de l'ordonnance rendue en vertu du paragraphe 449(1), la Cour peut, sur requête, rendre une ordonnance exigeant le paiement au créancier judiciaire ou la consignation à la Cour.

451.(1) Where a garnishee has not made a payment into court under rule 450 and does not dispute the debt claimed to be due to the judgment debtor, or does not appear pursuant to a show cause order made under subsection 449(1), on motion, the Court may make an order for payment to the judgment creditor or payment into court of the debt.


      (2) Si la dette à payer au débiteur judiciaire n'est pas exigible au moment où l'ordonnance visée au paragraphe 449(1) est demandée, une ordonnance peut être rendue en vue du paiement de la dette à son échéance au créancier judiciaire selon les modalités prévues au paragraphe (1).

      (2) Where a debt owed to a judgment debtor is not payable at the time an order is sought under subsection 449(1), an order may be made for payment of the debt to the judgment creditor under subsection (1) as at the time the debt becomes payable.

      (3) L'ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) peut être exécutée de la même manière qu'une ordonnance exigeant le paiement d'une somme d'argent.

      (3) An order under subsection (1) may be enforced in the same manner as any other order for the payment of money.

453. Lorsque le tiers saisi conteste l'obligation de payer au débiteur judiciaire la dette échue ou a échoir, la Cour peut juger par procédure sommaire toute question concernant l'obligation du tiers saisi ou ordonner qu'elle soit instruite de la manière qu'elle précise.

453. Where a garnishee disputes liability to pay a debt claimed to be due or accruing to the judgment debtor, the Court may summarily determine any question of liability of the garnishee or order that it be determined in such a manner as the Court may direct.

[15]            Compte tenu du débat qui s'est engagé entre les parties quant à l'exigibilité du prêt, et ce, par suite des déclarations et interrogatoires survenus depuis la prise de l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt, je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le présent dossier tombe véritablement dans le contexte objectif du paragraphe 451(2) des Règles et que la Cour ne puisse envisager une ordonnance sous la règle 453.

[16]            Il faut noter au départ que le paragraphe 451(2) est permissif, en ce sens qu'il prévoit que la Cour "peut" et non "doit" rendre une ordonnance en vue du paiement à son échéance.

[17]            Deuxièmement, ce paragraphe 451(2) ne doit pas être lu isolément de la règle 453. Je pense que le paragraphe 451(2) trouve véritablement et objectivement application lorsqu'il n'y a pas de débat entre les parties quant au caractère non exigible de la dette.

[18]            Toutefois ici, et bien que la tierce saisie soumette ne pas contester son obligation de payer, je pense que cela n'est pas nécessairement le cas puisqu'à tout le moins elle diverge de vues avec la créancière saisissante quant à une modalité importante du paiement, soit l'arrivée ou non du terme.

[19]            La règle 453 est donc applicable en l'espèce.

[20]            Subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour jugerait la règle 453 applicable, la tierce saisie soumet que les redressements recherchés par la créancière saisissante outrepassent la juridiction de cette Cour.

[21]            Quant à ces redressements, on peut abonder dans le même sens que la tierce saisie et tenir qu'ils consistent en les suivants :

a)          fixer un terme au contrat de prêt intervenu entre la débitrice judiciaire et la tierce saisie, et ce, en vertu de l'article 1512 C.c.Q.;


b)          reconnaître son droit d'agir à la place de la débitrice judiciaire en vertu de l'article 1627 C.c.Q.

[22]            Bien que ces redressements se règlent par l'application de règles de droit provinciales, ils m'apparaissent être des questions de droit provincial qui se soulèvent de façon incidente dans le contexte de l'exécution forcée d'un jugement rendu contre la débitrice judiciaire, et ce, au sens des enseignements de la Cour d'appel fédérale dans les arrêts La Reine c. Gadbois et Transport H. Cordeau Inc., 2002 CAF 228 (Gadbois) et Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée v. The Queen, [1986] 2 C.T.C. 227 (Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée).

[23]            Tel que le rappelle la Cour fédérale d'appel dans l'arrêt Gadbois aux paragraphes 13 à 15 et 26 :

[13]          En vertu des paragraphes 222(2) et (3) de la Loi, le certificat du ministre enregistré à la Cour produit le même effet que s'il s'agissait d'un jugement de la Cour. Il est réputé être un jugement rendu par la Cour. Toutes les procédures peuvent ainsi être engagées à la faveur du certificat comme s'il s'agissait d'un jugement de la Cour. C'est donc au stade et dans le contexte de l'exécution du jugement de la Cour que la demande de saisie-arrêt en mains tierces fondée sur l'article 224 de la Loi fut faite.

[14]          Il ne fait pas de doute que la Cour a le pouvoir d'assurer l'exécution de ses jugements et que, dans ce contexte, elle peut être appelée à décider d'une manière incidente à l'exécution du jugement des questions de droit provincial soulevées à l'encontre de cette exécution : Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée v. The Queen, [1986] 2 CTC 227 (C.A.F.). Comme l'écrivait le juge Marceau à la page 233, "le pouvoir de la Cour de prendre parti sur une question de droit provincial qui se soulève de façon incidente au cours de l'exercice de son pouvoir juridictionnel propre ne fait aucun doute". La Cour suprême du Canada a expressément reconnu cette compétence dans l'arrêt ITO - Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 781 :


La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n'est pas cependant restreinte à l'application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu'une affaire relève, de par son "caractère véritable", de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties.

[15]          Toujours à la page 233 de l'arrêt Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée, le juge Marceau a bien décrit en ces termes l'aspect complémentaire essentiel et nécessaire à la juridiction d'une Cour que constitue l'exécution forcée des jugements :

Or, il est évident que le pouvoir attribué à la Cour de disposer d'un recours ne se limite pas à celui de se prononcer sur l'existence du droit réclamé mais emporte aussi celui d'assurer, par les moyens légaux, le respect du jugement qu'elle a rendu. Autrement, son rôle ne serait qu'académique. Le pouvoir de juridiction implique celui complémentaire d'exécution forcée, pouvoir d'exécution qui, soit dit en passant, est nécessairement le même quelle que soit la source du pouvoir de juridiction, c.-à-d. quelle que soit la loi du Parlement du Canada sur laquelle le jugement se fonde. Et de même que la Cour a le pouvoir de se prononcer sur une question de droit provincial qui se soulève de façon incidente au cours de l'exercice de son pouvoir juridictionnel, de même a-t-elle le pouvoir de disposer d'une question de droit provincial qui se présente dans l'exercice de son pouvoir d'exécution. Ainsi, du seul fait qu'en l'espèce la contestation des déclarations négatives que fait valoir l'intimée soulève des questions de droit provincial, on ne peut certes en déduire que la Cour n'a pas juridiction pour en déterminer la légitimité.

[....]

[26]          Je suis d'accord avec l'appelante. Cet argument ne remet pas en cause la validité des transactions, mais vise plutôt à rendre inopposable à une personne de bonne foi l'immunité de la personne morale lorsque la personnalité juridique de cette personne est invoquée pour masquer des actes frauduleux. Encore là, la réponse de l'appelante à l'opposition de l'intimée n'excède pas le cadre de la perception d'une créance dans un contexte d'exécution forcée du jugement d'une Cour compétente. Les propos suivants du juge Marceau dans l'affaire Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée v. The Queen, précitée, à la page 233 nous apparaissent appropriés en l'espèce :

Si la Cour devait ainsi se désister aussitôt qu'apparaît, pour la disposition d'un recours dont elle est saisie, une question de droit provincial, il est peu de demandes qu'elle pourrait conduire à terme. C'est l'action fondée sur une cause indépendante du droit fédéral que la Cour ne peut entendre et résoudre, et même, faut-il préciser, complètement indépendante.

[24]            Ici, je ne pense pas que ces principes puissent être écartés du seul fait que c'est la créancière saisissante et non la tierce saisie qui appelle la Cour à appliquer divers articles du C.c.Q. De fait, tout comme dans l'arrêt Gadbois, on peut tenir que le prêt était pour la créancière saisissante exigible prima facie au moment de la demande de l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt et que c'est, par après, en raison de la position prise par la tierce saisie dans sa déclaration que ces questions de droit provincial interviennent. À tout événement, il m'apparaît que peu importe qui initie ces questions, ces dernières se trouvent soulevées à l'encontre de l'exécution du jugement rendu contre la débitrice judiciaire et c'est cela qui compte.

[25]            Je ne suis donc pas convaincu que les redressements recherchés par la créancière saisissante outrepassent la juridiction de cette Cour. Ici, la créancière saisissante ne cherche pas à modifier, à transformer l'entente de prêt entre les parties. Elle cherche simplement à exercer au lieu et place de sa débitrice judiciaire un remède, soit celui de l'article 1512 C.c.Q., qui est ouvert en principe à cette dernière.

[26]            Subsidiairement, la tierce saisie soumet que la procédure de la saisie-arrêt n'est pas un cadre approprié pour traiter de remèdes qui découlent des articles 1512 et 1627 C.c.Q.

[27]            Ces articles se lisent comme suit :


     Art. 1512. Lorsque les parties ont convenu de retarder la détermination du terme ou de laisser à l'une d'elles le soin de le déterminer et qu'à l'expiration d'un délai raisonnable, elles n'y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l'une d'elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l'obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée.

Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu'il est de la nature de l'obligation qu'elle soit à terme et qu'il n'y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.

     Art. 1512. Where the parties have agreed to delay the determination of the term or to leave it to one of them to make such determination and where, after a reasonable time, no term has been determined, the court may, upon the application of one of the parties, fix the term according to the nature of the obligation, the situation of the parties and the circumstances.

The court may also fix the term where a term is required by the nature of the obligation and there is no agreement as to how it may be determined.

     Art. 1627. Le créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible peut, au nom de son débiteur, exercer les droits et actions de celui-ci, lorsque le débiteur, au préjudice du créancier, refuse ou néglige de les exercer.

Il ne peut, toutefois, exercer les droits et actions qui sont exclusivement attachés à la personne du débiteur.

     Art. 1627. A creditor whose claim is certain, liquid and exigible may exercise the rights and actions belonging to the debtor, in the debtor's name, where the debtor refuses or neglects to exercise them to the prejudice of the creditor.

However, he may not exercise rights and actions which are strictly personal to the debtor.

[28]            Les parties s'entendent pour établir que le prêt en litige constitue un prêt à terme suspensif (voir l'arrêt Boisvert c. Investissements D.M.A. inc., 99 BE-537 (C.A.), ci-après l'arrêt Boisvert).

[29]            Suivant la créancière saisissante, la jurisprudence l'autorise à faire appel en l'espèce à l'article 1512 C.c.Q. pour demander à la Cour de fixer le terme du prêt.

[30]            La tierce saisie voit un premier problème avec l'utilisation ici par la créancière saisissante de cet article 1512. Selon la tierce saisie, cet article dispose que ce sont les parties au prêt, et non un tiers tel la créancière saisissante, qui peuvent faire appel à l'article 1512. La créancière saisissante rétorque que l'article 1627 cité plus avant lui permet d'exercer les droits de sa débitrice.

[31]            Je pense ici que la créancière saisissante rencontre toutes les conditions de cet article 1627. Sa créance à l'égard de la débitrice judiciaire est, à coup sûr, certaine, liquide et exigible et la débitrice judiciaire peut certes être vue - en raison du nombre d'années écoulées sans véritable remboursement du prêt - comme négligente à l'égard de la possibilité de recourir à l'article 1512 C.c.Q.

[32]            La tierce saisie soulève néanmoins que l'article 1627 exige une action et qu'ici nous sommes dans le cadre d'une requête par procédure sommaire.

[33]            Quant à la nécessité d'une action, je pense que la tierce saisie a tort. Les auteurs Denis Ferland et Benoît Emery reconnaissent que la saisie-arrêt est un recours oblique :

La saisie-arrêt est une mesure d'exécution forcée sur action personnelle prévue au deuxième alinéa de l'article 569 qui stipule que le créancier peut, dans tous les cas, faire saisir-arrêter entre les mains d'un tiers les sommes et effets dus ou appartenant à son débiteur. Elle constitue une forme particulière de l'action oblique qui permet au créancier, en vertu de l'article 1627 du Code civil du Québec, d'exercer les droits et actions du débiteur. Le créancier dispose donc d'un recours pratique à caractère subrogatoire qui met la créance du débiteur sous la main de la justice en vue de la lui transférer.

EMERY, B. et D. FERLAND, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 3e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1997, p. 198.


[34]            Le professeur Philippe Ferland quant à lui ne semble pas faire de distinction entre la saisie-arrêt et le recours oblique (anciennement 1031 C.c.B.C.).

Une simple mainmise de la justice a permis au créancier saisissant d'exercer le droit que lui confère l'art. 1031 C.C.: « Les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à sa personne, lorsque, à leur préjudice, il refuse ou néglige de le faire. »

En fonction de ces objets, l'on pourrait décrire la saisie-arrêt, une citation en justice par laquelle le créancier d'un jugement exécutoire met sous la main de la justice, par une saisie, v. ch. VIII, ces biens qui appartiennent au débiteur de son jugement, mais qui sont saisis en la possession d'un tiers, à fin que le tiers ne s'en dessaisisse pas, avant que le tribunal ne décide de leur destination et afin que le débiteur saisi ait la faculté de « faire valoir les motifs pour lesquels la saisie-arrêt ne serait pas valable » , art. 625 C.P.

...

2)              le débiteur du jugement, B, le saisi qui peut être lui-même créancier d'un tiers, C, et, à ce titre, céder à une quatrième personne, D, sa créance contre ce tiers, C, ou à défaut, le saisissant peut exercer contre ce tiers les droits que le saisi n'exerce pas, art. 1031 C.C.;

FERLAND, P., Traité de procédure civile, Montréal, Les Établissements Henri-Bourrassa Ltée, 1969, t. 2, pp. 534 et 537.

[35]            L'honorable juge Baudoin et le professeur Jobin conviennent également que l'action oblique et la saisie-arrêt sont interchangeables :

698. - Action directe et saisie-arrêt - Lorsque la chose est possible, le créancier préférera soit le recours direct et personnel que la loi lui accorde dans certains cas, soit la procédure de la saisie-arrêt en main tierce. Ce n'est, en fait, que dans l'hypothèse où l'action directe lui est refusée et où il ne peut utilement recourir à la saisie-arrêt qu'en pratique le créancier procède par voie d'action oblique.

BAUDOIN, J.-L. et P.-G. JOBIN, Les Obligations, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, p. 537.

[36]            Dans l'arrêt Bélanger et autres c. Cheynet et Ses Fils S.A. et Cheynet et Ses Fils (Canada) Limitée et autre, [1973] R.P. 209, 211, la Cour supérieure rappelait :

La saisie en main tierce est basée sur le principe de l'article 1031 c.c. qui permet à un créancier d'exercer les droits et actions de son débiteur et, lorsqu'il est possible de le faire, il doit utiliser la saisie-arrêt plutôt que l'action subrogatoire afin d'éviter une pyramide de procès et de frais : Voir Trudel, Traité de droit civil, vol. 7, p. 430; Dame Gardner c. Goudreault et Breton, 1944 C.S. 125; The Western Assurance Co. c. Couture et Bruchési, 1961 B.R. 164.

Un créancier, qui obtient un jugement contre son débiteur, peut saisir entre les mains d'un tiers une créance que celui-ci doit au défendeur. Si, pendant l'instance sur la saisie-arrêt, le créancier constate que le tiers-saisi dilapide ses biens et que son débiteur, le défendeur saisi, ne fait rien pour protéger ses droits, il est indiscutable que ce créancier peut, en vertu de 1031 c.c., exercer les droits et actions de son débiteur pour protéger sa propre créance et, en même temps, celle de son débiteur; en l'occurrence, il pourra obtenir un bref de saisie-arrêt avant jugement des biens du tiers-saisi. Si le créancier, ayant déjà obtenu jugement, procédait par action subrogatoire, suivant 1031 c.c. contre le débiteur de son débiteur, il ne fait aucun doute que le recours à la saisie-arrêt avant jugement lui serait ouvert.

[37]            Dans l'arrêt Investissements Étrusques inc. c. Frato Construction inc., [1984] C.S. 573, 575, dans le cadre d'une opposition par la défenderesse à la saisie par la demanderesse d'un droit d'action exercé par la défenderesse, la Cour supérieure écrivait :

Si la créance contre Pisapia Inc. dans le dossier 500-05-003853-783 est bien due à Frato Construction Inc., la débitrice de la demanderesse, la saisie-arrêt s'imposerait et non la procédure de saisie-exécution. Trudel nous dit que la « saisie est encore possible, même si le tiers déniait sa dette : le créancier saisissant peut toujours contester la déclaration négative du tiers saisi et démontrer son état de débiteur » . Trudel ajoute que : « Ce faisant, il exerce substantiellement les droits conférés par l'article 1031 C.C. » L'action directe subrogatoire au lieu et place du débiteur ne saurait alors être intentée que si le créancier se trouve dans l'impossibilité de saisir directement, de conclure Trudel. Il y a ainsi impossibilité pour le créancier de saisir lorsque le débiteur néglige d'intenter une action en dommages-intérêts. En effet, faute de liquidation de dommages-intérêts, rien n'est encore payable. Le créancier est alors forcé d'intenter lui-même l'action au lieu et place de son débiteur.


[38]            Par ailleurs, je ne pense pas ici que le fait que les parties au prêt puissent considérer que le prêt ne soit pas exigible est une circonstance qui empêche la saisie-arrêt et oblige un créancier, tel la créancière saisissante, à procéder par action oblique pour faire entrer dans un premier temps l'exigibilité du prêt dans le patrimoine de la débitrice judiciaire.

[39]            Tel que mentionné précédemment dans l'arrêt Investissements Étrusques, :

Il y a ainsi impossibilité pour le créancier de saisir lorsque le débiteur néglige d'intenter une action en dommages-intérêts. En effet, faute de liquidation de dommages-intérêts, rien n'est encore payable. Le créancier est alors forcé d'intenter lui-même l'action au lieu et place de son débiteur.

(Voir également pour une situation à cet effet l'arrêt Shore c. Shore, REJB 1998-09666(C.S.) où l'existence de la dette que l'on tentait de saisir-arrêter n'était même pas établie. La Cour a alors jugé qu'il fallait entreprendre une action oblique puisque la saisie-arrêt ne peut servir à donner naissance à la créance que l'on veut intercepter par la saisie-arrêt.)

[40]            Dans le cas qui nous occupe, les parties au prêt reconnaissent l'existence de la créance. Seule son exigibilité demeure à trancher suite à la déclaration de la tierce saisie.

[41]            Or, quant à cet aspect d'exigibilité, je pense que la règle 453 qui dispose que la Cour peut traiter de toute question concernant l'obligation de payer d'un tiers saisi permet à la Cour d'envisager dans le cadre d'une saisie-arrêt l'application possible de l'article 1512 C.c.Q.


[42]            D'autre part, en se fondant sur l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu et al. c. Auberge Bon Conseil (1988) inc., jugement en date du 20 novembre 2000, dossier ITA-4127-95 (juge Nadon, alors juge de première instance), la tierce saisie avance que la procédure sommaire n'est pas appropriée pour entreprendre un recours oblique.

[43]            Cette décision portait premièrement sur une opposition à une saisie-exécution.

[44]            Deuxièmement, en matière de saisie-arrêt, la règle 453 prévoit expressément l'utilisation de la procédure sommaire.

[45]            D'ailleurs, dans l'affaire Gadbois, supra, paragraphe [22], la Cour d'appel fédérale (dont le banc était composé du juge Nadon) avait à trancher la même question à savoir si la procédure sommaire était équitable et appropriée dans le cadre d'une saisie-arrêt où Sa Majesté la Reine demandait que le voile corporatif soit levé à l'égard du débiteur judiciaire, et, que lui soit déclarée inopposable une cession de créance. Aux paragraphes 28 à 31, la Cour s'exprime comme suit :

[28]          L'intimée a allégué et soutenu que le processus de preuve par affidavit, même avec le contre-interrogatoire des affiants, ne permettait pas de résoudre de façon équitable et appropriée les questions soulevées par l'appelante. Il convient de rappeler à nouveau que ce n'est pas l'appelante qui soulève les questions d'opposabilité et de simulation, mais bien l'intimée qui cherche à se prévaloir d'un contrat secret, d'une cession de créance et de quittance en les opposant à l'appelante. L'intimée peut difficilement se plaindre d'un contentieux qu'elle a engendré et du processus qui l'accompagne.

[29]          En outre, je ne suis pas convaincu qu'en l'espèce, les questions en litige ne peuvent pas être débattues adéquatement à partir de la preuve documentaire au dossier, des preuves par affidavit et des contre-interrogatoires des affiants comme c'est généralement la règle en matière de requêtes en Cour fédérale et, en conséquence, qu'il faille déroger au régime général applicable aux requêtes. Les prétentions de la tierce-saisie soulèvent principalement des questions de droit, comme il s'en soulève régulièrement lors de l'exécution forcée d'un jugement, qu'il s'agisse d'un jugement de la Cour fédérale ou d'une Cour provinciale.


[30]          Enfin, comme le prévoit l'article 371 des Règles de la Cour fédérale (1998), il est toujours loisible à une partie à une requête de demander, dans des circonstances particulières, l'autorisation de faire témoigner un témoin à l'audience sur des questions de fait. La Cour peut alors accéder à cette demande si elle le juge nécessaire pour mieux exercer sa compétence qui, faut-il le dire, n'est pas tributaire des difficultés d'appréciation de la preuve.

[31]          De plus, en matière de contestation d'une saisie-arrêt en mains tierces, la Règle 453 confère précisément à la Cour le pouvoir d'ordonner que les questions qui concernent le tiers saisi soient instruites de la manière qu'elle précise plutôt que par procédure sommaire. Cette Règle offre donc la flexibilité requise pour rendre justice entre les parties.

[46]            Pour revenir à l'article 1512 C.c.Q., la tierce saisie en conteste également l'utilisation. Tel qu'indiqué auparavant, cet article se lit comme suit :

     Art. 1512. Lorsque les parties ont convenu de retarder la détermination du terme ou de laisser à l'une d'elles le soin de le déterminer et qu'à l'expiration d'un délai raisonnable, elles n'y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l'une d'elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l'obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée.

Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu'il est de la nature de l'obligation qu'elle soit à terme et qu'il n'y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.

     Art. 1512. Where the parties have agreed to delay the determination of the term or to leave it to one of them to make such determination and where, after a reasonable time, no term has been determined, the court may, upon the application of one of the parties, fix the term according to the nature of the obligation, the situation of the parties and the circumstances.

The court may also fix the term where a term is required by the nature of the obligation and there is no agreement as to how it may be determined.

[47]            Selon strictement le texte de cet article, la Cour ne peut intervenir qu'en présence de l'une ou l'autre des trois possibilités suivantes :

l.           Les parties ont convenu de retarder la détermination du terme et ne l'ont pas fait dans un délai raisonnable;


2.          Une des parties, qui devait déterminer le terme, ne l'a pas fait dans un délai raisonnable;

3.          La convention ne prévoit pas de terme.

[48]            Suivant la créancière saisissante, la situation en l'espèce nous place dans la première possibilité envisagée par cet article, soit que les parties auraient convenu de retarder la détermination du terme et ne l'auraient pas arrêtée dans un délai raisonnable.

[49]            Je ne suis pas sûr que strictement parlant l'on puisse soutenir valablement que c'est le cas ici. Dans la situation qui nous occupe, les parties n'ont pas en soi « retardé la détermination » du terme. Dès le départ la convention entre les parties dispose du terme. Ce dernier surviendra « lorsque la situation financière de la tierce saisie le permettra » .

[50]            La tierce saisie soutient avec force que lorsqu'un terme a été déterminé par les parties au contrat, la Cour ne peut intervenir en vertu de l'article 1512 C.c.Q. et déroger à l'entente existant entre ces parties. Son intervention se limite donc à constater si l'événement constituant le terme est arrivé.

[51]            La tierce saisie nous réfère aux auteurs Baudoin et Jobin où il est dit :

L'obligation pour un débiteur de payer « quand il le pourra » , ou « quand il en aura les moyens » , ne constitue pas une obligation conditionnelle potestative, mais bien une obligation à terme; alors le tribunal est parfois obligé d'intervenir pour déterminer si, dans les faits, le terme est effectivement arrivé.


BAUDOIN, J.-L. et P.-G. JOBIN, Les Obligations, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998, pp. 452 et 453, no 573.

[52]            Selon elle, si le débiteur est capable de payer, la Cour peut alors fixer ce terme. La Cour pourrait même déterminer des modalités de paiement. La Cour pourrait également fixer un terme dans un cas où le débiteur est de mauvaise foi.

[53]            En l'espèce, suivant la tierce saisie, il n'y a pas de preuve que la débitrice judiciaire et la tierce saisie ne sont pas de bonne foi. Elle soutient que la tierce saisie ne dispose pas pour l'instant des liquidités nécessaires pour rembourser la débitrice judiciaire. D'ailleurs, la débitrice judiciaire n'a jamais demandé par mise en demeure le remboursement des sommes prêtées ou la fixation d'un terme.

[54]            La jurisprudence semble toutefois permettre à la Cour d'aller au delà du simple constat d'apprécier si la capacité de payer de l'emprunteur fait que l'on doit considérer que le terme est effectivement arrivé et que le paiement est dû. Il ressort de l'arrêt Binette c. Globensky (1931) 71 C.S. 111 que peu importe la capacité de payer de l'emprunteur, la Cour peut aux termes de l'article 1512, dont l'ancêtre est l'article 1783 du Code civil du Bas-Canada, intervenir et fixer un délai de paiement à l'emprunteur lorsqu'il est constaté que ce dernier met un trop long retard à rembourser le prêt. En page 113 de l'arrêt Binette, la Cour s'exprime ainsi :


L'obligation assumée par un débiteur de payer quand il le pourra, quand il en aura les moyens, n'est pas une obligation conditionnelle, c'est-à-dire dont l'exécution ne peut lui être demandée que lorsqu'il est vraiment en état d'y satisfaire, mais une obligation à terme dont le paiement peut être demandé dès que le débiteur est en état de payer, mais dont l'échéance peut aussi être fixée par le tribunal, en tenant compte de toutes les circonstances et en adoptant, comme dit un arrêt ci-dessous cité, un tempérament entre la trop grande exigence du créancier et le trop long retard du débiteur. En conséquence, lorsque le terme est ainsi fixé, le débiteur, quel que soit son état de fortune, doit payer à ce terme. Le Code Napoléon contient un article qui le déclare expressément :

1901. S'il a été seulement convenu que l'emprunteur paierait quand il le pourrait ou quand il en aurait les moyens, le juge lui fixera un terme de paiement suivant les circonstances.

[Non souligné dans l'original.]

[55]            La tierce saisie suggère de distinguer cet arrêt puisque le terme ultime qui occupait la Cour dans cette affaire avait été fixé par grâce et non par contrat. Je ne pense pas que cet élément soit de nature à écarter le principe plus avant cité. Dans cet arrêt, lorsque la Cour aborde le point soulevé ici par la tierce saisie, la Cour a d'ores et déjà décidé qu'elle pouvait intervenir. C'est dans la longueur du délai à accorder à l'emprunteur que la Cour touche l'aspect de grâce soulevé ici par la tierce saisie.

[56]            L'arrêt Binette fut repris en 1998 dans l'arrêt Passfield c. Truchon, 99BE-454.


[57]            La créancière saisissante réfère également la Cour à l'arrêt Boisvert, supra, paragraphe [28]. La tierce saisie considère que cet arrêt est inapplicable en l'espèce puisque selon sa lecture le prêt en question dans cette affaire ne prévoyait rien de précis quant à son exigibilité. Bien qu'il semble exister un certain flottement à cet égard, la Cour dans l'arrêt Boisvert retient en bout de course à mon avis qu'elle avait à transiger avec un prêt à terme suspensif semblable au nôtre en l'espèce. En pages 2 et 3, la Cour indique sa position et intervient en fixant un terme comme suit :

Le Tribunal retient qu'essentiellement, les 3 actionnaires avaient convenu d'un terme, soit que l'entreprise rembourserait les prêts aux actionnaires lorsqu'elle en aurait les moyens, lorsque sa situation financière le permettrait; cette condition aléatoire avait été tenue pour certaine, et ils avaient donc convenu de retarder la fixation du terme. Selon toute vraisemblance, le demandeur peut difficilement prétendre qu'il s'agisse d'un prêt remboursable à demande, ayant par ailleurs reconnu que le prêt constituait une mise de fonds, ayant accepté de ne pas fixer de date précise d'exigibilité, et même de renoncer au paiement d'intérêts.

Le Tribunal est d'avis que la preuve prépondérante révèle qu'il s'agit en l'espèce d'une obligation à terme suspensif, au sens de l'article 1508 du Code Civil du Québec:

L'obligation est à terme suspensif lorsque son exigibilité seule est suspendue jusqu'à l'arrivée d'un événement futur et certain.

Le demandeur ne saurait donc valablement prétendre qu'il s'agisse d'un prêt exigible à demande, quand la preuve révèle plutôt que le prêt est à terme, soit lorsque la compagnie aura les moyens de rembourser et sans que ce terme ne soit, à ce jour, déterminé ou fixé par les parties. L'article 1512 du Code civil du Québec énonce que :

Lorsque les parties ont convenu de retarder la détermination du terme ou de laisser à l'une d'elles le soin de le déterminer et qu'à l'expiration d'un délai raisonnable elles n'y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l'une d'elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l'obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée.

Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu'il est de la nature de l'obligation qu'elle soit à terme et qu'il n'y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.

Les procédures instituées ne contiennent pas de demande en fixation de la date d'échéance du prêt; cependant, les procureurs des parties y ont tous deux référé dans leurs plaidoiries, subsidiairement à leurs conclusions principales, ce qui permet au Tribunal de traiter de son application au cas en l'espèce. Puisqu'il est de l'essence même d'un prêt d'argent qu'il soit remboursé à une date convenue entre les parties ou fixée par le Tribunal, il est de l'intérêt des parties que l'exigibilité du prêt soit déterminée par le présent jugement.

En l'espèce, le prêt fut consenti par le demandeur le 21 mars 1996 et au jour de l'audience du 5 décembre 1997, soit près de 19 mois plus tard, les parties n'avaient pas déterminé la date d'exigibilité; le Tribunal est d'avis que les parties ont eu un délai raisonnable (sic) y procéder et à défaut, procède à la fixation du terme. Le Tribunal retient qu'un terme de 5 ans apparaît approprié en l'espèce, et la date d'exigibilité est fixée au 21 mars 2001.


[58]            Je considère donc que la Cour peut intervenir ici dans le cadre de l'article 1512 C.c.Q.

[59]            Tel que nous l'avons vu précédemment, en vertu de l'article 1512 C.c.Q., cette Cour peut fixer un « terme en tenant compte de la nature de l'obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée » .

[60]            En l'espèce, il s'agit d'un simple prêt (2314 C.c.Q.), sans intérêt, entre compagnies liées. (Les actions de la débitrice judiciaire, Corporation Steckmar, sont détenues à quarante-neuf pour cent (49%) par Arthur Steckler, quarante-neuf pour cent (49%) par sa soeur et deux pour cent (2%) par sa mère. Les actions de la tierce saisie appartiennent toutes à M. Steckler.)

[61]            Au cours des vingt-cinq (25) dernières années jusqu'à il y a dix (10) ans, la débitrice judiciaire a avancé des sommes à la tierce saisie totalisant plus de quatre millions de dollars (4 255 534,41 $), afin que cette dernière puisse les prêter à Marina Development inc., une compagnie américaine qui construit des barrages hydroélectriques, et dont la totalité des actions est détenue par Arthur Steckler.

[62]            Au cours de ces vingt-cinq (25) ans, la tierce saisie a effectué très peu de remboursement.

[63]            Bien que des documents plus étoffés aient apparemment été requis par la créancière saisissante pour corroborer les dires de M. Steckler quant aux remboursements par la tierce saisie, seule une note somme toute laconique et l'interrogatoire de M. Steckler permettent d'affirmer qu'entre septembre 1995 et septembre 1996, le poste d'avances entre la débitrice judiciaire et la tierce saisie a baissé de sept cent quarante-neuf mille trois cent trente dollars (749 330 $), ce qui représente la seule preuve de remboursement au cours des vingt-cinq (25) ans et uniquement quinze pour cent (15%) de la dette totale à ce moment-là.

[64]            De plus, l'ordonnance de saisie-arrêt provisoire contre la tierce saisie a été rendue le 13 décembre 1999, et lui a été signifiée le ou vers le 30 décembre 1999.

[65]            La tierce saisie a déjà bénéficié d'un délai additionnel de plus de quatre (4) ans depuis l'émission de l'ordonnance de saisie-arrêt provisoire.


[66]            À mon avis, rien ne justifie aux termes de l'article 1512 C.c.Q. que la tierce saisie bénéficie d'un délai supplémentaire pour éviter qu'il ne soit ordonné que soient immédiatement et définitivement saisies-arrêtées, cédées et transportées à Sa Majesté la Reine du Chef du Canada toutes sommes dues ou qui deviendraient dues par la tierce saisie à la débitrice judiciaire et plus particulièrement, la somme de 4 255 534,41 $ consentie à la tierce saisie par la débitrice judiciaire à titre de prêt et ce, aux fins de satisfaire et jusqu'à concurrence de la somme restant due en vertu du certificat déposé en l'instance le 3 février 1999 en vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu, à savoir la somme de 126 666,39 $, plus des intérêts composés quotidiennement prescrits en application de la Loi de l'impôt sur le revenu sur ladite somme pour la période allant du 26 octobre 1999 au jour du paiement, plus les frais des présentes procédures de saisie-arrêt.

[67]            Une ordonnance sera émise en conséquence en suivant l'approche prise dans l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt émise par le passé.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 19 avril 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


ITA-1096-99

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

- et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE :

LA CORPORATION STECKMAR/STECKMAR CORPORATION

                                                                                 débitrice judiciaire

et

STECKMAR NATIONAL REALTY AND INVESTMENT CORPORATION

                                                                                           tierce saisie


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            11 février 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   19 avril 2004

ONT COMPARU :


ME CLAUDE BERNARD

POUR LA CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

ME BASILE ANGELOPOULOS

POUR LA DÉBITRICE JUDICIAIRE ET LA TIERCE SAISIE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


ME MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LA CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

ANGELOPOULOS, KIRIAZIS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LA DÉBITRICE JUDICIAIRE ET LA TIERCE SAISIE

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