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Date : 20210115


Dossier : IMM-3200-19

Référence : 2021 CF 58

Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOHAMMED ELZUBIER ABDELGADIR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Abdelgadir sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile. Il affirme que la Section d’appel des réfugiés [SAR] a eu tort de rejeter les explications qu’il a fournies pour justifier d’importantes contradictions et omissions dans son témoignage. Je rejette sa demande parce que les conclusions négatives de la SAR quant à la crédibilité de M. Abdelgadir étaient raisonnables.

I.  Contexte

[2]  Monsieur Abdelgadir est citoyen du Soudan. En 2010, il aurait été emprisonné à deux reprises et torturé en raison de sa participation à des manifestations antigouvernementales. Les forces de sécurité soudanaises l’auraient contraint à s’engager par écrit à ne plus prendre part à de telles activités. En 2011, il a quitté le Soudan pour l’Arabie saoudite.

[3]  En 2013, il est retourné au Soudan pour rendre visite à son père qui était alors gravement malade. Il a emporté avec lui huit boîtes de provisions et de médicaments destinés aux habitants de son village, ce qui a attiré l’attention des autorités soudanaises. Celles-ci l’auraient à nouveau détenu durant quatorze jours et torturé. On lui aurait ordonner de coopérer avec le gouvernement et d’adhérer au parti islamique, qui était au pouvoir à l’époque. Immédiatement après sa libération, M. Abdelgadir est retourné en Arabie saoudite, où il a vécu jusqu’en 2015.

[4]  En 2015, M. Abdelgadir a accompagné son employeur aux États-Unis où il a présenté une première demande d’asile. En février 2017, il s’est rendu au Canada et a présenté une autre demande d’asile.

[5]  La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande de M. Abdelgadir. Elle a conclu que son témoignage n’était pas crédible, en raison de divergences importantes entre ses demandes d’asile canadienne et américaine, et du fait que son retour au Soudan en 2013 était incompatible avec la crainte de persécution alléguée. Monsieur Abdelgadir a notamment invoqué des périodes de détention complètement différentes dans ses deux demandes d’asile et ses formulaires d’immigration. De plus, il n’a pas mentionné les mauvais traitements dont il aurait été victime au Soudan au soutien de sa demande d’asile américaine.

[6]  Devant la SAR, M. Abdelgadir a présenté un affidavit dans lequel il fait état de sa récente participation à une manifestation contre le gouvernement soudanais à Montréal. Il allègue que sa participation à l’évènement serait connue des autorités soudanaises, car il l’aurait rendue publique sur son compte Facebook. La SAR a accepté l’introduction de ce nouvel élément de preuve, mais a refusé de conclure que l’État soudanais serait informé de ses activités au Canada. Par ailleurs, la SAR s’est ralliée aux conclusions de la SPR et a conclu que les allégations de M. Abdelgadir n’étaient pas crédibles.

[7]  M. Abdelgadir a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. L’autorisation lui a été accordée le 23 octobre 2019 par un juge de notre Cour, et l’audience a été fixée au 21 janvier 2020.

[8]  Or, dans l’intervalle, le procureur de M. Abdelgadir a présenté une requête pour cesser d’occuper, ayant perdu tout contact avec son client. Deux tentatives de signifier cette requête à M. Abdelgadir en personne se sont soldées par un échec, puisque celui-ci aurait déménagé. Le 12 février 2020, la protonotaire Steele a accueilli la requête pour cesser d’occuper et a ordonné au demandeur de se constituer un nouveau procureur ou de comparaître personnellement avant le 6 mars 2020 et de communiquer ses coordonnées complètes dans le même délai. À ce jour, M. Abdelgadir ne s’est toujours pas conformé à l’ordonnance.

[9]  Entre temps, l’audition de la demande a été remise. Le 30 juin 2020, constatant que les coordonnées du demandeur étaient toujours inconnues et jugeant sa présence à une audition improbable, le Ministre a demandé que la demande soit tranchée en se fondant sur les prétentions écrites déposées dans le cadre de la demande d’autorisation. À la demande de la Cour, le Ministre a entrepris les démarches suivantes :

-  Une révision des dossiers de l’IRCC et de l’ASFC pour s’assurer que le demandeur n’avait pas fourni de nouvelle adresse ou d’informations additionnelles permettant de le joindre;

-  Un appel téléphonique à son numéro de téléphone le plus récent, qui est hors service depuis au moins octobre 2019;

-  Un appel téléphonique au numéro fourni par M. Abdelgadir aux autorités américaines en 2015. Celui-ci mène à une boîte vocale automatisée et anonyme;

-  Un message envoyé à l’adresse courriel indiquée dans le dossier certifié du tribunal, qui n’a pu être remis au destinataire;

-  Un message envoyé à une seconde adresse courriel qui semble appartenir à M. Abdelgadir. Après envoi de ce message, le Ministre a reçu un message automatisé indiquant qu’aucune notification de remise n’avait été envoyée par le serveur de destination.

[10]  Le 25 novembre 2020, le juge Bell a ordonné que la demande soit tranchée sur le fondement des prétentions écrites.

II.  Analyse

[11]  La Cour procède au contrôle des décisions de la SAR selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. En ce qui a trait aux questions de fait, la Cour intervient seulement dans des « circonstances exceptionnelles » (Vavilov, au paragraphe 125), à savoir lorsque « le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au paragraphe 126). En particulier, notre Cour n’intervient qu’avec parcimonie en ce qui a trait aux conclusions relatives à la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF). Il ne suffit pas non plus de réitérer les arguments présentés à la SPR ou à la SAR sans expliquer en quoi leur rejet était déraisonnable : Moute c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 579, au paragraphe 17. C’est pourtant ce que fait M. Abdelgadir. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il échoue à démontrer que la SAR a rendu une décision déraisonnable.

[12]  La crédibilité d’un demandeur d’asile peut être affectée négativement par l’omission d’événements importants dans les déclarations qu’il fournit avant l’audience devant la SPR ou les contradictions entre les versions de son récit données à différentes étapes de la demande d’asile : Garay Moscol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 657, au paragraphe 21. En l’espèce, la SPR et la SAR se sont fondées sur le fait que M. Abdelgadir s’est contredit quant à la durée de sa détention et qu’il a omis de mentionner des faits importants dans sa demande d’asile américaine. 

[13]  Afin d’expliquer les divergences entre ses différentes affirmations quant à la durée de sa détention, M. Abdelgadir invoque sa difficulté à comprendre l’anglais et le fait qu’il se soit trompé en convertissant les dates hégiriennes en dates chrétiennes. La SPR et la SAR ont raisonnablement rejeté cette explication. Comme l’a souligné la SPR, le tribunal n’exigeait pas des dates, mais plutôt des durées de détention, qui ne sauraient varier selon le type de calendrier. Les différences notées entre les trois versions de M. Abdelgadir sont significatives et portent sur un aspect central de sa demande d’asile, soit sa détention, à trois reprises, par l’État soudanais.

[14]  M. Abdelgadir cherche à expliquer l’omission des mentions de mauvais traitements dans sa demande d’asile américaine par l’erreur de son avocat. Il admet néanmoins avoir oublié de mentionner son retour au Soudan en 2013 à son avocat américain. La SAR a rejeté cette explication et a maintenu qu’il s’agit précisément du genre d’information qu’un avocat préparant une demande d’asile voudrait inclure. Il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de M. Abdelgadir en se fondant sur ce type de raisonnement basé sur le bon sens et la rationalité : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au paragraphe 26. Étant donné l’insuffisance des arguments présentés dans le mémoire de M. Abdelgadir au soutien de ses prétentions, je ne peux qualifier la conclusion de la SAR de déraisonnable.

[15]  Monsieur Abdelgadir conteste également la conclusion de la SAR selon laquelle son retour au Soudan en 2013 démontre une absence de crainte subjective. Mû par le désir d’aider les gens de son village, il n’aurait pas bien jaugé la situation avant de retourner au Soudan avec une importante cargaison de provisions qui ne manquerait pas d’alerter les autorités soudanaises. Toutefois, malgré la bienveillance des intentions de M. Abdelagdir, il est de jurisprudence constante que le retour volontaire dans le pays d’origine peut gravement nuire à la preuve d’une crainte subjective de persécution: Forvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 585, au paragraphe 59; Sainnéus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 249, au paragraphe 12; Houssou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1375, au paragraphe 3. De plus, en emportant avec lui plusieurs boîtes de provisions, M. Abdelgadir est revenu au Soudan d’une manière qui ne manquerait pas d’attirer l’attention. Il est invraisemblable qu’il eût agi ainsi s’il craignait réellement la torture et la détention. Le caractère altruiste de son geste ne change rien au fait qu’il était raisonnable pour la SAR d’inférer que M. Abdelgadir ne craignait pas sérieusement les autorités soudanaises en procédant de cette façon.

[16]  De plus, M. Abdelgadir allègue que les autorités soudanaises ciblent les demandeurs d’asile qui reviennent au pays et que cela l’inquiète puisqu’en 2015, elles auraient interrogé son père afin qu’il leur révèle l’endroit où il se trouvait. Considérant les autres conclusions de la SAR quant à la crédibilité des allégations du demandeur et l’absence de preuve selon laquelle les demandeurs d’asile soudanais s’exposent à une possibilité sérieuse de persécution à leur retour au pays, je constate qu’il était raisonnable pour la SAR de rejeter cet argument.

[17]  Quant à la nouvelle preuve présentée par M. Abdelgadir pour attester de sa participation à une manifestation au Canada, la SAR a déterminé qu’elle était insuffisante pour démontrer une possibilité sérieuse d’arrestation à son retour au Soudan. Si l’affidavit de M. Abdelgadir établit effectivement sa participation à une manifestation, il n’est pas suffisant pour soutenir son allégation selon laquelle il serait sous surveillance des autorités soudanaises. Étant donné l’insuffisance de la preuve tendant à démontrer que les activités de M. Abdelgadir seraient connues des autorités soudanaises, la conclusion de la SAR à ce sujet n’est pas déraisonnable.

[18]  Enfin, M. Abdelgadir allègue que la SAR a évalué la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable au lieu de procéder à une nouvelle analyse du dossier. Je rejette cet argument. La décision de la SAR s’est concentrée sur les contradictions dans la preuve présentée par M. Abdelgadir et a tiré des conclusions similaires à celles de la SPR. Il est loisible à la SAR de se ranger à l’avis de la SPR après avoir conduit sa propre analyse du dossier, surtout lorsque les contradictions soulevées par la SPR relatives à la crédibilité sont importantes : Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 54 et 55; Ortiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 180, au paragraphe 20. D’ailleurs, M. Abdelgadir ne cite aucun passage de la décision qui permettrait d’inférer que la SAR n’a pas examiné correctement la demande.

[19]  Je suis d’avis que la SAR a tiré ses conclusions de façon raisonnable, en se fondant sur la preuve qui figurait au dossier. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3200-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑3200-19

 

INTITULÉ :

MOHAMMED ELZUBIER ABDELGADIR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

SOUS PRÉTENTIONS ÉCRITES CONSIDÉRÉES À OTTAWA, ONTARIO

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 15 janvier 2021

PRÉTENTIONS ÉCRITES:

Mohammed Elzubier Abdelgadir

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ

 

Philippe Proulx

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohammed Elzubier Abdelgadir

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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