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     IMM-1442-96

Entre :

     ABDUL MANNON CHOWDHURY,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

     Je requiers que la transcription révisée des motifs de l'ordonnance que j'ai prononcés à l'audience à Vancouver (C.-B.) le 27 janvier 1998 soit déposée pour satisfaire aux exigences de l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

                             (signature) "F.C. Muldoon"

                                 Juge

OTTAWA

le 10 mars 1998


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     VANCOUVER (C.-B.)

     le 27 janvier 1998

IMM-1442-96

Entre :

     ABDUL MANNON CHOWDHURY,

     REQUÉRANT,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     INTIMÉ.

A. WLODYKA,      pour le requérant

E. RESNICK      pour l'intimé.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MULDOON :

             La Cour est prête à rendre sa décision et, compte tenu des questions qui ont été posées aux avocats, celle-ci ne causera aucune surprise. Tout d'abord, cependant, la Cour tient à indiquer clairement au ministre qu'il n'a aucune raison d'être mécontent des efforts déployés par l'avocate qui le représente parce que celle-ci a défendu sa cause de façon aussi claire, lumineuse et vigoureuse que ce à quoi on pouvait s'attendre. Mais, comme le dit le proverbe, il est difficile de produire un chef-d'oeuvre à partir d'un torchon. La Cour est convaincue que, malgré tous ses efforts et toute sa compétence, Mme Resnick ne pouvait faire mieux.
             Cependant, la Cour n'est pas convaincue que l'agent des visas a fait correctement son travail dans cette affaire, mais plutôt qu'il s'est écarté du droit chemin à plusieurs reprises. La Cour est d'avis que la lettre de refus fait état d'erreurs dans l'appréciation du cas du requérant par l'agent des visas. Les questions qui ont été débattues, et je dirais de façon très approfondie par les avocats, peuvent être réglées, à certains égards, très rapidement.
             La Cour ne croit pas que l'agent des visas a fait preuve de mauvaise foi. Elle n'est pas convaincue qu'il a déployé suffisamment d'efforts, mais il n'y a pas de mauvaise foi apparente. L'agent des visas semble avoir besoin de plus de formation dans le genre de travail qu'il effectue. S'il ne comprend pas quelque chose, et il a admis au cours de son contre-interrogatoire qu'il ne comprenait pas véritablement l'effet de l'ordonnance du juge Hall à laquelle a fait référence le Dr Chowdhury dans son affidavit, il doit chaque fois s'informer davantage. En fait, l'agent des visas a démontré qu'il n'avait pas compris cet élément.
             Il a adopté l'attitude, comment pourrait-on dire, d'un jeune idéaliste, bien que nous ne sachions pas quel âge il a. Il a donc adopté l'attitude d'un jeune idéaliste, peut-être un jeune idéaliste intolérant, dans la cause du requérant au sujet de cette police d'assurance, tout en trahissant lui-même son incompréhension à l'égard de cette police.
             La police d'assurance que le Dr Chowdhury a souscrite pour le requérant semble être une assurance-voyage ordinaire. Bien entendu, elle ne pouvait couvrir la chirurgie orthopédique en vue de laquelle M. Chowdhury, le requérant, espérait être admis au Canada. C'est le même genre d'assurance que la plupart des personnes prudentes prennent avant de partir en vacances au cas où un accident se produirait en cours de voyage. Elle ne sert pas à indemniser l'assuré pour un accident qui s'est produit antérieurement ou une difformité qui existait déjà. C'est-à-dire que l'assurance couvre les accidents de voyage.
             Si M. Warner, l'agent des visas, a persisté à poser des questions absurdes au requérant au cours de l'entrevue au sujet de cette assurance, personne ne pouvait l'en empêcher, mais le requérant ne pouvait faire plus que de répondre comme il l'a fait à celui qui posait les questions, qui était également son juge, avec qui il ne voulait certainement pas avoir de confrontation désagréable.
             La question des dépenses et de la façon dont le voyage serait financé est claire, abstraction faite des erreurs de l'agent des visas. Le requérant avait un billet d'avion payé d'avance. Il avait la lettre du Dr Sabir qui est claire même si elle n'est pas rédigée sous forme d'affirmation directe, mais il est néanmoins clair que le Dr Sabir, et non le frère du requérant, pratiquerait l'intervention. Le frère du requérant, le Dr Chowdhury, qui est après tout un interniste, c'est-à-dire un spécialiste des maladies organiques, n'est pas un chirurgien orthopédique.
             Le certificat d'assurance a été fourni. Le certificat de la banque a été fourni. Le Dr Sabir a dit que l'intervention coûterait entre 3 000 $ et 5 000 $, ce dernier chiffre représentant le maximum. D'après le certificat de la banque, le requérant avait au moins 5 000 $ dans son compte. Il est donc venu au Canada -- il avait l'intention de venir au Canada et il y serait venu muni de l'argent pour payer l'intervention chirurgicale, d'une assurance-voyage et d'un billet d'avion de retour payé d'avance. Il n'en aurait pas coûté beaucoup à son frère de lui donner le gîte et le couvert chez lui. Il s'agissait là de dépenses insignifiantes et, d'après ce qu'il semble, c'est ce que le Dr Chowdhury a offert au requérant.
             Maintenant, le problème de l'agent des visas, c'est sa timidité affectée. L'attention de la Cour a été attirée sur une jurisprudence très convaincante, en fait une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, dans laquelle un certain nombre de causes anglaises entendues au siècle dernier accordaient au juge une certaine latitude. Le problème du " juge " qu'est l'agent des visas, toutefois, c'est qu'il est aussi celui qui pose les questions. Quand bien même on approuverait sans réserve la jurisprudence citée, un agent des visas ne doit pas -- il a en fait l'obligation -- de ne pas faire le timide face au requérant. Pourquoi? Parce que le requérant a le fardeau de prouver le bien-fondé de sa cause.
             Si l'agent des visas sait quelque chose mais qu'il ne demande pas les précisions qui s'imposent, si l'agent des visas n'exprime pas ses doutes, il fait le timide avec le requérant et contrevient ainsi à son obligation. C'est la conclusion à laquelle en arrive la Cour au sujet de l'attitude de l'agent des visas en l'espèce.
             Par exemple, en contre-interrogatoire, l'agent des visas dit ceci : [TRADUCTION] " Oui, j'ai vu la lettre du Dr Sabir ", " Oui, j'ai pris note que le requérant a dit ", par l'entremise d'un interprète il semble, " que son frère allait effectuer l'intervention chirurgicale, mais je savais que son frère était un interniste ". Il n'a pas demandé au requérant, apparemment il ne lui a pas posé directement la question suivante : [TRADUCTION] " Comment votre frère, un interniste, peut-il effectuer l'intervention? " Il a posé une question à ce sujet et le requérant y a répondu, c'est-à-dire à la première moitié de sa question, mais pas à l'autre, et il a laissé tomber le reste comme s'il s'agissait d'une question sans importance, à laquelle il en a pourtant donné beaucoup dans ses motifs. Il avait donc l'obligation de demander plus de précisions.
             Si cette question lui trottait dans la tête, il aurait dû demander des précisions et ne pas la garder pour lui-même, ne pas la réserver comme s'il allait soumettre au contre-interrogatoire, dans le cadre d'un procès, un témoin qui a aussi la possibilité de répondre aux questions de son avocat et à celles du juge. L'agent des visas est à la fois l'interrogateur et le juge, et il doit donc communiquer scrupuleusement ses doutes au requérant.
             Ce n'est pas ce que cet agent des visas a fait et, pour cette raison, il a manqué à l'équité, sans pour autant agir de mauvaise foi; il a donc manqué à l'équité ou il a manqué de compétence, mais c'est le manque de compétence qui est à l'origine du manque d'équité en l'espèce. La décision de l'agent des visas doit donc être annulée. La Cour bien entendu fait référence à la décision de l'agent des visas :
             [TRADUCTION] " Décision rendue à l'ambassade canadienne à Bangkok (Thaïlande) en date du 28 février 1996, et reçue le 29 mars 1996, dans laquelle l'agent des visas a refusé une demande de visa de visiteur. "
         Maintenant, c'est une chose que d'annuler une décision. Malheureusement, la Cour ne peut ordonner, ou délivrer un bref de mandamus, pour ordonner à l'intimé de traiter la demande parce que la Cour n'est pas en mesure d'affirmer le requérant a droit à un visa de visiteur. Cette décision appartient à un agent d'immigration ou à un agent des visas.
             La question de la demande, si le requérant souhaite toujours venir au Canada en tant que visiteur, doit être décidée par un agent des visas autre que celui dont la décision est à l'étude en l'espèce.
             L'avocat a informé la Cour que la demande serait même présentée à une autre ambassade canadienne, ou au Haut-Commissariat à Singapour. Il est à espérer qu'il y aura là un agent des visas ayant plus d'expérience qui pourra bien entendu mettre le requérant à l'épreuve parce qu'il est tenu de le faire puisque le fardeau de persuasion incombe au requérant; il ne doit pas jouer au timide mais plutôt exprimer ses doutes et demander à voir les documents.
             Peut-être qu'à l'heure actuelle le requérant sait davantage ce que signifie l'affidavit que son frère a déposé devant la Cour suprême de Colombie-Britannique. Peut-être que l'agent des visas le saura également. Il devrait le savoir. Il devrait s'informer de ce que ces questions signifient, de ce que les documents signifient, et ne pas s'en remettre totalement au requérant. Je fais référence ici spécialement à la question de l'assurance-voyage.
             On a demandé à la Cour d'adjuger les dépens. Et on comprendra que les avocats doivent recevoir leurs honoraires dans des questions de ce genre. La Cour accorde le double des frais entre parties. Ce n'est pas énorme. Cela ne mettra pas le gouvernement du Canada en faillite, mais cela pourra compenser quelque peu pour les malheurs du requérant. La Cour peut imaginer que les avocats pensent qu'elle n'est pas en prise avec la réalité pour ce qui a trait aux dépens.
             Ce n'est pas le cas. La Cour croit cependant qu'il y a lieu d'accorder une indemnisation, même au regard de la règle voulant que, dans les demandes de contrôle judiciaire, les dépens ne sont pas adjugés, sauf s'il y a des circonstances spéciales. Il y a des circonstances spéciales en l'espèce, mais le montant des dépens est à la discrétion de la Cour et la Cour décide que le double des frais entre parties pour cette demande est une somme adéquate dans les circonstances. La Cour n'escroque pas le gouvernement simplement parce qu'il a une bourse bien garnie. Le gouvernement est une des parties au litige.
             La Cour demandera donc à l'avocat du requérant de rédiger une ordonnance appropriée en vertu de la Règle 337 et de la communiquer à l'avocat du ministre et, si les deux avocats peuvent s'entendre sur le contenu de l'ordonnance permettant de régler cette affaire, qu'il en soit ainsi. La Cour l'acceptera. Si les avocats ne peuvent s'entendre sur une formulation appropriée, dont la teneur est maintenant indiquée, alors les avocats et la Cour devront décider de la formulation s'il reste des questions en suspens ou s'il y a mésentente.
             Cette affaire ne soulève pas de question grave de portée générale, n'est-ce pas?

M. WLODYKA :      Je n'en ai aucune à formuler.

MME RESNICK :      Non, aucune à formuler par l'intimé non plus, M. le juge.

LA COUR :          Merci. Donc, aucun des avocats n'ayant de question grave de portée générale à proposer dans les circonstances, la Cour n'en formule pas non plus. Y a-t-il d'autres questions?

MME RESNICK :      Dans l'ordonnance à laquelle vous avez fait référence,s'agit-il d'une ordonnance différente des ordonnances habituelles? Ne devrait-elle pas indiquer que la décision de l'agent des visas est annulée et que l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen conformément au droit en vigueur avec les dépens adjugés contre le ministre? Est-ce à cela que vous avez fait référence?

LA COUR :          Croyez-vous que c'est comme ça qu'elle doit être rédigée?

M. WLODYKA :      Ça va. Il me semble que c'est ce que nous...

LA COUR :          Alors, nous venons de faire cet exercice. Merci. C'est exactement ce qu'indiquera l'ordonnance. Et s'il n'y a pas d'autres questions, la séance est levée.
         (L'AUDIENCE EST LEVÉE À 13 H 43)
             JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES QUE CE QUI PRÉCÈDE est une transcription aussi fidèle et exacte que possible des procédures en l'espèce.

            

             G.K. BEMISTER      Sténographe judiciaire

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 27 janvier 1998

NE DU GREFFE :              IMM-1442-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ABDUL MANNON CHOWDHURY

                     c.

                     MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE MULDOON

Date :                  le 10 mars 1998

ONT COMPARU :

     Andrew Wlodyka          pour le requérant

     Esta Resnick              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Wong & Associates          pour le requérant

     Vancouver (C.-B.)

     George Thomson          pour l'intimé

     Sous-procureur général

     du Canada

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