Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210119


Dossier : IMM-1683-20

Référence : 2021 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Alan Diner

ENTRE :

LASHA MEKHASHISHVILI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) par laquelle celle-ci a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il aurait pu obtenir une protection adéquate de l’État dans son pays d’origine. Je suis d’avis que la décision de la SAR était raisonnable et je vais conséquemment rejeter la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs exposés ci-après.

I. Contexte

[2] Le demandeur est un citoyen géorgien également de nationalité ossète qui allègue craindre les nationalistes radicaux en Géorgie. En mars 2014, le demandeur a participé à une série de manifestations en faveur de la protection des droits des Ossètes. Un affrontement a eu lieu avec des contre-manifestants, dont des membres de l’Union des vétérans géorgiens (l’UVG), qui ont attaqué les manifestants. Parmi les contre-manifestants se trouvait un homme que j’appellerai ci-après « M. X ». Celui-ci avait purgé sept ans de prison pour des faits en lien avec la mort de l’oncle du demandeur en 2002. La police est intervenue durant la manifestation et le demandeur a été arrêté. Après avoir découvert sa nationalité, les policiers ont qualifié le demandeur de « traître » et lui ont dit qu’il devrait être emprisonné.

[3] Une semaine plus tard, deux individus ont agressé le demandeur près de sa maison dans un village géorgien et ont tenté de le faire monter de force dans un véhicule situé à proximité. La bagarre qui s’en est suivie a attiré l’attention du voisinage. M. X est alors sorti du véhicule et s’est adressé aux voisins, déclarant que le demandeur était un traître et qu’il devrait mourir. Le demandeur s’est retrouvé à l’hôpital en raison de cet incident et, là-bas, il a été interrogé par la police. Celle-ci a ouvert une enquête, à laquelle il a éventuellement été mis fin en raison d’un manque de preuve.

[4] Après sa sortie de l’hôpital, le demandeur s’est réfugié dans la maison de son oncle, située dans une grande ville. Là-bas, le demandeur allègue qu’un certain nombre de radicaux sont venus se renseigner sur ses allées et venues, ce qui l’a poussé à fuir en direction d’autre ville de la Géorgie. Une fois de plus, des membres de l’UVG ont retrouvé le demandeur en juin 2014 et l’ont agressé. Il a été de nouveau hospitalisé, puis la police l’a interrogé et a ouvert une deuxième enquête, mais, encore une fois, celle-ci a été fermée par manque de preuve. La police a ultérieurement appris que M. X aurait été impliqué dans les agressions.

[5] En juillet 2014, le demandeur a fui en direction d’une ville située le long du littoral. En septembre 2014, M. X l’a abordé dans cette ville et l’a menacé une fois de plus. Il a alors fui en direction d’une autre ville située dans les montagnes. Des individus se sont alors présentés à ce nouvel emplacement en novembre 2014 et l’ont agressé. Il a été hospitalisé une autre fois, mais n’a alors pas signalé ce plus récent incident à la police. Il s’est enfui au Canada en décembre 2014, où il a présenté une demande d’asile.

[6] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a entendu la demande d’asile initiale en août 2015, qu’elle a rejetée pour des motifs de crédibilité. Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR, qui a infirmé la décision de la SPR et lui a renvoyé l’affaire pour que soit tenue une nouvelle audience.

[7] Le second ensemble de décisions, défavorables à l’égard du demandeur, fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La SPR a tout d’abord refusé la demande d’asile du demandeur le 27 octobre 2017, au motif que celui-ci n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. En effet, bien que la SPR ait admis certains éléments de preuve étayant l’existence de discrimination à l’encontre des Ossètes en Géorgie, elle a conclu que l’État géorgien offrait une protection adéquate à ceux-ci, compte tenu du fait que la police géorgienne était [traduction] « attentive » et « sensible » aux difficultés vécues par les Ossètes dans le pays. Le demandeur a interjeté appel de cette deuxième décision de la SPR devant la SAR, qui l’a confirmée en novembre 2018. Le demandeur a alors présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour, qui a été accueillie sur consentement, ce qui a mené à une nouvelle décision de la SAR. C’est en raison de cette décision que la présente affaire se retrouve une fois de plus devant la Cour fédérale.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] Le 19 février 2020, la SAR a rejeté la demande d’asile du demandeur (la décision). La SAR a accepté de nouveaux éléments de preuve, notamment i) un rapport de la police de Tbilissi daté du 8 mai 2019, décrivait en détail la plainte déposée par la mère du demandeur contre deux individus s’étant rendus à son domicile le 15 février 2019, pour retrouver le demandeur et menacer de lui causer un préjudice; ii) une lettre de la mère du demandeur dans laquelle celle-ci relatait en détail les incidents à l’origine du rapport de police, et iii) des lettres dans lesquelles l’épouse du demandeur et un voisin indiquaient que les agents de persécution tentaient toujours de retrouver le demandeur.

[9] Bien que la SAR ait accepté ces nouveaux documents, elle a rejeté la demande d’audience du demandeur, puisqu’elle n’entretenait aucun doute quant à la crédibilité des documents. La SAR a jugé que la conclusion de la SPR à propos de la crédibilité du demandeur était claire; en effet, malgré un commentaire accessoire selon lequel certaines parties du témoignage semblaient avoir été apprises par cœur, la SPR a conclu que son témoignage concordait avec les éléments de preuve corroborants présentés au soutien de sa demande d’asile. En fin de compte, la SPR avait expressément mentionné qu’elle acceptait le témoignage du demandeur et donc, qu’elle le jugeait crédible.

[10] Toutefois, le demandeur n’a pas réussi à convaincre la SAR de la validité de sa position à propos de la protection de l’État : la SAR a jugé que la SPR avait correctement conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[11] Premièrement, la SAR a convenu qu’il n’avait pas été démontré que l’opinion du policier qui avait qualifié le demandeur de « traître » suivant son arrestation en mars 2014 était partagée par d’autres agents de police, comme en faisaient foi les interactions subséquentes que le demandeur avait eues avec la police. Après les agressions de mars et de juin 2014, la police s’était rendue à l’hôpital, avait interrogé le demandeur ainsi que des témoins, avait rempli des rapports et avait ouvert des enquêtes.

[12] Deuxièmement, la SAR a convenu que le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de la police, étant donné qu’il s’était enfui de ville en ville sans leur fournir ses nouvelles coordonnées et sans s’informer de l’évolution des enquêtes. Il avait également omis de déclarer l’incident de novembre 2014.

[13] Troisièmement, la SAR était d’accord avec l’évaluation des nouveaux éléments de preuve faite par la SPR. Elle a convenu que le rapport de police était digne de foi et qu’il témoignait de la capacité de la police à protéger le demandeur. Elle a également convenu que peu de poids devait être accordé aux lettres rédigées par la mère du demandeur, par l’épouse de ce dernier et par un des voisins, puisque ces lettres étaient vagues, non datées et traitaient à peine de la possibilité de se réclamer de la protection de l’État ou du caractère suffisant de cette protection. De plus, la SAR a relevé que l’intérêt continu de M. X à retrouver le demandeur n’avait pas de valeur probante dans l’analyse de la protection de l’État.

[14] Quatrièmement, la SAR a conclu que le Cartable national de documentation (le CND) mis à jour ne contenait aucun changement important pertinent pour la demande d’asile du demandeur.

III. Les questions en litige et l’analyse

[15] Le demandeur allègue que les conclusions de la SAR par rapport à la protection de l’État étaient déraisonnables et erronées, ce à quoi s’oppose le défendeur, celui-ci affirmant que ses arguments devant notre Cour sont les mêmes que ceux qu’il a présentés devant la SAR.

[16] La révision du fond d’une décision de la SAR commande l’application de la norme de la décision raisonnable (A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915 au para 14). Afin de se conformer à cette norme, les motifs de la SAR doivent être cohérents, intelligibles et justifiés au regard des faits et du droit (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 15 [Vavilov]). Bien que la décision doive être raisonnable au regard de la preuve versée au dossier, de la trame factuelle et des observations formulées par les parties, les cours de révision doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov aux para 125-8; Harvey c Via Rail Canada Inc, 2020 CAF 95 au para 11).

[17] La SAR, d’autre part, examine la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 aux para 43-44; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 103 [Huruglica]). Pour la SAR, ce processus consiste à procéder à sa propre analyse, en focalisant sur les erreurs relevées par la partie appelante (Fatime c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 594 au para 19 [Fatime]; Huruglica au para 103). Dans le cadre d’une telle analyse, la SAR se doit de tirer ses propres conclusions, étayées par des motifs démontrant une justification intrinsèquement cohérente et rationnelle (Fatime aux para 19, 21; Vavilov au para 85).

[18] En l’espèce, la SAR a souscrit à l’analyse de la SPR à propos de la protection de l’État, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la SAR a conclu que l’opinion du policier qui avait qualifié le demandeur de « traître » suivant son arrestation en mars 2014 n’était pas partagée autrement que par les quelques agents de police ayant pris part à l’arrestation. En outre, la SAR n’a trouvé aucune preuve démontrant que cette opinion aurait pu être répandue de façon généralisée parmi les autres agents de police, compte tenu, particulièrement, des interactions subséquentes du demandeur avec la police à la suite des agressions de mars et de juin 2014 (décrites ci-dessous). Dans la même veine, la SAR a relevé que ces commentaires n’étaient pas suffisants en eux-mêmes pour inférer que la police n’arrêterait pas ou ne ciblerait pas les contre-manifestants et les nationalistes radicaux que le demandeur craignait.

[19] La SAR a ajouté que, même si elle admettait que cet incident témoignait des omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace, ces omissions n’équivalaient pas nécessairement à une absence de protection étatique, « à moins qu’il s’agisse d’une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’assurer une protection ». Cette position a été confirmée dans certaines décisions, notamment Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1035 au para 8.

[20] En l’espèce, le demandeur soutient que la SAR n’a pas appliqué de façon raisonnable les principes en matière de protection de l’État aux faits et à la preuve au dossier. Le demandeur reconnaît que la SAR a souligné que les incidents en lien avec les commentaires selon lesquels il était un « traître » n’étaient pas représentatifs des autres interactions qu’il avait eues avec la police, étant donné que, tant après son agression en mars 2014 qu’après celle de juin 2014, la police s’était rendue à l’hôpital où il était hospitalisé, l’avait interrogé et avait interrogé d’autres témoins, avait rempli des rapports et avait ouvert des enquêtes. Toutefois, il fait valoir que ces enquêtes n’avaient pas porté leurs fruits et s’appuie sur la décision Zatreanu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 332 [Zatreanu] pour soutenir son argument selon lequel la police géorgienne n’enquêtait jamais à propos des plaintes reçues et que, bien qu’elle ouvrait des « enquêtes », elle n’essayait pas réellement de résoudre les plaintes. Cette situation, soutient‑il, démontre qu’il n’était pas en mesure de se réclamer d’une protection de l’État adéquate au niveau opérationnel.

[21] Malgré ce que l’avocat du demandeur a plaidé avec ferveur, je ne souscris pas à ces arguments. Dans Zatreanu, une famille rom a fui la Roumanie et s’est rendue en Irlande pour échapper à la persécution. Là-bas, elle a fait l’objet d’un harcèlement continu et de violences et n’a obtenu aucune aide de la part de la police irlandaise. La famille a donc demandé l’asile au Canada. La SAR a confirmé la décision défavorable de la SPR, concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État, puisque la police locale avait ouvert des enquêtes à propos des incidents allégués de persécution.

[22] Dans le cadre du contrôle judiciaire, la juge Elliot a conclu que la SAR avait commis des erreurs en i) omettant de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires à propos de la possibilité, pour les demandeurs, d’obtenir la protection de l’État en Irlande et en ii) assimilant les enquêtes à une disponibilité de la protection de l’État, omettant de se pencher sur la question de savoir si la police irlandaise avait effectivement mené une enquête (Zatreanu aux para 51-52). À la lumière de ces facteurs, la juge Elliot a conclu que l’analyse de la protection de l’État était incomplète et elle a ultimement conclu que la décision de la SAR était déraisonnable.

[23] Durant l’audience, le demandeur a réitéré que les circonstances factuelles en l’espèce étaient similaires à celles de l’affaire Zatreanu : dans les deux cas, les multiples tentatives des demandeurs pour obtenir une assistance policière n’avaient donné aucun résultat, puisque la police n’avait pas légitimement enquêté sur les différentes plaintes. Le demandeur allègue qu’à l’instar de ce qui s’est produit dans l’affaire Zatreanu, la SAR a omis d’aller au-delà du fait que la police avait ouvert des enquêtes afin d’établir si la protection de l’État était véritablement disponible dans le pays d’origine.

[24] Inversement, le défendeur a plaidé durant l’audience qu’il était possible d’effectuer une distinction entre l’affaire Zatreanu et la présente, et ce, à deux égards. Premièrement, dans l’affaire Zatreanu, la SAR n’avait mis l’accent que sur le caractère sérieux des efforts de la police et non sur le caractère suffisant de la protection de l’État, contrairement à l’affaire en l’espèce. Deuxièmement, le demandeur dans l’affaire Zatreanu avait entrepris de nombreuses démarches pour s’informer de l’évolution des enquêtes policières et pour tenter de les faire progresser, tandis que le demandeur en l’espèce n’a pas démontré avoir déployé un quelconque effort pour effectuer un suivi auprès de la police.

[25] Je conviens avec le défendeur qu’il est possible d’effectuer une distinction entre l’affaire Zatreanu et la présente. Premièrement, le demandeur en l’espèce n’a pas maintenu un contact régulier avec la police; il a déménagé de ville en ville sans informer la police du lieu où il se trouvait ou de ses coordonnées. Je reconnais que les déménagements du demandeur découlaient d’une crainte alléguée de persécution. Malgré tout, il n’a pas maintenu un contact régulier avec la police durant ce processus. Cette constatation signifie qu’il n’aurait pas été disponible pour aider la police si celle-ci l’avait sollicité. En revanche, comme l’a décrit la juge Elliot, les demandeurs dans l’affaire Zatreanu avaient fait des efforts constants pour faire progresser les enquêtes policières :

48 La transcription de l’audience de la SPR montre que M. Zatreanu n’a pas seulement communiqué avec la police. Il a déclaré qu’en plus de s’adresser à la police à de nombreuses reprises, il avait retenu les services d’un avocat pour l’aider à régler son problème de logement, il s’est adressé aux tribunaux, aux conseillers locaux et à des organismes [traduction] « venant en aide aux personnes humiliées, terrorisées et maltraitées ». Le dossier contient, en plus de son témoignage, des documents corroborant ces activités.

[26] Deuxièmement, la juge Elliot a conclu que l’analyse de la SAR au sujet de la protection de l’État dans l’affaire Zatreanu était incomplète, puisqu’elle n’expliquait pas pourquoi la SAR avait conclu que rien n’attestait que la protection avait été refusée aux demandeurs (aux para 43‑44). Nonobstant la preuve détaillée soumise à la SPR, la SAR s’était contentée de faire état de sa conclusion sans la justifier clairement et s’était appuyée sur la proposition selon laquelle l’incapacité d’un État d’assurer une protection dans toutes les situations ne suffisait pas à justifier une demande d’asile.

[27] En l’espèce, cependant, la SAR n’a pas accepté d’emblée les enquêtes policières, mais a examiné comment la police s’était comportée lors de chacune de ses deux interactions avec le demandeur. Dans les deux cas, la SAR a relevé que la police, après avoir arrêté le demandeur, l’avait interrogé et avait interrogé des témoins, avait rempli un rapport et avait ouvert une enquête. Tout cela démontre que la SAR s’est penchée sur la question de savoir si la police en Géorgie avait entrepris des démarches légitimes pour enquêter au sujet des plaintes.

[28] Troisièmement, en l’espèce, la SAR a admis en preuve le rapport de police daté du 16 février 2019 et la lettre non datée de la mère du demandeur. La SAR a conclu que ces éléments de preuve supplémentaires corroboraient le fait que la police était disposée à enquêter sur les plaintes, en dépit de sa décision de mettre fin aux enquêtes en raison d’un manque de preuve. Le rapport indiquait que la police avait examiné et traité la plainte de la mère du demandeur, puis avait classé le dossier deux mois plus tard. Bien que la mère du demandeur ait écrit qu’elle n’avait reçu aucune réponse de la part de la police, sa lettre n’indiquait pas si elle avait effectué un suivi au sujet de l’enquête. Contrairement à l’affaire Zatreanu, le tribunal a pris en compte ces éléments de preuve et a justifié ses conclusions à la lumière de ceux-ci et des principes juridiques pertinents.

[29] Quatrièmement, le demandeur en l’espèce a choisi de ne pas signaler l’agression de novembre 2014 à la police géorgienne. La SAR a reconnu que la protection offerte par la police n’avait peut-être pas été parfaite, mais elle se devait d’être adéquate et non parfaite. Le défaut du demandeur de signaler l’agression de novembre 2014, combiné à son absence de démarches auprès de la police et de contacts avec celle-ci, indiquait à la SAR que le demandeur n’avait pas pris tous les moyens raisonnables pour obtenir la protection de la police.

[30] Cette situation diffère nettement de l’affaire Zatreanu, dans laquelle les demandeurs s’étaient régulièrement informés auprès de la police, en vain. Comme l’a conclu le juge Grammond dans la décision A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237 au para 19, « [d]es lacunes isolées dans le travail de la police ne prouvent pas que la protection de l’État est inadéquate, tout comme le fait que des policiers ont pris certaines mesures dans un cas particulier ne prouve pas que la protection de l’État est adéquate. »

[31] Dans le cas présent, par contraste, la SAR a adopté la déclaration de la SPR portant que [traduction] « [l]a protection étatique doit être appréciée en fonction de la capacité de l’État à assurer la protection plutôt qu’en fonction du fait que l’appareil local a fourni une protection dans un cas donné », ce qui nécessite une analyse prospective (Al Bardan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 733 au para 26). La SAR a reconnu que le dossier laissait entendre qu’il existait une certaine forme de discrimination envers les Ossètes en Géorgie. Toutefois, elle a conclu que rien dans i) la preuve soumise à la SAR, ii) la nouvelle preuve du demandeur ou iii) le CND mis à jour n’atteste pas d’un manque de protection de l’État à l’époque où le demandeur se trouvait en Géorgie ou d’un tel manque advenant qu’il retourne dans ce pays. En fait, elle a conclu que le demandeur n’avait tout simplement pas donné aux autorités étatiques une possibilité raisonnable de le protéger.

[32] Le demandeur doit réfuter la présomption relative à la protection de l’État selon la prépondérance des probabilités, en apportant une preuve claire que la protection est insuffisante (Flores Carrillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94 aux para 17-21, 24-25). Le demandeur doit donc soit démontrer qu’il a demandé la protection de l’État, mais ne l’a pas obtenue, soit qu’il n’a pas tenté de l’obtenir parce qu’il craignait avec raison de ne pas l’obtenir (Pava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1239 au para 37).

[33] En l’espèce, la SAR a résumé avec exactitude les principes de la protection de l’État, dont le fait que de simples efforts de protection ne sont pas suffisants. Il est essentiel que l’État ait une capacité continue de fournir une protection. De plus, la SAR semble avoir pris en compte le CND mis à jour, mais n’y a trouvé aucun changement important pertinent pour la demande d’asile du demandeur. La SAR a examiné les tentatives du demandeur d’obtenir la protection de l’État et a conclu que la police était prête et disposée à intervenir, mais que le demandeur s’était lui-même désintéressé des enquêtes policières en déménageant de ville en ville sans en informer la police et en omettant de signaler l’agression de novembre 2014.

[34] Dans l’ensemble, la SAR a jugé que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Dans un cas comme celui-ci, le rôle de la cour de révision n’est pas d’établir si l’aide de la police dans un cas particulier était adéquate. La Cour doit plutôt évaluer si les motifs de la SAR et sa conclusion voulant que le demandeur n’ait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État étaient raisonnables. En me fondant sur les motifs de la SAR et à la lumière des faits pertinents et du droit, je conclus qu’il était effectivement raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

IV. Conclusion

[35] Les motifs de la SAR sont justifiés au regard des faits et du droit et répondent aux observations qui lui ont été formulées. Le tribunal a relevé la norme de contrôle applicable, a énoncé les principes juridiques pertinents et n’a commis aucune erreur en appliquant ceux-ci aux faits importants. Par conséquent, la décision est raisonnable. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1683-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1683-20

INTITULÉ :

LASHA MEKHASHISHVILI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 14 JANVIER 2021 DEPUIS TORONTO (ONTARIO) (LA COUR) ET vANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JanVIER 2021

COMPARUTIONS :

Dorab Colah

pOUR LE DEMANDEUR

Robert Gibson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

pOUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.