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Date : 20050207

Dossier : IMM-2182-04

Référence : 2005 CF 150

Ottawa (Ontario), le 7 février 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                   MOHAMED HOSNI FENANIR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c.27 (Loi) à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 12 février 2004. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle d'une personne à protéger à l'article 97.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Le tribunal a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

2.         La composition du tribunal crée-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[3]                Pour les raisons suivantes, je réponds de façon négative aux deux questions énoncées ci-dessus.

MISE EN CONTEXTE

[4]                Le demandeur est né en Algérie le 25 septembre 1978. Il allègue qu'il serait sujet à des traitements et/ou des peines cruels et/ou inusités et qu'il craindrait pour sa vie s'il devait retourner dans son pays d'origine.

DÉCISION CONTESTÉE

[5]                Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas crédible en raison de plusieurs omissions et inconsistances en rapport avec son témoignage et les documents fournis. Son comportement a été jugé incompatible avec celui d'une personne qui craint la persécution surtout en raison du fait qu'il a résidé pendant 15 mois en France avant de quitter pour le Canada.


ANALYSE

1.         Le tribunal a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[6]                En matière de crédibilité, la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal à moins que la décision soit fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait (paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales). Le tribunal est le mieux placé pour apprécier la crédibilité du demandeur (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317). Le demandeur doit faire la preuve d'une crainte raisonnable de persécution dans son pays d'origine. Non seulement doit-il faire la preuve d'une crainte subjective mais aussi objective. Les exemples mentionnés dans la décision au sujet du manque de crédibilité du demandeur ne méritent pas l'intervention de cette Cour. À titre d'exemple, les contradictions notées concernant l'intrusion des individus dans la maison d'accueil où le demandeur travaillait sont suffisantes pour appuyer les motifs du tribunal.

[7]                Ce dernier a relevé plusieurs omissions dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) concernant le fait que les individus en question étaient des terroristes, et que le demandeur aurait été obligé de se cacher chez sa tante. De plus, le décideur a considéré qu'il n'y avait pas de risque raisonnable de persécution pour le demandeur car personne n'était à sa recherche ou n'avait tenté de le retrouver.

[8]                L'explication du demandeur d'avoir résidé plus de 15 mois en France sans pouvoir se procurer un faux passeport pour venir au Canada n'a pas été retenu par le tribunal. Se basant sur son expérience spécialisée, il en a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. Considérant l'ensemble de la preuve, la Cour n'y voit pas d'erreur manifestement déraisonnable.

2.         La composition du tribunal crée-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[9]                Le demandeur, se basant surtout sur les statistiques de refus du commissaire concernant les demandes de statut de réfugié (99 %) comparativement à une moyenne de 45 % pour l'ensemble des autres commissaires, a demandé sa récusation. Ceci lui a été refusé d'où son grief de crainte raisonnable de partialité.

[10]            La Cour suprême s'est penchée sur la question d'impartialité dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259 au paragraphe 59. Elle énonce ce qui suit :

[...] « [l]'impartialité est la qualité fondamentale des juges et l'attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. [...] Comme l'ont signalé les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d'impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l'autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. (Je souligne)

[11]            Le juge de Grandpré s'est exprimé aussi dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, (1978) 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[...] Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui d'une personne de nature scrupuleuse et tatillonne.

[12]            Dans l'arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091 (C.A.F.) (QL), 2001 CAF 223, on y lit ce qui suit au paragraphe 8 :

[...] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

[13]            Le tribunal est maître de sa procédure. Il n'est pas lié aux règles formelles de la Cour. Le paragraphe 162(2) et les alinéas 170g) et h) de la Loi le stipulent très clairement :



Fonctionnement

162 (2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

Fonctionnement

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

g) n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

h) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision;

Procedure

162 (2) Each Division shall deal with all proceedings before it as informally and quickly as the circumstances and the considerations of fairness and natural justice permit.

Proceedings

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;

(h) may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances;


[14]            Dans l'ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada (Brown et Evans, Toronto : Canvasback Publishing, 1998) aux pages 11-31 et 11-32, on y lit :

[TRADUCTION] Les interrogatoires approfondis et "énergiques" par les membres d'une formation ne susciteront pas, à eux seuls, une crainte raisonnable de partialité. De plus, il est probable qu'on accordera une latitude particulière aux formations qui prennent part à un processus non accusatoire, telles les auditions de revendication du statut de réfugié, dans lesquelles personne ne comparaît pour s'opposer à la revendication. Par ailleurs, une expression d'impatience ou une perte de sang-froid momentanée de la part d'un membre d'une formation ne le rendra pas incapable d'entendre l'affaire dans les cas où il s'agit d'une simple tentative visant à contrôler la façon dont l'instance se déroule. De la même façon, une remarque sarcastique qui suit le refus d'une partie de témoigner, ou une phrase mal choisie ou dénotant un manque de sensibilité, n'entraînera pas, à elle seule, l'incapacité. [Notes en bas de page omises.]

[15]          Le demandeur a déposé par son procureur la décision rendue par mon collègue le juge Martineau dans la cause Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de

l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1058 (1ère inst.) (QL), 2004 CF 870, où le même commissaire avait rendu une décision défavorable au revendicateur d'asile. Le juge a donné raison au décideur quant au manque de crédibilité du demandeur mais en est arrivé à la conclusion que son comportement à l'audience était de nature à soulever une crainte raisonnable de partialité. Dans notre cause, plusieurs extraits des notes sténographiques ont été citées. J'ai lu et relu ces extraits et en les comparant avec les notes sténographiques dans l'arrêt Guermache, précité, il m'est impossible d'en arriver au même résultat.


[16]            Je constate cependant que le commissaire a contre-interrogé de façon rigoureuse le demandeur mais n'a pas tenté comme dans la cause Guermache, précitée, de faire « craquer » ce dernier. Il n'y a pas eu acharnement ou harcèlement dans les questions posées.

[17]            Les statistiques déposées ne permettent pas à elles seules de tirer des conclusions d'impartialité. Elles peuvent s'expliquer peut-être par un certain nombre de facteurs qui n'ont aucun lien avec une quelconque partialité (Komanov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 224 (C.A.F.) (QL)).

[18]            Je ne suis pas d'avis que le demandeur ait fait la démonstration de l'impartialité du tribunal. Le tribunal a bien expliqué au demandeur la façon dont se déroulerait l'audience. Il est intervenu à quelques reprises afin d'obtenir des éclaircissements sur des sujets bien précis. Cette façon de procéder n'entache aucunement l'impartialité du décideur. Il est tout à fait normal que des questions soient posées par le tribunal afin de permettre aux revendicateurs l'occasion d'expliquer des situations qui semblent à première vue douteuses. Ceci est dans le but évident d'éviter que le commissasire infère des conclusions négatives sans avoir obtenu la version du demandeur. D'ailleurs dans Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (C.F. 1ère inst.), le juge Teitelbaum confirme que le témoignage oral d'un revendicateur devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.


[19]            Les interventions du commissaire sont non seulement souhaitables mais nécessaires lorsqu'à son avis des contradictions ou invraisemblances apparaissent à la face même du dossier. Il faut cependant agir avec beaucoup de respect et de dignité afin de ne pas miner l'administration de la justice. Dans le cas qui nous occupe, je suis d'avis qu'une personne bien renseignée qui étudierait l'ensemble du dossier de façon réaliste et pratique ne pourrait pas en venir à une conclusion que cette décision est injuste.

[20]            Selon moi, il n'y a aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[21]            Ce dossier ne comporte aucune question à certifier.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

            « Michel Beaudry »                 

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-2182-04

INTITULÉ :                                                     MOHAMED HOSNI FENANIR c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                                                             ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 30 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   le 7 février 2005

COMPARUTIONS :

Éveline Fiset                                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Simone Truong                                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Éveline Fiset                                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)       

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)       

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