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Date : 20050324

Dossier : IMM-2218-04

Référence : 2005 CF 408

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

VALERI MUSORIN (RODSHTEIN)

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le demandeur, M. Valeri Musorin (également connu sous le nom de Rodshtein), est d'origine russe et citoyen d'Israël. Il a vécu dix ans en Israël avec son épouse. Il craint d'y retourner en raison de ses opinions politiques réelles et apparentes en tant que sympathisant palestinien et en raison des mauvais traitements dont il a déjà fait l'objet de la part des autorités israéliennes.

[2]         Lvénement qui a précipité la fuite du demandeur au Canada s'est produit le 1er octobre 2002, lorsqu'il a été arrêté par deux hommes en uniforme de policier. Il a été assommé, emmené et détenu pendant trois jours par trois hommes en uniforme militaire. Il est arrivé au Canada le 8 décembre 2002 et a demandé asile quelques jours plus tard.

[3]         Le 10 février 2004, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés) (la Commission) a conclu que le demandeur ntait pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection, au motif qu'il n'a pas réfuté la présomption de protection offerte par ltat.

QUESTIONS

[4]         Le demandeur n'a soulevé qu'une question :

1)          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de protection offerte par ltat et, ce faisant, a-t-elle rejeté à tort la demande de statut de réfugié du demandeur?

ANALYSE


[5]         La Commission a droit à ce que la Cour exerce à son droit une grande retenue relativement à la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant la question de savoir si le demandeur a réfuté la présomption de protection offerte par ltat. Que l'on s'appuie sur la norme de la décision raisonnable simpliciter, comme y invite la récente décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 C.F. 193, ou celle de la décision manifestement déraisonnable, je suis convaincue que la décision en l'espèce est irréparablement entachée.

[6]         Pour conclure que le demandeur n'a pas réfuté la présomption de protection offerte par ltat, la Commission s'est appuyée sur un certain nombre de constatations :

_     Concernant le fait que le demandeur avait signalé l'incident à la police locale, la Commission a retenu les dires d'un témoin attestant que la police avait pris note des détails de lvénement et promis au demandeur de lui donner des nouvelles si l'on découvrait quelque chose.

_     Le demandeur n'a pas pu identifier ses agresseurs.

_     Faute d'une identification des agresseurs présumés ou de témoins de l'agression présumée, la police ne pouvait pas efficacement faire enquête sur la plainte.

_     Comme le demandeur n'a pas fourni d'exemplaires des lettres qu'il aurait adressées aux membres de la Knesset, la Commission a estimé que la « valeur probante de ce témoignage [était] faible » .

[7]         En résumé, la Commission a fondé son raisonnement sur les mesures prises par le demandeur pour donner suite à l'incident. Elle a conclu qu'il n'existait pas « suffisamment dléments de preuve crédibles [démontrant] que le demandeur d'asile a épuisé tous les recours en vue d''obtenir une protection ou a pris toutes les mesures raisonnables pour s'assurer une protection » .


[8]         La Commission ne dit cependant pas si elle a accepté l'affirmation du demandeur voulant qu'il ait été agressé par des agents de police de ltat d'Israël. Celui-ci explique que la principale raison pour laquelle il n'a pas sollicité la protection de ltat au-delà des mesures qu'il a prises est que ce sont les autorités officielles de ltat qui l'ont détenu et interrogé. Dans ses motifs de décision, la Commission déclare que le demandeur n'a pas pu identifier ses agresseurs au cours de l'incident d'octobre 2002, mais elle ne dit pas qu'elle conteste la crédibilité des déclarations du demandeur qui reviennent à affirmer que ctait ltat d'Israël, par l'intermédiaire de ces policiers, qui était l'agent de persécution.

[9]         Le fait que la Commission n'ait pas analysé directement cette partie du témoignage du demandeur est crucial pour la détermination de la possibilité de faire appel à la protection de ltat. Si le demandeur fait la preuve que c'est ltat qui est responsable de la persécution, la jurisprudence nous enseigne que cela suffit à réfuter la présomption et que le demandeur n'a pas à épuiser toutes les sources de protection. Dans Gurjit Singh Malik c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2003 CFPI 453 (Section de 1re instance), aux par. 19-21, la juge Tremblay-Lamer fait remarquer que, lorsque la police est l'agresseur et l'auteur des actes de violence, il est déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de la police. Si l'agent de persécution est ltat ou l'un de ses représentants, la présomption de la protection offerte par ltat est réfutée (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 507 (Section de 1re instance), au par. 19).


[10]       En l'espèce, la Commission aurait pu s'interroger sur la crédibilité de l'affirmation du demandeur selon laquelle ses agresseurs étaient des policiers. Elle aurait pu aussi, par ailleurs ou en plus, comparé le récit du demandeur avec les preuves documentaires pour déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, ces policiers avaient agi à titre d'agents de ltat ou pour leur propre compte. Ces policiers étaient peut-être simplement des membres indésirables de la police locale. Si la Commission avait procédé ainsi, sa décision aurait probablement été inattaquable. Mais, comme elle n'a pas analysé la question de savoir si ltat d'Israël était responsable de l'agression subie par le demandeur, elle n'a pas examiné le fond même de la demande.

CONCLUSION

[11]       Pour ces motifs, la demande est accueillie. Aucune partie n'a demandé la certification d'une question. Aucune n'est donc certifiée.

ORDONNANCE

La cour ordonne

1.       La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

2.       Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

______________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-2218-04

INTITULÉ :                                                                 VALERI MUSORIN (RODSHTEIN) c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       3 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               Madame la juge Snider

DATE :                                                                        24 mars 2005

COMPARUTIONS :                      

Angus Grant                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                                                          

Catherine Bruce and Associates                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

                                                  

                                           

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