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Date : 19980504


Dossier : T-64-98

ENTRE :

     MELVIN GOVEREAU,

     requérant,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

M. JOHN HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      L'intimée demande la radiation de la Déclaration pour absence de compétence, ou, subsidiairement, l'extension de la période pendant laquelle elle peut produire sa défense. Compte tenu du fait que la radiation d'une déclaration est une décision de nature draconienne, privant une partie demanderesse de son droit d'intenter un recours devant les tribunaux, les normes fixées par la jurisprudence en cette matière sont très exigeantes. Il ne doit y avoir aucun doute que la procédure n'aura aucune chance de succès et qu'il serait futile que le requérant soit autorisé à procéder1.

[2]      En examinant si une procédure, en l'instance une Déclaration, doit être radiée faute d'une cause raisonnable d'action, je dois aborder le dossier non seulement en présumant que les faits constatés sont prouvés, mais avec une grande souplesse étant donné que le requérant est un profane. Il ne peut donc, dans sa présentation des faits et des réparations demandées, utiliser la phraséologie d'un avocat ou se reporter de la même façon à ses droits.

[3]      Dans son essence, la Déclaration expose que le requérant a commencé à purger une peine de six ans et un jour le 22 février 1996. L'épouse du requérant souffre du syndrome de Charcot-Marie-Tooth, une forme d'amyotrophie. Elle est en chaise roulante de façon permanente et a besoin d'un approvisionnement constant en oxygène.

[4]      En mai 1997, le requérant a obtenu un permis d'absence temporaire de huit heures avec escorte, afin de pouvoir rendre visite à son épouse. Par la suite, il a demandé d'autres permis; l'un s'est perdu et l'autre lui a été refusé. Le requérant a alors essayé d'organiser la visite de son épouse. Il a demandé aux autorités de l'établissement Mountain de tenir à leur disposition une réserve d'oxygène au cas où la réserve personnelle de son épouse viendrait à s'épuiser durant sa visite, demande qui a été refusée. Une demande subséquente d'un permis d'absence temporaire avec escorte a aussi fait l'objet d'un refus. Suite à quoi l'intimée aurait privé le requérant de tous les droits et privilèges qui lui auraient permis de préserver sa vie familiale, lui imposant ainsi des souffrances. Pour leur part, les autorités de l'institution semblent considérer que l'octroi des permis d'absence temporaire avec escorte est lié à la participation aux programmes optionnels de l'institution.

[5]      Le requérant est d'avis que la privation des moyens nécessaires aux visites constitue une violation de ses droits en vertu de la Charte, de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et de l'équité. Le requérant demande des dommages-intérêts dissuasifs, ainsi qu'un jugement déclaratoire lui permettant d'obtenir des permis d'absence temporaire avec escorte afin de visiter son épouse et ainsi de préserver une vie familiale et d'encourager le soutien mutuel. Il est encourageant de noter que le tout est présenté sous forme lisible et concise, dans une Déclaration de trois pages.

[6]      L'intimée allègue que l'essentiel des réparations recherchées sont de nature déclaratoire et devraient faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. Cette assertion ne tient toutefois pas compte de l'ancienne règle 1723 qui porte que la Cour peut accorder une simple déclaration dans une action : Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (1993) 74 F.T.R. 185. La règle 1723 est devenue la règle 64 dans la nouvelle numérotation et elle porte que :                                         
     " Il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu'elle ne vise que l'obtention d'un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l'instance, qu'une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence. "         

Le fait que cette demande vise une réparation de nature déclaratoire ne constitue pas un motif de radiation de la déclaration. En effet, je ne peux conclure que la demande du requérant, même si elle est difficile à étayer, représente un si mince espoir qu'elle doit être radiée. En fait le requérant peut tout à fait avoir des droits en vertu de la Charte, face notamment à toute mesure punitive qui pourrait en théorie donner lieu à une réparation en vertu de l'article 24 de la Charte. De plus, il pourrait y avoir une réparation de nature déclaratoire qui serait valable et dotée de résultats pratiques.

[7]      Ensuite, l'intimée allègue qu'on n'a pas satisfait à toutes les conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans ITO-International Terminal Operators Ltd. et Miida Electronics Inc. [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, qui se lisent comme suit :

     " 1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.         
     2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.         
     3. La loi invoquée dans l'affaire doit être une " loi du Canada " au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 . "         

[8]      L'intimée allègue que la Déclaration ne satisfait pas à la première condition, savoir qu'il doit y avoir une attribution de compétence à la Cour fédérale2. L'intimée allègue en plus que même si la Loi sur la Cour fédérale donne à la Cour la compétence d'accorder une partie de la réparation demandée, elle ne peut être exercée que si la plaidoirie est introduite comme une demande de contrôle judiciaire et non comme une action. Les avocats de l'intimée se réfèrent ici à Burton c. La Reine, une décision non publiée que j'ai rendue le 8 juillet 1997 dans l'action T-1348-95 et autres actions connexes. Dans Burton, j'ai radié un certain nombre des huit actions introduites par le requérant, tout en maintenant une action dans laquelle ce dernier soutenait que ses droits en vertu de la Charte avaient été violés et où il réclamait des dommages-intérêts en vertu de l'article 24 de ladite Charte. Dans Burton, l'intimée s'appuyait sur Zubi c. Sa Majesté la Reine (1993) 71 F.T.R. 168 pour demander que la déclaration soit radiée. Dans cette affaire, la Déclaration demandait une réparation de nature déclaratoire, suite à la décision de transférer le requérant dans un établissement à sécurité moyenne, ainsi que des dommages-intérêts. Dans Zubi, la Cour a statué que la réparation était de celles visées par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et qu'elle aurait du faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. La Cour a donc rejeté l'argument voulant que la demande de M. Zubi visait simplement l'obtention de dommages-intérêts. Dans les motifs de Burton, j'ai fait ressortir qu'il pourrait très bien y avoir une action visant des dommages-intérêts et qu'à ce titre je ne pouvais dire que la demande n'avait aucune chance d'être accueillie ou qu'il était évident qu'elle ne révélait aucune cause raisonnable d'action.

[9]      Ceci ne veut aucunement dire que toutes les demandes de réparation présentées par M. Govereau sont appropriées et qu'elles peuvent être introduites sous la forme d'une action. Les paragraphes 1 et 2 des réparations demandées visent une décision des autorités administratives de l'établissement Mountain voulant que M. Govereau soit tenu de participer aux programmes optionnels de l'établissement pour qu'on lui délivre un permis d'absence temporaire avec escorte afin qu'il puisse rendre visite à son épouse. Je suis d'avis que les représentations visant ces décisions de l'administration de l'établissement Mountain auraient dû faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire et qu'elles n'ont aucune chance de succès sous la forme d'une action. En conséquence je les radie.

[10]      Le requérant demande aussi un genre d'ordonnance de protection empêchant le Service correctionnel du Canada d'exercer des représailles contre lui suite aux procédures judiciaires qu'il a entamées. Il s'agit ici à mon sens d'une demande de bref de prohibition ou de mandamus qui permettrait à la Cour d'exercer un pouvoir de surveillance sur le Service correctionnel du Canada. Toutefois, le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale énonce clairement que ces réparations ne sont disponibles que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. La Cour n'est pas investie d'une compétence attribuée par une loi, comme l'exige l'arrêt Miida Electronics (précité), qui lui permettrait d'accorder à M. Govereau la réparation qu'il demande.

[11]      Je doute aussi que les faits énoncés dans la Déclaration puissent donner droit à des dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Je suis de cet avis parce que les dommages-intérêts généraux doivent d'abord faire l'objet d'une évaluation pour que la Cour détermine s'ils constituent une réparation suffisante : voir par exemple Lishman c. Erom Roche Inc., (1996) 11 F.T.R. 44, à la page 56. De plus, les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que si le comportement de l'intimée justifie d'être pénalisé parce qu'il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux : voir à ce sujet Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia [1989] 1 R.C.S. 1085. Le juge McIntyre, qui a écrit pour la majorité dans Vorvis, souligne aux pages 1107 et 1108 que :

     " De plus, il n'est possible d'accorder des dommages-intérêts punitifs qu'à l'égard d'un comportement qui justifie une peine parce qu'il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Je ne prétends pas avoir énuméré      tous les qualificatifs aptes à décrire un comportement susceptible de justifier l'attribution de dommages-intérêts punitifs, mais de toute façon, pour que de tels dommages-intérêts soient accordés, il faut que le comportement soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d'être condamné et puni. "         

Comme M. Govereau aurait dû demander des dommages-intérêts afin que sa réclamation ait quelque chance de succès, je l'autorise à modifier sa Déclaration.

[12]      Les faits avancés dans la Déclaration de M. Govereau laissent entrevoir peu de chances de succès. Je ne peux toutefois pas affirmer qu'il est clair que M. Govereau ne peut pas obtenir gain de cause ou que sa réclamation est futile, à condition qu'elle soit modifiée pour qu'il soit clair qu'elle vise essentiellement l'obtention de dommages-intérêts en vertu de la Charte. M. Govereau a soixante jours pour produire une déclaration amendée. Les paragraphes 1, 2 et 6 de la partie de ce document qui vise les réparations demandées doivent être supprimés dans la Déclaration amendée. M. Govereau peut ajouter une demande de réparation sous forme de dommages-intérêts généraux. Il peut aussi se prévaloir de cette occasion pour préciser quelle réparation il sollicite en vertu de la Charte. Suite à la signification par la poste de la Déclaration amendée à l'avocat de la Couronne, la Couronne aura trente jours pour présenter sa défense. Les dépens suivront l'issue de la cause.


" John A. Hargrave "

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 4 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon. LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N0 DU GREFFE :      T-64-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Melvin Govereau,

     requérant,

     et

    

     Sa Majesté la Reine,

     intimée.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE: M. JOHN HARGRAVE, PROTONOTAIRE

DATE : le 5 mai 1998

ONT COMPARU :

     M. Melvin Govereau                  requérant
     Me Simon Fothergill                  pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Melvin Govereau                  se représentant lui-même
     George Thomson                  pour l'intimée, SMR

     Sous-procureur général

     du Canada

__________________

1      Dans la présente affaire, la requête de l'intimée repose notamment sur les règles 401 et 419. La règle 401 traite des comparutions conditionnelles lorsque la compétence est mise en cause et la règle 419 traite, entre autres, de la radiation d'un acte de procédure en l'absence d'une cause d'action valable. La compétence de la Cour fédérale peut être contestée en vertu de la règle 419(1)(a) : Mobarakizadeh c. Canada (1994) 23 Imm. L.R. (2d) 93. Depuis le dépôt de la requête, les Règles de la Cour fédérale (1998) sont entrées en vigueur. Il n'est plus nécessaire de déposer une comparution conditionnelle car l'intimé à qui on signifie une déclaration peut soulever une objection quant à la compétence de la Cour sans consentir formellement à celle-ci. Le texte de l'ancienne règle 419 est maintenant repris à la règle 221.

2      Dans la présente affaire, l'intimée ne plaide pas qu'il n'y a pas un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige, ni que la loi invoquée dans l'affaire n'est pas une loi du Canada. Je n'ai donc pas à me pencher sur ces questions.

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