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Date : 20050616

Dossier : T-1987-04

Référence : 2005 CF 861

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 16 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                  SAMMIE HSUAN-MEI HUANG

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Sammie Hsuan-Mei Huang est citoyenne de Taïwan et actrice de métier. Elle est arrivée au Canada en mai 1997, à titre d'immigrante ayant reçu le droit d'établissement. Un juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté canadienne le 22 septembre 2004. La demanderesse interjette appel de cette décision en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29.

[2]                Mme Huang prétend qu'une demande de citoyenneté a été envoyée en son nom à Citoyenneté et Immigration Canada ( « CIC » ) le 3 avril 2002. Elle a retenu les services d'un conseiller, qui a écrit pour son compte au moins trois lettres en février et en juillet 2003, mais CIC a été incapable de trouver quoi que ce soit, à part un document indiquant que Mme Huang avait payé les frais relatifs à la demande. Le paiement a été accepté par une banque à Vancouver le 3 avril 2002, et versé à CIC. Le formulaire de demande, dont la date a été changée pour le 3 avril 2003 et qui a apparemment été signé une seconde fois par Mme Huang, n'a été reçu au centre de traitement de CIC que le 5 août 2003.

[3]                Mme Huang a passé son examen pour la citoyenneté le 25 mars 2004, et a été convoquée à une entrevue le 9 août 2004; à cette occasion, le juge a vérifié ses aptitudes linguistiques et ses connaissances au sujet du Canada, et a passé en revue son dossier avec elle afin de déterminer si elle satisfaisait aux conditions de résidence. Un interprète était présent. En avril 2004, la Cour de la citoyenneté avait demandé que Mme Huang produise un certificat de dates d'entrée et de sortie d'un résident, du gouvernement de Taïwan. Ce document a été fourni et a servi à calculer la durée des présences de Mme Huang au Canada.


[4]                Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande au motif que Mme Huang n'avait pas vécu au Canada pendant le nombre requis de jours au cours des quatre années précédentes, comme l'exige l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, et qu'elle ne l'avait pas convaincu qu'elle avait centralisé son mode d'existence au Canada au point où il fallait faire une exception à l'exigence de la Loi sur la citoyenneté, conformément au critère énoncé par la juge Reed dans la décision Re Koo [1993] 1 C.F. 286; [1992] A.C.F. no 1107 (1re inst.).

[5]                L'alinéa 5(1)c) de la Loi requiert qu'un demandeur de la citoyenneté a « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout » . Le juge de la citoyenneté s'est fondé sur la période de quatre ans précédant le 3 avril 2003. Cela a amené à calculer que Mme Huang avait séjourné à l'extérieur du Canada pendant 740 jours et qu'elle avait résidé au Canada pendant 720 jours seulement au cours de la période de 1 460 jours qui était prise en considération, soit 375 jours de moins que ce que la Loi exigeait. Si le juge s'était fié à la date du 3 avril 2002, la différence aurait été de 253 jours.

[6]                Le juge a conclu aussi, en vertu de l'alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté, que la connaissance qu'avait Mme Huang du Canada était insuffisante. Les parties conviennent qu'étant donné que cette dernière avait déjà passé avec succès cette partie des exigences, il n'aurait pas fallu vérifier une seconde fois sa connaissance. Toutefois, il est également établi que cela n'aurait fait aucune différence appréciable dans l'issue de sa demande, à cause des conclusions du juge à propos de l'exigence de la résidence.

[7]                Les questions dont je suis saisi consistent donc à savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en acceptant la date de la demande de 2003 comme base de calcul de la présence de la demanderesse au Canada, et s'il a commis une erreur en appliquant le critère énoncé dans Re Koo.


[8]                Mme Huang soutient que la norme de contrôle à appliquer devrait être celle de la décision correcte, ou une norme « proche de la décision correcte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hung (1998) 148 F.T.R. 237; Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999) 164 F.T.R. 177.

[9]                Le défendeur soutient que la norme de contrôle qui se rapporte aux appels en matière de citoyenneté est celle de la décision raisonnable simpliciter : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fu 2004 CF 60; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chen 2004 CF 848; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chang 2003 CF 1472; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55.

[10]            Cependant, le défendeur fait valoir que dans le cas de conclusions purement factuelles, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge de la citoyenneté, en tant que juge des faits, a accès aux documents originaux et est en mesure de discuter des faits pertinents avec le demandeur. Dans le cas d'un appel en matière de citoyenneté, la présente Cour est une cour d'appel et elle ne devrait pas toucher aux conclusions à moins que ces dernières soient manifestement déraisonnables ou qu'elles fassent état d'une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

[11]            Dans Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1752, je suis arrivé à la conclusion « que le point de savoir si une personne a rempli la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de droit et de fait et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, parce que ces juges ont l'expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises » . J'ai admis ainsi que la norme de contrôle qui convient est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[12]            Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1693, la juge Snider est arrivée à la même conclusion; voici ce qu'elle a indiqué : « dans la mesure ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s'appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue » .

[13]            L'argument du défendeur me convainc que, pour les questions purement factuelles, il convient de faire preuve de plus de retenue face aux conclusions du juge de la citoyenneté, ce qui mène à la norme de la décision manifestement déraisonnable.


[14]            Que ce soit l'une ou l'autre norme de contrôle que l'on retienne, il n'y a pas lieu selon moi de changer la conclusion selon laquelle la demande n'a été faite qu'en avril 2003. Mme Huang déclare que cette dernière a été produite pour son compte par un neveu en 2002, mais il n'y a aucune preuve à cet effet de la part du neveu. Le fait que le paiement relatif à la demande a été fait en avril 2002 n'est pas une preuve que cette dernière a été déposée à ce moment-là. La lettre de l'avocat de Mme Huang établit seulement que l'on a présumé que la demande avait été déposée, rien de plus. Il ressort du document lui-même que la date a été modifiée pour changer le dernier chiffre - un 2 - pour un 3, et il porte une seconde signature qui paraît être celle de la demanderesse. Enfin, il n'y a aucune preuve que CIC a reçu le document en avril 2002.

[15]            Le juge de la citoyenneté a donc déterminé avec raison que le 3 avril 2003 était la date à partir de laquelle calculer la présence de la demanderesse au Canada au cours des quatre années précédentes.

[16]            En prévoyant que les demandeurs peuvent s'absenter du Canada pendant une période maximale d'un an, et ce, au cours des quatre qui précèdent la date du dépôt de la demande, on infère fortement que l'intéressé doit être physiquement présent au pays pendant les trois autres années : Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 240; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 197 F.T.R. 225; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 896.

[17]            Si la présence physique du demandeur au Canada est insuffisante pour établir la résidence, ce dernier peut peut-être se fonder sur le critère de l'existence centrale : In re Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208. Dans la décision Re Koo, au paragraphe 10, la juge Reed a résumé en ces termes le droit régissant l'existence centrale :


La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement: le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:

1)              la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)              où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)              la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4)              quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)              l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)              quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[18]            Mme Huang soutient que, d'après le critère formulé dans la décision Re Koo, le juge de la citoyenneté aurait dû conclure que le Canada est le pays où elle « vit régulièrement, normalement ou habituellement » , ou celui où elle a « centralisé son mode d'existence » . Son époux et sa fille vivent au Canada, sa forme de présence au Canada dénote qu'elle revient dans son pays et qu'elle n'est pas seulement en visite, la famille possède ici des biens et elle s'est jointe à de nombreux organismes communautaires, ses absences sont liées à des situations d'urgence et à des visites familiales ainsi qu'à des traitements médicaux, et la qualité de ses attaches avec le Canada est plus importante que celle des attaches qu'elle a avec Taïwan, un facteur dont, allègue-t-elle, le juge de la citoyenneté n'a pas traité expressément.

[19]            J'ai examiné de près les motifs et les notes de dossier du juge de la citoyenneté et je suis convaincu que ce dernier a pris en considération tous les facteurs énumérés dans Re Koo pour arriver à sa décision. Il a conclu que les absences de Mme Huang sont de nature structurelle et une forme de vie, et non pas temporaires. Il s'agissait là d'une conclusion raisonnable, fondée sur la preuve.

[20]            Il ressort du dossier qu'avant de retourner à Taïwan, Mme Huang a séjourné au Canada pendant 18 jours seulement après avoir obtenu le droit d'établissement. Jamais elle n'a fait un séjour prolongé au Canada avant d'établir un cycle d'absences prolongées, dont deux d'une durée de plus de 100 jours. En tout, ses absences ne correspondent pas aux « quelques jours [qui manquent] pour atteindre le nombre total de 1 095 jours » . Bien que l'époux et la fille de la demanderesse résident au Canada et soient devenus citoyens canadiens, cette dernière n'a pas vécu récemment avec eux, préférant vivre chez un cousin lorsqu'elle se trouve au Canada. Mme Huang a décidé de subir une intervention chirurgicale et de prendre des rendez-vous de suivi à Taïwan, pas au Canada. Ce n'est pas là le signe d'un mode d'existence centralisé au Canada.

[21]            La demande est rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée, et aucune n'est certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNEque la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.


         « Richard Mosley »

                     Juge

Traduction certifiée conforme

[...], trad.a., LLC



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1987-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         SAMMIE HSUAN-MEI HUANG

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   Le 16 juin 2005

COMPARUTIONS

Andrew Z. Wlodyka                                          POUR LA DEMANDERESSE

Jonathan Shapiro                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lowe & Company                                             POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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