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Date : 20210129


Dossier : IMM-2480-19

Référence : 2021 CF 99

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

MARIA TERESA ALVAREZ RIVERA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR) fonctionnent afin d’assurer un processus efficace ainsi qu’équitable. Les règles qui régissent les documents qui peuvent être déposés auprès de la Section de la protection des réfugiés (SPR) visent à établir un équilibre entre le droit d’équité procédurale dû aux demandeurs d’asile d’être entendus et le bénéfice d’une procédure efficace et claire d’acceptation des éléments de preuve présentés par les parties.

[2] Dans le cas présent, Maria Teresa Alvarez Rivera a fait une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], craignant un gang criminel au Salvador. Lors de l’audience devant la SPR, elle a soumis le rapport d’une psychologue qu’elle n’avait pas déposé à l'intérieur du délai fixé par la règle 34(3)a) des Règles de la SPR. La Commissaire de la SPR a rejeté sa demande de déposer la preuve supplémentaire sans entendre ses arguments sur l’admission du document et sans justifier sa décision à la lumière des éléments pertinents, nommément ceux énoncés à la règle 36.

[3] Je trouve le refus de la Commissaire d’accorder Mme Alvarez Rivera une possibilité de présenter son point de vue portant sur l’admissibilité du rapport et son refus d’accepter le rapport de la psychologue sans considération des éléments pertinents inéquitable et déraisonnable.

[4] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

II. QUESTIONS EN LITIGE ET NORMES DE CONTRÔLE

[5] Mme Alvarez Rivera a soulevé plusieurs questions en litige, mais étant donné mes conclusions au sujet de la décision de la SPR par rapport à la règle 36, je trouve qu’il ne m’incombe pas d’adresser ses allégations portant sur le fond de la demande d’asile. Par conséquent, les questions en litige déterminantes sont :

  1. Quels documents constituent le dossier devant la Cour?

  2. Est-ce que la Commissaire a erré en refusant d’accepter le rapport de la psychologue lors de l’audience, en tant qu’elle

    • 1) n’ait pas accordé à Mme Alvarez Rivera une possibilité de présenter son point de vue par rapport à l’admissibilité du rapport de la psychologue, et

    • 2) n’ait pas tenu compte des facteurs pertinents dans une telle analyse, nommément ceux énoncés à la règle 36?

[6] La question A vise la preuve devant la Cour et n’est pas le sujet d’un examen d’une décision administrative. Par conséquent, aucune norme de contrôle ne s’applique.

[7] Quant à la question B, les parties ont surtout traité les deux moitiés de la question ensemble. Mme Alvarez Rivera argumente que le refus du rapport est une question d’équité procédurale, qui doit être contrôlée en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte. Le Ministre prétend que c’est une question à laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. À mon avis, chaque partie a raison en partie : la question B(1) est une question d’équité procédurale, tandis que la question B(2) est une question du bien-fondé de la décision, qui doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

[8] La jurisprudence au sujet de la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’admissibilité des documents présentés hors du délai prescrit par la règle 34 des Règles de la SPR n’est pas tout à fait claire. Je note à cet égard la jurisprudence plus répandue sur la règle 43, qui porte sur la preuve soumise après l’audience, que sur la règle 36, qui porte sur l’utilisation à l’audience d’un document non communiqué : voir, entre autres, Nagulesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1382; Ahanin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 180; Shuaib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 596; Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1220; Mannan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 144; Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794. Puisque les facteurs applicables aux deux règles sont les mêmes, il me semble que la même norme de contrôle devrait s’appliquer aux déterminations sous les deux dispositions : Règles de la SPR, arts 36, 43(3).

[9] Dans le cas où la SPR n’a même pas examiné une demande de dépôt de documents supplémentaires, cette Cour a clairement dit qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale : Nagulesan au paragraphe 17; Ahanin au paragraphe 37; Shuaib aux paragraphes 3(2), 9–11. Dans ces décisions, la Cour a noté que l’équité procédurale exige que la SPR se prononce sur une telle demande. Par contre, ces décisions ne traitent pas de la norme qui s’applique au contrôle de la décision une fois prise. Néanmoins, dans l’affaire Cox, où la SPR a traité une demande et a refusé la preuve, la Cour a conclu que « [l]a question de savoir si des éléments de preuve transmis après l’audience sont admissibles a été jugée être une question d’équité procédurale », en citant Nagulesan et Ahanin : Cox aux paragraphes 16, 18, 26. De même, dans Mbirimujo, la Cour a conclu avec référence à Nagulesan qu’une décision d’exclusion des éléments de preuve présentés tardivement soulève la question d’équité procédurale : Mbirimujo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 553 aux paragraphes 16–18.

[10] Dans Behary, la juge Strickland a cité Cox, mais elle a fait une distinction entre la question à savoir si la SPR avait considéré les facteurs énumérés dans la règle 43(3) et le résultat de cette considération. Elle a conclu que la première question est une d’équité procédurale. La deuxième, par contre, soulève la question à savoir si la SPR a pris « une décision qui appartenait aux issues possibles acceptables », ce qui est la norme de la raisonnabilité : Behary aux paragraphes 6, 31; voir aussi Katsiashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 622 aux paragraphes 12, 39.

[11] Selon moi, un défaut de considérer des éléments pertinents à une prise de décision discrétionnaire a rapport au bien-fondé de cette décision, et non au processus dû aux demandeurs, puisqu’il vise les contraintes statuaires qui prescrivent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire au lieu du droit d’être entendu : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paragraphes 23, 108; Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce international), 2020 CF 656 au paragraphe 102. Le processus qui mène à une décision d’admission ou de refus de preuve, ainsi que l’obligation de prendre une telle décision, sont des questions d’équité procédurale : Nagulesan au paragraphe 17, Shuaib au paragraphe 31; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Inarukundo, 2015 CF 314 aux paragraphes 3(b), 4, 10; Farkas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 542 aux paragraphes 10–11. Mais une fois prise, le bien-fondé de la décision, y compris la question de savoir si tous les facteurs pertinents ont été pris en compte, est assujettie à la norme de la décision raisonnable. J’arrive à cette conclusion à la lumière de Vavilov et malgré les conclusions divergentes dans Cox, Behary, et Mbirimujo.

[12] Je note par analogie que le bien-fondé d’une décision de la Section d'appel des réfugiés (SAR) d’un refus de nouveaux documents est contrôlé selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 aux paragraphes 29, 74; LIPR, art 110(4). Il me semblerait incongru que le bien-fondé d’une décision de la SPR de refuser des documents selon des facteurs statutaires soit examiné selon la norme de la décision correcte tandis que le bien-fondé d’une décision équivalente de la SAR soit examiné selon la norme de la décision raisonnable. Ceci dit, la question de la norme qui s’applique changerait très peu l’analyse de cette question si un décideur a omis de justifier sa décision à la lumière des éléments pertinents énoncés par la règle. Qu’elle soit considérée une décision inéquitable ou déraisonnable, elle ne peut être maintenue.

[13] Je conclus donc que la question B(1) est une question d’équité procédurale, à laquelle s’applique la norme de contrôle d’ « équité » semblable à celle de la décision correcte, où la Cour décide si la procédure était équitable dans toutes les circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54.

[14] Cependant, la norme de la décision raisonnable s’applique à la question B(2). Une décision raisonnable est une qui est justifiée, transparente et intelligible du point de vue des individus auxquels elle s’applique, « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lue dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif, du dossier dont le décideur était saisi et des observations des parties : Vavilov aux paragraphes 81, 85, 91, 94–96, 99, 127–128.

III. ANALYSE

A. Le dossier devant la Cour

[15] Mme Alvarez Rivera a joint à son affidavit comme pièces D et E le constat de la psychologue et son rapport. Le Ministre allègue que ces pièces ne sont pas admissibles à la Cour étant donné qu’elles n’étaient pas dans le dossier de preuve dont disposait la SPR. Je trouve que les pièces D et E sont admissibles afin de permettre à la Cour de trancher la question d’équité procédurale et le caractère raisonnable du refus des documents.

[16] Ce n’est pas le rôle de cette Cour, lors d’une demande de contrôle judiciaire sur le fond de la décision, d’y substituer sa propre décision ou « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov au paragraphe 125; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au paragraphe 18. Une demande de contrôle judiciaire n’est donc pas une opportunité pour un demandeur de présenter le bien-fondé de sa demande à nouveau. Par conséquent, avec certaines exceptions, le dossier de la preuve lors d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le tribunal administratif : Access Copyright aux paragraphes 19–20.

[17] Une de ces exceptions concerne les questions d’équité procédurale. La Cour peut admettre de la preuve qui porte attention aux vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif : Access Copyright au paragraphe 20b). Ici, pour illuminer l’allégation d’un manquement à l’équité procédurale, la nature de la preuve présentée, en tant qu’un rapport psychologique, est recevable comme preuve.

[18] Le rapport de la psychologue est aussi pertinent à mon analyse de la raisonnabilité de la décision de la Commissaire de refuser la demande de dépôt de ce document. La tâche de la Cour de révision appliquant la norme de la décision raisonnable est liée intimement à l’examen de la preuve dont disposait le décideur afin de déterminer si les motifs de la décision sont, dans leur ensemble, transparents, intelligibles et justifiés : Vavilov aux paragraphes 15, 125-126. Le rapport était devant la Commissaire pour sa considération sous une demande de dépôt selon la règle 36, bien qu’il n’était pas dans le dossier dont elle était saisi en ce qui concerne la demande d’asile. De plus, comme nous le verrons plus loin, la règle 36 des Règles de la SPR énumère les éléments pertinents que la SAR doit prendre en considération lorsqu’elle décide si elle autoriserait l’utilisation à l’audience d’un document non communiqué. La Cour serait dans l’impossibilité de remplir sa tâche, soit de déterminer si la décision de la SPR était raisonnable, sans qu’elle puisse se référer au document sur lequel portait la décision.

B. La décision de la SPR manquait à l’équité procédurale et n’était pas raisonnable

(1) Il a eu manquement à l’équité procédurale

[19] L’article 170 de la LIPR énonce les principes applicables aux audiences tenues par la SPR. Il exige des procédures souples au sujet de l’admissibilité de la preuve et établit une obligation statutaire d’assurer que les parties aient la possibilité de présenter des éléments de preuve et de présenter leurs observations. La Cour d’appel fédérale dans Thamotharem a éclairci l’obligation de la SPR d’agir équitablement en disant que « l’équité commande aussi que les demandeurs d’asile aient une possibilité suffisante d’exposer toute leur histoire, de présenter des éléments de preuve au soutien de leur demande et de formuler les observations pertinentes au regard de leur cas » [je souligne] : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, 2007 CAF 198 au paragraphe 39.

[20] Bien que le demandeur d’asile doit être accordé une « possibilité suffisante » de présenter la preuve, ceci ne constitue pas un droit absolu de présenter tous les éléments de preuve que le demandeur veut déposer n’importe quand dans le processus de la SPR. La règle 34(3)a) des Règles de la SPR exige une présomption que les documents de preuve sont irrecevables s’ils sont déposés hors du délai de dix jours avant la date fixée pour l’audience devant la SPR. Malgré le délai prescrit, la règle 36 accorde un pouvoir discrétionnaire aux commissaires de la SPR d’autoriser l’utilisation des documents qui n’étaient pas transmis conformément à la règle 34.

[21] La SPR a tenu une audience portant sur la demande d’asile de Mme Alvarez Rivera le 19 novembre 2018 et l’a rejetée le 10 décembre 2018. Au début de l’audience, le conseil de Mme Alvarez Rivera a tenté de faire admettre un rapport d’une psychologue qui n’a pas été transmis dix jours avant l’audience. La Commissaire a expliqué qu’elle ne déterminerait pas la question de l’admissibilité du document pour l’instant et qu’ils pourraient y revenir :

Le conseil : [...] Et le rapport de la psychologue qui l’a donné... je sais qu’il l’a donné très tard, que la lettre était très tard mais c’est que Madame vient de unir ses séances. Et là. Je me demandais si vous pouvez accepter parce que c’est une enveloppe scellé et fermée.

La commissaire : Je vais commencer l’audience, Monsieur, et puis on va pouvoir regarder ça peut-être à la pause ou à la fin si j’en ai besoin, ça va?

Le conseil : Merci.

La commissaire : Mais ce rapport psychologique, ça n’a pas été envoyé à la Commission?

Le conseil : Non parce que c’était trop tard.

[Je souligne.]

[22] Le rapport psychologique n’a pas été soulevé à nouveau jusqu’à la fin de l’audience. La Commissaire a avisé que l’audience était terminée, et le conseil de Mme Alvarez Rivera a soulevé la question du rapport. Sans recevoir d’autres soumissions, la Commissaire a décidé qu’elle n’accepterait pas le rapport :

La commissaire : Merci, Monsieur le conseil.

Le conseil : Merci, Madame la commissaire.

La commissaire : Et l’audience est terminée.

Le conseil : Notre collègue n’a pas demandé le...

La commissaire : Le rapport de la psychologue? Non, je pense qu’il est trop tard. Je ne vais pas le prendre.

[Fin de la transcription.]

[23] Ces deux passages de la transcription sont les seuls dans lesquels le rapport de la psychologue a été soulevé pendant l’audience. Il est évident à mon avis que la Commissaire n’a accordé Mme Alvarez Rivera aucune possibilité de présenter des arguments au sujet de l’admissibilité du rapport de la psychologue, ni à l’application des facteurs pertinents à son admission, avant de rendre sa décision à ce sujet. Je ne peux pas accepter que la brève introduction du conseil, soit « je sais [...] que la lettre était tard mais c’est que Madame vient de unir ses séances. Et là. », constitue ses plaidoiries à cet égard. La Commissaire a indiqué au début de l’audience que la question de l’admissibilité du rapport serait adressée à la pause, à la fin de l’audience, ou quand la Commissaire déterminerait qu’il était nécessaire de l’adresser. Cependant, quand le conseil de Mme Alvarez Rivera lui a rappelé à la fin de l’audience qu’elle n’avait pas adressé l’admissibilité du rapport, la Commissaire n’a pas entendu les observations à ce sujet, mais a tout simplement refusé le rapport parce qu’il avait été déposé tardivement.

[24] La règle 36 des Règles de la SPR donne clairement à la SPR une discrétion d’accepter lors de l’audience un document non communiqué. Cette discrétion existe même si la demande d’une partie n’est pas conforme à l’Avis aux parties et aux conseils comparaissant devant la Section de la protection des réfugiés – communication tardive publiée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, bien que ce défaut puisse être un élément pertinent dans la détermination de la demande. Quand un demandeur d’asile demande à la SPR d’exercer cette discrétion, les principes d’équité procédurale exigent qu’il ou elle soit accordé la possibilité de présenter des observations sur cette question. La SPR n’a pas donné une telle opportunité à Mme Alvarez Rivera, ce qui constitue un bris d’équité procédurale.

[25] Le Ministre argumente que Mme Alvarez Rivera aurait dû insister davantage devant la SPR si elle était de l’avis que le dépôt de ce document fût essentiel. Il constate aussi que Mme Alvarez Rivera ne peut pas présenter une allégation de manquement d’équité procédurale qu’elle n’a pas soulevée à la SPR. J’accepte qu’en général la Cour de révision n’accepte pas une allégation de manquement d’équité procédurale qui aurait pu être soulevée au décideur et que le demandeur n’a pas soulevée devant le tribunal : Kumara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 448 au paragraphe 26. Par contre, dans le cas présent, je trouve que Mme Alvarez Rivera n’avait aucune possibilité de soulever une allégation de manquement d’équité procédurale ou de contester la décision de la Commissaire de refuser le dépôt du rapport de la psychologue. Sa décision a été prise à la dernière minute de l’audience sans avoir accordé à Mme Alvarez Rivera, ou son conseil, la possibilité de présenter leur point de vue à cet égard. Même si la Commissaire a pris quelques jours pour mener sa décision sur le fond de la demande d’asile, sa décision au sujet de l’admissibilité du rapport était prise à la fin de l’audience.

[26] Je note que Mme Alvarez Rivera n’a pas pu profiter d’un appel à la SAR pour soit (i) déposer le rapport comme nouvel élément de preuve, ou (ii) soulever une allégation de manquement d’équité procédurale à la SAR. Mme Alvarez Rivera était interdite de faire appel à la SAR selon l’alinéa 110(2)d) de la LIPR : Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 au paragraphe 17. La SAR a rejeté son appel sur cette base.

(2) La décision de la SPR n’était pas raisonnable

[27] En outre, je conclus que la décision de la SPR de ne pas accepter le rapport de la psychologue était déraisonnable.

[28] La règle 36 des Règles de la SPR énonce les éléments pertinents que le ou la commissaire doit prendre en considération lorsqu’il ou elle décide s’il ou elle autoriserait ou non l’utilisation d’un document non communiqué à l’audience :

Utilisation d’un document non communiqué

Use of undisclosed documents

36 La partie qui ne transmet pas un document conformément à la règle 34 ne peut utiliser celui-ci à l’audience à moins d’une autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise ou non l’utilisation du document à l’audience, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

36 A party who does not provide a document in accordance with rule 34 must not use the document at the hearing unless allowed to do so by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’audience;

(b) any new evidence the document brings to the hearing; and

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[29] Malgré la présomption que les documents déposés à la SPR hors du délai de dix jours ne seront pas acceptés, la règle 36 des Règles de la SPR nécessite que la SPR décide si, néanmoins le délai, le document devrait ou ne devrait pas être accepté.

[30] Dans le cas d’espèce, la Commissaire n’a nulle part indiqué qu’elle a pris en considération tous les éléments pertinents autres que le retard du dépôt du document. À la fin de l’audience, elle a dit tout simplement « Non, je pense qu’il est trop tard. Je ne vais pas le prendre. »

[31] La Cour suprême nous rappelle que l’exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire « doit tenir compte de toute contrainte plus spécifique clairement imposée par le régime législatif applicable, telle que les définitions, les formules ou les principes prévus par la loi » : Vavilov au paragraphe 108. La liste des éléments pertinents selon la règle 36 indique que tous ces éléments doivent être considérés, non seulement quelques-uns : Cox au paragraphe 26; Mbirimujo aux paragraphes 22–23 (des décisions qui traitent cette question comme une d’équité procédurale, comme nous l’avons vu); voir aussi, par analogie à l’article 110(4) de la LIPR, Ajaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 928 au paragraphe 58.

[32] La Commissaire n’a traité aucun des éléments pertinents selon la règle 36. Elle a exercé son pouvoir discrétionnaire sans tenir compte des contraintes imposées par les règles, c’est-à-dire d’une manière non-transparente, non-intelligible et non-justifiée et, par conséquent, déraisonnable : Vavilov aux paragraphes 15 et 108. Je souligne que cette conclusion est distincte d’une conclusion que la Commissaire aurait dû accepter le rapport : Bilbili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1188 au paragraphe 19.

[33] Finalement, le Ministre a proposé que le rapport de la psychologue, même si accepté, n’aurait pas pallier les problèmes de manquement de crédibilité au cœur de la décision de la SPR. Je ne peux pas accepter cette proposition. Ce n’est pas à une Cour de révision « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » lorsqu’elle fait une analyse de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov au paragraphe 125. Dans le cas actuel, je ne peux pas constater que la décision de la SPR sur la demande d’asile aurait nécessairement été la même si elle avait accepté le rapport après une appréciation de tous les éléments pertinents.

IV. Conclusion

[34] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et la demande d’asile est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour un nouvel examen. Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐2480‐19

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande d’asile de Maria Teresa Alvarez Rivera est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour un nouvel examen.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2480-19

 

INTITULÉ :

MARIA TERESA ALVAREZ RIVERA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE LE 16 SEPTEMBRE 2020 PAR VIDÉOCONFÉRENCE À PARTIR D’OTTAWA (ONTARIO)

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Juan Cabrillana

 

Pour LA DEMANDERESSE

Carolyn Phan

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Juan Cabrillana

Gatineau (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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