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     Date : 19980703

     Dossier : IMM-3009-97

ENTRE :

     LLOYD CHARLES CLARKE,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION.

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Par la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour est sollicitée pour rendre une ordonnance infirmant la décision par laquelle le délégué du ministre, a estimé que le demandeur constitue, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, un danger pour le public au Canada. La décision en question est datée du 21 août 1996.

[2]      Les avocats des parties ont été entendus à Toronto le 23 juin 1998. À l'issue de l'audience, la Cour a fait droit à la demande. Une ordonnance rendue subséquemment par écrit le confirme, portant annulation de la décision prise par le délégué du ministre, et contestée en l'espèce. Voici les motifs de l'ordonnance de la Cour.

[3]      Dans le cadre de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, déposée seulement le 18 juillet 1997, le demandeur sollicitait une prorogation des délais prévus pour le dépôt de sa demande. L'autorisation lui fut accordée et la date de l'audition fixée au 23 juin. Lors d'une demande précédente, dans le cadre de laquelle le demandeur sollicitait un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi prise à son encontre, j'avais résumé, de la manière suivante, le contexte des faits dans lequel se situait cette affaire :

     [3]      Le demandeur est né en Jamaïque et il est arrivé au Canada en 1976. Il y est demeuré à titre de résident permanent. Depuis 1984, il a été déclaré coupable à plusieurs reprises d'infractions relatives à des stupéfiants. Dernièrement, en février 1996, il a été déclaré coupable d'infractions remontant à 1994 comportant le trafic de stupéfiants. Il a été condamné par la Cour de l'Ontario (Division générale) à des " peines d'emprisonnement concurrentes de deux ans moins un jour pour chaque chef d'accusation (deux), plus trois ans de probation aux conditions prévues par la Loi, au cours desquels il devra se présenter à son agent de probation conformément aux exigences de celui-ci ".
     [4]      Pendant qu'il était incarcéré au centre correctionnel de Maplehurst, le 3 mai 1996, il a fait l'objet d'un rapport à la suite d'une enquête effectuée par un arbitre en vertu de la Loi. Ce rapport indiquait, conformément à l'article 27 de la Loi, qu'il est un résident permanent décrit au sous-alinéa 27(1)d)(i), c'est-à-dire qu'il a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée. En plus de produire ce rapport, l'arbitre a apparemment pris une mesure d'expulsion. C'est cette mesure que la Convocation vise maintenant à exécuter.
     [5]      Dans une lettre datée du 25 juin 1996, apparemment reçue par le demandeur le 16 juillet 1996 pendant qu'il était encore détenu à Maplehurst, M. Clarke a été avisé de l'intention d'obtenir un avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, portant que [Traduction] " vous constituez un danger pour le public au Canada. " L'avocat du demandeur a répondu en son nom à cet avis par une lettre datée du 30 juillet 1996, avec des observations écrites pour examen par le ministre, lui demandant de ne pas rendre une décision déclarant que le demandeur constitue un danger pour le public. Une décision d'un délégué du ministre, datée du 21 août 1996, porte que le ministre est d'avis, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.
     [6]      Une convocation datée du 10 juin 1997, dont le demandeur a accusé réception le même jour, enjoignait au demandeur de se présenter devant un agent de probation et de liberté conditionnelle dont le nom était précisé, dans les deux jours ouvrables suivant sa libération de Maplehurst, conformément à l'ordonnance de probation, prononcée le 27 février 1996 par la Cour de l'Ontario, qui l'assujettissait à une période de probation de trois ans.
     [7]      Il pouvait par la suite être libéré de Maplehurst et mis sous garde en vertu de la Loi sur l'immigration. Quoi qu'il en soit, le 4 septembre, un arbitre agissant en vertu de la Loi a ordonné que le demandeur soit libéré sous réserve de certaines conditions, dont celle de se présenter conformément à un ordre écrit aux fins de la prise d'arrangements concernant son renvoi et de son renvoi proprement dit.
     [8]      Lorsqu'il a été libéré en septembre 1997, il s'est présenté à son agent de probation et, conformément aux conditions de son ordonnance de probation, il s'est présenté à lui une fois par mois par la suite conformément aux directives de l'agent de probation.

[4]      Le 4 mai 1998, reprenant le raisonnement adopté par mon collègue le juge Rothstein dans l'affaire Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 130 F.T.R. 232, j'accordais un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi, estimant en effet que le renvoi du demandeur, mesure directement à l'encontre d'une ordonnance de probation rendue par une cour de l'Ontario, serait contraire à l'alinéa 50(1)a) de la Loi.

[5]      Le 23 juin, à l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, dans l'affidavit déposé à l'appui de sa demande, le demandeur affirmait avoir, sur demande du ministre et avant même l'avis rendu par celui-ci, présenté des observations très complètes dont la réception ne fut pas notifiée au demandeur et qui ne semblent pas avoir été prises en compte par le délégué du ministre qui a émis l'avis.

[6]      Le dossier certifié, déposé au nom du ministre et à la demande de la Cour, comprend des documents relatifs au demandeur et à la décision voulant qu'il constitue un danger pour le public. Ce dossier comprend une lettre adressée au demandeur le 25 juin 1996, et dont, avec la documentation jointe à son appui, il fut accusé réception au nom du demandeur le 16 juillet 1996. Cette lettre lui faisait savoir que le ministre envisageait de rendre à son encontre un avis selon lequel il constituait un danger pour le public au Canada. Cette lettre précisait que :

     [Traduction]

     Avant que le ministre ne rende un avis sur ce point, vous pourrez présenter toutes les observations ou arguments écrits que vous jugez nécessaires et verser au dossier la preuve documentaire qui vous semble pertinente. Veuillez cependant noter que toute cette documentation doit être présentée dans une des langues officielles du Canada. Tous ces arguments, ces observations ou ces preuves seront examinés par le ministre, mais doivent être reçus par le C.I.C., à l'adresse indiquée plus haut, au plus tard quinze jours après réception de cette lettre. Vos éléments de preuve, arguments ou autres observations concerneront la question de savoir si vous constituez ou non un danger pour le public, si votre cas permet d'invoquer de puissantes considérations d'ordre humanitaire ou en quoi votre renvoi mettrait en péril votre vie ou votre liberté. ...         

[7]      Le dossier certifié comprend également un formulaire ayant trait au rapport concernant l'Avis ministériel, de danger pour le public, rempli le 7/8/96, date qui, comme en conviennent les avocats des parties, correspond au 7 août 1996. Ce formulaire comprend la mention : [traduction] " Jusqu'à présent, aucune observation n'a été reçue, ni de l'intéressé, ni de son avocat ".

[8]      Le dossier certifié ne fait aucune allusion aux observations qui auraient pu être reçues, du demandeur ou en son nom, par les services du ministre.

[9]      Le dossier du demandeur contient bien, en tant que pièce " A " jointe à l'affidavit du demandeur, les observations qu'il avait transmises sur demande du ministre. Il s'agit d'une lettre de quatre pages, datée du 30 juillet 1996, adressée au ministre par l'avocat représentant le demandeur à l'époque. Joint à cette lettre était un certificat de la Gendarmerie de la Jamaïque (Jamaica Constabulary), une lettre confirmant que le demandeur travaillait bien dans une entreprise de Mississauga, des renseignements concernant un programme de désintoxication offert par le ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels de l'Ontario, et que le demandeur affirmait avoir suivi avec succès, un certificat en relations humaines à son nom, et une lettre de sa soeur. Était également jointe à son affidavit, à titre de pièce accompagnant celui-ci, copie d'une ordonnance de mise en liberté rendue par un arbitre en vertu des dispositions de la Loi sur l'immigration et portant libération du demandeur en septembre 1997, à l'issue d'une détention consécutive à un avis ministériel.

[10]      Ces observations du demandeur, et en particulier celles formulées par sa soeur et son avocat, traitaient notamment des responsabilités qu'il avait, en tant que veuf, envers les trois adolescents dont il était le père, ainsi qu'envers sa mère, autant de relations familiales qui semblent être passées inaperçues ou écartées sans justification dans la documentation fournie au délégué du ministre.

[11]      J'imagine que l'avocat du demandeur s'est acquitté des obligations qu'il avait envers son client, et fait parvenir au ministre les observations figurant dans sa lettre en date du 30 juillet 1996, ou jointes à celle-ci. Le dossier ne permet pas de savoir si ces observations ont été reçues. Rappelons l'existence d'un formulaire, rempli le 7 août 1996 et indiquant qu'aucune observation n'avait été reçue à cette date. Rappelons aussi que le dossier certifié déposé auprès de la Cour au nom du délégué du ministre ne comprend aucune copie des observations en question et que la demande officielle d'avis ministériel, signée les 19 et 20 août, porte la mention suivante [traduction] " Aucune observation n'a été reçue de M. Clarke ".

[12]      Cela dit, dans son mémoire, le défendeur reconnaît, au sujet des arguments du demandeur, les faits tels qu'exposés dans l'affidavit de ce dernier et, au paragraphe 3 de son mémoire, nie avoir ignoré les observations du demandeur, faisant même valoir que celles-ci n'ont été en aucun cas ignorées.

[13]      J'en infère du dossier produit devant la Cour que les observations formulées au nom du demandeur ont été envoyées en réponse à une demande qui lui était faite en ce sens. J'en infère que les observations en question ont été reçues, sinon avant le 7 août, au moins avant la décision rendue le 21 août. Aucun affidavit n'a été produit à l'appui de la thèse du défendeur. Cela étant, je ne peux que conclure que la demande sollicitant l'avis du ministre, correspondait peut-être aux éléments connus des personnes ayant signé, les 19 et 20 août, le formulaire mentionné plus haut, mais ne rend aucunement compte du fait que des observations, datées du 30 juillet, ont été transmises au nom du demandeur, par son avocat de l'époque, et en l'absence de preuve contraire, j'en infère que ces observations ont été effectivement reçues.

[14]      Je conclus en l'occurrence que ces observations ont été envoyées, mais qu'il n'en a pas été tenu compte par le délégué du ministre. Or, étant contraire à un principe d'équité, cela justifie l'infirmation de la décision prise par le délégué du ministre.

[15]      Dans l'affaire Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 212 N.R. 63, s'agissant de la procédure visant, aux termes des dispositions de la Loi, l'examen d'un avis de dangerosité délivré par le ministre au titre du paragraphe 70(5), le juge Strayer a déclaré notamment que :

     " ... Il est une fois de plus important de rappeler les conditions applicables à la formulation d'un tel avis : la perpétration d'une infraction par un non-citoyen, la prise d'une mesure d'expulsion contre celui-ci en conformité avec les lois fédérales et l'application régulière de la loi, le fait que l'infraction commise doit être particulièrement grave et punissable d'au moins dix ans d'emprisonnement, et la confirmation de l'avis du ministre uniquement après que les exigences d'équité ont été respectées grâce à la présentation d'observations par l'intéressé.         

[16]      J'en infère du dossier, en l'absence de preuve contraire, que l'équité procédurale n'a pas été respectée. La cour ordonne donc que la demande soit accueillie et l'avis en question infirmé.

                             W. Andrew MacKay

    

     juge

Ottawa (Ontario)

le 3 juillet 1988

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :      IMM-3009-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LLOYD CHARLES CLARKE c.                                                               M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)     

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 23 JUIN 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE W. ANDREW MacKAY

DATE :      Le 3 juillet 1998

ONT COMPARU :

M. Munyonzwe Hamalengwa          POUR LE DEMANDEUR

Me Brian Frimeth          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Hamalengwa          POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)

George Thomson          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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