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     IMM-36-97

Entre

     KRISHNAPPILLAI NITHIANANTHAN,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

         Que la version révisée ci-jointe de la transcription des motifs que j'ai prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario), le

21 octobre 1997 soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

                                 F.C. Muldoon

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     Date : 19971112

     Dossier : IMM-36-97

ENTRE

     KRISHNAPPILLAI NITHIANANTHAN,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS

         (Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario) le
         21 octobre 1997)

LE JUGE MULDDOON

[1]          LE JUGE : La Cour est disposée à rendre une décision maintenant et à donner des motifs. On observera que la décision de la SSR est remarquable dans son déséquilibre et dans ses contradictions internes. La décision du tribunal dans cette affaire Krishnappillai Nithiananthan contre le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, numéro de la SSR U95-05266, a été rendue par une formation de deux membres, dont l'un refuse avec une timidité feinte son prénom entier, ce qui fait que la Cour s'interroge sur le sexe de cette personne. Ce prénom peut être connu des avocats, mais non de la Cour.

[2]          Après avoir résumé une grande partie, mais non la totalité, du témoignage du requérant dont la crédibilité a été reconnue, le tribunal s'attarde longuement sur l'amélioration de plus en plus grande de la situation de Jaffna, à partir de là le revendicateur est venu pour la première fois à Colombo, sur la façon dont même la règle de droit est revenue à Jaffna, malgré des attaques terroristes sporadiques et stupides, fréquemment de nature suicidaire.

[3]          Le tribunal entre en une sorte de crise à la page 7 de ses motifs, page 009 du dossier du tribunal, lorsqu'il écrit :

         [TRADUCTION] "...En résumé, le tribunal n'est pas persuadé que le revendicateur ait raison de craindre d'être persécuté à Jaffna par les autorités sri-lankaises, ni par les LTTE. La situation de Jaffna semble s'être stabilisée et, bien que des actes de violence aient encore lieu, il semble que des milliers de Tamouls qui avaient fui Jaffna reviennent à leur maison..."

Tel est le point culminant de plusieurs pages de description de la façon dont les choses merveilleuses se passent à Jaffna. Quand je dis "merveilleuses", je veux faire par là une comparaison avec la brutalité des LTTE. Mais le tribunal, en fait, tout dans un seul paragraphe, ajoute :

         [TRADUCTION] "...Le tribunal croit également que le revendicateur a une possibilité de refuge intérieur à Colombo. Il est un professionnel et une personne ayant de l'ingéniosité qui serait en mesure de s'établir à Colombo. Colombo constitue une PRI pour lui s'il ne veut pas s'établir à Jaffna.
             Le tribunal prend connaissance du fait que le revendicateur est un homme âgé, fragile qui se laisse abattre par la mort de sa femme mais, malheureusement, il n'est pas visé par la définition de réfugié au sens de la Convention..."

Il y a beaucoup à dire pour critiquer ceci : Trois membres de phrase avec une contradiction interne :

         "...Il est un professionnel et une personne ayant de l'ingéniosité [le tribunal le dit] qui serait en mesure de s'établir à Colombo..."

Et puis, le tribunal, ayant fait de Jaffna un lieu sûr à son point de vue, il écarte tout cela, parce qu'une personne qui a une possibilité de refuge intérieur est une personne qui a raison de craindre d'être persécutée dans une autre partie de son pays :

         "...Colombo constitue une possibilité de refuge intérieur pour lui s'il ne désire pas s'établir à Jaffna..."

Il s'agit là d'une erreur. Il ne s'agit pas de savoir s'il désire s'établir à Jaffna, mais de savoir s'il serait en sécurité à Jaffna. Et, si le tribunal dit que Colombo constitue une PRI raisonnable pour lui, il écarte en fait toutes ses conclusions sur la sécurité à Jaffna.

[4]          Et puis, le tribunal ajoute, ayant dit que le requérant était un professionnel et une personne ayant de l'ingéniosité qui serait en mesure de s'établir à Colombo, qu'il :

         [TRADUCTION] "prend connaissance du fait que le revendicateur est un homme âgé, fragile qui se laisse abattre par la mort [récente] de sa femme..."

lorsqu'il dit qu'après l'arrivée du revendicateur au Canada, sa femme est décédée.

[5]          Or, la SSR ne se contredit pas sur un point concernant le requérant : savoir qu'il était crédible, que son témoignage était digne de foi. La Cour a souvent décidé que les Tamouls avaient une possibilité de refuge intérieur à Jaffna. Généralement, il en est ainsi. La majorité écrasante des Tamouls, à ce que la Cour peut voir, ont une bonne possibilité de refuge intérieur à Jaffna. Mais chaque cas est un cas d'espèce. Ce vieil homme a témoigné qu'il n'avait pas d'amis ni de parents à Colombo, qu'il demeurait dans une auberge parce que, probablement, il n'avait nulle part où aller, n'avait ni amis ni parents. Selon son témoignage, qui était crédible d'après la SSR, l'armée, la marine et la police faisaient souvent des descentes dans les auberges du genre où il demeurait, et elles rassemblaient les gens dans les auberges pour les amener au poste de police aux fins d'interrogation.

[6]          Or la Cour ne saurait dire, personne ne saurait dire que cela crée des réfugiés. Le pays, après tout, est plongé dans une guerre civile violente. Il n'est pas le Canada, Il n'a pas les mêmes sauvegardes et traditions juridiques que le Canada. Dieu sait ce qui arriverait au Canada si nous étions plongés dans une guerre civile violente. Peut-être beaucoup de nos libertés vantées pourraient-elles être restreintes.

[7]          Mais, quoi qu'il en soit, le Sri Lanka est plongé dans une guerre civile violente, ce qui fait que la police, l'armée, les forces armées rassemblaient les gens originaires du Nord qui vivaient dans les auberges, où, généralement, les gens vivent effectivement au commencement de leur nouvelle vie à Colombo, pour les interroger afin de déterminer qui était un partisan des LTTE, qui pouvait être porteur de messages. Et, on s'en souvient, ce requérant crédible a dit qu'il était étonné d'apprendre que les personnes âgées étaient recrutées pour porter des messages des Tigres Tamouls à leurs partisans subversifs dans le sud. Ainsi donc, il a dit que chaque fois que la police rassemblait les gens demeurant aux auberges pour les interroger, elle exigeait des pots-de-vin. Et on lui a demandé, selon la transcription, pas une mais deux fois, [TRADUCTION] "Eh bien, qu'est-ce qui se passe? Et si vous ne pouvez verser le pot-de-vin? et il a dit [TRADUCTION] "On vous laisse croupir en prison." Tel était son témoignage. La SSR n'en a pas fait mention comme question de persécution à Colombo.

[8]          Ainsi donc, la plupart des Tamouls quittent les auberges, ils trouvent des amis, des parents, quelque chose d'autre. Mais qui veut accueillir un vieil homme ou une vieille femme? Ils ne sont pas attrayants, habituellement, aux yeux de beaucoup, et ils ne peuvent donc aller nulle part. Ainsi donc, la conclusion qu'on doit tirer du témoignage du requérant est qu'il est forcé de vivre dans une auberge et que, chaque fois, il doit verser un pot-de-vin. C'est un scandale pour le gouvernement sri-lankais, et la Cour s'étonne de ce qu'il ne cherche pas plus résolument à mettre fin à la corruption de sa police et de ses forces armées. Parce que vous voyez qu'elles ne diffèrent pas des Tigres Tamouls. Ce qui est différent, c'est que seulement les sommes qu'elles extorquent comme pots-de-vin sont plus faibles que celles que les Tigres extorquent des gens qu'ils contrôlent. Un jour, la Cour le présume, le gouvernement du sri Lanka devra rendre des comptes, et il pourrait s'agir de comptes sanglants, pour avoir négligé d'enrayer la corruption dans sa police et ses forces armées mêmes.

[9]          Il s'agit d'une réalité. Cela ne crée pas de réfugiés, à moins que, bien entendu, vous ne soyez condamné à verser à jamais des pots-de-vin, ou qu'on vous laisse croupir en prison. Eh bien, le tribunal de la SSR en l'espèce n'a pas mentionné cette vue dont le requérant a témoigné. Et il existe donc une contradiction dans leur décision. Le tribunal a examiné les faits et le témoignage de façon assez approfondie, et il est parvenu à cette longue conclusion avec de longues conclusions de fait sur la sécurité qui régnait à Jaffna.

[10]          Évidemment, la SSR n'a pas pris connaissance de la directive donnée par le juge en chef adjoint dans l'affaire Saqlin Syed c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, IMM-2080-93, en date du 13 septembre 1994. Deux passages seront reproduits, et dans l'ordre inverse, à commencer par la page 3 :

     [TRADUCTION] "...En l'espèce, les motifs donnent un résumé du témoignage du requérant, un résumé de la preuve documentaire examinée par la section du statut de réfugié, suivi d'une conclusion qui ne fait nullement état d'une partie quelconque du témoignage du requérant..."

Et puis, il y a une liste de ce qui manque dans la décision de la SSR dans cette affaire. Revenant à la page 3, le juge en chef adjoint s'est exprimé en ces termes :

         [TRADUCTION] ..."Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d'un tribunal administratif a défavorisés la raison sous-jacente de cette décision. À cette fin, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties."

Le résumé du témoignage du requérant sur la situation à Colombo n'a pas été complètement examiné par la SSR en l'espèce, et celle-ci est tombée dans la même erreur, apparemment, comme dans l'affaire Syed, c'est-à-dire [TRADUCTION] "Oh, il a examiné à la perfection tous les faits et facteurs et la totalité du témoignage sur Jaffna" Et puis il a écarté tout cela parce que c'est une conclusion inconséquente que de dire en premier lieu "Vous êtes en sécurité à Jaffna", pour dire ensuite "Vous avez une PRI à Colombo". Il a écarté tout cela. Mais, sa conclusion sur la PRI à Colombo, bien qu'elle soit nette et explicite, n'a pas le même appui des motifs, du témoignage et des citations comme l'autre conclusion, celle portant sur la sécurité à Jaffna et qui a été écartée. Il s'agit d'une décision confuse et qui crée de la confusion.

[11]          L'avocat du ministre a courageusement et bien soutenu la décision, et le ministre n'a aucune raison de se plaindre de son avocat en l'espèce. Mais le fait est que la décision est si mauvaise qu'il faut l'annuler. Elle doit être réexaminée. Ces faits doivent être réexaminés par un nouveau tribunal de la SSR, parce que cette décision n'a pas valeur de logique, de cohérence ou de droit. En conséquence, la Cour décide que la décision de la SSR dans l'affaire Krisnappillai Nithiananthan, numéro de la SSR U95-05266 est annulée, et que l'affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SSR.

[12]      En conclusion, on peut noter que les noms du requérant sont indiqués avec son nom de famille, en premier lieu, Krisnappillai, et son prénom, son nom individuel, Nithinanthan, en second lieu, et c'est l'inverse de l'ordre habituel dans ce pays, mais non dans tous les pays, et cela aide à l'identifier mieux.

         Telles sont les conclusions de la Cour. Les avocats ont-ils une question à faire certifier, une importante question?

     Me CHEN : Non, monsieur le juge.
     Me THOMAS : Non, monsieur le juge.

     LE JUGE : Non? Les avocats n'ont aucune question à faire certifier, et la Cour ne certifie donc aucune question. Y a-t-il d'autres questions de la part des avocats?

     Me CHEN : Non, monsieur le juge.
     Me THOMAS : Non, monsieur le juge.

     LE JUGE : Merci. La séance de la Cour est levée.

--l'ajournement a eu lieu à 10 h 55.

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-36-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Krisnappillai Nithiananthan

                                     c.

                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 21 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU                      12 novembre 1997

ONT COMPARU :

                        
    Me Chen                          pour le requérant
    Sally Thomas                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Jackman, Waldman and Associates      pour le requérant
    Toronto (Ontario)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé

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