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     Date : 19980216

     Dossier : T-2767-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 16 FÉVRIER 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

ENTRE

     WENDY ANN HOUSTON,

     requérante,

     et

     AIR CANADA,

         intimé.

     et

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     Date : 19980216

     Dossier : T-2767-96

ENTRE

     WENDY ANN HOUSTON,

     requérante,

     et

     AIR CANADA,

         intimé.

     et

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

     intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]      La requérante (Mme Houston) demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 22 novembre 1996 dans laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a, en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne1, rejeté sa plainte de discrimination [TRADUCTION] "parce que, compte tenu de la preuve, l'allégation de discrimination n'est pas fondée".

     1. Les faits et les allégations

[2] Mme Houston, une mécanicienne chez Air Canada, faisait partie d'un groupe de 236 employés auparavant mis à pied qui ont été rappelés au travail en raison d'une augmentation du volume du travail qui devait être exécuté par Air Canada dans son service d'entretien. Le rappel au travail était prévu pour la période allant du 20 septembre au 17 décembre 1993.

[3] Le 20 septembre 1993, Mme Houston a informé son employeur qu'elle était enceinte de dix-huit semaines et demie. Elle a été examinée par un médecin d'Air Canada qui a imposé trois strictes restrictions à ce qu'elle pouvait faire : ne pas s'exposer aux fumées et aux solvants, ne pas soulever des objets lourds et ne pas se tenir debout longtemps. Le 23 septembre 1993, elle a été mise à pied parce que, pour des raisons médicales, elle n'était pas apte à exécuter le travail requis.

[4]      Le 21 septembre 1994, elle a signé un formulaire de plainte dans lequel elle alléguait qu'elle avait fait l'objet de discrimination de la part d'Air Canada du fait du sexe contrairement à l'article 7 de la Loi. Elle a prétendu qu'Air Canada était en mesure de répondre à ses besoins en lui donnant un autre travail compatible avec son état, et elle s'est également plainte qu'Air Canada n'avait aucune politique particulière concernant les employées enceintes dans la catégorie entretien.

[5]      En réponse, Air Canada prétend qu'il ne pouvait donner à Mme Houston un travail pour lequel elle avait la formation nécessaire et qui lui conviendrait sur le plan médical. De plus, Air Canada a dit qu'il suivait la convention collective qui stipule que "l'employé qui est rappelé conformément à son ancienneté mais ne peut reprendre le service actif pour des raisons médicales voit sa date de retour au travail reportée jusqu'à ce qu'il soit jugé médicalement apte à le faire et sous réserve de l'autorisation du médecin de la Compagnie".

[6]      La Commission a alors nommé un enquêteur qui a déposé un rapport portant que [TRADUCTION] "d'après la preuve, l'intimé n'a pas répondu aux besoins de la plaignante en [ne] lui attribuant [pas] des tâches modifiées pendant sa grossesse et au lieu de cela, il l'a mise à pied à partir du 23 septembre 1993". L'enquêteur a recommandé qu'un conciliateur soit nommé pour tenter d'en arriver à un règlement de la plainte.

[7]      Malgré le rapport et la recommandation de l'enquêteur, la Commission a conclu que l'allégation de discrimination faite par

Mme Houston n'était pas fondée, et elle n'a donné aucun autre motif pour cette décision.

     2. Les points litigieux

[8]          1.      La Commission est-elle tenue de suivre le rapport de l'enquêteur?
         2.      La décision de la Commission est-elle déraisonnable compte tenu des éléments de preuve?

[9] La disposition applicable est ainsi rédigée :

         44.(1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.
         ...
         (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :
         ...
         b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
         i) soit que, compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

     3. ANALYSE

[10] Il est constant que la Commission n'est pas tenu de suivre le rapport de l'enquêteur. Dans une décision récente, Jennings c. Canada (ministre de la Santé du Canada)2, mon collègue le juge Wetston s'est exprimé en ces termes :

         ...Celle-ci (la Commission) est libre d'adopter ou de rejeter toute recommandation (...). En fait, il est des cas où la Commission a rejeté la recommandation contenue dans le rapport d'enquête; v. Suzanne M. Robinson c. Commission canadienne des droits de la personne et al., T-3038-93, 10 janvier 1995 (C.F. 1re inst.) [Veuillez voir [1995] F.C.J. No. 16]

[11] La Commission n'est pas non plus tenue de motiver sa décision. Toutefois, il serait hautement souhaitable de le faire lorsqu'une décision fait fi de la recommandation d'un enquêteur faite après un rapport d'enquête très détaillé, tel que celui déposé en l'espèce.

[12] Il est bien établi que les décisions de la Commission portant sur des questions de fait sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable3. À cet égard, Air Canada n'était, à l'évidence, nullement tenu de créer un poste pour la requérante, mais il devait simplement répondre à ses besoins compte tenu des postes existants.

[13] À l'évidence, la décision de la Commission reposait en grande partie sur une lettre en date du 24 octobre 1996 de Jane A. MacGregor, Droits de la personne et Programmes d'équité d'Air Canada. Les deux derniers paragraphes de la lettre reflètent la position d'Air Canada sur l'affaire :

         [TRADUCTION] Nous aimerions insister sur le fait que nous n'avions pas de postes vacants que Mme Houston ou bien avait la compétence voulue pour occuper ou bien était apte sur le plan médical à occuper. Contrairement à sa déclaration, on n'aurait pas pu la placer dans le poste vacant des magasins parce qu'il était situé dans le hangar des avions où elle se serait exposée à toutes les fumées et à tous les produits dangereux qui étaient interdits par ses restrictions médicales.
         En dernier lieu, Air Canada prétend qu'il n'est pas obligé de créer un poste pour répondre aux besoins d'une personne qui ne peut exercer ses fonctions normales. Cela créerait un précédent clairement insoutenable. Air Canada, ainsi que d'autres employeurs, est très conscient du personnel actuel et, au moment de la grossesse de Mme Houston, nous étions dans une période de grandes contraintes. Mme Houston a été rappelée pour travailler dans le cadre d'un contrat que nous avions obtenu; nous n'avions pas d'autres postes pour elle, et nous n'étions pas disposés à la garder en surnombre par rapport à notre personnel actuel approuvé.

[14] Comparaissant pour son propre compte à l'audition du présent contrôle judiciaire, Mme Houston a présenté une vue différente de la situation : il existait des postes vacants qu'elle aurait pu occuper en dépit de ses restrictions médicales. En tant qu'employée permanente rappelée pour un emploi à durée déterminée, elle jouissait de tous les droits et privilèges d'un employé permanent. Si cela était nécessaire, Air Canada aurait dû déplacer un employé occupant un poste qui lui convenait : en conséquence, la décision de la Commission était arbitraire et discriminatoire.

[15] Malheureusement pour elle, la Cour ne saurait intervenir dans des décisions discrétionnaires et administratives, à moins que le pouvoir discrétionnaire n'ait été exercé selon une mauvaise règle de droit, ou sans tenir compte des facteurs pertinents ou sur la base des faits dénués de pertinence, ou sans respecter l'équité procédurale, ou que le pouvoir discrétionnaire n'ait été exercé de façon discriminatoire, arbitraire ou déraisonnable4. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. La Commission n'était pas liée par la décision ou la recommandation de l'enquêteur et sa propre décision, reposant en grande partie sur l'argumentation d'Air Canada, ne saurait être qualifiée de déraisonnable dans les circonstances.

[16] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est

rejetée.

                            

                                     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 février 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      T-2767-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Wendy Ann Houston c. Air Canada et Commission canadienne des droits de la personne
LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 10 février 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ

EN DATE DU                      16 février 1998

ONT COMPARU :

    Wendy Ann Houston                  pour son propre compte
    Louise-Hélène Sénécal              pour l'intimé
    Odette Lalumière                  pour l'intervenante
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Air Canada, Affaires juridiques
    Dorval (Québec)                  pour l'intimé
    Commission canadienne des
    droits de la personne              pour l'intervenante

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. H-6.

     2      T-1235-94, 13 juin 1995, C.F.1re inst., non publié.

     3      Voir Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, aux pages 584 et 585.

     4      Voir Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8.

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