Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990628


Dossier : IMM-3746-98

Entre :

     CSABA BEDE, BALAZS SZIGETI,

     KATALIN IBOLYA BEDENE MASZNIKOW

     Demandeurs

Et:

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, R.S.C. 1985, c. I-2 (la Loi) à l"encontre d"une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 29 juin 1998, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Mme Katalin Ibolya Bedene Masznikow, son fils Balazs Szigeti et son époux M. Csaba Bede sont citoyens de la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada et ont revendiqué le statut de réfugié le 12 octobre 1997. Ils allèguent une crainte de persécution en raison de leur origine gitane.

[3]      Selon la preuve au dossier, la demanderesse et son époux sont d"origine gitane du côté de leurs mères. Le père de la demanderesse est russe et celui de son époux est hongrois. La demanderesse allègue aussi avoir été l"objet d"humiliations et de moqueries en Hongrie à cause du nom russe que lui avait légué son père.

[4]      M. Bede a poursuivi des études de 1972 à 1982. Il a été à l"emploi d"une compagnie de construction à Debrecen de 1982 à 1990 et conducteur de tram dans la même ville de 1990 à avril 1997.

[5]      Mme Bedene a étudié de 1971 à 1979. Elle a travaillé dans une usine de produits alimentaires, à Debrecen, de 1983 à 1990 et a rejoint son époux comme conductrice de tram de 1990 à avril 1997.

[6]      Le fils de Mme Bedene, issu d"un premier mariage, a complété ses études primaires de 1989 à 1997, à Debrecen. Son père était un Hongrois ordinaire.

[7]      La demanderesse allègue que sa mère a été battue à mort lors d"une manifestation pour les droits des Tziganes à laquelle sa mère et elle ont participé en décembre 1995.

[8]      La demanderesse soutient que la pierre tombale de son père a été vandalisée à deux reprises. La deuxième fois, la demanderesse déclare qu"alors qu"elle et sa famille tentaient d"enlever la peinture sur la pierre, ils ont été menacés et attaqués par cinq jeunes hommes.

[9]      Après la mort de sa mère, la demanderesse déclare qu"elle a commencé à participer aux réunions des Tziganes et aux manifestations pour l"égalité des droits. Elle allègue que c"est pour cette raison qu"en mars 1996 elle a été battue dans un tramway par une bande d"hommes, et qu"en 1996 et 1997 des nationalistes hongrois ont attaqué et saccagé l"appartement de sa famille et les ont battus. Elle soutient que lors de ces incidents, la police s"est moquée d"eux.

[10]      La demanderesse soumet que c"est pour cette même raison qu"en mai 1996 son fils a été battu à l"école et a passé deux semaines à l"hôpital. Elle allègue qu"il a subi un choc nerveux et pendant plusieurs mois il craignait une nouvelle attaque.

[11]      La demanderesse soutien qu"en septembre 1996 des individus ont mis le feu à un tramway dans lequel se trouvait le demandeur. Elle affirme qu"il a du être hospitalisé. La demanderesse déclare que, par la suite, sa famille a reçu des menaces. Ils ont porté plainte mais la police les aurait ridiculisés.

[12]      La demanderesse et son époux soutiennent qu"ils ont été congédiés de leur travail à cause de leur héritage Tzigane et qu"ils n"ont subséquemment pu se trouver de travail.

[13]      La demanderesse et son époux prétendent qu"ils se sont plaints de la façon arbitraire et illégale dont les autorités les traitaient, suite à quoi ils ont été arrêtés par la police qui les a détenus et battus pendant une semaine.

[14]      La demanderesse soumet qu"en 1997 les autorités de leur village ont fait connaître leur décision de forcer tous les Tziganes à aller vivre dans une autre région. Elle allègue qu"environ 300 Tziganes ont manifesté contre cette décision et que plusieurs d"entres eux, incluant les demandeurs, ont été battus.

[15]      La Commission a déterminé que la preuve documentaire révélait qu'au cours des dernières années le gouvernement hongrois a posé une série de gestes législatifs afin de corriger la position désavantageuse des gitans dans ce pays. Elle a donc conclu que les demandeurs n"avaient pas prouvé que leur sort avait été différent de celui du commun des Hongrois, ni qu"ils avaient été victimes de quelque persécution au sens de la Convention ou qu"ils risquaient raisonnablement de l"être pour un des motifs de la Convention.

[16]      La question en litige est la suivante: Les demandeurs ont-ils été persécutés ou risquent-ils raisonnablement d"être persécutés dans leur pays d"origine pour l"un des motifs prévus à la Convention?

[17]      Les demandeurs soumettent que le tribunal a agit de façon arbitraire, sans tenir compte de la totalité de la preuve, lorsqu"il a conclu qu'ils n"avaient pas démontré que "leur sort avait été différent de celui du commun des Hongrois". De plus, les demandeurs allèguent qu"ils n"ont pas à démontrer ce fait et que, par conséquent, cette conclusion est une considération non pertinente. Ils affirment donc que le tribunal a commis une erreur de droit en leur imposant un fardeau de preuve autre que celui que prévoit la Loi .

[18]      Les demandeurs soutiennent que le tribunal n"a d'aucune façon indiqué comment il en était arrivé à la conclusion que les gestes posés à l"encontre des demandeurs ne constituaient pas de la persécution ni ne justifiaient une crainte raisonnable d"être persécutés. Les demandeurs argumentent qu"ils ont démontré, à partir des faits qu"ils ont présentés, avoir une crainte raisonnable d"être persécutés s"ils devaient retourner en Hongrie.

[19]      Les demandeurs soumettent que le tribunal n"a fait que constater, à partir de certains éléments de la preuve documentaire, que des efforts sont faits en Hongrie pour améliorer la situation des Tziganes. Ils prétendent que les motifs du tribunal ne font aucun lien avec les faits établis en preuve, ni, surtout, avec la conclusion à laquelle il est arrivé. Finalement, les demandeurs allèguent que le tribunal a manifestement erré en arrivant à la conclusion que la crainte de Mme Bedene du fait de sa nationalité n"était pas fondée en l"espèce.

[20]      Le défendeur soumet que la Commission pouvait valablement rejeter la revendication des demandeurs dans la mesure ou ceux-ci n"avaient pas rempli leur fardeau de preuve d"établir une crainte bien fondée de persécution pour l"un des motifs de la Convention. Le défendeur soutient que pour être reconnu réfugié au sens de la Convention, il faut qu"un revendicateur établisse d"abord une crainte subjective de persécution pour l"un des motifs énumérés au paragraphe 2(1) de la Loi et démontre ensuite le fondement objectif de cette crainte tel qu"énoncé dans l"affaire Ward , [1993] 2 R.C.S. 689.

[21]      Le défendeur argumente que seul le bénéfice du doute sur la question de la crainte subjective de persécution ne suffit pas à faire reconnaître le statut de réfugié. Pour déterminer si la crainte de persécution alléguée est objectivement fondée, le défendeur allègue qu"il faut examiner les conditions existantes dans le pays d"origine (Chan c. M.E.I. , [1995] 3 R.C.S. 593) et apprécier la crainte de persécution d"un revendicateur à l"époque de l"audience. Il ajoute qu"il est aussi possible de tenir compte de tout changement survenu dans son pays d"origine (Longia c. Canada , [1990] 3 C.F. 288 (C.F.A.)). Le défendeur soumet qu"en l"espèce, même si la Commission n"a pas expressément conclu que le témoignage des demandeurs n"était pas crédible, le tribunal pouvait valablement rejeter leur revendication en se fondant sur la situation objective en Hongrie. Il soutient que la Commission pouvait préférer la preuve documentaire objective au témoignage des demandeurs (Zhou c. M.E.I. , A-492-91, 18 juillet 1994 (C.F.A.)). Le défendeur rappelle que depuis l"arrêt Ward , précité, un revendicateur est tenu d"établir par une preuve claire et convaincante l"incapacité de son État d"assurer sa protection, en l"absence d"un effondrement total du système de son pays.

[22]      Le défendeur argumente qu"en l"espèce la demanderesse admet qu"en général elle ne s"est pas plainte à la police parce qu"elle la craignait. Ainsi, le défendeur soumet que la demanderesse n"a pas rempli son fardeau de preuve de démontrer que l"État hongrois était incapable ou refusait de protéger sa famille.

[23]      Les demandeurs demandent que cette Honorable Cour accueille la présente demande d"autorisation et de contrôle judiciaire.

[24]      La conclusion de la Commission à l"effet qu"il n"existe aucune crainte subjective ou objective de persécution dans le cas en l"espèce semble raisonnable. La persécution est définie comme étant une série d"actes de cruauté ou de punitions systématiques (voir Rajudeen v. Minister of Employment and Immigration (1984), 55 N.R. 129), ce qui ne semble pas décrire la situation qu"ont vécue les demandeurs, à la lumière de la preuve qu"ils ont présentée. Malgré le fait qu"ils ont certainement été humiliés et même torturés en Hongrie, cela ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention. La preuve documentaire témoigne des nombreuses interventions des autorités dans le but de mieux protéger les gitans et semble indiquer que, au cours des dernières années, le gouvernement hongrois a posé une série de gestes législatifs afin de corriger la situation désavantageuse des gitans dans ce pays. Il semble donc, à la lumière de la situation objective en Hongrie, qu"il n"y a pas de risque de persécution pour les demandeurs s"ils devaient retourner dans leur pays d"origine.

[25]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 28 juin 1999

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.