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Date : 20210107


Dossier : T‑418‑19

Référence : 2021 CF 26

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KUEHNE + NAGEL INC.

demanderesse

et

HARMAN INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans le cadre de la présente action, la demanderesse a déposé une requête en jugement sommaire par laquelle elle demande à la Cour d’accueillir sa réclamation relative au fret maritime impayé et de rejeter la demande reconventionnelle de la défenderesse. Le présent jugement et les présents motifs portent sur la requête de la demanderesse, y compris l’allégation selon laquelle les dépens devraient être taxés sur une base avocat‑client et, conformément à l’article 404 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), être payés par l’avocat de la défenderesse lui‑même, sur le fondement d’allégations de comportement inapproprié dans le cadre du litige.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, la requête de la demanderesse est accueillie, à l’exception de sa demande de dommages‑intérêts punitifs et de la demande fondée sur l’article 404 des Règles. La demanderesse a établi qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse, ni dans l’action ni dans la demande reconventionnelle, et qu’un jugement sommaire est donc approprié. La demanderesse a également établi le montant de sa réclamation, autant le principal que les intérêts. Elle n’a pas établi que des dommages‑intérêts punitifs sont justifiés. En ce qui concerne les dépens, la relation contractuelle de la demanderesse avec la défenderesse lui donne le droit de recouvrer les frais juridiques raisonnables qu’elle a engagés pour percevoir les montants qui lui sont dus. Mon jugement contre la défenderesse comprend donc le montant réclamé par la demanderesse relativement à ses frais juridiques, auquel sont soustraits les frais qui se rapportent sa demande fondée sur l’article 404 des Règles à l’égard de laquelle elle n’a pas eu gain de cause.

[3] En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 404 des Règles, la demanderesse n’a établi l’existence d’aucun fondement permettant à la Cour de conclure que l’avocat de la défenderesse devrait être tenu de payer les dépens de la demanderesse. Comme l’avocat de la défenderesse a comparu à l’audition de la présente requête et a préparé un dossier de requête en réponse, principalement pour répondre à la demande fondée sur l’article 404, les dépens afférents à cette demande sont adjugés à l’avocat de la défenderesse. Ces dépens, qui constituent une indemnisation partielle sous forme d’une somme globale fixée par la Cour, seront payés par la demanderesse.

II. Contexte

A. La relation entre les parties

[4] La demanderesse en l’espèce, Kuehne + Nagel Inc., est une société canadienne qui exerce ses activités à titre de transitaire international. La défenderesse, Harman Inc., est une société importatrice et grossiste de décorations résidentielles. En juin 2015, la défenderesse a signé un formulaire de demande de crédit relativement à des services de transitaire que la demanderesse devait fournir à la défenderesse. La demande de crédit comprenait les conditions de la convention de crédit et intégrait par renvoi les Conditions générales de l’Association des transitaires internationaux canadiens [les CGATIC].

[5] En 2016, 2017 et 2018, les parties ont conclu une entente dans le cadre d’un programme incitatif en fonction du volume [le PIV] selon laquelle la défenderesse avait droit à une remise de la part de la demanderesse d’un montant convenu par mètre cube [MC] sur des envois de certains conteneurs de groupage expédiés au cours de l’année pertinente. Aux termes du PIV de 2018 [le PIV de 2018], la remise qui s’applique était de 4,50 $ US par MC et était conditionnelle à l’engagement, par la défenderesse, à placer tous les envois de 2018 visés par le PIV auprès de la demanderesse et à expédier un volume minimal de fret cette année‑là. Bien que le PIV écrit de 2018 établit ce minimum à 4 099 MC, la défenderesse a adopté le point de vue dans la présente action selon lequel ce chiffre était erroné. Le PIV de 2018 ne s’appliquait qu’aux envois de conteneurs de groupage en provenance de la Chine vers le Canada.

[6] La demanderesse a fourni des services de transitaire à la défenderesse en 2018. Toutefois, la défenderesse a cessé de payer les factures de la demanderesse en août 2018, parce qu’elle n’avait pas reçu de remises sur volume pour les deux premiers trimestres de l’année. À ce moment‑là, le président de la défenderesse a envoyé par courriel à la demanderesse une feuille de calcul indiquant que la défenderesse réclamait des remises sur volume de 4 889,86 $ US sur 1 186,22 MC de fret. La relation commerciale entre les parties a pris fin en novembre 2018, la dernière facture de la demanderesse ayant été délivrée en décembre 2018. Le solde de factures impayées pour les services rendus par la demanderesse à la défenderesse s’élevait à 53 442,82 $ US et 150 $ CA.

B. Les actes de procédure dans la présente action

[7] La demanderesse a intenté l’action relative aux factures impayées en l’espèce en mars 2019. La défenderesse a déposé une défense et une demande reconventionnelle en avril 2019. La défenderesse n’a pas contesté la demande principale de la demanderesse, mais elle a allégué que ses envois en conteneurs de groupage s’élevaient à 5 290 MC en 2018, ce qui lui donne droit à une remise sur volume de 23 805 $ US qui devrait être compensée à même la demande de la demanderesse. La défenderesse a également, à titre subsidiaire, adopté le point de vue selon lequel le volume minimal de 4 099 MC du PIV de 2018 était une erreur qui ne représentait pas l’intention des parties. La défenderesse a fait valoir que le volume minimal convenu était le volume réel des envois en conteneurs de groupage de la défenderesse en 2017.

[8] Dans sa défense à l’encontre de la demande reconventionnelle, la demanderesse a nié qu’il y avait eu erreur dans le volume minimal de 4 099 MC figurant au PIV de 2018. La demanderesse a également fait valoir que la défenderesse n’avait expédié que 2 272 MC en conteneurs de groupage en 2018, un volume inférieur à la fois au chiffre de 4 099 MC figurant au PIV de 2018 et au volume réel de conteneurs de groupage en 2017 de la défenderesse, qui s’élevait à 3 204 MC. De plus, la demanderesse affirme que la demande de compensation de la défenderesse n’est pas un motif pour refuser de payer les sommes dues au‑delà de la compensation demandée.

C. Les événements à l’origine de la présente requête en jugement sommaire

(1) Production de documents

[9] La clôture des actes de procédure a eu lieu en mai 2019. La demanderesse a fourni à la défenderesse un affidavit de documents non assermenté le 24 juin 2019 ou vers cette date, sans pièces jointes. Les parties n’ont pas pu s’entendre sur un calendrier de production des documents. La demanderesse a produit ses documents à la mi‑août 2019 et a déposé une requête demandant la production des documents de la défenderesse, qui devait être instruite le 10 septembre 2019.

[10] La veille de l’instruction de la requête, la défenderesse a fourni à la demanderesse un affidavit non assermenté de documents, lesquels étaient joints à l’annexe 1 de cet affidavit, tout en l’informant qu’elle produirait d’autres documents liés à une allégation qu’elle avait relevée pendant la colligation des documents, concernant une allégation de double facturation par la demanderesse pour ce que la défenderesse a désigné comme des frais liés à l’information préalable sur les expéditions commerciales [IPEC]. Le juge Zinn a ajourné la requête et, par ordonnance datée du 17 décembre 2019, a adjugé à la demanderesse le montant de 750 $ au titre des dépens relatifs à la requête.

[11] L’un des documents produits par la défenderesse était une feuille de calcul indiquant des opérations d’expédition totalisant 5 290 MC. Après avoir reçu cette feuille de calcul, l’avocat de la demanderesse a écrit à l’avocat de la défenderesse pour souligner que plusieurs opérations énumérées dans la feuille de calcul n’entraient pas dans le cadre du PIV de 2018.

(2) La modification de la demande reconventionnelle de la défenderesse

[12] Le 4 octobre 2019, l’avocat de la défenderesse a envoyé par courriel à l’avocat de la demanderesse des projets de modifications de la défense et de demande reconventionnelle, et lui a demandé son consentement aux modifications. La défenderesse proposait d’ajouter une demande reconventionnelle de 50 000 $ pour manquement au contrat et/ou enrichissement sans cause : cette réclamation était fondée sur l’allégation selon laquelle la demanderesse avait facturé deux fois l’IPEC. La demanderesse n’a pas donné son consentement et la défenderesse n’a pas demandé l’autorisation d’apporter la modification.

(3) L’établissement du calendrier des interrogatoires préalables

[13] Les parties n’ont pu s’entendre sur l’établissement d’un calendrier des interrogatoires préalables. La demanderesse a signifié des assignations à comparaître pour des interrogatoires en octobre, novembre et décembre 2019, mais ces interrogatoires préalables n’ont pas eu lieu, d’abord en raison de l’indisponibilité du témoin, puis en raison de maladie, et enfin en raison d’une tentative de négociation en vue d’un règlement.

(4) Le règlement

[14] Les négociations en vue d’un règlement entre les parties ont échoué à la mi‑décembre lorsque la défenderesse a insisté sur une [traduction] « clause de non‑dénigrement » que la demanderesse n’était pas disposée à accepter. La demanderesse a plutôt déposé la présente requête en jugement sommaire au début de 2020.

(5) Les documents de la requête

[15] La demanderesse a signifié et déposé ses documents pour la requête en jugement sommaire en février 2020. En raison de la pandémie de COVID‑19, la date butoir initiale pour déposer des documents en réponse a été repoussée à l’été 2020. Toutefois, à cette date, la défenderesse n’avait pas encore déposé de documents en réponse. En septembre, lors d’une conférence de gestion de l’instance, la défenderesse a demandé plus de temps pour préparer les documents relatifs à la requête. La protonotaire Milczynski a établi un calendrier pour la requête, qui prévoyait que les documents de réponse devaient être signifiés et déposés au plus tard le 19 octobre 2020. Le 19 octobre, la défenderesse a informé la demanderesse qu’elle ne déposerait pas de documents de requête et a envoyé une lettre expliquant cette intention à la Cour.

[16] En novembre 2020, la demanderesse a déposé un dossier de requête supplémentaire ainsi que d’autres observations : elle y formulait sa demande fondée sur l’article 404 visant à ce que l’avocat de la défenderesse paie lui‑même les dépens, selon la base avocat‑client. La demanderesse allègue que les comportements de l’avocat de la défenderesse (énoncés ci‑dessous, selon la formulation de la demanderesse) à l’appui de sa demande fondée sur l’article 404 des Règles :

  1. L’avocat n’a pas tenu compte des demandes répétées de production de documents formulées par la demanderesse sur une période de quelques semaines, ne répondant que sous la menace d’allégations d’inconduite professionnelle;

  2. L’avocat a sciemment ou involontairement fait valoir de fausses déclarations de sa cliente au sujet de la quantité énorme de documents qui auraient retardé la production;

  3. L’avocat a sciemment refusé de se conformer aux obligations en matière de production imposées par les Règles en omettant de produire les documents pertinents qu’il avait déjà en sa possession;

  4. L’avocat a ensuite produit l’affidavit insuffisant des documents de la défenderesse la veille de la présentation de la requête, gaspillant ainsi tout le temps consacré à la préparation;

  5. L’avocat a ensuite refusé de collaborer à l’établissement du calendrier des interrogatoires préalables, ce qui allait à l’encontre des Règles.

  6. L’avocat a ensuite collaboré à l’établissement du calendrier des interrogatoires, puis a annulé les interrogatoires prévus à trois autres occasions;

  7. L’avocat a collaboré aux négociations de mauvaise foi de sa cliente en vue d’un règlement;

  8. L’avocat a demandé à maintes reprises une prolongation des délais pour répondre à la présente requête, y compris la téléconférence avec la Cour, même s’il n’avait pas reçu de directives pour répondre à la présente requête;

  9. En fin de compte, la défenderesse n’a tout simplement pas comparu lors de l’instruction de la requête.

[17] Le dossier de requête supplémentaire de la demanderesse comprend un mémoire de frais, calculé selon la base avocat‑client, qui demande 21 020,67 $; ce montant comprend les honoraires, les débours et la TVH.

[18] À la suite de la réception du dossier de requête supplémentaire de la demanderesse, l’avocat de la défenderesse, Devry Smith Frank LLP, a déposé un dossier de requête en réponse : ce dossier contenait un mémoire des faits et du droit, un affidavit et des pièces. Ce dossier ne répond qu’à la demande fondée sur l’article 404 des Règles visant à ce que l’avocat de la défenderesse soit lui‑même responsable de payer les dépens, sur la base avocat‑client. Il ne contient aucune observation sur le fond de la requête en jugement sommaire. L’affidavit dans les documents de réponse est souscrit par l’avocat inscrit au dossier de la défenderesse, Nicholas Reinkeluers.

[19] L’avocat de la défenderesse fait valoir que la demande de la demanderesse fondée sur l’article 404 est dénuée de fondement et qu’elle est, dans les faits, frivole et vexatoire. À cet égard, l’avocat de la défenderesse réclame les frais qu’il a engagés pour répondre à la requête fondée sur l’article 404 des Règles, selon une indemnisation complète, lesquels devront être payés par la demanderesse ou par l’avocat de la demanderesse lui‑même.

(6) L’audition de la requête

[20] La requête a été plaidée le 10 décembre 2020 par vidéoconférence qui s’est déroulée sur la plateforme Zoom. L’avocat de la demanderesse a présenté des arguments à l’appui de la requête en jugement sommaire et, sauf en ce qui concerne le volet dépens de la requête, la défenderesse n’a pas contesté la requête. La position de l’avocat de la défenderesse quant à la demande fondée sur l’article 404 des Règles a été défendue par un autre membre du cabinet de M. Reinkeluers, afin de se conformer à l’interdiction, prévue à l’article 82 des Règles, imposée à un avocat de présenter des arguments fondés sur un affidavit dont il est l’auteur. M. Reinkeluers a comparu à l’instruction de la requête, mais n’a présenté que de brèves observations pour s’opposer à la demande d’adjudication des dépens selon la base avocat‑client présentée par la demanderesse contre la défenderesse.

III. Les questions en litige

[21] De façon générale, la présente requête soulève les questions en litige suivantes à l’attention de la Cour :

  1. La demanderesse a‑t‑elle droit à un jugement sommaire sur sa demande et sur la demande reconventionnelle de la défenderesse?

  2. Quelle décision convient‑il de rendre en ce qui concerne les dépens?

IV. Analyse

A. La demanderesse a‑t‑elle droit à un jugement sommaire sur sa demande et sur la demande reconventionnelle de la défenderesse?

(1) Existe‑t‑il une véritable question litigieuse?

[22] Il incombe à la partie qui demande un jugement sommaire de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Toutefois, la partie qui répond doit également « présenter [ses] meilleurs arguments » dans sa réponse (voir Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 au para 34).

[23] En l’espèce, en partie parce que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve ni argument en réponse sur le fond de la requête en jugement sommaire, la demanderesse s’acquitte facilement de son fardeau. La demanderesse s’appuie sur l’affidavit de sa responsable nationale du crédit, Susie Barbosa, pour établir sa demande. La preuve fournie par Mme Barbosa établit, factures à l’appui, que la dette de la défenderesse à la demanderesse en ce qui a trait au fret maritime s’élève à 53 442,82 $ US, plus 150 $ CA.

[24] Compte tenu des éléments de preuve et des arguments présentés par la demanderesse dans sa requête, je suis convaincu que la défense et la demande reconventionnelle ne soulèvent pas de véritable question litigieuse. La défense fait valoir que le volume minimal de fret de 4 099 MC établi dans le PIV de 2018 est une erreur, et qu’il devait être établi au volume réel du conteneur de groupage de 2017, soit 3 204 MC. Cependant, aucun élément de preuve ne vient étayer cette affirmation. De plus, le volume de fret visé par le PIV de 2018 était inférieur au chiffre de 3 204 MC. Les modalités du PIV de 2018 énoncent que la défenderesse n’a droit à une remise que si le volume minimal de fret est dépassé. À ce titre, la demande reconventionnelle concernant cette remise doit être rejetée.

[25] Par conséquent, la défense relative à la compensation contenue dans la défense doit également être rejetée, car elle est fondée sur la demande relative à la remise. En outre, la preuve établit que la relation contractuelle entre les parties est régie par les CGATIC, y compris une disposition obligeant la défenderesse à payer toutes les sommes immédiatement, sans compensation, lorsqu’elles sont exigibles. Bien que la défense relative à la compensation soit d’une façon ou d’une autre vouée à l’échec, car aucun élément de preuve n’étaye la conclusion selon laquelle la demanderesse doit des sommes à la défenderesse, l’interdiction du recours à la compensation prévue par le contrat est également pertinente pour les besoins des arguments de la demanderesse à l’appui de sa demande de dommages‑intérêts punitifs et de dépens avocat‑client (examinés ci‑dessous).

(2) Le jugement sur le principal

[26] La demanderesse a donc droit à un jugement pour sa demande principale de 53 442,82 $ US plus 150 $ CA. La demanderesse, s’appuyant sur la règle de la date de la faute expliquée par le juge Harrington dans la décision Kuehne + Nagel Ltd c Agrimax Ltd, 2010 CF 1303 [Agrimax] aux para 19 à 23, demande que le montant de 53 442,82 $ US soit converti en dollars canadiens à la date du défaut de la défenderesse de payer les sommes exigibles. La demanderesse a choisi le 15 novembre 2018, date à laquelle elle avait mis fin à sa relation avec la défenderesse, comme date du défaut pour l’application de la conversion des devises étrangères et du début des intérêts. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une date convenable, plutôt que de choisir différentes dates au cours de 2018 où les factures individuelles étaient exigibles, d’autant plus que cela permet un calcul prudent des intérêts.

[27] En utilisant le taux de change du 15 novembre 2018 de 1,3202 entre les deux devises, la demande de 53 442,82 $ US de la demanderesse équivaut à 70 555,21 $ CA. L’ajout de la demande en dollars canadiens de 150,00 $ CA augmente le montant de la demande principale à 70 705,21 $ CA.

(3) Les dommages‑intérêts punitifs

[28] Dans ses documents écrits à l’appui de la présente requête, la demanderesse réclame également 25 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs. Elle soutient que : a) sans justification, la défenderesse a refusé de payer les sommes exigibles au‑delà de la compensation demandée; b) la défenderesse a indûment invoqué la compensation comme excuse de non‑paiement, contrairement aux conditions des CGATIC; c) la défenderesse a produit un document inclus dans son affidavit qui faisait sciemment et délibérément une présentation erronée de son volume de fret précisé dans le PIV de 2018. La demanderesse affirme que le comportement de la défenderesse tout au long du litige a été hautain, arbitraire et extrêmement répréhensible, dérogeant suffisamment aux normes ordinaires en matière de bon comportement pour que la Cour accorde des dommages‑intérêts punitifs.

[29] À l’appui de sa position, la demanderesse invoque l’arrêt Bauer Hockey Corp c Sport Maska Inc (Reebok‑CCM Hockey), 2014 CAF 158, dans lequel la Cour d’appel fédérale a expliqué que les dommages‑intérêts punitifs ne se limitent pas à certaines catégories de demandes et qu’ils peuvent varier selon de nombreux facteurs, notamment : a) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée; b) l’intention et le motif de la défenderesse; c) le caractère prolongé de la conduite inacceptable de la défenderesse; d) la connaissance subjective de la défenderesse que son comportement était répréhensible, et e) le fait que la défenderesse ait ou non tiré un avantage de sa conduite répréhensible (aux para 19 à 21).

[30] Je souscris à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les différentes positions soulevées par la défenderesse en l’espèce ne semblent pas fondées, et je conviens qu’il y a des circonstances où le caractère prolongé d’un litige injustifié peut donner lieu à des dommages‑intérêts punitifs. Cependant, je ne suis pas convaincu que les circonstances entourant la présente affaire atteignent ce degré. Bien qu’on puisse déduire que la défenderesse savait que les positions adoptées dans sa défense ne prévaudraient pas, il y a peu d’éléments de preuve directs à cet égard. De plus, comme l’affaire en est rendue au jugement en moins de deux ans, on ne peut pas dire que le comportement de la défenderesse se soit prolongé pendant une longue période. La défenderesse n’a pas non plus tiré un avantage de son comportement, étant donné que la demanderesse recevra des intérêts avant jugement sur ses factures impayées.

[31] Je refuse donc de rendre un jugement accordant des dommages‑intérêts punitifs.

(4) Les intérêts

[32] À l’appui de son calcul des intérêts, la demanderesse se fonde sur le paragraphe 24 de la décision Agrimax, qui explique que les intérêts avant jugement dans les affaires relevant du droit maritime dépendent des dommages, sont laissés à l’appréciation de la Cour et, si les arguments à cet égard sont convaincants, courent à compter de la date à laquelle la dette est exigible. Dans cette affaire, même s’il a fait remarquer que les intérêts sont souvent accordés à des taux commerciaux, le juge Harrington a estimé qu’il est plus approprié et juste, d’accorder à la fois des intérêts avant et après jugement au taux légal de 5 % qui est prévu par la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15. L’article 3 de la Loi sur l’intérêt prescrit un taux de 5 % par an, chaque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé.

[33] Je suis disposé à adopter le taux de 5 % qui, appliqué au capital de 70 705,21 $ à la date du jugement, le 7 janvier 2021, représente des intérêts avant jugement de 7 583,86 $. Le taux d’intérêt de 5 % par an s’appliquera également aux intérêts après jugement.

B. Quelle décision convient‑il de rendre en ce qui concerne les dépens?

[34] La demanderesse demande des dépens sur une base avocat‑client contre la défenderesse et, en vertu de l’article 404, elle demande que certains éléments de ces dépens soient adjugés contre l’avocat de la défenderesse à titre personnel. Je traiterai d’abord de la demande d’adjudication de dépens sur la base avocat‑client à l’encontre de la défenderesse.

(1) Les dépens avocat‑client à l’encontre de la défenderesse

[35] À l’appui de sa demande de dépens avocat‑client, la demanderesse soulève de nouveau les allégations qu’elle a fait valoir ci‑dessus à l’appui de sa demande de dommages‑intérêts punitifs liée au fait que la défenderesse a adopté des positions non fondées dans ce litige. La demanderesse soulève également des allégations d’inconduite de la part de la défenderesse dans le présent litige, en ce qui concerne le processus de production de documents et l’établissement du calendrier des interrogatoires préalables.

[36] Je reviendrai aux allégations d’inconduite de la demanderesse au moment de traiter de sa demande fondée sur l’article 404 des Règles. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la Cour se penche sur les allégations d’inconduite dans le contexte de la demande, présentée par la demanderesse, visant l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client à l’encontre de la défenderesse, puisque la demanderesse a établi un fondement contractuel à sa demande. Les conditions de la convention de crédit énoncent que, s’il devient nécessaire que la demanderesse s’adresse à un avocat pour son compte, tous les frais juridiques raisonnables doivent être payés par la défenderesse. La défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve ni aucun argument contestant cette obligation contractuelle, et je suis d’accord avec la position de la demanderesse selon laquelle elle a donc le droit de recevoir ses dépens calculés sur la base avocat‑client.

[37] Pour ce qui est de ce calcul, je m’appuie sur un mémoire de frais modifié daté du 13 novembre 2020 que la demanderesse a joint à ses observations écrites déposées à l’appui de la présente requête, qui précise les frais juridiques et les débours facturés à la demanderesse, plus la TVH applicable, jusqu’à la comparution prévue quant à la requête en jugement sommaire en décembre 2020. Ce mémoire de frais indique des frais juridiques totaux 16 875,00 $, la TVH (sur les frais) de 2 193,75 $, des débours de 1 788,62 $ et la TVH (sur les débours) de 173,30 $, pour une réclamation totale de 21 020,67 $.

[38] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’avocat inscrit au dossier de la défenderesse, M. Reinkeluers, a présenté de brèves observations au nom de la défenderesse à l’audience relative à la requête en opposition à la demande de dépens avocat‑client présentée par la demanderesse à l’encontre de la défenderesse. La défenderesse adopte les observations présentées par le collègue de M. Reinkeluers, au nom de son cabinet, en réponse à la demande fondée sur l’article 404 des Règles, selon lesquelles les allégations d’inconduite dans le cadre du litige sont sans fondement. La défenderesse fait valoir également que la somme demandée par la demanderesse pour les dépens avocat‑client est excessive et, en particulier, elle affirme que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique à une partie de la demande, du fait qu’elle a déjà été tranchée dans le cadre de la requête en production interlocutoire plus tôt dans la présente instance. Je m’attarde maintenant à cette dernière observation qui, si elle est fondée, pourrait avoir pour effet de diminuer la somme du calcul des dépens avocat‑client.

[39] En août 2019, la demanderesse a déposé une requête en vue d’obliger la défenderesse à produire des documents. La requête devait être entendue le 10 septembre 2019, mais elle a été ajournée, car la défenderesse avait produit ses documents la veille. La demanderesse a demandé les dépens afférents à la requête, en faisant valoir qu’elle avait été dans l’obligation de présenter la requête pour faire progresser l’instance parce que la défenderesse refusait de se conformer aux exigences de production des Règles. À l’appui de sa demande de dépens, la demanderesse a déposé un mémoire de frais daté du 22 octobre 2019, qui exposait en détail les frais et débours engagés dans le cadre de la préparation du dossier de la requête et de l’audition de la requête en production qui avait été reportée. Ces frais et débours, plus la TVH, s’élevaient à 4 862,90 $.

[40] Par conséquent, le juge Zinn a rendu une ordonnance le 17 décembre 2019, par laquelle il accordait à la demanderesse les dépens afférents à la requête, fixés à 750 $. La défenderesse est donc d’avis qu’en ce qui concerne les frais de 4 862,90 $ engagés par la demanderesse dans le cadre de la requête en production, la demande de dépens de la demanderesse est chose jugée, puisqu’elle a déjà été invoquée et tranchée. L’affidavit de M. Reinkeluers joint des copies des observations écrites de la demanderesse à la Cour à l’appui de sa demande de dépens relative à la requête en production. Bien que la demanderesse ne considère pas qu’il s’agisse d’une demande de dépens avocat‑client, il semble que la demanderesse cherche à recouvrer la totalité du montant déclaré dans son mémoire de frais, soit 4 862,90 $.

[41] En réponse à l’argument de la défenderesse fondé sur l’autorité de la chose jugée, la demanderesse soutient que le juge qui se prononce sur le fond d’une instance et qui, par conséquent, a l’avantage de comprendre l’ensemble de l’instance, conserve la compétence d’adjuger des dépens sur la base avocat‑client liés à l’ensemble de l’instance, même si des dépens interlocutoires ont été adjugés antérieurement. La demanderesse reconnaît bien entendu qu’elle ne peut recevoir une double indemnité et que sa demande de dépens doit de toute façon être diminuée du montant de 750 $ accordé par le juge Zinn. En effet, la demanderesse soutient, relativement aux coûts engagés dans le contexte de la requête en production, qu’elle a droit à une somme « complémentaire » de 750 $ accordée au titre des dépens avocat‑client.

[42] Aucune des parties n’a invoqué de précédents pour guider la Cour dans son examen de l’argument relatif à la chose jugée. Toutefois, dans l’arrêt Turner‑Lienaux v Campbell, 2004 NSCA 41 [Turner‑Lienaux], aux paragraphes 33 à 48, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse traite un argument de cette nature et cite la jurisprudence pertinente. Dans cette affaire, le juge du procès avait adjugé les dépens sur la base avocat‑client aux défendeurs. La taxation des dépens qui s’en est suivie a été portée en appel devant un autre juge de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, qui a jugé que les défendeurs ne devraient pas être tenus de payer la différence entre les dépens sur la base partie‑partie qui avaient été adjugés dans différentes affaires interlocutoires et les dépens sur la base avocat‑client. Cette décision a fait l’objet d’un appel (et d’un appel incident) devant la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, qui a souligné qu’il y avait deux catégories d’affaires pertinentes à l’égard de cette question (au para 44).

[43] À l’appui de la possibilité qu’une [traduction] « somme complémentaire » soit offerte, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse indique le courant jurisprudentiel énoncé ainsi (aux para 35 à 39) :

[traduction]

35 L’appelant soutient que, puisque la juge Hood a décidé qu’il ne devrait pas « supporter quelque frais que ce soit pour se défendre à l’encontre des allégations scandaleuses et outrageantes proférées contre lui », et que, puisqu’elle était au courant des nombreuses demandes interlocutoires et des nombreux appels, il était implicite dans sa décision que les dépens entre parties soient ajoutés aux dépens avocat‑client.

36 Les décisions invoquées à l’appui de cet argument comprennent trois décisions ontariennes et une décision de la Cour fédérale : Polish National Union of Canada Inc. ‑ Mutual Benefit Society v Palais Royale Ltd. (1998), 163 DLR (4th) 56 (C.A. Ont.); 131843 Canada Inc. v Double "R" (Toronto) Ltd., [1992] OJ no 3872 (Div gén Ont.); Benner & Associates Ltd. v Northern Lights Distributing Inc., [1996] O.J. no 3525 (Div gén Ont); et Maison des Pâtes Pasta Bella Inc. c Olivieri Foods Ltd., [1999] ACF no 213 (CF 1re inst).

37 Le principe qui ressort de ces décisions est qu’en règle générale, au stade d’une procédure interlocutoire, le juge siégeant en chambre qui fixe ou établit les dépens agit dans un vide procédural, écarté de la vue d’ensemble. L’adjudication de dépens avocat‑client est presque inconnue à cette étape. L’issue de l’instance est très incertaine et le juge siégeant en chambre a peu de connaissance quant à l’incidence de l’ordonnance interlocutoire sur la décision définitive. Toutefois, après le procès, le juge du procès connaît tout le contexte du litige, il sait alors quelle partie a obtenu gain de cause, si la procédure a été indûment prolongée, ou s’il y a eu des accusations calomnieuses non fondées de la part de la partie déboutée à un point tel que les dépens avocat‑client pour l’ensemble de l’affaire devraient être adjugés. Ce n’est qu’à ce moment‑là que la décision d’indemniser intégralement la partie qui obtient gain de cause peut être prise.

38 Dans l’arrêt Polish National Union of Canada Inc. ‑ Mutual Benefit Society v Palais Royale Ltd., le juge Morden, J.C.A.O., a indiqué dans une remarque incidence que la pratique d’accorder une somme complémentaire était acceptable lorsque des dépens entre parties avaient été ordonnés dans une question interlocutoire, mais non lorsque le juge des requêtes avait ordonné qu’aucuns dépens ne soient adjugés, ou que la partie qui a finalement obtenu gain de cause après le procès n’avait pas droit aux dépens afférents à la demande. Il a donc déclaré ce qui suit :

[traduction]

15 Il n’était pas loisible au juge d’adjuger les dépens d’une partie de l’instance à l’égard de laquelle il existait une ordonnance prévoyant, dans les faits, que la demanderesse n’avait pas droit à ces dépens. Ce principe n’empêcherait pas une partie qui s’est vue accorder les dépens liés à la requête sur la base partie‑partie d’obtenir des dépens « complétés » dans une ordonnance à la fin de l’instance fixant les dépens de l’instance sur la base avocat‑client.

39 Dans la décision 131843 Canada Inc. v Double "R" (Toronto) Ltd., le juge Blair, plus tard juge à la Cour d’appel de l’Ontario, a souscrit à la pratique de la somme complémentaire, en déclarant ce qui suit :

[traduction]

29 Les défendeurs se sont vu allouer les dépens, apparemment entre parties, au sujet de certaines instances interlocutoires avant le procès. La demanderesse soutient qu’ils ne devraient pas être admissibles maintenant à recouvrer des dépens selon un barème différent et supérieur.

30 Je ne suis pas de cet avis. Je ne vois rien qui empêche la Cour de « compléter » ces dépens si, à la fin du procès, le juge conclut « comme je l’ai fait » que la partie concernée a droit aux dépens sur une base avocat‑client tout au long. Il ne s’agit pas de revoir en appel la décision interlocutoire; il s’agit simplement d’assurer à la partie qui a eu gain de cause l’indemnisation intégrale, qui est l’objet des dépens de cette catégorie.

[44] La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a décrit ainsi le deuxième courant jurisprudentiel, selon lequel les dépens interlocutoires sont chose jugée (au para 40) :

[traduction]

40 Les décisions invoquées par Mme Turner‑Lienaux et Smith’s Field, les intimées dans l’appel incident, comprennent Dickerson v Radcliffe (1900), 19 PR 223; McDonald v Crites (1906), 7 OWR (3d) 795 (Ch Ont); Simone v Toronto Sun Publishing Ltd. (1979), 11 CPC (3d) 340 (TO Ont.); Van Bork v Van Bork (1994), 30 CPC (3d) 116 (Div gén Ont.); et Kabutey v New‑ Form Manufacturing Co., [2000] OJ no 546 (Cour sup de l’Ont). Ces décisions appuient généralement la proposition selon laquelle le degré des dépens dans les requêtes interlocutoires où une ordonnance de dépens a été rendue est une chose jugée et ne peut être réexaminé par le juge du procès ou par un juge présidant ultérieurement une audience sur un impôt. Par exemple, dans la décision Simone v Toronto Sun Publishing Ltd., le protonotaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]

5 Dans les ordonnances mentionnées ci‑dessus, la Cour a adjugé les dépens aux défendeurs à l’issue de la cause (les ordonnances du protonotaire McBride du 17 janvier 1977, du protonotaire Davidson du 31 octobre 1977 et de monsieur le juge Rutherford du 21 novembre 1977), ou n’a accordé aucuns dépens (l’ordonnance du juge Steele du 2 février 1977). À l’appui des objections des défendeurs, l’avocat soutient que, lorsqu’une décision est rendue quant aux dépens afférents à une requête interlocutoire, le juge du procès n’a pas le pouvoir de modifier une telle décision. À l’appui de cette thèse, j’ai été renvoyé aux décisions suivantes, que j’ai lues et examinées : McDonald v Crites (1906), 7 OWR 795 et Dickerson v Radcliffe (1900), 19 PR 223. Le principe que je retiens de ces décisions est que le juge du procès n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les dépens d’une requête interlocutoire si les dépens ont été adjugés à l’une des parties ou si aucune ordonnance de dépens n’a été rendue. Le juge Meredith a déclaré ce qui suit dans la décision Dickerson v Radcliffe, à la page 224 : « On peut tenir pour acquis que, si l’ordonnance disposait des dépens d’une façon ou d’une autre, aucune intention ni aucun pouvoir de les modifier n’avait été énoncé. Autrement dit, le juge du procès ne pouvait pas les traiter comme s’il entendait un appel à l’encontre de l’ordonnance. Il ne pouvait pas, par exemple, accorder des dépens à l’une ou l’autre des parties si l’ordonnance prévoyait qu’aucune des deux parties ne devait se voir octroyer les dépens ». La décision McDonald v Crites et la décision Dickerson v Radcliffe portaient sur les dépens entre parties. Toutefois, il ne me semble pas que le principe ci‑dessus devrait être différent, nonobstant malgré que les dépens sont taxés sur la base avocat‑client.

[45] En conciliant ces deux courants jurisprudentiels, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a expliqué ce qui suit (au para 44) :

[traduction]

44 Il semble que des principes solides sous‑tendent les deux courants jurisprudentiels. Je suis d’accord avec le juge Goodfellow dans la mesure où tout complément, que ce soit sous forme d’une somme globale ou sous toute autre forme, relève du juge du procès et non d’un autre juge qui entend un appel en matière de taxation des dépens. Je suis également d’accord pour dire que la majoration ne devrait se faire que de la façon décrite par le juge Morden, J.C.A.O., dans l’arrêt Polish National Union of Canada Inc. Mutual Benefit Society v Palais Royale Ltd. Je souscris également aux décisions qui indiquent qu’il serait inapproprié qu’un juge de première instance modifie une adjudication de dépens antérieure de manière à ce que la première ordonnance soit annulée. Par exemple, si un défendeur se voyait accorder des dépens partie‑partie à l’égard de sa requête en radiation d’une portion de la déclaration et que le demandeur a obtenu gain de cause après le procès, le juge du procès ne devrait pas tenter d’annuler l’ordonnance antérieure. Il ne serait pas non plus indiqué qu’un juge de première instance modifie une ordonnance de dépens rendue par la Cour d’appel. On peut supposer que si la Cour d’appel jugeait que l’appel était une perte de temps totale ou qu’il était frivole ou vexatoire, elle ordonnerait des dépens avocat‑client relativement à l’appel interlocutoire.

[Souligné dans l’original.]

[46] Ainsi, dans l’arrêt Turner‑Lienaux il a été conclu que le tribunal d’instance inférieure n’avait pas commis d’erreur en refusant d’autoriser un complément aux dépens qui avaient été adjugés dans les requêtes introductives. Dans de nombreuses requêtes, sinon dans la totalité d’entre elles, les dépens avocat‑client avaient été demandés, mais ont été refusés par les juges siégeant en cabinet. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse n’était pas disposée à [traduction] « revenir en arrière » pour examiner la question de savoir le fardeau des dépens avocat‑client afférents à ces requêtes devrait être imposé aux défendeurs, puisque le juge du procès ne s’était pas penché sur ces questions lorsqu’il avait adjugé les dépens avocat‑client.

[47] Il me semble que des principes semblables à ceux analysés dans l’arrêt Turner‑Lienaux aient été appliqués par notre Cour. Dans la décision Maison des Pâtes Pasta Bella Inc c Olivieri Foods Ltd (1999), 163 FTR 252 (CFPI) [Maison des Pâtes] aux para 9 à 12, le juge Muldoon a suivi l’arrêt Polish National Union of Canada Inc ‑ Mutual Benefit Society v Palais Royale Ltd (1998), 163 DLR (4th) 56 (CA Ont) et d’autres décisions du premier courant jurisprudentiel citées dans l’arrêt Turner‑Lienaux. Dans la décision Microsoft Corp c 9038‑3746 Québec Inc, 2007 CF 659 [Microsoft], aux para 33 et 34, le juge Harrington a suivi la décision Maison des Pâtes. Toutefois, le juge Harrington a également fait remarquer que, dans les cas où des montants précis supérieurs au tarif ont été demandés dans les requêtes et que ces montants avaient été accordés pour témoigner du mécontentement de la Cour, il n’y a pas lieu de revenir sur les montants accordés.

[48] En appliquant ces principes au cas qui nous occupe, je conclus qu’un complément devrait être appliqué relativement à la requête en production. Ce résultat ne constituerait en aucune façon une annulation de la décision du juge Zinn d’adjuger 750 $ à la demanderesse au titre des dépens. Il ne s’agirait pas non plus d’une réévaluation d’un montant supérieur au tarif, du genre indiqué dans la décision Microsoft.

[49] Je comprends que, dans l’arrêt Turner‑Lienaux, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a confirmé la décision de ne pas accorder un montant complémentaire aux dépens accordés dans le contexte des requêtes interlocutoires dans lesquelles les dépens avocat‑client afférents à ces requêtes avaient été demandés et rejetés par les juges siégeant en cabinet. Toutefois, la décision de la Cour d’appel reposait en partie sur le fait que le juge du procès n’avait pas examiné, dans l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client au procès, si le fardeau des dépens avocat‑client liés à ces requêtes devait être imposé aux défendeurs.

[50] À titre de juge qui fait droit à une demande de jugement sommaire et adjuge les dépens sur la base avocat‑client, j’ai réfléchi à cette question et j’estime qu’il est indiqué d’appliquer un complément aux dépens de la requête en production, en raison du fondement sur lequel les dépens avocat‑client avaient été adjugés. Comme je l’ai mentionné précédemment, mon adjudication des dépens sur la base avocat‑client ne repose pas sur des conclusions d’inconduite de la défenderesse, mais plutôt sur le droit contractuel de la demanderesse de se faire rembourser ses frais juridiques engagés pour percevoir les montants dus par la défenderesse. J’accepte l’argument de la défenderesse selon lequel la demanderesse a demandé en vain l’équivalent des dépens avocat‑client de la requête en production, mais cette demande était fondée sur des allégations d’inconduite, et non sur les dispositions contractuelles. Bien entendu, le principe de la chose jugée s’applique non seulement aux points sur lesquels les parties ont demandé à la Cour de se former une opinion et de rendre un jugement, mais aussi à tous les points que les parties auraient pu soulever à ce moment‑là (voir, p. ex., Maynard v Maynard, [1951] RCS 346 (CSC)). au para 32). Toutefois, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse fasse valoir la demande contractuelle d’adjudication des dépens sur la base avocat‑client à une étape interlocutoire de l’instance.

[51] Dans mon jugement, j’accorderai donc à la demanderesse les dépens selon les montants établis dans son mémoire de frais modifié daté du 13 novembre 2020, sous réserve d’une réduction de 750 $ accordée par le juge Zinn et de rajustements découlant de la question restante quant à la présente requête, la demande fondée sur l’article 404 des Règles, sur laquelle je me penche maintenant.

(2) La demande fondée sur l’article 404 des Règles en vue que les dépens soient payés par l’avocat de la défenderesse lui‑même

[52] Le paragraphe 404(1) est ainsi libellé :

Responsabilité de l’avocat

Liability of solicitor for costs

404 (1) Lorsque, dans une instance, des frais ont été engagés abusivement ou sans raison valable ou que des frais ont été occasionnés du fait d’un retard injustifié ou de quelque autre inconduite ou manquement, la Cour peut rendre l’une des ordonnances suivantes contre l’avocat qu’elle considère comme responsable, qu’il s’agisse de responsabilité personnelle ou de responsabilité du fait de ses préposés ou mandataires :

404 (1) Where costs in a proceeding are incurred improperly or without reasonable cause or are wasted by undue delay or other misconduct or default, the Court may make an order against any solicitor whom it considers to be responsible, whether personally or through a servant or agent,

a) une ordonnance enjoignant à l’avocat de payer lui‑même les dépens de toute partie à l’instance;

(a) directing the solicitor personally pay the costs of a party to the proceeding; or

b) une ordonnance refusant d’accorder les dépens entre l’avocat et son client.

(b) disallowing the costs between the solicitor and the solicitor’s client.

[53] Les parties s’entendent sur les principes qui devraient guider la Cour dans l’examen de la demande fondée sur l’article 404 des Règles. Elles conviennent que le précédent faisant autorité est l’arrêt Young c Young, [1993] 4 RCS 3 [Young] de la Cour suprême du Canada, même si celui‑ci n’a pas été tranché sous le régime des Règles des Cours fédérales. Les deux parties s’appuient également sur l’application plus récente de l’arrêt Young par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Galganov v Russell (Township), 2012 ONCA 410 [Galganov], décrivant les principes directeurs ainsi (au para 13) :

[traduction]

13 Les principes directeurs de l’adjudication de dépens à titre personnel contre un avocat ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Young c. Young, [1993] 4 RCS 3 (CSC), aux pp 135 et 136.

Le principe fondamental en matière de dépens est l’indemnisation de la partie ayant gain de cause, et non la punition d’un avocat. Certes, tout membre de la profession juridique peut faire l’objet d’une ordonnance compensatoire pour les dépens s’il est établi que les procédures dans lesquelles il a agi ont été marquées par la production de documents répétitifs et non pertinents, de requêtes et de motions excessives, et que l’avocat a agi de mauvaise foi en encourageant ces abus et ces délais. Il est évident que les tribunaux ont compétence en la matière, souvent en vertu d’une loi et, en tout état de cause, en vertu de leur pouvoir inhérent de réprimer l’abus de procédures et l’outrage au tribunal […] [L]es tribunaux doivent faire montre de la plus grande prudence en condamnant personnellement un avocat aux dépens, vu l’obligation qui lui incombe de préserver la confidentialité de son mandat et de défendre avec courage même des causes impopulaires. Un avocat ne devrait pas être placé dans une situation où la peur d’être condamné aux dépens pourrait l’empêcher de remplir les devoirs fondamentaux de sa charge.

[Souligné dans l’original.]

[54] L’arrêt Galganov décrit un critère à deux volets pour déterminer la responsabilité d’un avocat à l’égard des dépens (aux para 17 à 22). La première étape consiste à établir si la conduite de l’avocat a entraîné des frais inutiles. La deuxième étape consiste à examiner, à titre discrétionnaire et en appliquant le principe de la plus grande prudence énoncé dans l’arrêt Young, si, dans les circonstances, l’adjudication de dépens à l’encontre de l’avocat à titre personnel est justifiée.

[55] La demanderesse a présenté, dans le cadre de sa demande fondée sur l’article 404 des Règles, un dossier de requête supplémentaire au cours du mois précédant l’audition de la requête en jugement sommaire, à l’appui de sa demande visant l’obtention d’une ordonnance exigeant que les dépens, sur la base d’une indemnisation complète, soient payés par l’avocat du défendeur. Ce dossier de requête comprend le mémoire de frais modifié, qui s’établit à 21 020,67 $ au total, qui comprend les honoraires, les débours et la TVH.

[56] Toutefois, à l’audition de la requête, l’avocat de la demanderesse a fait savoir que sa cliente n’avait pas l’intention de demander une ordonnance au titre de l’article 404 des Règles à l’égard du plein montant de sa demande de dépens avocat‑client. Bien que la demanderesse formule plusieurs allégations d’inconduite à l’encontre de la défenderesse, elle ne considère pas que toutes ces allégations s’appliquent à l’avocat de la défenderesse. En fait, ce sont certaines étapes précises du litige qui, selon la demanderesse, ont été retardées et rendues plus coûteuses en raison de l’inconduite alléguée de l’avocat de la défenderesse. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a indiqué les parties pertinentes de son mémoire de frais et quantifié sa demande fondée sur l’article 404 des Règles, en fonction de 10 heures au titre des honoraires juridiques plus 781,93 $ (TVH incluse) en débours. Au taux horaire applicable de 375 $, cela se traduit par une réclamation de 3 750 $, plus 487,50 $ au titre de la TVH, à quoi se rajoutent les débours (781,93 $), pour un total de 5 019,43 $.

[57] J’ai indiqué dans la partie « Contexte » des présents motifs les neuf catégories d’inconduite alléguée que la demanderesse impute à l’avocat de la défenderesse. De façon générale, ces allégations se divisent en quatre étapes du litige : a) le processus de production de documents; b) l’établissement du calendrier des interrogatoires préalables; c) les négociations en vue d’un règlement; d) la présente requête en jugement sommaire. Je vais examiner les allégations relatives à chacune de ces étapes.

a) Le processus de production de documents

[58] Premièrement, la demanderesse affirme que l’avocat de la défenderesse n’a pas tenu compte des demandes répétées de production de documents pendant des semaines, ne répondant que sous la menace d’allégations d’inconduite professionnelle. À l’appui de cette affirmation, l’affidavit de Mme Barbosa joint les courriels envoyés par l’avocat de la demanderesse à l’avocat de la défenderesse les 27 mai 2019, 5 juin 2019 et 24 juin 2019 concernant la production documentaire et d’autres questions, et affirme que l’avocat de la demanderesse n’a reçu aucune réponse.

[59] Dans son affidavit, M. Reinkeluers nie ne pas avoir tenu compte de la correspondance de l’avocat de la demanderesse. Il affirme que les avocats ont échangé certains courriels et d’autres lettres vers le milieu de 2019 au sujet de la question de la production documentaire. Toutefois, le premier élément de correspondance entre les avocats joint à l’affidavit est une lettre du 7 août 2019, qui indique qu’elle constitue une réponse à un courriel de l’avocat de la demanderesse daté du 6 août 2019. Le premier paragraphe de fond de la lettre de l’avocat de la défenderesse est libellé ainsi :

[traduction]

Comme je vous l’ai déjà dit à maintes reprises, ma cliente dispose de nombreux documents à ce sujet qui sont en train d’être colligés. Au cours de ce processus, ma cliente a découvert que votre cliente faisait une « double facturation » inappropriée en imposant des frais de mise en œuvre douanière préalable (« MDP ») à ma cliente et à ses fournisseurs.

[60] La lettre indique ensuite que l’avocat de la défenderesse a l’intention, par souci d’efficacité, de produire tous les documents pertinents de la défenderesse en même temps, lorsque les documents pertinents à la question des frais de MDP auront été colligés.

[61] La demanderesse a peut‑être raison d’affirmer que l’avocat de la défenderesse n’a pas répondu à ses quelques premières demandes de production documentaire. Les éléments de preuve présentés par l’avocat de la défenderesse n’établissent pas le contraire. Bien que la lettre du 7 août 2019 indique que l’avocat de la défenderesse a informé à plusieurs reprises l’avocat de la demanderesse des nombreux documents en train d’être colligés, il n’est pas possible de conclure si cet avis, compte tenu du moment où il a été envoyé et de sa teneur, constituait une réponse aux courriels envoyés de l’avocat de la demanderesse datés du 27 mai 2019, du 5 juin 2019 et du 24 juin 2019.

[62] Cependant, même s’il va sans dire que les avocats devraient répondre à la correspondance de leurs adversaires au litige et qu’ils devraient le faire dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, les faits examinés ci‑dessus ne se comparent pas à une situation où les principes de l’arrêt Young justifieraient l’adjudication des dépens contre un avocat.

[63] Ensuite, la demanderesse allègue que l’avocat de la défenderesse a fait valoir les fausses allégations de la défenderesse au sujet de la colligation d’un volume important de documents, retardant ainsi la production. À l’appui de cette allégation, la demanderesse fait remarquer qu’en fin de compte, la défenderesse a produit un affidavit de documents contenant seulement dix documents à l’annexe 1.

[64] En réponse, M. Reinkeluers déclare dans son affidavit que, lorsqu’il a fourni un affidavit non assermenté de documents et les documents joints à l’annexe 1 de cet affidavit le 9 septembre 2019, avant l’audience prévue concernant la requête en production, il a expliqué à l’avocat de la demanderesse, dans une lettre d’accompagnement, que l’affidavit de documents ne comprenait pas les documents de la défenderesse portant sur la question des droits de MDP, et qu’une production supplémentaire serait nécessaire. L’affidavit de M. Reinkeluers joint de la correspondance à cet effet. Il joint également un courriel daté du 28 octobre 2019, dans lequel il mentionne qu’un fichier ZIP contenant tous les documents actuellement obtenus au sujet de la question des droits de MDP est joint, que la défenderesse cherchait toujours des documents liés à cette question et qu’elle s’attendait à recevoir d’autres documents.

[65] Les éléments de preuve dont la Cour dispose ne démontrent pas l’importance du volume de documents contenus dans le fichier ZIP produit le 28 octobre 2019. Toutefois, la demanderesse n’a pas établi que la défenderesse, et encore moins son avocat, a fait une présentation erronée de ses efforts de production. Au contraire, les éléments de preuve appuient la position de la défenderesse selon laquelle elle colligeait toujours des documents lorsqu’elle en a fait la production plutôt succincte en septembre 2019.

[66] L’une des allégations sur lesquelles la demanderesse a beaucoup insisté pendant les observations présentées de vive voix est l’argument selon lequel l’avocat de la défenderesse a fait preuve d’inconduite en refusant sciemment de se conformer aux obligations prévues par les Règles en matière de production, lorsqu’il a omis de produire des documents pertinents qui étaient déjà en sa possession. Les éléments de preuve établissent que, le 7 août 2019, l’avocat de la défenderesse a fait savoir que sa cliente colligeait les documents pertinents quant à la question la MDP en cause et qu’il avait l’intention de produire tous les documents pertinents en même temps, plutôt que de les produire en partie au fur et à mesure qu’il les reçoit. La demanderesse affirme qu’en adoptant cette position, l’avocat de la défenderesse a manqué à ses obligations de production en vertu des Règles et que, peu importe les directives de la cliente, cela constitue une inconduite professionnelle susceptible de sanction au titre de l’article 404 des Règles.

[67] En réponse, l’avocat de la défenderesse a soutenu que sa position, à savoir que les documents devraient être produits une fois qu’ils ont tous été colligés, plutôt que de façon fragmentaire, était raisonnable. Plus important encore, il affirme que toute plainte concernant le non‑respect des obligations de production doit être adressée à la défenderesse, et non à son avocat, car un avocat doit agir conformément aux directives de son client à cet égard. L’avocat de la défenderesse insiste également sur le fait que la demanderesse n’a pas le droit de divulguer les communications confidentielles entre la défenderesse et son avocat au sujet de la stratégie à adopter quant à la production de documents.

[68] Je souscris à la thèse de la défenderesse sur cette question. À mon avis, la question de savoir si une partie peut attendre d’avoir colligé l’ensemble des documents en sa possession ou sous son contrôle avant de procéder à la production de documents dans un cas où l’autre partie s’oppose à cette méthode de production est tributaire des circonstances de chaque cas. Si l’avocat ne peut convenir d’une méthode de production, ce différend peut être réglé au moyen de la gestion de l’instance ou par requête. Rien dans les circonstances en l’espèce ne permet de conclure que la défenderesse, et encore moins son avocat, ont adopté une position sur la production qui justifierait qu’ils soient punis au moyen d’une adjudication de dépens avocat‑client à leur encontre.

[69] La demanderesse fait remarquer que la défenderesse a produit son affidavit de documents, accompagné de dix documents, la veille de l’audition de la requête en production de documents de la demanderesse, ce qui, soutient la demanderesse, a fait en sorte que son avocat a perdu du temps à se préparer en vue de la requête. Je reconnais que, lorsqu’une partie présente une requête en vue d’assurer la conformité aux Règles et que l’autre partie ne s’y conforme qu’au dernier moment, cette partie peut en subir les conséquences financières. En effet, en l’espèce, le juge Zinn a ordonné à la défenderesse de payer 750 $ au titre des dépens, en raison de la requête en production qui avait été reportée. Toutefois, rien ne permet de conclure que l’avocat de la défenderesse a quoi que ce soit à se reprocher en ce qui concerne le moment où la production a eu lieu.

[70] Enfin, en ce qui concerne la production de documents, la demanderesse affirme que l’avocat de la défenderesse n’a pas tenu compte de ses préoccupations particulières au sujet de la légitimité de la documentation à l’appui de la demande de remise sur volume de la défenderesse. Je comprends que cette allégation a trait à la préoccupation de la demanderesse que le document produit par la défenderesse contenait des envois qui n’étaient pas visés par les conditions du PIV de 2018.

[71] La correspondance jointe à l’affidavit de Mme Barbosa démontre que l’avocat de la demanderesse a écrit à l’avocat de la défenderesse le 3 octobre 2019 pour lui demander son point de vue à ce sujet. L’avocat de la défenderesse a répondu au courriel le jour même, indiquant qu’il répondrait à sa demande lorsqu’il aura eu l’occasion d’en discuter avec sa cliente. L’avocat de la demanderesse a réitéré cette demande le 23 octobre 2019. Bien que l’avocat de la défenderesse ait répondu le 28 octobre 2019 qu’il fournirait une réponse en temps opportun, Mme Barbosa déclare dans son affidavit que l’avocat de la demanderesse l’a informée qu’il n’avait jamais reçu de réponse.

[72] En réponse à cette allégation, l’avocat de la défenderesse soutient qu’il n’existe aucune obligation légale exigeant qu’un avocat réponde de façon substantielle aux demandes de renseignements extrajudiciaires formulées par l’avocat de la partie adverse concernant le contenu et la légitimité des documents produits par les parties. J’ai déjà fait remarquer que les avocats devraient répondre à la correspondance de l’avocat de la partie adverse, et ce, le plus rapidement possible. Toutefois, la plainte de la demanderesse ne porte pas sur le fait que son avocat n’a pas reçu de réponse, mais plutôt sur le fait que l’avocat de la défenderesse n’a pas répondu à sa demande sur le fond. Je ne dispose pas d’observations détaillées sur cet aspect particulier de la conduite professionnelle, mais les faits examinés ci‑dessus, encore une fois, ne se comparent pas à une situation où les principes de l’arrêt Young justifieraient l’adjudication des dépens contre un avocat.

b) L’établissement du calendrier des interrogatoires préalables

[73] La demanderesse allègue que l’avocat de la défenderesse a d’abord refusé de collaborer à l’établissement du calendrier des interrogatoires préalables, puis a offert sa collaboration, mais a annulé les interrogatoires prévus à trois reprises.

[74] En réponse à l’allégation de manque de collaboration, l’avocat de la défenderesse soutient qu’il n’a pas refusé de collaborer. Au contraire, il a plutôt adopté ce qu’il considère comme une position légitime, puisque les interrogatoires ne devraient pas avoir lieu avant que les actes de procédure n’aient été modifiés et que les documents relatifs à la MDP n’aient été échangés. La demanderesse n’est pas d’accord pour dire qu’il s’agissait d’une position légitime, soulignant que les actes de procédure n’ont jamais été modifiés pour inclure les allégations concernant la question de la MDP.

[75] Bien que la demanderesse ait raison de dire que les actes de procédure n’ont jamais été modifiés, les éléments de preuve établissent que l’avocat de la défenderesse a fourni à l’avocat de la demanderesse une ébauche de demande reconventionnelle modifiée le 4 octobre 2019, et lui demandait de consentir à la modification. Ce consentement n’a pas été donné. L’avocat de la défenderesse soutient que, même si sa cliente avait l’intention de faire modifier officiellement la demande reconventionnelle, la requête en ce sens n’a jamais été présentée, parce que les parties ont rapidement entrepris des négociations en vue d’un règlement. Cette observation est conforme au calendrier des événements du dernier trimestre de 2019. Dans la mesure où la demanderesse soutient que la modification proposée de la demande reconventionnelle était une tactique utilisée pour retarder les interrogatoires préalables, les éléments de preuve n’étayent pas cette conclusion. Il n’y a certainement rien de déraisonnable à proposer que les interrogatoires préalables n’aient lieu qu’après une modification projetée des actes de procédure.

[76] La demanderesse a également raison de dire que trois dates pour les interrogatoires avaient été prévues et subséquemment annulées à la fin de 2019. Toutefois, l’affidavit de M. Reinkeluers explique que la première annulation était attribuable au fait que le représentant de la défenderesse n’était pas disponible, la deuxième, à la maladie de ce représentant et la troisième au fait que les parties avaient entamé des pourparlers en vue d’un règlement qui semblaient pouvoir régler le différend. Encore une fois, les éléments de preuve ne démontrent l’existence d’aucune conduite douteuse de la part de l’avocat de la défenderesse.

c) Les négociations en vue d’un règlement

[77] La demanderesse soutient que la défenderesse, de concert avec son avocat, a entrepris de mauvaise foi des négociations en vue d’un règlement. La demanderesse fonde cette affirmation sur le fait qu’aux dernières étapes de la négociation, l’avocat de la défenderesse a ajouté une exigence en vue d’une soi‑disant [traduction] « clause de non‑dénigrement », que la demanderesse n’aurait pas acceptée.

[78] L’affidavit de M. Reinkeluers et la correspondance qui y est jointe démontrent qu’aux dernières étapes de la négociation en vue d’un règlement à la mi‑décembre 2019, l’avocat de la demanderesse a contesté la demande de l’avocat de la défenderesse à propos d’une clause de confidentialité, affirmant qu’il s’agissait d’un ajout de dernière minute à une entente dont les principales conditions avaient déjà été convenues. La correspondance de l’avocat de la défenderesse documente la déclaration de l’avocat de la demanderesse selon laquelle la demanderesse ne voulait pas accepter une clause de confidentialité, parce qu’elle voulait avoir le loisir de dire à d’autres membres de l’industrie que la défenderesse était une [traduction] « mauvaise payeuse ». Par conséquent, l’avocat de la défenderesse a introduit l’exigence d’une clause de non‑dénigrement. L’avocat de la demanderesse a fait savoir par la suite que la demanderesse était satisfaite de l’inclusion d’une clause de confidentialité, mais pas de la clause de non‑dénigrement telle que formulée. Par conséquent, le règlement ne s’est pas concrétisé.

[79] Les éléments de preuve n’étayent aucunement l’allégation de la demanderesse que la défenderesse ou son avocat a entrepris des négociations de mauvaise foi en vue d’un règlement. La demande tardive d’introduction d’une clause de non‑dénigrement semble avoir été une réponse directe et raisonnable au fait que l’avocat de la demanderesse ait laissé entendre que sa cliente avait l’intention de faire des commentaires désobligeants au sujet de la défenderesse.

d) La requête en jugement sommaire

[80] La demanderesse allègue que l’avocat de la défenderesse a demandé à maintes reprises des prorogations de délai pour répondre à la présente requête, même s’il n’avait pas reçu instruction d’y répondre, et en dernier ressort, la défenderesse n’a pas comparu de façon substantielle dans le cadre de la requête.

[81] La requête en jugement sommaire devait à l’origine être entendue le 8 juin 2020. Toutefois, l’audience a été annulée en raison des directives sur la procédure de la Cour fédérale en réponse à la pandémie de COVID‑19. Le 28 septembre 2020, les avocats ont assisté à une conférence de gestion des cas, ce qui a entraîné la tenue de l’audience le 10 décembre 2020. La défenderesse a reçu l’ordonnance de fournir ses documents de réponse au plus tard le 19 octobre 2020. M. Reinkeluers déclare dans son affidavit que, peu avant cette date butoir, la défenderesse a pris la décision de ne pas produire les documents de réponse, et il a fait part de cette décision à la Cour avant la date limite. La Cour n’a aucun motif de douter de cet élément de preuve. Je suis d’accord avec la position avancée par l’avocat de la défenderesse selon laquelle la décision de ne pas produire les documents de réponse à la présente requête ne justifie pas l’adjudication de dépens avocat‑client, soit contre la défenderesse, soit contre son avocat.

[82] En conclusion, aucune des allégations formulées par la demanderesse n’appuie l’adjudication de dépens avocat‑client contre l’avocat de la défenderesse aux termes de l’article 404 des Règles.

(3) Les conséquences du rejet d’une demande présentée au titre de l’article 404 des Règles sur les dépens

[83] La question restante, découlant de la demande de dépens avocat‑client présentée par la demanderesse au titre de l’article 404 qui a été rejetée, est d’établir comment le rejet de cette demande devrait influer sur les dépens adjugés dans l’action et la requête en l’espèce.

[84] Comme je l’ai expliqué précédemment dans les présents motifs, la demanderesse recevra les dépens relatifs à la présente action selon les montants établis dans son mémoire de frais modifié du l3 novembre 2020, sous réserve d’une diminution et d’un rajustement de 750 $ découlant de la demande en vertu de l’article 404. Ce rajustement se rapporte au dernier point du mémoire de frais modifié de la demanderesse, qui demande 1 200 $ au titre des frais juridiques et 156 $ en TVH (s’établissant au total à 1 356 $) associés au dépôt de documents liés aux dépens supplémentaires et à la participation à l’audience sur la requête en jugement sommaire. Les documents relatifs aux dépens supplémentaires ont trait à la demande fondée sur l’article 404 des Règles, pour laquelle la demanderesse n’a pas obtenu gain de cause, et la majeure partie du temps consacré à plaider la requête était également liée à cette demande. Par conséquent, les dépens avocat‑client qui atteignent au total 21 020,67 $ doivent être diminués de 750 $ et de 1 356 $, pour un solde de 18 914,67 $.

[85] De plus, l’avocat de la défenderesse réclame les frais engagés pour répondre à la demande fondée sur l’article 404. Il soutient que ces frais devraient être adjugés sur la base d’une indemnisation complète, qui devrait être versée au cabinet d’avocats de la défenderesse Devry Smith Frank LLP (ou, subsidiairement, à la défenderesse) par la demanderesse ou l’avocat de la demanderesse personnellement. À l’appui de cette position, l’avocat de la défenderesse a déposé, relativement à sa réponse à la demande fondée sur l’article 404 des Règles, un mémoire de frais faisant état de frais juridiques de 13 775 $ au titre des honoraires, plus 1 790,75 $ de TVH, pour un total de 15 565,75 $. L’avocat de la défenderesse a indiqué à l’audience que, si des dépens devaient être adjugés au cabinet d’avocats de la défenderesse plutôt qu’à la défenderesse, le montant de la TVH ne s’appliquerait pas.

[86] La demanderesse est d’avis que, même si elle n’a pas gain de cause à l’égard de la demande fondée sur l’article 404 des Règles, elle aura tout de même obtenu un succès partagé relativement à la présente requête en jugement sommaire, de sorte que, si des dépens doivent être adjugés contre elle, ceux‑ci devraient être des dépens entre parties taxés selon la colonne III du tarif B. La demanderesse soutient également qu’il n’y a aucun motif pour adjuger de tels dépens contre son avocat à titre personnel.

[87] La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui permet de conclure que l’avocat de la demanderesse a donné suite à la demande fondée sur l’article 404 des Règles sans avoir reçu des directives de sa cliente, ce qui justifierait d’attribuer cette initiative à l’avocat plutôt qu’à la demanderesse. Toutefois, à l’appui de sa position selon laquelle l’avocat de la demanderesse devrait assumer lui‑même ces dépens, la défenderesse soutient qu’il y a certaines limites que l’avocat ne devrait pas franchir, même conformément aux directives du client, et que la poursuite de la présente demande fondée sur l’article 404 des Règles franchissait cette limite. La défenderesse s’appuie grandement sur la correspondance entre les avocats en novembre 2020, dans laquelle l’avocat de la défenderesse a indiqué que, si la demanderesse ne retirait pas la demande fondée sur l’article 404, l’avocat de la défenderesse demanderait les dépens afférents à sa réponse à cette demande, sur la base d’une indemnisation complète. L’avocat de la demanderesse a répondu qu’il n’allait pas retirer sa demande. L’avocat de la défenderesse se fonde sur la déclaration suivante, qui figure dans la réponse de l’avocat de la demanderesse :

[traduction]

J’estime que votre conduite est répréhensible et non professionnelle. Votre cliente est sans aucun doute malhonnête, elle ne respecte ni la Cour ni les Règles. Elle passera une autre année à éviter l’application de la loi une fois que j’aurai obtenu un jugement. Par conséquent, l’ordonnance quant aux dépens que j’obtiendrai contre vous pourrait être la seule satisfaction que ma cliente puisse obtenir dans la présente affaire.

[88] L’avocat de la défenderesse fait valoir que cette déclaration démontre une motivation inappropriée d’intenter une action fondée sur l’article 404 des Règles, c.‑à‑d. poursuivre personnellement une action contre un avocat en raison de préoccupations au sujet de l’incapacité de faire exécuter un jugement contre la défenderesse. Il renvoie la Cour à la décision Ip v Tsio, 2017 ONSC 3752 [Ip], dans laquelle le défendeur, qui a eu gain de cause, a demandé des dépens contre l’avocat de la demanderesse, principalement au motif qu’il serait difficile de recouvrer les dépens auprès de la demanderesse étrangère, tout en faisant valoir également l’insouciance et la négligence possible de la part de l’avocat de la demanderesse. La Cour supérieure de l’Ontario a rejeté cette position, et a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

9 Toutefois, en l’espèce, la conduite de l’avocat n’atteint en aucune façon le degré d’inconvenance qui justifierait une ordonnance l’obligeant à payer les dépens de M. Tsoi. Le fait que Mme Ip réside à Hong Kong et n’a aucun actif en Ontario ne réussit pas à me convaincre. Notre processus judiciaire en Ontario prévoit des recours pour les plaideurs ne disposant pas des ressources suffisantes ou résidant dans une autre administration. L’adjudication des dépens contre l’avocat d’un tel plaideur n’en fait pas partie. Cela aurait un effet paralysant sur la représentation offerte aux plaideurs étrangers qui sont tenus de plaider des demandes en Ontario. Il ne s’agit pas d’un effet voulu ou souhaité de l’article 57.07. Les renseignements inexacts fournis par des avocats dans les documents ne sont pas non plus sanctionnés par la Cour.

[89] Je souligne que, bien que la Cour dans la décision Ip ait rejeté la tentative d’imposer des dépens à l’avocat de la demanderesse, elle n’a pas non plus adjugé les dépens de cet effort infructueux contre l’avocat du défendeur.

[90] Je souscris au principe exprimé dans la décision Ip, et je n’écarterai pas la possibilité qu’une tentative visant à imposer des dépens aux avocats, motivée principalement par l’amélioration des perspectives du recouvrement suivant le jugement, puisse, dans certaines circonstances, justifier l’adjudication de dépens aux avocats qui poursuivent cette initiative, même sur les directives de leur client. Toutefois, je ne crois pas que de telles circonstances existent en l’espèce. Bien que j’aie conclu que les allégations de la demanderesse à l’encontre de l’avocat de la défenderesse étaient peu fondées, la correspondance entre les avocats tout au long du litige indique clairement que la demanderesse ou son avocat croyait sincèrement à la légitimité de ses allégations. Bien entendu, cette croyance ne rend pas ces allégations plus fondées et ne met pas la demanderesse à l’abri d’une adjudication de dépens pour avoir donné suite à des allégations sans fondement dans le cadre de la demande présentée au titre de l’article 404 des Règles. Toutefois, en l’espèce, je ne considère pas que la mention de l’avocat de la demanderesse quant aux perspectives accrues de recouvrement suivant le jugement justifie l’adjudication de dépens à l’encontre de l’avocat à titre personnel.

[91] Pour ce qui est du montant approprié des dépens, je ne considère pas que la demande fondée sur l’article 404 des Règles présentées par la demanderesse soit si scandaleuse ou outrageante qu’elle justifie l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client ou l’indemnisation complète. Toutefois, la demande n’est pas suffisamment fondée pour que je conclue qu’une ordonnance de dépens majorée soit appropriée. M’inspirant quelque peu sur la colonne V du tarif B, que j’applique au fait que l’avocat de la défenderesse a dû préparer des documents en réponse à la requête et que deux membres du cabinet aient dû comparaître à une audience d’environ quatre heures, j’adjuge à l’encontre de la demanderesse la somme globale 5 000 $ au titre des dépens. Je souscris également à la position principale de l’avocat de la défenderesse selon laquelle ces dépens devraient être adjugés à son cabinet. Mon jugement en tiendra compte.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑418‑19

LA COUR STATUE que :

  1. Le jugement sommaire est accordé à la demanderesse contre la demanderesse pour le principal de 70 705,21 $, plus des intérêts avant jugement de 7 583,86 $.

  2. La demande reconventionnelle de la défenderesse est rejetée.

  3. La défenderesse doit payer à la demanderesse les dépens afférents à la présente action sur une base avocat‑client, dépens qui s’élèvent au montant global de 18 914,67 $.

  4. La demanderesse doit payer à l’avocat de la défenderesse, Devry Smith Frank LLP, les dépens afférents à la réponse à la demande fondée sur l’article 404 des Règles dans la présente requête, dépens qui s’élèvent au montant global de 5 000 $.

  5. Les intérêts après jugement s’appliqueront aux montants susmentionnés au taux de 5 % par an.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑418‑19

INTITULÉ DE LA CAUSE :

KUEHNE & NAGEL C HARMAN NC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Gavin Magrath

POUR LA DEMANDERESSE

Nicholas Reinkeluers

POUR LA DÉFENDERESSE

Larry Keown

POUR L’AVOCAT DE LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Magrath’s International Legal Counsel

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Devry Smith Frank LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Devry Smith Frank LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’AVOCAT DE LA DÉFENDERESSE

 

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