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Date : 19991013


Dossier : IMM-5210-98



ENTRE :


SAMIR AIT MOHAMED


demandeur



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS D"ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire d"une décision, datée du 21 septembre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      La présente affaire a été entendue à Montréal, en français, la décision a été rendue en français, et l"affaire a été débattue devant moi à Vancouver, en anglais, sur la base d"une traduction anglaise de la décision et de la transcription de l"audition tenue devant la Commission de l"immigration et du statut de réfugié.

[3]      Le revendicateur est un citoyen de l"Algérie qui est arrivé au Canada le 22 octobre 1997; il est entré au pays en présentant un visa de touriste et n"a revendiqué le statut de réfugié que le 5 novembre 1997.

La décision

[4]      La formation a rejeté la revendication du statut de réfugié présentée par le revendicateur pour manque de plausibilité et de crédibilité. En effet, le récit du revendicateur est contradictoire, il n"est pas plausible, et il est à peine crédible. Comme l"a écrit M. le juge Décary au nom de la Cour dans Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1994), 160 N.R. 315, à la p. 316 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

Monsieur le juge MacKay a repris le même principe dans la décision Akinlolu c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, dans laquelle il dit, à la page 5 :

Il appartient à la formation de jugement de la section du statut d'apprécier la crédibilité et la force probante des preuves et témoignages, dans son instruction des revendications du statut de réfugié. C'est ainsi qu'elle peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable. [...] [L]a Cour n'interviendra pas à moins de conclure que la formation de jugement fonde sa décision sur des considérations étrangères à l'affaire ou ignore des preuves dignes d'attention. En bref, la Cour n'interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.

[5]      L"avocat du demandeur m"a fait remarquer qu"il faut déterminer si la décision de la Commission était fondée sur des conclusions de fait erronées qui étaient déraisonnables compte tenu de la preuve. Les inférences sont fondées sur le bon sens, et la Cour, comme l"a dit le juge MacGuigan dans l"affaire Soto Giron , est aussi bien placée que le tribunal pour les faire.

[6]      À la première page de sa décision, la Section du statut de réfugié écrit :

À la question 17, le revendicateur indique avoir terminé ses études de droit en 1991 à l"université Constantine. Toutefois, il affirme à l"audience avoir abandonné ses études de droit parce qu"il y avait des problèmes dans son pays sans vouloir élaborer sur cette question.

L"avocat soutient que cette conclusion est abusive, à la page 18 de la transcription, et il me réfère à l"échange suivant :

Q.      Alors, Monsieur, vous avez... selon votre déclaration de ... votre formulaire, là, que vous venez de constater, vous sembles être gradué d"université en droit. Est-ce que c"est exact? Avez-vous obtenu votre diplôme?
R.      Je n"ai pas terminé mes études jusqu"à la fin.

Q.      Pourquoi Monsieur?

R.      Parce que j"ai eu des problèmes en 91.

Q.      Quels problèmes, Monsieur?

R.      Les... les problèmes qui sont connus, les... les manifestations. J"ai eu peur, donc je suis sorti.

Il était clair à mon avis qu"il a bel et bien donné des détails sur ce point, contrairement à ce que la formation a conclu.

[7]      En réponse à la question 18, il a dit avoir travaillé dans le domaine de la décoration intérieure dans ses temps libres. À l"audition, il a dit qu"il avait un emploi. Il a peint des murs, de 1994 à 1997, pour le même employeur. La formation a écrit :

Il n"a même pas fourni le nom de son employeur. Lorsque le tribunal a demandé au revendicateur de préciser son expérience de travail de 1994 à 1997, celui-ci a affirmé peinturer des murs pour une même personne depuis 1994. Aucune preuve documentaire n"a été fournie au tribunal à cet effet. Le tribunal trouve cette histoire non crédible.

À la page 20 de la transcription se trouve l"échange suivant :

Q.      Lorsque vous parlez de... vous avez travaillé dans la décoration. Vous faisiez quoi au juste à temps libres?
R.      Je faisais de la peinture.

Q.      De la peinture comme un artiste ou bien peinturer des maisons, des murs?
R.      Peinturer des maisons, des murs.
Q.      Peinturer des maisons. À votre compte ou pour quelqu"un?
R.      Non, je... c"était chez une personne privée que je travaillais, pour le compte d"une personne privée.
Q.      Oui, mais là, de quelle... pendant trois ans de temps, là, vous marquez : " J"ai... fait de la décoration. " Alors, est-ce que c"est la même personne pendant trois ans de temps?

R.      Oui, la même personne.

Q.      La même personne pendant trois ans de temps?

R.      Oui.

Q.      Quel est le nom de cette personne?

R.      Mohamed Benabdallah.

Il leur a épelé le nom. Soutenir qu"il n"a pas fourni le nom de ses employeurs va complètement à l"encontre de la transcription; de plus, la conclusion de la formation selon laquelle son récit manquait de crédibilité étant donné qu"il n"a pas fourni de preuve documentaire concernant ses emplois est également abusive. Aucune question concernant la présentation d"éléments de preuve documentaire sur ses emplois n"a été posée au demandeur.

[8]      En réponse à la question 37, le revendicateur raconte qu"il a eu une altercation avec un sympathisant du Groupe islamique armé (GIA) bien connu dans son quartier. Dans sa décision, la formation a écrit :

Si un sympathisant du GIA a déjà attaqué sa famille en brûlant les cheveux de sa soeur parce qu"elle ne veut pas porter le hijab. Que sa plainte auprès des autorités locales n"a rien donné selon son témoignage à l"audience. Le tribunal trouve invraisemblable son histoire d"avoir attaqué ce sympathisant du GIA.

[9]      À la page 38 de la transcription, après avoir dit qu"il s"était rendu au poste de police pour rapporter les incidents qui s"étaient produits à sa maison, où on avait brûlé les cheveux de sa soeur, et avoir renvoyé aux personnes qui l"avaient attaqué, le revendicateur explique :

Je leur ai même précisé où ils pouvaient le trouver et ils m"ont dit qu"ils s"en occuperaient parce qu"ils avaient d"autres priorités. Et après quelques jours, je l"ai rencontré par hasard dehors, devant le marché qui s"appelle Le marché couvert.

À la page 39 de son récit, il a dit, à propos de la rencontre qu"il a eue avec les truands qui avaient attaqué sa soeur :

R.      Je l"ai trouvé devant un... devant un marché qui s"appelait Le marché couvert , c"est au centre-ville. J"ai été donc pour le... lui parler, donc je lui ai parlé d"une manière assez sévère, je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça et qu"est-ce qu"il était pour pouvoir faire ça. Il m"a dit que nous étions des mécréants, que vous étiez des adeptes de la France et il fallait que vous... vous quittiez ce... cet endroit, que vous n"aviez aucun droit d"y rester parce que vous ne voulez pas suivre nos directives en matière de hijab.
     Et lorsque j"ai continué à discuter avec lui, il a essayé de me frapper. Donc, je me suis accroché avec lui et il y avait énormément de monde devant le marché. Donc, ils nous ont séparés. Donc après, moi je suis parti à la maison.

La formation ne pouvait, sur le fondement de la preuve, du témoignage du revendicateur devant elle, et du récit écrit de ce dernier dans son F.R.P., soutenir dans sa décision qu"il était allé à la recherche de sympathisants du GIA.

[10]      La formation a complètement négligé de tenir compte des éléments cruciaux de cette demande; au mieux, elle les a analysés de façon très superficielle. Il ne fait aucun doute que la décision écrite en cause comporte de nombreuses conclusions de fait manifestement déraisonnables qui ne sont pas étayées par la preuve. En conséquence, je suis convaincu que l"ensemble de la décision est erronée et que l"affaire doit être renvoyée à une formation différemment constituée pour que celle-ci procède à une nouvelle audition.




[11]      La demande est accueillie.


" P. Rouleau "

                                         juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 13 octobre 1999.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-5210-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Samir Ait Mohamed

                         - c. -

                         MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 8 octobre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                  13 octobre 1999


ONT COMPARU :

M. Ryan Strong                  Pour le demandeur

M. Victor Caux                  Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rankin & Associates

Vancouver (C.-B.)                  Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur généraldu Canada          Pour le défendeur

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