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Date : 20210205


Dossier : T-692-20

Référence : 2021 CF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

DANIEL LAPORTE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision concerne la demande par laquelle le demandeur, Daniel Laporte, sollicite le contrôle judiciaire de la décision disciplinaire rendue en appel le 26 mars 2020 [la décision rendue en appel] par Jean‑Michel Blais, l’arbitre désigné pour instruire l’appel interjeté par le demandeur en matière disciplinaire [l’arbitre] en vertu des articles 45.11 et 45.16 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 [la Loi].

[2] Dans sa décision rendue en appel le 26 mars 2020, l’arbitre a confirmé la décision disciplinaire initiale [la décision initiale] rendue le 19 février 2018 par la surintendante Martine Fontaine de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], agissant en qualité d’autorité disciplinaire en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi [l’autorité disciplinaire]. Celle‑ci a conclu, dans la décision initiale, que le demandeur avait contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie de la GRC, prévu à l’annexe du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281 [le code de déontologie].

[3] Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant la décision rendue en appel, infirmant la décision initiale et enjoignant à la GRC de retirer de son dossier la réprimande qui en résulte.

[4] Comme nous le verrons en détail plus loin, la présente demande est accueillie, au motif que dans la décision rendue en appel, l’arbitre n’a pas exposé le raisonnement ou l’analyse ayant mené à ses conclusions et nécessaire pour satisfaire à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Par conséquent, j’annulerai la décision rendue en appel et renverrai l’affaire à un autre décideur désigné comme arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision.

II. Contexte

A. Événements à l’origine de l’allégation d’inconduite

[5] À l’époque des événements à l’origine de la présente demande, le demandeur était gendarme à la GRC depuis 13 années et était affecté à l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé (UMECO), à Montréal, au Québec. Depuis, il a été licencié pour des raisons de santé, mais il a déposé la présente demande dans l’éventualité où il déciderait plus tard de se chercher un emploi au sein d’un service de police.

[6] Le 14 août 2016, le demandeur s’est présenté à une fête privée donnée pour l’anniversaire d’un collègue de la GRC. La fête a eu lieu à la résidence de ce collègue, à Chambly, au Québec. Plusieurs collègues du demandeur, de même que des civils, étaient présents à la fête. La plupart des invités, sinon tous, consommaient de l’alcool, y compris le demandeur. Le demandeur n’a jamais revêtu son uniforme de la GRC au cours de la fête, ni les autres membres de la GRC qui y étaient présents.

[7] À un moment durant la soirée, certains amis du demandeur ont commencé à dire en plaisantant qu’ils finiraient [traduction] « tôt ou tard » par se dévêtir et comptaient [traduction] « aller au spa ». Plus tard dans la soirée, alors qu’il se trouvait dans la cuisine, le demandeur a retiré tous ses vêtements et a caché ses organes génitaux derrière une brosse à récurer la vaisselle. Il est resté nu environ cinq minutes.

[8] Puis, le demandeur s’est rendu compte qu’il n’y avait plus de glaçons au congélateur pour préparer les boissons. Il s’est saisi d’une serviette, l’a enroulée autour de ses hanches et s’est rendu à son domicile, à quelque 150 mètres de là, pour prendre des glaçons et les rapporter à la fête. Pendant tout ce temps, les organes génitaux du demandeur étaient recouverts, ainsi que ses fesses et ses cuisses, et il n’a aperçu personne dehors. À son retour à la résidence où se tenait la fête, il a remis tous ses vêtements et les a conservés jusqu’à la fin de la soirée.

B. Enquête sur la conduite reprochée

[9] Le 24 février 2017, un des agents de la GRC qui était présent à la fête a fait état de la conduite du demandeur à un autre membre qui n’y était pas. Le 27 février 2017, ce dernier a relayé l’histoire à l’inspecteur Christian Dubois, l’officier responsable de l’UMECO. Conformément au code de déontologie, l’inspecteur Dubois a alors ouvert une enquête administrative sur les événements survenus à la fête.

[10] Le 28 avril 2017, un autre inspecteur de l’UMECO, Sylvain Leclerc, a rédigé une note de service dans laquelle il évoquait une possible contravention au code de déontologie, tout en affirmant qu’aucune enquête n’était nécessaire et que les événements survenus lors de la fête ne justifiaient pas d’imposer des mesures disciplinaires [la note de service]. Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur fournit le passage suivant de la note de service :

Basé sur les circonstances qui m’ont été présentées, je suis d’avis qu’une enquête en vertu du code de déontologie n’est pas nécessaire. Il s’agit d’une farce de mauvais goût entre amis lors d’une fête privée survenue au mois d’août 2016. Il appert qu’aucun geste de cette nature n’a été répété par la suite de la part du gendarme Laporte.

[11] L’inspecteur Leclerc a aussi affirmé qu’à son avis, il demeurait souhaitable que l’officier responsable de l’UMECO rencontre le demandeur pour discuter de la situation et le sensibiliser aux conséquences qu’une telle conduite pourrait avoir pour lui‑même et l’organisation si de tels gestes étaient commis devant des étrangers. L’inspecteur Dubois a approuvé la note de service et ses recommandations.

[12] Néanmoins, le 3 octobre 2017, l’inspecteur Dubois a signifié au demandeur une lettre de mandat pour la conduite d’une enquête sous le régime du code de déontologie. En novembre 2017, l’enquête a été confiée à l’inspecteur Dominic Duchesneau, qui a déposé son rapport le 10 janvier 2018. Le 19 janvier 2018, l’inspecteur Dubois s’est récusé du dossier. Le défendeur explique que cette décision a été prise en raison d’un possible conflit d’intérêts attribuable au fait que l’inspecteur Dubois avait été interrogé dans le cadre de l’enquête. La surintendante Martine Fontaine a donc été désignée comme autorité disciplinaire en remplacement de l’inspecteur Dubois.

C. Décision de l’autorité disciplinaire

[13] Le 5 février 2018, la surintendante Fontaine, à titre d’autorité disciplinaire, a signifié au demandeur un avis précisant qu’une réunion disciplinaire aurait lieu le 12 février 2018. Lors de la réunion, à laquelle le demandeur s’est présenté, l’autorité disciplinaire a allégué qu’il avait contrevenu à l’article 7.1 du code de déontologie en se conduisant d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur la GRC. Le libellé exact de l’allégation visée par l’enquête est le suivant :

Durant le mois d’août, à ou près de Chambly, dans la province de Québec, le gendarme Laporte aurait eu un comportement disgracieux. Alors sous l’influence de l’alcool, il se serait complètement dénudé à l’intérieur de la résidence, à la vue des convives, ce qui porterait ombre à la Gendarmerie royale du Canada.

[14] Le 19 février 2018, l’autorité disciplinaire a rendu sa décision initiale, dans laquelle elle a conclu que les faits allégués contre le demandeur avaient été établis et que ce dernier était coupable d’un manquement à l’article 7.1 du code de déontologie. L’autorité disciplinaire a imposé les mesures suivantes :

  1. que le demandeur subisse le plus rapidement possible un traitement médical, selon les directives d’un médecin-chef;

  2. si le traitement prescrit l’exige, que le demandeur assiste à des séances de consultation ou suive un programme de réadaptation;

  3. si le traitement prescrit l’exige, que le demandeur suive un programme ou exerce une activité conformément à l’alinéa 3(1)f) des Consignes du commissaire (déontologie), DORS/2014-291;

  4. qu’une réprimande écrite soit versée au dossier d’employé du demandeur.

D. Appel interjeté devant l’arbitre

[15] Le 5 mars 2018, le demandeur a interjeté appel de la décision initiale de l’autorité disciplinaire devant l’autorité désignée par le commissaire de la GRC, conformément au paragraphe 45.11(3) de la Loi. Comme motifs d’appel, le demandeur a soutenu que la décision initiale résultait d’un manquement aux principes d’équité procédurale applicables, qu’elle reposait sur une erreur de droit et qu’elle était déraisonnable.

[16] Le 26 mars 2020, l’arbitre a rendu sa décision par laquelle il a rejeté l’appel du demandeur, ayant conclu à l’absence de manquement à l’équité procédurale. Toutefois, comme le demandeur n’a soulevé aucune question d’équité procédurale dans la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire de traiter plus avant des arguments et de l’analyse s’y rapportant. Par ailleurs, l’arbitre a tiré les conclusions suivantes :

  1. l’autorité disciplinaire a appliqué le bon critère juridique dans la décision initiale;

  2. le comportement du demandeur à la fête était effectivement lié à ses fonctions et attributions en tant que membre de la GRC et, à ce titre, il n’a pas respecté les valeurs d’intégrité et de professionnalisme de la GRC;

  3. la décision initiale était raisonnable.

[17] Ces conclusions et les arguments du demandeur contestant le caractère raisonnable de la décision rendue en appel seront exposés en détail dans la partie des présents motifs réservée à l’analyse.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[18] Le demandeur fait valoir que la présente demande soulève les questions suivantes, qu’il prie la Cour d’examiner :

  1. Dans la décision rendue en appel, la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’autorité disciplinaire a appliqué le bon critère juridique dans la décision initiale est‑elle raisonnable?

  2. Dans la décision rendue en appel, la conclusion de l’arbitre selon laquelle le comportement du demandeur à la fête était effectivement lié à ses fonctions et attributions en tant que membre de la GRC est‑elle raisonnable?

  3. Dans la décision rendue en appel, l’arbitre a‑t‑il accordé suffisamment d’importance à la recommandation formulée par l’inspecteur Dubois dans la note de service?

[19] Le défendeur soutient que la seule question qui se pose en l’espèce consiste à savoir si la décision rendue en appel est raisonnable. Je préfère la formulation plus pointue du demandeur, dont les questions reprennent les arguments qu’il a avancés pour contester le caractère raisonnable de la décision rendue en appel.

[20] Conformément au libellé des questions respectives des parties, celles-ci conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et je partage leur avis.

[21] Pour finir, je signale que les parties ne s’entendent pas quant à la réparation qu’il convient d’accorder si le demandeur devait obtenir gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV. Analyse

A. Dans la décision rendue en appel, la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’autorité disciplinaire a appliqué le bon critère juridique dans la décision initiale est‑elle raisonnable?

[22] L’article 7.1 du code de déontologie exige que les « membres se comportent de manière à éviter de jeter le discrédit sur la Gendarmerie ». Les parties reconnaissent que, comme l’a énoncé le Comité externe d’examen de la GRC, la conclusion de « conduite déshonorante » tirée par une autorité disciplinaire en application de cet article doit être examinée selon un critère à quatre volets :

  1. l’autorité disciplinaire doit prouver l’identité du membre;

  2. les éléments constitutifs de la conduite reprochée doivent être établis selon la prépondérance des probabilités;

  3. l’autorité disciplinaire doit déterminer si un membre raisonnable de la société, informé de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire et conscient des réalités du travail des policiers en général et de la GRC en particulier, estimerait que la conduite du membre jette le discrédit sur la GRC;

  4. l’autorité disciplinaire doit conclure qu’il existe, entre la conduite du membre et ses fonctions et attributions, un lien suffisant pour que la GRC ait un intérêt légitime à lui imposer des mesures disciplinaires.

[23] Dans son appel interjeté à l’encontre de la décision initiale, le demandeur a fait valoir que l’autorité disciplinaire n’avait pas appliqué ce critère. Dans la décision rendue en appel, l’arbitre a convenu avec le demandeur que l’autorité disciplinaire n’avait pas énoncé le critère dans la décision initiale, mais a néanmoins conclu qu’elle l’avait appliqué. Les premier et deuxième volets du critère ne sont pas en litige. En ce qui concerne le troisième volet, voici ce qu’indique la décision rendue en appel :

[40] Même si l’intimée n’a pas indiqué ce fait dans sa décision, il appert à la lecture de celle‑ci que l’intimée a conclu qu’une personne raisonnable dans la société, informée de toutes les circonstances pertinentes, y compris les réalités du travail policier en général et de la GRC en particulier, serait d’avis que le comportement déshonorant de l’appelant dans l’allégation en question jette le discrédit sur la GRC. L’intimée a cité directement la preuve venant de quatre témoins, des policiers comme des civils, ainsi que la preuve de l’appelant lui‑même, et a tiré la conclusion que le comportement de l’appelant était déshonorant.

[24] Le passage de la décision initiale auquel semble renvoyer le paragraphe qui précède est ainsi libellé :

Les faits démontrent et vous avez admis vous être complètement dénudé alors que vous étiez sous l’influence de l’alcool, et ce, alors que vous étiez à l’intérieur de la résidence devant des amis, des membres de la Gendarmerie Royale du Canada et des civils dont certains vous ne connaissez pas. Vêtu d’une petite serviette, vous vous êtes déplacé à l’extérieur pour aller chercher de la glace à votre résidence.

Par conséquent, puisque les faits de l’allégation sont établis, et que ceux-ci constituent une infraction au Code de déontologie, cette allégation est établie selon la prépondérance des probabilités.

[25] Le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision rendue en appel, car, selon lui, cette décision ne révèle aucun fondement intelligible qui sous-tend la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’autorité disciplinaire aurait pris en considération et appliqué le troisième volet du critère relatif au comportement déshonorant. Le demandeur explique que, dans la décision initiale, l’autorité disciplinaire résume le témoignage des témoins et en conclut qu’il s’était trouvé nu et sous l’influence de l’alcool dans la résidence et qu’il en était sorti vêtu d’une petite serviette. Elle a ensuite conclu que ces faits constituaient un manquement au code de déontologie. Or, le demandeur fait valoir que l’autorité disciplinaire n’a pas exposé le raisonnement ou l’analyse qu’elle a suivi pour conclure que les faits satisfont au troisième volet du critère. Autrement dit, l’autorité disciplinaire n’explique pas comment elle en est venue à conclure, ainsi que l’exige ce troisième volet, qu’un membre raisonnable de la société serait d’avis que la conduite révélée par ces faits jette le discrédit sur la GRC.

[26] Le défendeur, de son côté, soutient que la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’autorité disciplinaire a appliqué le bon critère juridique appartient aux issues possibles acceptables visées par la norme de la décision raisonnable. Selon lui, la décision rendue en appel témoigne d’un examen attentif des documents pertinents, dont la décision initiale, les observations écrites du demandeur et le rapport de l’enquête interne, lequel comprend les dépositions des témoins. L’arbitre a conclu que la décision initiale faisait référence aux témoignages – ceux des policiers comme des civils et du demandeur lui-même – qui l’avaient amené à conclure que la conduite du demandeur était déshonorante. Le défendeur soutient que, au vu du dossier dont disposait l’arbitre, la décision rendue en appel était raisonnable, car il ressort implicitement de la décision initiale que l’autorité disciplinaire s’est appuyée sur la preuve pour conclure que le troisième volet du critère était rempli.

[27] Je suis d’accord avec le demandeur sur cette question. Dans la décision initiale, l’autorité disciplinaire explique que la preuve permet de conclure que la conduite sur laquelle repose l’allégation a bien eu lieu. Cette conclusion suffit à satisfaire aux premier et deuxième volets du critère applicable. Toutefois, l’autorité disciplinaire passe directement de cette conclusion à celle voulant que l’allégation de comportement déshonorant ait été établie, sans analyser explicitement le troisième volet du critère.

[28] Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada au paragraphe 86 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65 [Vavilov], le contrôle des décisions administratives selon le critère de la décision raisonnable ne vise pas uniquement à déterminer si l’issue de la décision est justifiable, mais également si elle est justifiée par le décideur dans ses motifs. Je conviens avec le demandeur que la décision initiale ne justifie d’aucune manière la conclusion relative au troisième volet du critère et, partant, la conclusion selon laquelle le comportement du demandeur était déshonorant.

[29] Certes, comme le signale le défendeur à juste titre, le présent contrôle judiciaire ne porte pas sur la décision initiale, mais bien sur l’examen qu’en a fait l’arbitre dans la décision rendue en appel. Cela dit, l’appréciation du caractère raisonnable de la décision rendue en appel doit nécessairement se faire à la lumière de la décision initiale. Dans la décision rendue en appel, l’arbitre ne justifie pas comment il est arrivé à conclure que l’autorité disciplinaire avait appliqué le troisième volet du critère. En l’absence d’une analyse étayant cette conclusion, ou de tout raisonnement dans la décision initiale qui aurait pu être invoqué pour étayer cette conclusion, la décision rendue en appel est elle‑même déraisonnable.

B. Dans la décision rendue en appel, la conclusion de l’arbitre selon laquelle le comportement du demandeur à la fête était effectivement lié à ses fonctions et attributions en tant que membre de la GRC est‑elle raisonnable?

[30] Cette question se rapporte au quatrième volet du critère servant à déterminer si un comportement est déshonorant, c’est‑à‑dire l’exigence que la conduite du membre soit suffisamment liée à ses fonctions et attributions pour donner à la GRC un intérêt légitime à lui imposer des mesures disciplinaires. Là encore, le demandeur fait valoir que ni la décision initiale ni celle rendue en appel ne démontrent qu’une analyse permettant de conclure que le comportement en cause satisfait à ce volet a été effectuée.

[31] Le paragraphe pertinent de la décision rendue en appel dispose ce qui suit :

[41] Enfin, le comportement était effectivement lié aux devoirs de l’appelant et aux fonctions de celui‑ci en tant que membre de la GRC, ce qui justifie donc l’imposition de mesures disciplinaires. De surcroît, en sa qualité de membre de la GRC, selon la preuve, l’appelant n’a pas respecté certaines valeurs de la GRC, à savoir l’intégrité et le professionnalisme.

[32] Il est difficile de dire, à la lecture de la décision rendue en appel, si l’arbitre conclut, dans le paragraphe qui précède, que le lien requis a été établi ou que l’autorité disciplinaire a conclu à l’existence de ce lien. Quoi qu’il en soit, le demandeur fait valoir qu’aucune des décisions ne démontre une quelconque analyse à l’appui de cette conclusion.

[33] Selon le défendeur, la preuve sur laquelle se fonde l’autorité disciplinaire pour établir le lien nécessaire entre la conduite du demandeur et ses fonctions et attributions en tant que membre de la GRC émane du rapport d’enquête et des dépositions des témoins, dont il est question dans la décision initiale. Il fait valoir que la décision initiale reposait sur la preuve et qu’en conséquence, la décision rendue en appel sur ce point était raisonnable.

[34] Là encore, je dois me ranger à l’argument du demandeur. Indépendamment de la question de savoir si la preuve permet de conclure à l’existence du lien requis, ni l’autorité disciplinaire dans la décision initiale ni l’arbitre dans la décision rendue en appel n’ont expliqué en quoi la preuve leur a permis de tirer une telle conclusion.

[35] Le demandeur invoque la décision Millhaven Fibres Ltd v O.C.A.W., Local 9-670, [1967] O.L.A.A. No 4 (Conseil d’arbitrage de l’Ontario), le document du Comité externe d’examen de la GRC portant sur la conduite en dehors des heures de service (document de recherche 7), à la page 5, ainsi que la jurisprudence applicable (Lévis (Ville) c Côté, 2007 CSC 14, [2007] 1 RCS 591, au para 41, Braiden v Ratcliff, 2008 CanLII 91558 (LERB Alb), aux para 12‑15, citant et approuvant la décision Lingl and Calgary Police Service (1993), 2 ALERB 128, au para 141, et Constable WD Silverman v Ontario Provincial Police, 1997 CanLII 22046 (CPC Ont), au para 32), pour expliquer les principes régissant l’imposition de sanctions disciplinaires aux policiers et autres employés pour inconduite en dehors des heures de service. Pour les besoins de la présente demande, il n’est pas nécessaire que j’examine ces principes en détail, car dans les décisions administratives en cause en l’espèce, les décideurs n’exposent pas le raisonnement qu’ils ont suivi, en appliquant ces principes ou autrement, pour conclure qu’il était satisfait au quatrième volet du critère relatif au comportement déshonorant.

[36] En ce qui concerne cette deuxième question soulevée par le demandeur, je conclus là encore que la décision rendue en appel est déraisonnable.

C. Dans la décision rendue en appel, l’arbitre a‑t‑il accordé suffisamment d’importance à la recommandation formulée par l’inspecteur Dubois dans la note de service?

[37] Dans son dernier motif de contrôle, le demandeur se fonde sur la recommandation formulée dans la note de service, selon laquelle il n’était pas nécessaire de procéder à une enquête. Le demandeur soutient que l’opinion des cadres ayant pris part à la rédaction de la note de service constitue une preuve pertinente pour juger du troisième volet du critère relatif au comportement déshonorant, autrement dit pour déterminer quel regard une personne raisonnable poserait sur la conduite reprochée. Il affirme que la décision rendue en appel est déraisonnable, car elle n’aborde pas cet argument en appel.

[38] Je refuse de traiter de ce motif de contrôle. La présente demande de contrôle doit être accueillie sur la foi des conclusions que j’ai tirées relativement aux deux premières questions. Ces conclusions reposent sur l’absence de l’analyse requise dans la décision initiale et dans la décision rendue en appel. À défaut de bénéficier d’une telle analyse, il m’est impossible d’évaluer l’importance de la preuve que représente la note de service.

V. Réparation

[39] Dans son avis de demande, le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’arbitre. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées sur la question du caractère raisonnable de la décision, il est évident que cette réparation peut être accordée. Par contre, le demandeur sollicite également une ordonnance prescrivant qu’il soit fait droit à l’appel interjeté devant l’arbitre et, dans son argumentation, il prie la Cour d’ordonner que la réprimande soit retirée de son dossier à la GRC. Ce n’est qu’à titre subsidiaire qu’il me demande d’ordonner le renvoi de l’appel pour nouvelle décision.

[40] Le défendeur soutient que la réparation que sollicite le demandeur va au-delà de ce qu’une cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire tend généralement à accorder. Il avance qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de tirer ses propres conclusions sur le fond du processus disciplinaire. Si la Cour conclut que la décision administrative est déraisonnable, la réparation qu’il convient d’accorder est l’annulation de cette décision et le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision.

[41] Le défendeur a raison d’affirmer que la réparation normalement accordée à la partie dont la demande de contrôle judiciaire est accueillie consiste à annuler la décision et à renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. En effet, je comprends que le demandeur convient qu’il s’agit là de la mesure habituelle. À l’appui de la réparation demandée, le demandeur fait essentiellement valoir que la conclusion selon laquelle il a eu un comportement déshonorant est non seulement injustifiée dans les décisions administratives, mais également injustifiable au vu du dossier dont disposaient les décideurs. Il renvoie à la preuve au dossier, y compris à la recommandation favorable dans la note de service, ainsi qu’aux dépositions des civils présents à la fête, qui ont déclaré ne pas avoir été incommodés par sa conduite.

[42] En ce qui concerne la question de la réparation à accorder, je souscris à l’avis du défendeur. Je comprends l’argument du demandeur lorsqu’il affirme que le dossier renferme une preuve abondante permettant de conclure que le critère relatif au comportement déshonorant n’est pas rempli. Cela dit, je ne suis pas disposé à conclure qu’une telle conclusion est inévitable. À cet égard, je souscris aux arguments du défendeur, à savoir que les décideurs administratifs habilités par la Loi possèdent des compétences spécialisées, que la norme de contrôle confirmée par l’arrêt Vavilov exige de faire preuve d’une grande retenue envers ces décideurs et que la Cour ne peut tirer une conclusion quant au fond du processus disciplinaire sans outrepasser le rôle qui lui revient dans le cadre du présent contrôle. Il lui faut plutôt ordonner le renvoi de l’affaire à un autre décideur désigné comme arbitre pour qu’il rende une nouvelle décision qui soit conforme au critère applicable.

VI. Dépens

[43] Chacune des parties a réclamé des dépens si l’issue de la cause devait lui être favorable. À la fin de l’audience, après y avoir été incités par la Cour, les avocats ont fait savoir que les parties s’étaient entendues sur le quantum des dépens qui devaient être adjugés à la partie ayant gain de cause. Elles conviennent que ces dépens devraient être fixés à 2 100 $, une somme forfaitaire qui comprend les frais, les débours et la TVH, s’il y a lieu, et qui repose, si je comprends bien, sur la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[44] Bien que l’adjudication des dépens relève en dernier ressort du pouvoir discrétionnaire de la Cour, je conviens avec les avocats que le montant sur lequel ils se sont entendus est approprié. Puisque le demandeur a obtenu gain de cause dans la présente demande, des dépens correspondant à une somme forfaitaire de 2 100 $ lui seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-692-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’arbitre datée du 26 mars 2020 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur désigné à ce titre pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Le demandeur a droit à des dépens d’une somme forfaitaire de 2 100 $, tout compris.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-692-20

INTITULÉ :

DANIEL LAPORTE c PGC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence À Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 5 février 2021

COMPARUTIONS :

Malini Vijaykumar

POUR LE DEMANDEUR

Yusuf Khan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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