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Date : 20210125


Dossier : IMM‑5560‑19

Référence : 2021 CF 77

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

FARUK ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Faruk Ali, est un citoyen du Ghana qui allègue craindre d’être persécuté par sa communauté et par le gouvernement du fait de son orientation sexuelle en tant qu’homme bisexuel. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de rejeter sa demande d’asile. La SPR et la SAR ont toutes deux estimé que M. Ali n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Ali a allégué qu’il avait été contraint de fuir le Ghana après que son partenaire homosexuel et lui eurent été surpris ensemble à son domicile et menacés par des membres de sa communauté. Il s’est réfugié au domicile d’un ami jusqu’à ce qu’il soit en mesure de quitter le Ghana pour le Canada. À son arrivée au Canada, M. Ali a demandé l’asile.

[3] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Ali au motif que ses éléments de preuve n’étaient pas crédibles et qu’il n’avait pas établi qu’il est bisexuel. Dans l’appel devant la SAR, la principale question consistait à savoir si la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de M. Ali. La SAR a conclu que l’appréciation de la SPR était correcte.

[4] M. Ali soutient que les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité, qui reflétaient celles tirées par la SPR, portaient déraisonnablement sur des contradictions mineures et accessoires, comme des divergences quant aux dates. Il affirme que la SAR a omis d’examiner les éléments de preuve en tenant compte de son état de santé, puisqu’il souffrait de problèmes de mémoire et d’élocution et qu’il avait reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique (SSPT). De plus, M. Ali affirme que la SAR a manqué à l’équité procédurale en critiquant injustement l’absence d’éléments de preuve corroborants, sans lui accorder la possibilité de répondre à ses préoccupations. Enfin, M. Ali prétend que la SAR a omis d’effectuer une analyse appropriée aux termes de l’article 97.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable, et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité ?

  2. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas la possibilité de répondre aux préoccupations quant à l’absence d’éléments de preuve corroborants?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse appropriée aux termes de l’article 97?

[7] La norme de contrôle applicable à la première et à la troisième questions en litige est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Je souligne que, même si M. Ali formule la troisième question en litige comme une question d’équité procédurale en raison de l’omission de la SAR d’effectuer une [traduction] « analyse approfondie » aux termes de l’art. 97, l’essentiel de son argument se rapporte au caractère raisonnable de la décision.

[8] Une norme de contrôle qui s’apparente à celle de la décision correcte s’applique à la deuxième question en litige, soit celle de savoir si la SAR a manqué à l’équité procédurale : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Vavilov au para 23.

III. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité ?

[9] M. Ali soutient que l’analyse de la SAR était trop tatillonne, et que la SAR a attaqué sa crédibilité en se concentrant sur des questions qui étaient accessoires, non pertinentes ou digressives relativement à sa demande d’asile : Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana] au para 11; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 au para 3. Plus particulièrement, il affirme que la SAR s’est concentrée exagérément sur l’exactitude des dates de ses relations homosexuelles, en dépit de ses explications selon lesquelles il n’était pas bon avec les dates et qu’il avait des problèmes de mémoire. M. Ali prétend que la SAR a commis la même erreur susceptible de contrôle que celle décrite dans la décision Adegbola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 511 [Adegbola] au paragraphe 31, dans laquelle la Cour avait statué que la crédibilité de la demanderesse n’avait que très peu à voir avec son incapacité à se souvenir de la date d’un incident qui était survenu plusieurs années auparavant.

[10] M. Ali prétend que la SAR a omis de prendre en considération l’incohérence de ses éléments de preuve en tenant dûment compte de ses antécédents culturels, de son état psychologique et de ses capacités intellectuelles restreintes : Lubana au para 12; John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 387 [John] au para 6. De plus, il affirme que la SAR a omis de prendre en compte comme il se devait les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression de genre [les Directives sur l’OSIGEG] et qu’elle a inclus pour la forme une mention passe-partout selon laquelle les Directives sur l’OSIGEG avaient été prises en compte.

[11] M. Ali a déclaré qu’il avait eu des difficultés en classe, soulignant qu’il avait fréquenté l’école élémentaire pendant 10 ans parce qu’il a dû redoubler certaines années, et il a produit un rapport d’un expert-conseil de l’approche psychodynamique, qui expliquait ses problèmes d’élocution et de mémoire, et ses difficultés à se concentrer en raison de la distraction causée par l’hypervigilance propre au SSPT. Il affirme que la SAR a minimisé l’importance du rapport et a omis de prendre en compte ses symptômes et son diagnostic dans l’appréciation de ses éléments de preuve. Dans l’ensemble, M. Ali prétend que ses éléments de preuve étaient crédibles, particulièrement à la lumière de ses antécédents, de ses expériences passées, de son trouble de l’élocution, de sa mémoire défaillante, de son peu d’instruction, et du rapport de l’expert-conseil de l’approche psychodynamique. Il soutient que le manque de cohérence dans le témoignage d’un demandeur d’asile devrait être considéré à la lumière de l’état psychologique de ce dernier, en particulier lorsque cet état est étayé par des documents médicaux : Lubana au para 12. M. Ali invoque la décision Romiluyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1194 aux paragraphes 3 à 5 pour soutenir qu’il faut examiner tous les éléments de preuve se rapportant à la demande d’asile avant de tirer une conclusion générale au sujet de la crédibilité. Il prétend que la SAR a accordé un poids insuffisant au rapport de l’expert-conseil de l’approche psychodynamique qui a été produit à l’appui de son état d’esprit, et qu’elle a omis de l’examiner de manière juste et réaliste quand elle a apprécié sa crédibilité : John au para 7.

[12] J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité. La SAR ne s’est pas concentrée sur des questions accessoires, non pertinentes ou digressives en concluant que M. Ali n’avait pas établi ses affirmations selon lesquelles il avait eu deux relations homosexuelles au Ghana. Comme le souligne à juste titre le défendeur, M. Ali a déclaré qu’il avait des motifs de craindre des membres de sa communauté en raison de sa prétendue bisexualité, et la question de savoir si M. Ali avait eu des relations homosexuelles au Ghana était au cœur de sa demande d’asile. La SAR a renvoyé à de nombreuses incohérences et contradictions dans les éléments de preuve au sujet des aspects essentiels de la demande d’asile de M. Ali.

[13] La SAR a relevé d’importantes divergences dans le témoignage de M. Ali en ce qui concerne le moment où il a rencontré son premier partenaire homosexuel et les circonstances de cette rencontre, et la durée de la relation, d’un an à six ans. À divers moments pendant l’audience devant la SPR, M. Ali a affirmé qu’il avait 18 ans, 19 ans, ou 20 ans au début de sa première relation homosexuelle. Il a aussi soutenu qu’il avait rencontré son premier partenaire lorsqu’il avait commencé à fréquenter l’école secondaire, en 2001. Par ailleurs, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et les formulaires de demande, il est écrit qu’il a commencé à fréquenter l’école secondaire en 1999 et qu’il a ressenti de l’attirance pour son premier partenaire homosexuel après avoir obtenu son diplôme, en 2002. M. Ali a été invité à expliquer ces contradictions, et la SAR a convenu avec la SPR que les explications données n’étaient pas satisfaisantes. En dernière analyse, les incohérences ont amené la SAR à conclure que, selon la prépondérance des probabilités, M. Ali n’avait pas eu de relation homosexuelle avec son premier partenaire allégué.

[14] En ce qui concerne la deuxième relation, la SAR n’a pas jugé crédible que M. Ali ait entretenu une relation homosexuelle avec un haut fonctionnaire. M. Ali n’a pas donné un témoignage cohérent en ce qui concerne le moment où cette relation avait commencé, n’a déployé aucun effort pour communiquer avec cette personne et n’a produit aucun élément de preuve pour corroborer l’identité de son deuxième partenaire, même s’il a prétendu que c’était une personnalité publique qui faisait des apparitions à la télévision.

[15] La SAR a aussi rejeté le récit de M. Ali d’un incident violent perpétré à son domicile par des membres homophobes de sa communauté — l’incident qui l’avait amené à fuir le Ghana. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, M. Ali a affirmé que des membres homophobes de sa communauté s’étaient rendus à son domicile alors que son partenaire et lui s’y trouvaient et qu’ils avaient commencé à les battre à l’aide de bâtons. Le témoignage de vive voix de M. Ali lors de l’audience devant la SPR présentait un récit différent, selon lequel la foule avait frappé dans la porte à l’aide de bâtons, mais qu’elle n’avait jamais eu la possibilité de l’agresser physiquement ou d’agresser son partenaire parce que le couple avait entendu la foule arriver et avait fui par la fenêtre de derrière.

[16] Je ne suis pas convaincue par l’observation de M. Ali selon laquelle la contradiction quant à la question de savoir si la foule avait frappé dans la porte à l’aide de bâtons ou l’avait battu à l’aide de bâtons découlait de problèmes d’interprétation. À l’appui de cet argument, le conseil de M. Ali a souligné que ce dernier n’avait jamais fait état de blessures subies lors de l’incident. Toutefois, comme le souligne à juste titre le défendeur, M. Ali a modifié deux fois son formulaire FDA. Toute préoccupation relative à une interprétation inexacte aurait pu être dissipée. De plus, même si M. Ali a affirmé devant la SPR que sa sœur n’était pas présente au moment de l’incident, il a produit une lettre de celle-ci, dans laquelle elle prétendait qu’elle était sur place lorsque la foule est arrivée, mais aussi qu’elle avait vu son frère et son partenaire se faire battre.

[17] La SAR a raisonnablement conclu que l’explication donnée par M. Ali selon laquelle il s’était caché au domicile d’un ami après l’incident violent n’était pas crédible, puisque l’identité de cet ami était mise en doute. Dans les semaines précédant l’audience devant la SPR, M. Ali a corrigé l’identité de l’ami et a produit une nouvelle lettre, rédigée sous un nouveau nom, accompagnée d’une copie de très mauvaise qualité d’une carte d’électeur. La SAR n’a pas accepté l’explication de M. Ali selon laquelle il avait donné différents noms à son ami parce que celui‑ci avait plusieurs noms et que le fait d’avoir de nombreux noms faisait partie de la culture ghanéenne. De plus, la SAR a souligné que l’ami, qui est censé avoir grandi avec M. Ali, était d’au moins 13 ans son cadet.

[18] Même si M. Ali a affirmé qu’il avait assisté à des rencontres dans un centre de soutien pour les personnes LGBTQI+, la SAR a estimé que cela n’était pas suffisant pour dissiper d’autres préoccupations quant à sa crédibilité concernant son orientation sexuelle et a accordé peu de poids aux éléments de preuve présentés par le centre de soutien.

[19] M. Ali explique que les divergences dans ses éléments de preuve et son omission de corriger le formulaire FDA étaient attribuables à des problèmes de mémoire et à son « intelligence limitée », et certaines disparités étaient attribuables à des problèmes d’interprétation. Toutefois, la SAR a convenu avec la SPR que lorsque les incohérences et les contradictions ont été portées à l’attention de M. Ali, ses explications relatives à son « intelligence limitée », à sa mémoire défaillante et aux erreurs d’interprétation n’étaient pas des explications satisfaisantes pour des contradictions importantes sur des faits intimement liés à son propre exposé circonstancié. Il faut établir une distinction avec les circonstances de la décision Adegbola, dans laquelle la demanderesse ne pouvait pas se souvenir de la date exacte d’une agression qui avait eu lieu sept ans plus tôt, en 1999, et la Cour avait souligné qu’il y avait d’autres éléments de preuve (une lettre de l’hôpital) confirmant que celle-ci avait reçu des traitements pour des blessures subies le 4 avril 1999.

[20] Même si M. Ali soutient que la SAR a omis de prendre en considération son problème d’élocution, sa mémoire limitée ou défaillante, son peu d’instruction, et les limitations cognitives relevées dans le rapport de l’expert-conseil de l’approche psychodynamique, j’estime que la SAR a pris en compte ces prétendues limitations et a raisonnablement conclu que les problèmes cognitifs et psychologiques de M. Ali n’expliquaient pas de façon suffisante ses préoccupations quant à la crédibilité. Après avoir tenu compte des Directives sur l’OSIGEG et de la mise en garde selon laquelle les problèmes de santé mentale peuvent avoir une incidence sur la capacité d’une personne de témoigner, la SAR a estimé qu’il était vraisemblable que M. Ali ait pu confondre décembre 2016 et janvier 2017 pour les dates où se serait produite la prétendue agression, et elle ne le lui a pas reproché. Toutefois, elle n’a pas été convaincue par l’argument présenté par M. Ali selon lequel ses problèmes cognitifs et psychologiques pouvaient expliquer ses nombreuses préoccupations quant à la crédibilité. La SAR a jugé que les contradictions relevées dans les éléments de preuve présentés par M. Ali allaient bien au‑delà des symptômes décrits dans le rapport de l’expert-conseil de l’approche psychodynamique et touchaient les décisions de M. Ali sur la façon de présenter sa demande d’asile, outre la pression de la salle d’audience.

[21] Les affirmations figurant dans le rapport de l’expert-conseil de l’approche psychodynamique selon lesquelles M. Ali éprouvait [traduction] « des difficultés constantes à se concentrer en raison de la distraction découlant de schèmes de pensée hypervigilants, et il égar[ait]e souvent des objets ou oubli[ait] où il les avait mis » n’abordaient pas les préoccupations de la SAR quant à des incohérences dans des aspects essentiels de sa demande d’asile — comme le moment où ont commencé ses relations homosexuelles, la nature de ces relations, la question de savoir s’il avait terminé ses études secondaires, et celle de savoir s’il avait été battu lors d’un incident violent à son domicile. La SAR a raisonnablement conclu que les problèmes de santé mentale de M. Ali ne représentaient pas une explication raisonnable pour les nombreuses contradictions dans ses éléments de preuve.

[22] Au-delà de l’affirmation selon laquelle [traduction] « il est très clair » que les appréciations de la crédibilité effectuées par la SAR ne tenaient pas compte des Directives sur l’OSIGEG, M. Ali n’a relevé aucun exemple dans les motifs de la SAR à l’appui de son argument voulant que la SAR ait fait fi des Directives sur l’OSIGEG. J’estime que les motifs de la SAR montrent que celle-ci, tout en étant sensible aux problèmes cognitifs et de santé mentale de M. Ali dans son appréciation des éléments de preuve, a conclu que ces problèmes ne pouvaient pas expliquer les contradictions dans son témoignage. Je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la SAR.

[23] Dans l’ensemble, la SAR a raisonnablement conclu que la SPR avait eu raison de conclure que M. Ali n’avait pas établi son orientation sexuelle en tant qu’homme bisexuel.

B. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas la possibilité de répondre aux préoccupations quant à l’absence d’éléments de preuve corroborants?

[24] M. Ali prétend que la SAR a manqué à l’équité procédurale en invoquant l’absence d’éléments de preuve corroborants sur l’identité et le profil de son deuxième partenaire homosexuel, puisqu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de la SAR. En raison de la notoriété de l’ancien partenaire de M. Ali, la SAR a souligné que M. Ali aurait dû être en mesure de produire une photo de son partenaire ou une coupure de presse afin de corroborer l’identité et le profil de ce partenaire. Hormis s’être fait demander s’il avait essayé de contacter son deuxième partenaire lors de l’audience devant la SPR — ce à quoi il a répondu par la négative —, M. Ali soutient que la SAR a omis de lui accorder une possibilité de répondre à ses préoccupations.

[25] J’estime que M. Ali n’a pas établi que la SAR a manqué à l’équité procédurale, ou a par ailleurs commis une erreur, en renvoyant à l’absence d’éléments de preuve corroborants au sujet du deuxième partenaire homosexuel de M. Ali. Je conviens avec le défendeur que l’absence d’éléments de preuve corroborants n’était pas une nouvelle conclusion. La SPR a soulevé l’absence d’éléments de preuve, et elle a demandé à M. Ali les raisons pour lesquelles il n’avait pas essayé de contacter son partenaire depuis l’incident qui s’était produit à son domicile. Dans ses motifs, la SPR a reconnu qu’il était difficile d’obtenir des éléments de preuve corroborants pour établir une relation homosexuelle, mais a conclu que l’omission de M. Ali de déployer le moindre effort pour contacter son partenaire minait sa crédibilité. M. Ali n’a pas contesté cette conclusion en appel.

[26] La conclusion de la SAR était semblable. La SAR n’a pas cru que M. Ali entretenait une relation homosexuelle avec un haut fonctionnaire lorsque l’incident au domicile s’est produit parce que M. Ali : a) a livré un témoignage qui n’était pas cohérent en ce qui concerne le moment où cette deuxième relation a commencé (en 2006, en 2012 ou en 2014); b) n’a déployé aucun effort pour communiquer avec cette personne, qui l’aurait aidé à obtenir un visa pour le Canada; c) n’a produit aucun élément de preuve pour corroborer ses dires concernant le prétendu profil public de ce partenaire. La SAR a amplement justifié sa conclusion selon laquelle M. Ali n’avait pas établi qu’il avait entretenu une deuxième relation homosexuelle.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse approfondie aux termes de l’article 97?

[27] M. Ali soutient que la SAR a commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse approfondie aux termes de l’article 97 de la LIPR. En dépit des préoccupations relatives à la crédibilité, M. Ali soutient qu’il y avait des motifs pour conclure qu’il avait qualité de personne à protéger selon l’article 97 en raison de son orientation sexuelle. M. Ali invoque la décision Odetoyinbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 501 [Odetoyinbo] au paragraphe 7, dans laquelle la Cour a statué qu’« [i]l est clairement établi qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité, quoiqu’elle puisse être concluante quant à une demande du statut de réfugié au titre de l’article 96 de la [LIPR], n’est pas nécessairement concluante quant à une demande en application du paragraphe 97(1) de la Loi ».

[28] Je conviens avec le défendeur que la SAR n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte aux termes de l’article 97 en l’espèce. Dans la décision Odetoyinbo, le tribunal n’a pas explicitement conclu que le demandeur n’était pas bisexuel, et, par conséquent, le tribunal ne pouvait pas faire fi des éléments de preuve objectifs relatifs aux violences subies par les hommes homosexuels au Nigeria. Dans la présente affaire, la SAR a expressément conclu que M. Ali n’avait pas prouvé qu’il était bisexuel, et la décision Odetoyinbo est différente sur ce point. Par conséquent, la SAR n’était pas tenue d’analyser les éléments de preuve relatifs à la situation générale dans le pays quant à la façon dont sont traitées les personnes bisexuelles au Ghana.

[29] De plus, la Cour d’appel fédérale a statué qu’une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité suffit pour rejeter une demande d’asile aux termes des articles 96 et 97, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 au para 3. M. Ali soutient que la SPR disposait d’une preuve crédible indépendante pouvant étayer une décision favorable. En dépit du fait que la SAR n’a renvoyé qu’à sa présence à des rencontres dans un centre de soutien pour les personnes LGBTQI+, M. Ali soutient qu’il a aussi affirmé qu’il avait entretenu une [traduction] « relation occasionnelle » avec un homme au Canada. Je ne suis toutefois pas convaincue que cela représente une preuve documentaire indépendante et crédible pouvant étayer une décision favorable eu égard à la demande d’asile de M. Ali. Qui plus est, M. Ali soulève cette prétendue erreur pour la première fois devant la Cour. Cette préoccupation n’a pas été soulevée en appel devant la SAR. Dans l’ensemble, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse aux termes de l’article 97.

IV. Conclusion

[30] Je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5560‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑5560‑19

 

INTITULÉ :

FARUK ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario) par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 6 OCTOBRe 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard Odeleye

 

POUR Le DEMANDEuR

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Le DEMANDEuR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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