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Date : 20210210


Dossier : IMM‑2219-20

Référence : 2021 CF 140

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 février 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

FATEMEH MOUSAVI PAVAEI,

SEYED MEHDI MOUSAVI,

ET SEYED PAKAN MOUSAVI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. PROCÉDURE

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le 29 février 2020. La SAR a rejeté l’appel pour des motifs de crédibilité, jugeant que la preuve n’était pas suffisante pour conclure que le demandeur principal s’était véritablement converti au christianisme.

II. CONTEXTE

[2] Le demandeur principal, son épouse [Fatemeh], et leur enfant d’âge mineur sont citoyens iraniens.

[3] Les demandeurs résidaient dans une villa à Karaj, un village près de Téhéran. Le demandeur principal avait également une résidence dans la ville portuaire de Bandar Abbas, au sud de l’Iran. Il y vivait à temps partiel pour être près de son travail. Il était propriétaire d’une entreprise d’importation et d’exportation de produits iraniens. Dans le cadre de son travail, il transigeait fréquemment avec les agents des douanes.

[4] L’énoncé des faits suivant est tiré en grande partie du mémoire des faits et du droit des demandeurs :

[TRADUCTION]

En janvier 2017, Salah Zaman [le pasteur] invite le demandeur principal à prendre part à une réunion chrétienne à sa résidence. Par la suite, le demandeur principal y participe plusieurs fois par semaine.

En février 2017, soit une semaine après la première réunion chrétienne, un employé des douanes adhère également à l’église. Quelques jours plus tard, il demande un prêt au demandeur principal. Ce dernier refuse. Plus tard, l’employé des douanes menace le demandeur principal que s’il ne lui prête pas de l’argent, il lui causera des problèmes ainsi qu’à son entreprise. Encore une fois, le demandeur principal refuse de lui accorder un prêt.

À la fin du mois de février ou au début du mois de mars 2017, le directeur adjoint des douanes accuse le demandeur principal de promouvoir le christianisme. Le demandeur principal rejette l’accusation. Une semaine plus tard, on exige au demandeur principal de verser un pot-de-vin pour faire disparaître un dossier compromettant à son sujet. Il refuse de payer et ses biens sont interceptés aux douanes. On lui demande de verser des droits en double. Cette décision est infirmée après que le demandeur principal a porté plainte.

Environ cinq mois plus tard, soit le 27 août 2017, les douanes remettent au demandeur principal et à ses employés une lettre d’interdiction d’accès à leurs installations, et les biens du demandeur principal sont saisis.

Même si le demandeur principal n’a pas mentionné dans son formulaire FDA original ou modifié qu’il avait converti d’autres personnes, il l’a mentionné lors de son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Toutefois, les hommes convertis n’ont pas été identifiés parce qu’on n’a pas demandé leur nom à l’audience. Par conséquent, devant la SAR, de nouveaux éléments de preuve proposés indiquaient pour la première fois que le demandeur principal avait fait du prosélytisme et avait converti Ashkan Nasrabadi [Nasrabadi] au christianisme.

Le 6 septembre 2017, une descente a lieu pendant une réunion chrétienne à la résidence du demandeur principal à Bandar Abbas [la descente]. Le demandeur principal et les autres participants s’enfuient; le demandeur principal se rend à Téhéran, puis à Karaj pour récupérer les membres de sa famille. Ensuite, ils demeurent chez un ami, le Dr Saaki, puis partent pour le Canada.

En octobre 2017, le demandeur principal est informé que les autorités, qui étaient à sa recherche, se sont présentées à sa résidence de Kiraj. Plus tard ce mois‑là, les demandeurs présentent une demande d’asile.

Au Canada, Fatemeh s’est convertie au christianisme et les demandeurs se sont joints à l’église Spirit of Truth. Ils ont tous deux été baptisés.

[5] Les demandeurs ont quitté l’Iran plusieurs fois pour prendre des vacances en 2017 [les vacances]. Voici la liste de leurs voyages :

  • - En mars, ils ont voyagé en Thaïlande, en Malaisie, à Singapour et au Qatar;

  • - En juin, ils ont voyagé en Turquie;

  • - Du 10 au 22 août, ils étaient au Canada.

Après chaque séjour, ils sont retournés en Iran. Le demandeur principal n’a pas participé à des rassemblements chrétiens durant ces vacances.

[6] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs pour des motifs de crédibilité, de défaut de demander l’asile et de s’être réclamés à nouveau de la protection du pays après leurs voyages.

III. DÉCISION DE LA SAR

[7] La SAR a rejeté les nouveaux éléments de preuve ci‑dessous ainsi que l’appel. La commissaire de la SAR a conclu que les affirmations liées à la conversion au christianisme n’étaient pas crédibles.

IV. Discussion et conclusions

[8] Les demandeurs ont déposé sept demandes distinctes à la SAR pour qu’elle admette de nouveaux éléments de preuve. Par souci de simplicité, j’ai créé les groupes de documents ci‑dessous. Les avocats des deux parties ont reconnu que tous les documents pertinents se trouvent dans ces groupes :

(1) Groupe A

Ces éléments de preuves portent sur les activités du pasteur du demandeur principal après la descente et sa fuite vers l’Autriche :

i. Lettre du pasteur du 16 novembre 2018;

ii. Lettre du frère du pasteur datée du 13 novembre 2018.

(2) Groupe B

Ces éléments de preuve portent sur la fuite de Nasrabadi vers l’Allemagne après la descente :

i. Lettre de Nasrabadi datée du 1er juillet 2019;

ii. Lettre de Nasrabadi datée du 20 mars 2020;

iii. Lettre du pasteur du demandeur principal datée du 8 août 2019 au sujet de Nasrabadi.

(3) Groupe C

Il s’agit de la preuve du demandeur principal :

i. Affidavit du demandeur principal daté du 16 avril 2019, portant sur le groupe A;

ii. Affidavit du demandeur principal daté du 1er août 2019, portant sur le groupe B.

(1) Éléments de preuve du groupe A

[9] Les lettres du groupe A corroborent la preuve du demandeur au sujet de la descente. De plus, le pasteur indique qu’il est resté en Iran pendant cinq mois après la descente. Le 19 mars 2018, il a quitté l’Iran pour l’Autriche, où il a demandé l’asile le 12 septembre 2018. Pendant son séjour, il n’a communiqué qu’avec sa famille, et son frère a refusé de divulguer ses allées et venues aux demandeurs. Enfin, le 11 octobre 2018, le frère du pasteur a donné au demandeur principal le numéro de téléphone du pasteur lorsque celui-ci a été en sécurité en Autriche.

[10] Il ressort clairement de la preuve que le 25 septembre 2018, lorsque la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs, le pasteur ne pouvait pas être joint. Les demandeurs soutiennent que ce fait répond aux exigences de l’article 110 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Toutefois, l’explication selon laquelle les éléments de preuve émanant du pasteur n’étaient pas normalement accessibles, le 25 septembre 2018, était incomplète parce qu’elle n’abordait pas la question de leur accessibilité potentielle si on avait communiqué ou tenté de communiquer avec le pasteur durant la période de cinq mois avant qu’il quitte l’Iran. Puisque l’exigence du paragraphe 110(4) de la LIPR n’était pas respectée, il était raisonnable que la commissaire de la SAR rejette les nouveaux éléments de preuve du groupe A.

[11] L’absence d’une explication exhaustive concernant leur accessibilité était clairement la raison principale pour laquelle la commissaire de la SAR a rejeté les éléments de preuve du groupe A; toutefois, cette dernière semblait préoccupée par le fait que ces éléments ne soient pas crédibles parce qu’ils réfutaient une conclusion défavorable de crédibilité tirée par la SPR [la préoccupation]. Les demandeurs renvoient à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh [Singh], 2016 CAF 96 au para 38, où la Cour d’appel fédérale cite l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 13(3)c). On y mentionne clairement que le caractère nouveau d’un élément de preuve proposé peut se dégager du fait que cet élément permet de réfuter une conclusion défavorable de crédibilité tirée par la SPR. Autrement dit, l’arrêt Singh envisage expressément ce genre de nouvelle preuve. Pour cette raison, il était déraisonnable que la commissaire de la SAR considère cette préoccupation comme un motif de rejet des éléments de preuve du groupe A. Toutefois, puisque là n’était pas le motif principal de sa décision de les rejeter, je conclus que ce rejet était raisonnable.

(2) Éléments de preuve du groupe B

[12] Nasrabadi était l’un des hommes présumément convertis au christianisme par le demandeur principal. Les demandeurs affirment qu’ils ont eu un contact avec M. Nasrabadi seulement après avoir renoué avec le pasteur du demandeur principal.

[13] Selon moi, contrairement à la conclusion de la commissaire de la SAR, l’inaccessibilité des éléments de preuve du groupe B au moment où la SPR a rendu sa décision, le 25 septembre 2018, s’explique par le fait que le pasteur n’a pas eu de nouvelles de M. Nasrabadi avant le 23 juin 2019. Cette date est très éloignée du moment où la décision a été rendue par la SPR. De plus, lorsque le pasteur a obtenu les coordonnées de M. Nasrabadi, il les a rapidement données au demandeur principal. Selon moi, il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que le défaut de présenter ces éléments de preuve n’était pas expliqué adéquatement.

[14] Par ailleurs, la SAR s’est dite préoccupée par la crédibilité des éléments de preuve du groupe B parce que ces éléments réfutaient une conclusion de crédibilité tirée par la SPR. Cette dernière a conclu, en fonction de la preuve documentaire, que le prosélytisme par des chrétiens en Iran était peu probable compte tenu des questions liées à la sécurité.

[15] Selon moi, bien qu’il puisse y avoir des raisons de douter de la crédibilité des nouveaux éléments de preuve du groupe B, compte tenu de la preuve documentaire contradictoire et de l’omission, par le demandeur principal, de parler des conversions dans son formulaire FDA, aucune de ces raisons n’a été invoquée par la commissaire de la SAR. Je juge déraisonnable qu’elle remette en cause la crédibilité des éléments de preuve du groupe B simplement parce qu’ils répondaient à la conclusion défavorable de crédibilité de la SPR.

[16] La commissaire de la SAR a également conclu que les éléments de preuve du groupe B n’étaient pas crédibles parce que le demandeur principal n’avait pas nommé M. Nasrabadi à l’audience de la SPR. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la difficulté réside dans le fait qu’on n’a pas demandé au demandeur principal de nommer les trois personnes qu’il a converties. Dans ces circonstances, ce motif de rejet était également déraisonnable.

V. AUTRES CONCLUSIONS DÉRAISONNABLES

[17] Au paragraphe 46 de la décision de la SAR, la commissaire a rejeté la lettre du Dr Saaki dans laquelle celui‑ci affirmait que le demandeur principal, Fatemah et leur fils s’étaient cachés chez lui avant leur départ pour le Canada. La SAR a rejeté la lettre au motif qu’elle n’était pas crédible parce que devant la SPR, le demandeur principal avait déclaré s’être réfugié dans un commerce de rembourrage de meubles après la descente, puis qu’il s’était rendu à l’aéroport. La SAR a compris qu’une fois rendu à l’aéroport, il avait fui vers le Canada. Or, il appert de l’enregistrement de l’audience et du formulaire FDA du demandeur principal que, une fois à l’aéroport, le demandeur principal s’est envolé vers Téhéran pour récupérer son épouse et son fils. Ils se sont ensuite cachés chez le Dr Saaki, puis sont partis pour le Canada. Pour cette raison, je conclus que la SAR a décidé de manière déraisonnable de n’accorder aucune importance à la lettre du DSaaki.

[18] La preuve montre que le père de Fatemah est un hezbollahi. Ce fait est à l’origine de la conclusion par la SPR selon laquelle le groupe terroriste Hezbollah s’intéressait au demandeur principal. Par ailleurs, la commissaire de la SAR a également compris de la preuve que le Hezbollah était une menace et y a vu un embellissement du récit. Toutefois, cette conclusion était déraisonnable parce que la SPR et la SAR ont toutes deux omis d’analyser la preuve selon laquelle le terme hezbollahi n’est pas utilisé pour désigner un membre du Hezbollah. Il désigne plutôt une personne de confession musulmane stricte.

VI. CONCLUSION

[19] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un commissaire différent de la SAR afin qu’il rende une nouvelle décision concernant l’appel des demandeurs.

VII. Certification

[20] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2219-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2219-20

INTITULÉ :

FATEMAH MOUSEVA PAVAEI, SEYED MEHDI MOUSAVI, SEYED PAKAN MOUSAVI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

pAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (Ontario) (LA COUR) ET Toronto (ONTARIO) (LES PARTIES)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 10 FÉVRIER 2021

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LES DEMANDEURS

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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