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Date : 20060630

Dossier : T-89-05

Référence : 2006 CF 843

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 JUIN 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

 

ELI LILLY AND COMPANY

demanderesse

 

et

 

NOVOPHARM LIMITED et

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

défenderesses

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

I.  Introduction

[1]               Eli Lilly and Company (la demanderesse) interjette appel d'une décision en date du 9 novembre 2004 par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce a, pour le compte du registraire des marques de commerce (le registraire), refusé, sur le fondement de la déclaration d'opposition soumise par Novopharm Limited (la défenderesse), la demande présentée par la demanderesse en vue de faire enregistrer sa marque de commerce. Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée (la Loi), et des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

II.  Contexte

A.  Les parties

[2]               La demanderesse fabrique des produits pharmaceutiques. Elle était propriétaire du brevet canadien 1051034 (le brevet) qui visait notamment un composé spécifique, le chlorhydrate de fluoxétine. Cette substance est l'ingrédient actif d'une préparation pharmaceutique utilisée pour le traitement de la dépression. La demanderesse vendait ce produit en liaison avec la marque de commerce PROZAC; il s'agit du premier médicament de la catégorie de psychotropes dite des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS).

 

[3]               La défenderesse est un fabricant de produits pharmaceutiques qui produit et vend des produits pharmaceutiques génériques, y compris une version générique de chlorhydrate de fluoxétine.

 

B.  La procédure d'opposition

 

[4]        Le 26 mai 1995, la demanderesse a déposé la demande suivante pour faire enregistrer une marque de commerce relativement à ses capsules de 20 mg de PROZAC :


[traduction] [...] La marque de commerce consiste dans les couleurs vert pâle et jaune blanchâtre appliquées sur toute la surface visible de la capsule, comme le montrent les échantillons joints à la présente demande. La capsule représentée par la surface pointillée ne fait pas partie de ladite marque de commerce.

 

 

[5]        La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 24 avril 1996 et a fait l’objet d’une opposition de la part de la défenderesse, qui a produit une déclaration d’opposition le 24 septembre 1996. Voici les motifs prévus aux alinéas 38(2)a), 38(2)b) et 38(2)c) que la défenderesse a invoqués dans sa déclaration d'opposition modifiée :

[traduction]

 

A. L’opposante fonde son opposition sur les motifs prévus à l’alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), à savoir que la demande numéro 783742 produite par la demanderesse ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi sous les rapports suivants :

 

1.        Il n’est pas exact que la marque de commerce soit employée en liaison avec les marchandises décrites dans la demande depuis la date alléguée.

 

2.        La demanderesse ne pouvait être convaincue qu’elle avait droit d’employer la marque de commerce alléguée au Canada sous le régime de l’alinéa 30i) de la Loi puisqu’elle n’avait pas l’intention d’employer les couleurs vert pâle et jaune blanchâtre pour distinguer ses marchandises de celles d’autres entreprises.

 

3.        La demande ne contient pas de dessin de la marque de commerce alléguée telle qu’elle est employée par la demanderesse. Toute marque de commerce alléguée de la demanderesse comprend une taille, une forme, des couleurs, ainsi que des inscriptions qui ne figurent pas dans les dessins, soit : « Lilly », « Prozac », la dose unitaire (20 mg) et un numéro d’identification. La description de la marque de commerce donnée dans la demande – [traduction] « les couleurs vert pâle et jaune blanchâtre appliquées sur toute la surface visible de la capsule, comme le montrent les échantillons joints à la présente demande » − ne rend pas compte des éléments de la marque de commerce alléguée.

 

4.        La demanderesse ne pouvait être convaincue qu’elle avait droit d’employer la marque de commerce alléguée au Canada sous le régime de l’alinéa 30i), puisque cette marque n’est pas une marque de commerce, étant fonctionnelle, indicative de la dose unitaire et d’apparence similaire à celles employées par d’autres au point de prêter à confusion.

 

B.   L’opposante fonde son opposition sur les motifs prévus à l’alinéa 38(2)b) de la Loi, à savoir que la marque de commerce alléguée de la demanderesse n’est pas enregistrable, pour les raisons suivantes :

1.        Elle n’est pas une marque de commerce et elle n’est pas un signe distinctif au sens de l’article 2 de la Loi.

 

2.        Elle n’est pas enregistrable sous le régime de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, étant donné qu’elle donne une description claire des marchandises faisant l’objet de la demande, soit une préparation pharmaceutique sous forme de capsule.

 

C.   L’opposante fonde son opposition sur les motifs prévus à l’alinéa 38(2)d) de la Loi, à savoir que la marque de commerce alléguée de la demanderesse, consistant dans la présentation de ses capsules de chlorhydrate de fluoxétine, n’est pas distinctive, pour les raisons suivantes :

 

1.    Elle ne distingue pas, ni n’est adaptée à distinguer, les marchandises de la demanderesse des marchandises d’autres entreprises. Les capsules vert pâle et jaune blanchâtre étaient et sont, à tous les moments pertinents, connues dans le commerce et avait été employées par d’autres, de sorte que les marchandises de la demanderesse ne se distinguent pas et ne peuvent être distinguées de celles d’autres entreprises, par exemple celles :

      a)         d’Apotex, soit l’Apo‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

       b)        de Pharmascience Inc., soit la PMS‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

       c)        de Nu‑Pharm Inc., soit la Nu‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

       d)        de Pfizer Canada Inc., soit le Lithane en capsules de 300 mg;

       e)        de Rhône‑Poulenc Rorer, soit l’Orudis en capsules de 50 mg;

       f)         de Hoechst‑Roussel, soit le Rythmodan en capsules de 100 mg.

 

2.    La demanderesse détenait le brevet canadien numéro 1051034, délivré le 20 mars 1979, et le chlorure de fluoxétine était un composé spécifique couvert par ce brevet. Or, celui‑ci a expiré le 26 mars 1996. La marque de commerce alléguée de la demanderesse ne peut donc être devenue distinctive à la date de production de la demande d’enregistrement en cause.

 

3.    Le registraire n’a pas compétence pour publier la demande d’enregistrement en cause, étant donné qu’il n’a pas exigé de la demanderesse qu’elle établisse le caractère distinctif de la marque. Celle‑ci est en effet un signe distinctif, puisqu’elle consiste en fait dans le façonnement du produit, et elle est telle que son emploi exclusif par la demanderesse a vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement de l’industrie pharmaceutique, sous le régime du paragraphe 13(3) de la Loi, et que son enregistrement vise à prolonger le monopole garanti par le brevet susdit.

 

 

[6]        L'instruction de l'affaire a eu lieu devant la Commission. La demanderesse a déposé les affidavits des Drs Paul Stephan, médecin de famille, George Salib, obstétricien et gynécologue, Barry Jones, médecin, ainsi que ceux de Mme Donna Coady, patiente, de MRobert E. Lee, avocat principal général adjoint spécialisé en propriété intellectuelle chez Eli Lilly and Company aux États‑Unis, de M. Barry Fishman, directeur des opérations chez Eli Lilly Canada, de Mmes Jennifer Clarke, patiente, Lauri Bingham, patiente, et Bonny-Lynn Salo, patiente, de Colin Burrell, directeur de la réglementation chez Eli Lilly Canada Inc. (à la retraite), de Me Douglas Fyfe, avocat, de M. Robert W. White, vice-président principal du Bureau de la vérification du Canada, du DNed Benson, pharmacien et représentant commercial chez Eli Lilly and Company aux États‑Unis, et de M. David Pye, responsable d'études de marché.

 

[7]        La défenderesse a également produit des affidavits, à savoir ceux souscrits respectivement par Mme Janet Brown, responsable d'études de marché, des Drs Douglas C. Weir, psychiatre, Sam Ozersky, psychiatre, Susan Lieff, gérontopsychiatre et chercheur, David Milovanovic, pharmacien, Phil Reed, pharmacien, et de M. John Liefeld, professeur d'études pratiques à l'université de Guelph.

 

[8]        De plus, la défenderesse a déposé des copies certifiées conformes du dossier de la demande d'enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse, une copie du jugement rendu par la juge Reed dans le dossier T-2432-95, Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.) (la décision relative à la commercialisation trompeuse), ainsi qu'une copie du brevet.

C.  Décision de la Commission

[9]        La Commission a commencé sa décision en faisant un bref survol historique de la procédure d'opposition. Elle a fait état des affidavits soumis par chacune des parties et a formulé des observations au sujet de la durée de l'audience, qui avait nécessité plus de quatre jours.

 

[10]      Elle a ensuite analysé le brevet qui avait été octroyé à la demanderesse pour un composé spécifique, soit le chlorhydrate de fluoxétine. Ce brevet expirait le 26 mars 1996. Depuis la date présumée du premier emploi de la marque, soit janvier 1989, jusqu’en mars 1996, la demanderesse était la seule source canadienne de chlorhydrate de fluoxétine vendu en capsules pour moitié vert pâle et pour moitié jaune blanchâtre, sauf pendant la période ayant commencé en novembre 1995, où la demanderesse avait autorisé Pharmascience à vendre sous licence un produit générique de chlorhydrate de fluoxétine en liaison avec la marque.

 

[11]      La Commission a retracé la genèse du différend opposant les parties. La demanderesse a d'abord introduit une action en commercialisation trompeuse en 1995. Le 21 mars 1996, la demanderesse a obtenu une injonction provisoire interdisant à l’opposante et à d’autres marchands de médicaments génériques d’annoncer, de distribuer et de vendre du chlorhydrate de fluoxétine sous forme de capsules [traduction] « vertes et jaune blanchâtre ou vertes et gris pâle ». Le 16 avril 1996, des injonctions interlocutoires du même ordre ont été rendues contre trois fabricants de médicaments génériques, dont la défenderesse [voir Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1996) 67 C.P.R. (3d) 173 (C.F. 1re inst.) (la décision faisant suite à la requête en injonction)].

 

[12]      La défenderesse a par la suite lancé sur le marché des capsules de couleurs différentes (crème seulement pour les capsules de 20 mg de chlorhydrate de fluoxétine). La déclaration d'opposition a été produite le 24 septembre 1996, et le lendemain, le 25 septembre 1996, la Cour d’appel fédérale a levé l’injonction interlocutoire (Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 69 C.P.R. (3d) 455 (C.A.F.)).

 

[13]      Dans un jugement rendu le 25 avril 1997, la juge Reed a rejeté l’action en commercialisation trompeuse (la décision relative à la commercialisation trompeuse). La Cour d’appel fédérale a confirmé ce jugement (Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (2000) 10 C.P.R. (4th10), sauf en ce qui concerne la question de l'octroi de licence. L'autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée ([2001] C.R.C.S. no 100 (QL)).

 

[14]      La Commission a reconnu qu'un des effets conjugués de la délivrance du brevet et du prononcé de l'injonction provisoire et de l'injonction interlocutoire était d'empêcher l'emploi de toute marque de commerce susceptible de créer de la confusion entre la marque projetée de la demanderesse et les produits des fabricants de médicaments génériques jusqu’à la levée de ces injonctions, laquelle a eu lieu le 25 septembre 1996, soit le lendemain de la production de la déclaration d'opposition.

 

[15]      Après que la juge Reed eut rendu son jugement dans l’action en commercialisation trompeuse, la défenderesse a demandé la suspension de la procédure d’opposition, en invoquant notamment le principe de l’autorité de la chose jugée. Aux termes d'une décision datée du 11 novembre 1998, la juge Tremblay‑Lamer a rejeté la demande d'interdiction, au motif qu’un appel de la décision de la juge Reed était encore en instance à cette date (Novopharm Ltd. c. Eli Lilly & Co. (1998), 84 C.P.R. (3d) 292 (C.F. 1re inst.) (la décision sur la demande d'interdiction).

 

[16]      Avant d'entamer l'analyse des éléments de preuve pertinents et admissibles soumis par les parties, la Commission a d'abord tranché deux questions préliminaires de preuve soulevées par les parties à l'audience. La première concernait la tentative faite par la défenderesse, en qualité d'opposante devant la Commission, de déposer en preuve la transcription de l’interrogatoire que Mme Bingham avait subi lors de l’instruction de l’action en commercialisation trompeuse devant la juge Reed. La Commission a rappelé qu'il avait été jugé que cette transcription n'était pas admissible en preuve au cours de la procédure d'opposition au motif qu'il n'avait pas été établi que Mme Bingham avait contredit devant la Commission ─ c'est-à-dire dans son affidavit et dans son contre-interrogatoire subséquent ─ les déclarations qu’elle avait faites au procès.

 

[17]      La Commission a ensuite abordé la question de l’admissibilité de l’affidavit de M. Pye, qui avait été invité à examiner le contenu des trois sondages annexés à son affidavit, à savoir les sondages menés par Environics Research Group Limited, Marquet Facts Canada Limited (le sondage Liefeld Fenwick) et par CanTest (CanTest ou Heeler).

 

[18]      La Commission s'est penchée sur l'objection soulevée par la défenderesse au sujet de l'admissibilité de la transcription du réinterrogatoire de M. Pye. La demanderesse avait mené ce réinterrogatoire en l'absence de l'avocat de la défenderesse. La défenderesse demandait à la Commission de radier entièrement du dossier l’affidavit de M. Pye en invoquant le comportement répréhensible de l'avocat de la demanderesse. La Commission a refusé de radier l'affidavit en précisant qu'elle ne tiendrait pas compte de la transcription du réinterrogatoire, puisque celui‑ci avait été effectué en l’absence du représentant de la défenderesse.

 

[19]      La Commission a ensuite abordé la question de l’admissibilité de l’affidavit de M. Pye, à laquelle la défenderesse s'opposait au motif que cet affidavit contenait des éléments de preuve par ouï-dire. L’opinion d’expert de M. Pye était censée être fondée sur les documents suivants :

 

i)          un affidavit de M. Liefeld produit dans l’action en commercialisation trompeuse, contenant les résultats de l’enquête de Market Facts et des observations sur celle‑ci;

ii)         un affidavit de M. Heeler produit dans l’action en commercialisation trompeuse, contenant les résultats de l’enquête de CanTest et des observations sur celle‑ci;

iii)         le contenu de l’affidavit de Janet Brown, auquel étaient annexés les résultats d’une enquête menée par Environics Research Group Limited.

 

[20]      MM. Liefeld et Heeler n’avaient pas produit d’affidavits dans la procédure d’opposition au sujet du déroulement des sondages dont les résultats étaient annexés à l'affidavit de M. Pye. Ils n'ont donc pas été contre-interrogés. M. Pye avait admis, au cours de son contre-interrogatoire, qu’il n’avait pas participé aux sondages menés par MM. Liefeld et Heeler et qu'il n'avait pas examiné les données brutes sur lesquelles MM. Liefeld et Heeler avaient fondé leurs constatations.

 

[21]      La Commission a pris acte des arguments avancés par les parties au sujet de la question de savoir si le témoignage de M. Pye constituait une preuve par ouï-dire. La défenderesse soutenait que ce témoignage constituait une preuve par ouï-dire inadmissible parce qu'elle ne remplissait pas les conditions d'admissibilité d’une telle preuve, à savoir sa nécessité et sa fiabilité, eu égard aux arrêts R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531 et R. v. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 de la Cour suprême du Canada. Le registraire a conclu que l'opinion de M. Pye était fondée sur des éléments de preuve par ouï-dire double et qu'elle était pour cette raison inadmissible. Le registraire a par ailleurs rejeté la plus grande partie du témoignage de M. Pye au motif que ce dernier s'était montré évasif dans ses réponses, comme l'extrait suivant le démontre :

 

Que ma conclusion touchant l’admissibilité des pièces A et B annexées à l’affidavit de M. Pye soit correcte ou non, je constate que les remarques formulées par celui‑ci sur ces pièces ne sont pas très crédibles pour les raisons exposées dans l’affidavit de M. John Liefeld produit en contre-preuve. Je fonde aussi ma décision sur la transcription du contre-interrogatoire de M. Pye, où ce dernier, à de nombreuses reprises, soit ne répond pas aux questions qu’on lui pose, soit donne de longues réponses par lesquelles il essaie d’éluder ces questions. Ce comportement explique en partie le fait qu’un contre‑interrogatoire qui ne devait prendre qu’une journée en ait en fin de compte exigé sept.

 



[22]      La Commission a rappelé que la demanderesse invoquait l’arrêt Saint John (City) v. Irving Oil, [1966] R.C.S. 581, pour étayer sa thèse que le témoignage de M. Pye était admissible. La Commission a rejeté cet argument en précisant qu'elle ne tiendrait pas compte des sondages de Liefeld et de Heeler annexés à l'affidavit de M. Pye.  Elle a ajouté qu'elle ne tiendrait pas compte non plus des observations formulées par M. Pye au cours de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire. Elle a cependant jugé admissible les observations de M. Pye se rapportant au contenu de l’affidavit de Mme Brown et du sondage d'Environics. À cet égard, la Commission a précisé que l’affidavit de Mme Brown faisait partie du dossier de la procédure d'opposition et qu'en conséquence, les éléments de preuve relatifs au sondage qui étaient joints à son affidavit remplissaient les conditions d'admissibilité énoncées dans l'arrêt Saint John (précité). Le seul sondage dont la Commission a tenu compte était celui mené par Environics.

 

[23]      La Commission a de toute façon invoqué une autre raison pour exclure les sondages de Liefeld et de Huber qui étaient annexés à l'affidavit de M. Pye. Elle a constaté que « les remarques formulées par [M. Pye] sur ces pièces ne sont pas très crédibles pour les raisons exposées dans l’affidavit de M. John Liefeld produit en contre-preuve ». Cet affidavit avait été déposé en contre‑preuve en vue d'analyser et de commenter l'affidavit de M. Pye. La Commission a par ailleurs formulé des observations défavorables au sujet de la façon dont M. Pye avait répondu aux questions qui lui avaient été posées lors de son contre-interrogatoire.

 

[24]      La Commission a formulé des observations au sujet du témoignage donné par des médecins, des pharmaciens et des patients. Elle a signalé que trois des quatre patients en question avaient subi des effets secondaires indésirables avec le médicament générique mais elle a estimé que ces personnes ne constituaient pas un échantillon représentatif des consommateurs canadiens typiques de la version générique du PROZAC. La Commission n'a par conséquent accordé que très peu de poids au témoignage de ces patients.

 

[25]      La Commission a cependant signalé que, suivant certains éléments de preuve non contredits, les patients, c'est-à-dire ceux qui avaient produit des affidavits dans le cadre de la procédure d'opposition, associaient les couleurs des capsules de leurs médicaments à l’affection qui en motive la consommation. La Commission a cité l'exemple des patients qui disent : « Ma pilule bleue pour mon cholestérol », mais elle a estimé qu'on ne pouvait pour autant associer le médicament à sa source d’approvisionnement.

 

[26]      La Commission a formulé des observations au sujet du témoignage donné par les pharmaciens. M. Milovanovic, pharmacien, avait déclaré au cours de son contre-interrogatoire qu'à la date de celui‑ci, soit le 30 avril 1998, d’autres capsules de chlorhydrate de fluoxétine étaient vendues sur le marché canadien sous la même présentation que celle de la marque par diverses entreprises, soit l’opposante, Pharmascience, Apotex et Nu‑Pharm.

 

[27]      M. Reed, un pharmacien qui avait déposé un affidavit pour le compte de la défenderesse, a déclaré en contre-interrogatoire que le flacon contenant le médicament qu’on remet au patient porte une étiquette sur laquelle figure soit la dénomination du fabricant, soit un code lié à la source du médicament. Les couleurs, la forme et la taille des pilules, ainsi que les inscriptions qui y apparaissent, fournissent aux pharmaciens des éléments d’information utiles sur le plan de la sécurité, qui leur permettent au besoin de déterminer la nature, et d’identifier le fabricant du médicament dont il s’agit.

 

[28]      La Commission a fait remarquer que la demanderesse s’était systématiquement opposée à la production de tout élément de preuve tendant à établir l’emploi, après la production de la déclaration d’opposition, de la marque par des tiers en liaison avec le chlorhydrate de fluoxétine. Elle a signalé qu'on avait cependant présenté des éléments de preuve concernant l’emploi de couleurs semblables à celles de la marque avant la production de la déclaration d’opposition, en liaison avec le Lithane, l’Orudis et le Rythmodan, mais qu'aucune preuve n'avait été produite au sujet de l’importance de leur emploi au Canada et de la question de savoir quand cet emploi avait commencé. Chacun de ces médicaments peut être prescrit et consommé en même temps que la capsule de 20 mg de PROZAC.

 

[29]      Vu la décision de la Commission sur l’admissibilité du témoignage de M. Pye au sujet des sondages de Liefeld et de Heeler et des pièces annexées à leur affidavit, il ne restait plus que l’étude d’Environics. L’affidavit de M. John Liefeld avait été produit en contre-preuve du témoignage de M. Pye, mais la Commission a conclu que, comme la plus grande partie du témoignage de M. Pye avait été exclue du dossier, elle ne prendrait pas en considération les résultats du sondage annexés à l’affidavit que M. Liefeld avait produit en contre-preuve. Elle a toutefois précisé qu'elle tiendrait compte des déclarations de son affidavit sur la preuve par sondage en général et sur l’étude d’Environics.

 

[30]      La Commission a défini comme suit l'objet de l'enquête menée par Environics :

 

                     L’enquête d’Environics avait pour objet de mesurer :

a)            la proportion de Canadiens qui associent une capsule moitié verte et moitié jaune blanchâtre au médicament Prozac;

b)            la proportion de Canadiens qui savent que PROZAC est le nom de marque d’un médicament fabriqué par une seule entreprise.

Les résultats de l’enquête d’Environics montrent que 1,4 % des Canadiens établissent un lien entre une capsule moitié verte et moitié jaune blanchâtre et la marque PROZAC. De ces 1,4 %, moins de 4 sur 10 (38,4 %) pensent que le médicament PROZAC est fabriqué par une seule entreprise. Autrement dit, seulement 0,5 % des Canadiens attribuent à une capsule moitié verte et moitié jaune blanchâtre la signification d’un médicament appelé PROZAC, fabriqué par une seule entreprise.

 

[31]      La Commission a abordé la question de l’autorité de la chose jugée que la défenderesse avait soulevée au cours de la procédure d'opposition. Elle a fait état des conclusions de fait tirées par la juge Reed dans sa décision sur la commercialisation trompeuse et a expliqué qu'elle s'estimait tenue d’adopter les constatations de fait effectivement dégagées par la juge Reed sur les questions pour lesquelles la preuve paraissait être dans les deux affaires, sinon identique, du moins très semblable. Elle a également cité les propos suivants tenus par la juge Tremblay-Lamer au paragraphe 40 de la décision sur la demande d'interdiction :

 
[40]    Bien qu’il ne soit pas nécessaire, pour trancher l’affaire, de prendre position sur ce point, je suis d’avis que la chose jugée devrait s’appliquer aux commissions formées pour juger les oppositions, mais seulement lorsque les conditions d’application sont remplies. Toutefois, en pratique, je note que les distinctions techniques sont si nombreuses dans ce domaine du droit que la portée du principe sera considérablement restreinte.

 



[32]      La Commission a cité les arguments que la défenderesse tirait du principe de l'autorité de la chose jugée, ainsi que l'affaire Canadian Shredded Wheat Co. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C. de l'Éch. 58, conf. à [1939] R.C.S. 329 qu'elle invoquait. Elle a établi une distinction entre l'affaire Shredded Wheat et la présente espèce en expliquant que, dans l’action en commercialisation trompeuse, l’opposante doit établir que sa marque a acquis une réputation, tandis que, dans une procédure d’opposition où est invoquée l’absence de caractère distinctif, le demandeur doit prouver que sa marque répond à la définition que la Loi donne du mot « distinctive ».

[33]      La Commission a cité de larges extraits de la décision sur la commercialisation trompeuse dans laquelle la juge Reed avait passé en revue les conditions à remplir pour obtenir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse. La Commission a conclu que, bien que l'action en commercialisation trompeuse et la procédure d'opposition présentent certaines similitudes, les questions de droit à trancher y sont différentes, ainsi qu'il ressortait de la déclaration d’opposition. La Commission a par conséquent conclu qu'elle ne pouvait trancher le litige sur la seule base du principe de l'autorité de la chose jugée.

 

[34]      La Commission a ensuite passé en revue les principes généraux régissant la procédure d'opposition. Elle a d'abord rappelé que c'est au demandeur qu’il incombe d’établir que sa demande est conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi, sur quoi, le défendeur doit, en sa qualité d'opposant, s’acquitter de la charge initiale de prouver les faits qu’il invoque à l’appui de ses motifs d’opposition. Une fois cette preuve faite, la charge de présentation se déplace : il incombe alors au demandeur de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, que les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la marque. La Commission a cité les décisions Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et autres c. Seagram Real Estate Ltd., (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 (C.O.M.C.) et John Labatt Ltée c. Brasseries Molson Ltée, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.).

 

[35]      La défenderesse a fait valoir devant la Commission que la demanderesse avait profité d’une injonction qui avait par la suite été levée. L'existence de cette injonction expliquait pourquoi, à la date de la production de la déclaration d’opposition, la demanderesse avait ainsi pu empêcher, après l'expiration de son brevet, la vente de chlorhydrate de fluoxétine générique sur le marché canadien sous la même présentation que celle décrite dans sa demande. La Commission a estimé que ces faits ne justifient pas de s’écarter de la jurisprudence suivant laquelle la date à retenir pour apprécier le caractère distinctif est celle de la production de la déclaration d'opposition. La Commission a en outre signalé qu'on ne trouvait au dossier aucun élément qui tendait à prouver que, si cette injonction n’avait pas été prononcée, les fabricants de médicaments génériques seraient entrés sur le marché canadien le lendemain de l’expiration du brevet pour y vendre du chlorhydrate de fluoxétine en liaison avec une présentation identique ou semblable à celle décrite dans la demande.

 

[36]      Malgré le fait que la défenderesse soutenait que la date à retenir était celle de la décision de la Commission, celle-ci n'a pas accepté cet argument, ainsi qu'il ressort de l'extrait qui suit :

La Commission, depuis Andres Wines Ltd., a toujours décidé la question du caractère distinctif en fonction de la date de la production de la déclaration d’opposition. Je ne vois pas pourquoi je m’écarterais de cette tradition dominante de la jurisprudence.




[37]      La Commission a ensuite examiné les principes régissant l’enregistrement de la forme et des couleurs de comprimés ou de capsules comme marque de commerce. Elle a cité la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.) (Bayer), conf. à (2000), 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.), ainsi que d'autres décisions. Elle a bien précisé qu'il y avait lieu d'établir une distinction en ce qui concerne l'emploi de la marque de commerce PROZAC et qu'il fallait dissocier le mot de l'emploi de la marque projeté portant sur la couleur et la forme de la capsule de 20 mg.

[38]      La Commission a ensuite analysé les trois motifs d'opposition. Elle a rejeté le premier motif d'opposition, en partie parce que la défenderesse ne s'était pas acquittée de sa charge initiale concernant le deuxième motif de sa déclaration d’opposition.

 

[39]      La Commission a rejeté le deuxième motif d'opposition, qui portait sur l'allégation que la marque ne constituait pas une marque de commerce et qu'elle n'était pas un signe distinctif parce que l’objet décrit dans la demande ne se prêtait pas à l’enregistrement sous le régime de la Loi. La question de savoir si la marque était ou non un signe distinctif ne se posait donc plus.

 

[40]      La Commission a examiné les trois éléments qui constituaient le troisième motif d'opposition dans l’ordre inverse de celui dans lequel ils avaient été formulés. Le troisième élément portait sur l'argument de la défenderesse suivant lequel la marque devrait être considérée comme un signe distinctif. Cet argument a été rejeté parce qu'il était en complète contradiction avec un autre motif d’opposition qui avait lui-même été jugé mal fondé.

 

[41]      Dans le deuxième élément de son troisième motif d'opposition, la défenderesse affirmait que, le brevet ayant conféré des droits exclusifs à la requérante, la marque ne pouvait distinguer les marchandises de la demanderesse de celles vendues par d’autres, puisqu’il ne pouvait y avoir, pendant la durée du brevet, de tiers qui auraient vendu du chlorhydrate de fluoxétine. Invoquant la décision Bayer, la Commission a jugé ce moyen mal fondé.

 

[42]      Le premier élément du premier motif d'opposition avait trait au caractère distinctif. En voici le texte :

C.      L’opposante fonde son opposition sur les motifs prévus à l’alinéa 38(2)d) de la Loi, à savoir que la marque de commerce alléguée de la demanderesse, consistant dans la présentation de ses capsules de chlorhydrate de fluoxétine, n’est pas distinctive, pour les raisons suivantes :

 

1.    Elle ne distingue pas, ni n’est adaptée à distinguer, les marchandises de la demanderesse des marchandises d’autres entreprises. Les capsules vert pâle et jaune blanchâtre étaient et sont, à tous les moments pertinents, connues dans le commerce et avaient été employées par d’autres, de sorte que les marchandises de la demanderesse ne se distinguent pas et ne peuvent pas être distinguées de celles d’autres entreprises, par exemple celles : 

a)     d’Apotex, soit l’Apo‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

b)     de Pharmascience Inc., soit la PMS‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

c)     de Nu‑Pharm Inc., soit la Nu‑Fluoxetine en capsules de 10 mg;

d)     de Pfizer Canada Inc., soit le Lithane en capsules de 300 mg;

e)     de Rhône‑Poulenc Rorer, soit l’Orudis en capsules de 50 mg;

f)      de Hoechst‑Roussel, soit le Rythmodan en capsules de 100 mg.


[43]      La Commission a d'abord examiné la question de savoir si la défenderesse avait produit une preuve suffisante pour s’acquitter de sa charge initiale, de telle sorte qu’il incomberait ensuite à la demanderesse de prouver que la marque était distinctive et apte à distinguer ses marchandises de celles d’autres entreprises.

 

[44]      La Commission a conclu que la marque de Pharmascience avait été employée en liaison avec les marchandises et, qu'aux termes de l’article 50 de la Loi, cet emploi était réputé être un emploi de la marque par la demanderesse. La Commission a rejeté l'alinéa b) du premier élément du troisième motif d'opposition.

[45]      La Commission a signalé que le dossier ne renfermait aucun élément de preuve établissant l’emploi par des tiers, à la date de la production de la déclaration d’opposition, d’une présentation possédant les caractéristiques décrites dans la demande en liaison avec les marchandises. Elle en a conclu que la défenderesse ne s'était pas acquittée de la charge initiale de présentation qui lui incombait relativement aux éléments a) et c) du premier volet du dernier motif d'opposition. Elle a ensuite examiné les alinéas d), e) et f), qui portaient sur l'absence de caractère distinctif de la marque par rapport aux comprimés de 300 mg de Lithane, de 50 mg d'Orudis et de 100 mg de Rythmodan.

 

[46]      La Commission a d'abord cité le témoignage des Drs Stephen, médecin de famille, et Salib, obstétricien et gynécologue qui exerce aussi en médecine familiale. Ils ont tous les deux souscrit des affidavits pour la demanderesse. En contre-interrogatoire, ils ont tous les deux déclaré qu'à la date de la production de la déclaration d’opposition, le Lithane, l’Orudis et le Rythmodan étaient prescrits au Canada et que ces médicaments étaient vendus en capsules vertes et ivoire (beige clair) ou jaunes. La Commission a signalé que, d’après les témoignages non contredits, le Lithane était un agent antimaniaque, tandis que l’Orudis est un anti-inflammatoire, et le Rythmodan un antiarythmique. Chacun de ces trois médicaments peut être prescrit et consommé en même temps que le chlorydrate de fluoxétine. Ces médicaments sont aussi représentés dans l’édition de 1996 du Compendium of Pharmaceuticals and Specialties (CPS).

 

[47]      La Commission a estimé, au vu de l'ensemble de la preuve, que la défenderesse s'était acquittée de sa charge initiale de présentation, de sorte qu’il incombait à la demanderesse d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que la marque était distinctive au sens de la Loi.

[48]      La Commission a commencé son analyse à ce sujet en essayant de déterminer la population visée, appliquant ainsi le critère défini par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120 (Ciba-Geigy). Elle a conclu qu'il incombait à la demanderesse de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, que la marque était distinctive pour les trois groupes de population visés, à savoir les médecins, les pharmaciens et les patients. Elle n'a pas accepté l'opinion suivant laquelle l'emploi du mot « ou » dans les jugements Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et autres, (2000) 28, C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.) et Apotex Inc. v. Monsanto Canada, Inc. (2000), 6 C.P.R. (4th) 26 (C.F. 1re inst.) permettait de penser qu’il suffirait à la requérante d’établir le caractère distinctif de la marque pour seulement un de ces groupes.

 

[49]      Vu l'ensemble de la preuve produite, la Commission a conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, que sa marque était distinctive pour les trois groupes de population visés, à savoir les médecins, les pharmaciens et les patients :

1)   La preuve établit l’existence de trois autres médicaments vendus sous forme de capsules de couleurs identiques ou semblables à celles qui sont décrites dans la présente demande, ainsi que le fait que chacun de ces trois médicaments peut être consommé en même temps que les marchandises de la demanderesse. Cela étant, je ne vois pas comment le consommateur pourrait distinguer les marchandises de la demanderesse de celles d’autres entreprises seulement d’après la présentation qui fait l’objet de la présente demande.

2)   Ni les médecins ni les pharmaciens n’identifient la source d’un médicament seulement d’après sa présentation : ils utilisent pour ce faire les inscriptions apparaissant sur les capsules ou les comprimés.

3)   La seule enquête admissible en preuve révèle que seulement 1,4 % des Canadiens associaient à PROZAC la capsule moitié verte et moitié jaune blanchâtre. Un pourcentage encore plus faible (0,5 %) de la population canadienne associait la marque à une seule source d’approvisionnement. Même s’il n’y a pas de jurisprudence proposant un pourcentage-seuil qui me permettrait de conclure que la marque est suffisamment connue des consommateurs pour être considérée comme distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, j’estime que les pourcentages susdits sont beaucoup trop faibles pour établir, suivant la prépondérance de la preuve, que la marque est distinctive ou apte à distinguer les marchandises de la demanderesse de celles d’autres entreprises.

4)   Comme il ressort de la jurisprudence pertinente, le chiffre des ventes ne suffit pas à lui seul à établir le caractère distinctif de la marque. Qui plus est, on n’a pas décomposé le chiffre global des ventes entre les capsules de 20 mg, qui forment l’objet de la présente demande, et celles de 10 mg, qui font l’objet de la demande 783743.

[Mots non soulignés dans l'original.]

 

[50]      La Commission a expliqué que la marque projetée, qui portait sur la forme et la couleur d'une capsule, était faible par essence et que la demanderesse ne s'était pas acquittée de la lourde charge qui lui incombait d'en démontrer le caractère distinctif.

 

[51]      En conclusion, la Commission a rappelé que, lorsqu'elle statue sur une demande d'opposition, elle exerce les pouvoirs qui lui sont délégués par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi.

 

III.  Prétentions et moyens des parties

A.  La demanderesse

 

[52]      Dans ses observations écrites, la demanderesse s'est surtout attardée à deux questions, celle du critère du caractère distinctif et celle de la norme de contrôle applicable.

 

[53]      La demanderesse affirme que le registraire a mal interprété et mal appliqué le critère du caractère distinctif en concluant que celui-ci devait être établi en fonction de plusieurs groupes, en l'occurrence ceux formés des médecins, des pharmaciens et des patients, plutôt qu'en fonction d'un seul groupe.

 

[54]      Elle affirme par ailleurs qu'il y a deux façons d'établir le caractère distinctif : en démontrant que la marque possède un caractère distinctif inhérent ou en démontrant qu'elle est véritablement distinctive. Elle fait valoir que, dans le premier cas, l'analyse du caractère distinctif inhérent se borne à une catégorie de produits, en l'occurrence les anti-dépresseurs. Elle explique que, pour démontrer que la marque est véritablement distinctive, il faut également procéder à cette analyse en fonction de la catégorie de produits. Elle cite des éléments de preuve portant sur la popularité du PROZAC, sur les activités de commercialisation du produit, sur l'attention dont le PROZAC a fait l'objet dans la presse ainsi que sur les éléments de preuve contenus dans les sondages.

 

[55]      La demanderesse ajoute que le registraire a commis une erreur en concluant que l'existence de produits semblables avait une incidence sur le caractère distinctif du PROZAC. Elle soutient que le marché visé est différent et que rien ne permet de penser qu'il y a confusion.

 

[56]      La demanderesse fait valoir qu'il n'est pas nécessaire qu'une marque de commerce désigne nommément les marchandises associées et elle affirme que le registraire lui a imposé des conditions spéciales. Elle soutient que l'industrie pharmaceutique n'est pas assujettie à un régime distinct pour ce qui est de l'appréciation du caractère distinctif.

 

[57]      La demanderesse affirme que la norme de contrôle élaborée dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.) a été supplantée par celle de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Elle affirme que, compte tenu des faits de l'espèce, l'application de la norme de la décision correcte devrait amener la Cour à reprendre l'affaire depuis le début.

 

[58]      Lors des débats, la demanderesse a invoqué de nouveaux arguments. Elle a affirmé que sa marque avait été enregistrée comme marque de commerce aux États-Unis. Invoquant l'article 14 de la Loi, elle a fait valoir que cette disposition législative donnait peut-être lieu par un critère moins exigeant en matière de caractère distinctif.

 

[59]      Lors de l'instruction du présent appel, la demanderesse a elle aussi soumis de nouveaux arguments au sujet du rejet par le registraire du témoignage d'expert donné par M. Pye. Elle a fait valoir que l'objection formulée au sujet de l'affidavit de M. Pye portait sur la valeur à accorder à cette preuve et non sur son admissibilité, et elle a soutenu que la Cour était en mesure d'examiner ces éléments de preuve et de rendre sa propre décision au sujet de la pertinence de ces éléments de preuve en reprenant l'affaire depuis le début.

 

[60]      La demanderesse affirme par ailleurs qu'à l'audience, le registraire a commis une erreur en « excluant » la preuve soumise sous forme d'affidavits souscrits par des patients. Elle soutient que, dans ce cas également, il est loisible à la Cour d'apprécier ces éléments de preuve en reprenant l'affaire depuis le début.

 

[61]      La demanderesse a tenté de déposer en preuve un guide dont le registraire n'a selon elle pas tenu dûment compte. En réponse à l'objection de la défenderesse, la production de ce guide n'a pas été acceptée. La défenderesse s'est élevée contre toute tentative faite par la demanderesse en vue de présenter des arguments qu'elle n'avait pas soulevés dans son mémoire écrit. La Cour a autorisé la demanderesse à présenter ces arguments, sous réserve de toute décision sur leur admissibilité.

 

B.  La défenderesse

[62]      Dans ses observations écrites, la défenderesse affirme que la décision satisfait au critère de la norme de contrôle applicable, en l'occurrence la norme de la décision raisonnable simpliciter. Elle soutient que la demanderesse n'a pas réussi à démontrer le caractère distinctif de sa marque, que c'est à bon droit que le registraire a déclaré que les produits visés étaient l'ensemble des produits pharmaceutiques et que le marché visé était constitué de l'ensemble des consommateurs et non seulement d'un groupe déterminé.

 

[63]      La défenderesse signale par ailleurs que la demanderesse n'a pas soumis de nouveaux éléments de preuve comme le lui permet le paragraphe 56(5) de la Loi. Elle fait observer que la demanderesse n'a mené aucun contre-interrogatoire sur les nouveaux éléments de preuve déposés par la défenderesse. Or, suivant la défenderesse, ces éléments de preuve appuient la décision du registraire.

 

[64]      Il convient tout d'abord de souligner que les nouveaux éléments de preuve présentés par la défenderesse démontrent l'existence de comprimés semblables au moment des faits et qu'ils établissent que les injonctions obtenues par la demanderesse ont eu pour effet de retarder le lancement sur le marché des produits génériques. Troisièmement, suivant la défenderesse, les nouveaux éléments de preuve démontrent que la marque n'est pas visible au moment du transfert du produit au patient, qui constitue un des consommateurs visés.

 

[65]      La défenderesse formule par ailleurs certaines observations au sujet de l'application du principe de l'autorité de la chose jugée en se fondant sur le jugement rendu contre la demanderesse dans le cadre de l'action en commercialisation trompeuse.

C.  Observations formulées après la clôture de l'audience

[66]      À la suite de l'instruction du présent appel, la défenderesse a obtenu l'autorisation de présenter des observations complémentaires sur la question de l'autorité de la chose jugée à la lumière de l'arrêt récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., [2005] 3 R.C.S. 302 (Kirkbi). La demanderesse s'est vue accorder la possibilité de répondre.

 

[67]      La défenderesse affirme que, dans l'arrêt Kirkbi, la Cour suprême du Canada a décidé que la Loi s'appliquait tant aux marques de commerce déposées qu'à celles qui ne sont pas enregistrées et que la définition que la Loi donne de l'expression « marque de commerce » englobe les marques de commerce projetées comme celle qui est en litige dans le cas qui nous occupe. La défenderesse soutient que le principe de l'autorité de la chose jugée devait s'appliquer en l'espèce parce que la Cour a jugé, dans la décision relative à la commercialisation trompeuse, que la demanderesse n'avait pas réussi à établir le caractère distinctif de la marque sur le fondement de la couleur et de la forme.

 

[68]      Pour sa part, la demanderesse affirme que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas, étant donné que les questions en litige en l'espèce sont différentes de celles sur lesquelles la Cour était appelée à se prononcer dans l'action en commercialisation trompeuse.

IV.  Analyse et dispositif

[69]      C'est l'article 56 de la Loi qui régit le présent appel de la décision par laquelle le registraire a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue de faire enregistrer une marque de commerce se rapportant à la couleur et à la forme de sa capsule de 20 mg of PROZAC. Aux termes de l'alinéa 300d) des Règles, l'appel est instruit comme s'il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire, c'est-à-dire comme une instance dans laquelle la preuve est présentée sous forme d'affidavits. D'autres documents que les parties cherchent à invoquer ont été versés au dossier de demande de chacune des parties. Aux fins du présent appel, la décision de la Commission est considérée comme une décision du registraire.

 

[70]      Le paragraphe 56(5) permet de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel :

 

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[71]      La première question à résoudre est celle de la norme de contrôle applicable. Ainsi que je l'ai déjà signalé, la demanderesse soutient que la norme de la décision déraisonnable, qui a été analysée dans l'affaire Brasseries Molson, a été supplantée par celle de la décision correcte par suite de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Barrie Public Utilities.

 

[72]      Dans l'arrêt Brasseries Molson, la Cour d'appel a, sous la plume du juge Rothstein, dit ce qui suit au sujet de la norme de contrôle applicable aux décisions du registraire :

Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

 

 

[73]      Récemment, dans le jugement Marks & Clerk c. Sparkles Photo Limited, (2005), 41 C.P.R. (4th) 236 (C.F. 1re inst.), le juge Mosley a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle au sujet de la norme de contrôle régissant les appels des décisions rendues en matière de radiation par le registraire en vertu de l'article 45 de la Loi. La défenderesse soutenait que la norme applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter. Voici ce que la Cour dit au sujet des quatre facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle :


16. Quant au premier facteur de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, il n'y a pas de clause privative et la présente instance a été intentée en vertu d'un droit d'appel prévu à l'article 56 de la Loi. Cela donne à entendre que l'on doit faire preuve d'une moindre déférence à l'égard de la décision du registraire.

17. L'analyse du facteur « expertise » comporte trois volets : la nature de la question ou des questions en litige; l'expertise du décideur administratif à l'égard de ces questions; la propre expertise de la Cour par rapport à celle du décideur : M. Q, précité, paragraphe 28.

 

18. L'appelante affirme que le sort de l'espèce dépend de l'interprétation et de l'application de la jurisprudence pertinente, notamment les arrêts Honey Dew et Saccone and Speed, précités, et qu'il n'y a pas lieu de considérer qu'en l'espèce, l'agent d'audition aurait une expertise plus grande que la Cour pour appliquer les principes pertinents. Selon l'appelante, l'instance est différente des affaires d'emploi distinctif ou de confusion, qui sont axées sur les faits et dans lesquelles les agents d'audition ont établi une expertise considérable en ce qui a trait à l'évaluation de la preuve.

 

19. Les questions litigieuses en l'instance sont des questions mixtes de fait et de droit. Plus la question comporte une composante factuelle, plus il faut faire preuve de déférence à l'égard de la décision du registraire : M. Q., précité, paragraphe 34.



[74]      La Cour a finalement conclu que la norme de contrôle appropriée dans cette affaire était celle de la décision raisonnable simpliciter. La Cour a par ailleurs signalé qu'aucun nouvel élément de preuve qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire n'avait été présenté en appel.

 

[75]      Dans l'affaire Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] A.C.S. no 23, 2006 CSC 22, l'appelante tentait de produire de nouveaux éléments de preuve devant le juge des requêtes, mais le juge a estimé que la preuve ainsi offerte ne satisfaisait pas au critère établi par la Loi (Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc. et al. (2004), 248 C.F.P.I. 228 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 23 à 25). La Cour suprême a confirmé le rejet des « nouveaux éléments de preuve » par le juge des requêtes. Elle a examiné la question de la présentation de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi en fonction du premier facteur dont il faut tenir compte dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle, en l'occurrence celui de l'existence d'une clause privative. Au paragraphe 35, la Cour écrit ce qui suit :

35.     La Loi prévoit un droit absolu d’interjeter appel devant un juge de la Cour fédérale, qui est autorisé à admettre et à examiner de nouveaux éléments de preuve ((par. 56(1) et 56(5)).  Elle ne comporte aucune clause privative.  Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 46‑51; Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., [2000] A.C.F. no 1864 (QL) (C.A.F.), par. 4, et Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no 1763 (QL) (1re inst.).

 

[76]      La Cour suprême a également examiné la question de la présentation de nouveaux éléments de preuve en fonction du deuxième volet de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, en l'occurrence l'expertise du décideur. Voici ce qu'elle dit, au paragraphe 37 :

 

37.    Cela signifie en pratique que la décision du registraire ou de la Commission [traduction] « ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles » : McDonald’s Corp. c. Silcorp Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F.1re inst.), p. 210, conf. par [1992] A.C.F. no 70 (QL).  L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission.  Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527‑528.



[77]      La Cour suprême a finalement conclu qu'en l'absence de nouveaux éléments de preuve, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Au paragraphe 40, la Cour dit ce qui suit :

40.                 Compte tenu, en particulier, de l’expertise de la Commission et du rôle d’« appréciation » que lui impose l’art. 6 de la Loi, je suis d’avis que, malgré l’octroi d’un droit d’appel absolu, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission ne commande pas la grande retenue dont il faut faire preuve, par exemple, à l’égard de l’exercice ministériel d’un pouvoir discrétionnaire, auquel s’applique habituellement la norme du caractère manifestement déraisonnable (p. ex. S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, par. 157), mais la Commission n’est pas tenue non plus de satisfaire à la norme de la décision correcte, comme si elle tranchait une question de droit de portée générale qui peut être isolée (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 26). Comme l’a expliqué le juge Iacobbuci dans Ryan, par. 46, la norme intermédiaire (celle du caractère raisonnable) signifie qu’« [u]ne cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal ». La question est de savoir si la décision de la Commission est étayée par des motifs qui peuvent résister « à un examen assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » : Southam, par. 60.

 

[78]     La faculté de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l'appel d'une décision du registraire ne conduit pas inévitablement à la conclusion que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour qui statue sur l'appel reprendra l'affaire depuis le début si on lui soumet de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir un effet sur la décision à l'examen. Dans l'affaire Mattel Inc., le juge des requêtes explique ce qui suit au sujet de la présentation de nouveaux éléments de preuve au paragraphe 23 :

 

Cependant, les nouveaux éléments de preuve doivent être assez importants pour justifier un procès de novo. En d'autres mots, il faut que les nouvelles preuves modifient radicalement la situation de fait pour que la Cour ait toute latitude pour écarter la décision du registraire.

 

[79]      En l'espèce, la demanderesse n'a pas présenté de nouveaux éléments de preuve mais elle affirme que la Cour peut reprendre l'affaire depuis le début parce que le registraire a commis des erreurs de droit en rejetant l'affidavit de M. Pye et en « écartant » le témoignage de certains patients.

 

[80]      Ces arguments sont mal fondés. Premièrement, la demanderesse n'a pas abordé la question de l'affidavit de M. Pye dans ses observations écrites. Or, il ressort de la décision Mishak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.), qu'une partie ne peut soulever lors des débats des questions qu'elles n'a pas auparavant abordées dans son mémoire.

 

[81]      En second lieu, l'affidavit de M. Pye ne saurait être qualifié de « nouvel élément de preuve » puisqu'il existait déjà au moment de l'audience. Il a été déposé dans le cadre de la procédure d'opposition. La défenderesse s'est opposée à son admissibilité et le registraire a retenu cette objection au motif que le témoignage de M. Pye constituait essentiellement une preuve par ouï‑dire inadmissible. Qui plus est, le registraire a tiré des conclusions défavorables au sujet des déclarations faites par M. Pye lors de son contre-interrogatoire.

 

[82]      Il est loisible au registraire de tirer des conclusions de fait, ce qui implique nécessairement que, dans l'exercice de cette fonction, il se prononce sur l'admissibilité des éléments de preuve et qu'il les apprécie.

 

[83]      Les mêmes observations valent pour ce qui est des arguments formulés par la demanderesse au sujet de la présumée « exclusion » du témoignage des patients. Il ressort de sa décision que le registraire a tenu compte du témoignage des patients et qu'il a jugé que leur valeur probante était insuffisante. Il n'y a rien qui justifierait la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. La question a été tranchée par le registraire.

 

[84]      Pour sa part, la défenderesse a déposé à titre d'éléments de preuve complémentaires les affidavits de M. David Boughner, directeur du marketing chez Novopharm Limited, de M. Colin Simpkin, directeur du marketing chez Apotex Inc, de Mme Paula Rembach, analyste de la recherche à l'Association canadienne du médicament générique, de Mme Cathy Conroy, pharmacienne, et de M. Christopher Gleave, auxiliaire juridique. Ces éléments de preuve ont été déposés en réponse aux préoccupations formulées par le registraire au sujet de l'insuffisance de la preuve en ce qui a trait à l'intention de la défenderesse et des fabricants de produits pharmaceutiques génériques se trouvant dans la même situation de commencer à vendre des produits pharmaceutiques génériques « ressemblants » le 24 septembre 1996. De plus, ces éléments de preuve ont été soumis pour appuyer les arguments de la défenderesse au sujet de la date à retenir pour apprécier le caractère distinctif.

 

[85]      À mon avis, il n'y a rien dans les nouveaux éléments de preuve présentés par la défenderesse qui justifierait la Cour de reprendre l'affaire depuis le début. À l'origine, les éléments de preuve ont été déposés pour étayer la décision du registraire. Dans le cas qui nous occupe, leur effet est neutre.

 

[86]      L'objet secondaire du dépôt de ces éléments de preuve par la défenderesse vise la conclusion du registraire quant à la date d'appréciation du caractère distinctif. Se fondant expressément sur la jurisprudence dominante, le registraire a refusé d'adopter une autre date que celle de la production de la déclaration d'opposition. Je ne vois aucune raison d'adopter une solution différente.

 

[87]      Il reste maintenant à appliquer la norme de la décision raisonnable à la décision du registraire. La conclusion que le registraire a tirée au sujet de l'absence de caractère distinctif de la marque de commerce projetée était-elle raisonnable, compte tenu de la preuve et de l'identification du marché visé?

 

[88]      Le caractère distinctif est une question de fait (voir la décision Bayer, à la page 322, conf. à (2000), 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.)).

 

[89]      Le registraire a apprécié le caractère distinctif de la marque de commerce projetée en fonction de l'industrie pharmaceutique dans son ensemble, et non simplement en fonction de la catégorie de produits composée de médicaments antidépresseurs, antiobsessionnels et antiboulimiques.

 

[90]      Cette méthode d'appréciation est conforme à la jurisprudence (voir l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd., (2003), 238 F.T.R. 240 (C.A.F.)).

 

[91]      Le registraire disposait d'éléments de preuve tendant à démontrer qu'il existe plusieurs autres produits pharmaceutiques qui sont vendus en capsules vertes et ivoire (beige clair) ou jaunes et qui sont prescrits pour des troubles différents de ceux qui sont traités avec le PROZAC. Sa conclusion que le consommateur ne pourrait distinguer le produit de la demanderesse de celui d’autres fabricants seulement d'après leur présentation était raisonnable.

 

[92]      Le registraire a évalué la question du caractère distinctif en fonction d'une large catégorie de consommateurs, à savoir les médecins, les pharmaciens et les patients. Il a accordé peu de valeur au témoignage des patients et a fait observer que les médecins et les pharmaciens se fient aux inscriptions qui apparaissent sur les capsules, et pas seulement à leur apparence, pour identifier le produit. Cette conclusion reposait sur les éléments de preuve présentés, y compris la transcription des contre-interrogatoires.

 

[93]      La décision du registraire de choisir une large catégorie de consommateurs est conforme à la jurisprudence (voir l'arrêt Ciba-Geigy).

 

[94]      À mon avis, le choix du registraire en ce qui concerne les produits visés et son appréciation des éléments de preuve contenus dans les sondages étaient raisonnables.

 

[95]      Je passe maintenant à la question du principe de l'autorité de la chose jugée. Cet argument a été avancé par la défenderesse dans le cadre de la procédure d'opposition et il a été rejeté. Il a été avancé lors de l'instruction de l'appel à titre de moyen subsidiaire à l'argument principal invoqué par la défenderesse pour justifier la décision du registraire. Compte tenu de la demande visant à obtenir des arguments supplémentaires sur le fondement de l'arrêt Kirkbi de la Cour suprême du Canada, cet argument revêt selon toute vraisemblance une grande importance aux yeux de la défenderesse.

 

[96]      Le principe de l'autorité de la chose jugée peut être invoqué lorsqu'il y a identité des parties, identité de la cause ou de la question en litige et existence d'une décision judiciaire définitive rendue par un tribunal compétent (voir l'arrêt Celliers du Monde Inc. c. Dumont Vins & Spiriteux Inc., [1992] 2 C.F. 634, (1992), 42 C.P.R. (3d) 197 (C.A.F.), ainsi que la décision sur la demande d'interdiction, au paragraphe 28). La défenderesse fait surtout reposer les arguments qu'elle invoque à cet égard sur la décision rendue par la juge Reed au sujet de la commercialisation trompeuse. Elle soutient que, comme la question du caractère distinctive a été tranchée à l'encontre de la demanderesse par un tribunal compétent à l'issue d'un litige opposant les mêmes parties, notre Cour devrait appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée et rejeter l'appel de la demanderesse. Elle invoque l'arrêt Kirkbi pour affirmer que l'économie de la Loi, dont les critères permettant d'apprécier le caractère distinctif, s'appliquent aux marques non enregistrées comme celle qui nous occupe en l'espèce.

 

[97]      Je ne suis pas persuadée que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique en l'espèce. Certes, dans le cadre de l'action en commercialisation trompeuse, le tribunal était appelé à apprécier la question du caractère distinctif, mais il le faisait dans un contexte différent, en l'occurrence un procès. Voici à ce propos ce que le juge Evans dit dans l'arrêt Bayer, précité, au paragraphe 75 :

Il faut aussi remarquer que, bien que les actions engagées pour le délit de passing-off (ou de commercialisation trompeuse) et les procédures d'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce se distinguent par des différences évidentes, elles ont aussi un lien important qui les unit.

 

 

[98]      Faute de précédent étayant la thèse de la défenderesse, je ne suis pas disposée à conclure que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique au cas qui nous occupe.

[99]      Je n'ai pas l'intention d'aborder les nouveaux arguments avancés par la demanderesse au sujet de l'applicabilité de l'article 14 de la Loi, car elle n'avait pas soulevé ces arguments dans son mémoire.

 

V.  Dispositif

[100]    En conséquence, je suis convaincue, en appliquant la norme de la décision raisonnable, que le registraire a rendu une décision à la fois raisonnable et fondée sur la preuve. L'appel est rejeté.

 

[101]    Il reste à régler la question des dépens. La défenderesse réclame des dépens majorés compte tenu du fait qu'elle a dû répondre à de nouveaux arguments au cours de l'audience. La demanderesse affirme que la Cour ne devrait pas adjuger de dépens majorés ou, à titre subsidiaire, qu'elle devrait l'autoriser à formuler des observations.

 

[102]    En conséquence, les parties peuvent formuler de brèves observations par écrit d'ici le 7 juillet 2006, si elles ne réussissent pas à s'entendre sur les dépens.


 

ORDONNANCE

 

            L'appel est rejeté. Les parties peuvent formuler de brèves observations par écrit d'ici le 7 juillet 2006, si elles ne réussissent pas à s'entendre au sujet des dépens.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-89-05

 

INTITULÉ :                                       ELI LILLY AND COMPANY c.

                                                            NOVOPHARM LIMITED et

                                                            REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :             24 et 25 octobre – Observations supplémentaires reçues des parties les 16, 23 et 30 décembre 2005

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE  :                      LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      30 juin 2006

 

COMPARUTIONS :

 

 

Patrick S. Smith

Marc Richard

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Warren Sprigings

Paula Bremner

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Novopharm Limited

 

Personne n'a comparu

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

le registraire des marques de commerce

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson srl

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Novopharm Limited

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

le registraire des marques de commerce

 

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