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Date : 20200512


Dossier : T‑1526‑12

Référence : 2020 CF 610

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

IAMGOLD CORPORATION

ET

NIOBEC INC.

demanderesses

et

HAPAG‑LLOYD AG, HAPAG‑LLOYD (CANADA) INC. et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE M/V « OOCL MONTREAL »

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

I. Aperçu

[1] Les présents jugement et motifs supplémentaires portent sur les intérêts et les dépens de la présente action, qui portait sur la perte de trois conteneurs de la cargaison de ferro‑niobium des demanderesses. Ces conteneurs ont été volés au terminal d’Anvers, en Belgique, pendant leur transport par la défenderesse Hapag‑Lloyd AG [Hapag‑Lloyd], de Montréal à Anvers par navire, puis d’Anvers à Moerdijk, aux Pays‑Bas, par camion. Hapag‑Lloyd a reconnu sa responsabilité pour régler la présente action, mais les parties ne s’entendaient pas sur la question de la limitation de la responsabilité applicable à l’égard de la perte. La résolution de cette question avait trait à la question de savoir si, au regard du droit allemand, la perte de la cargaison s’est produite au cours du segment océanique ou du segment routier du transport multimodal.

[2] Cette question a été réglée au moyen d’une requête en procès sommaire, entendue à Montréal les 22 et 23 octobre 2019. Chaque partie a présenté de la preuve d’un expert en droit allemand qui a fait l’objet d’un court interrogatoire principal basé sur son ou ses rapports déposés à la Cour, puis d’un contre‑interrogatoire par l’avocat de la partie adverse. Chaque partie a ensuite présenté des arguments fondés sur les témoignages des experts.

[3] Le 26 novembre 2019, j’ai rendu ma décision (voir Iamgold Corporation c Hapag‑Lloyd AG, 2019 CF 1514, pour le jugement et les motifs), concluant en faveur des demanderesses (c.‑à‑d. que la perte de la cargaison s’était produite sur le segment routier du transport et que la perte de la cargaison était survenue au cours du segment routier du transport et qu’elle était donc assujettie à la limite de responsabilité prévue par le droit allemand en matière de transport routier) et accordant un jugement pour une somme en capital de 872 909,57 $ [le jugement]. Cette décision a également donné aux parties la possibilité de s’entendre sur les intérêts et les dépens ou, à défaut de cela, de proposer un processus pour trancher ces questions.

[4] Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur les intérêts et les dépens. Chaque partie a déposé des observations écrites appuyées par des affidavits, les demanderesses ont déposé des observations écrites en réponse à celles de Hapag‑Lloyd, et j’ai entendu les plaidoiries par téléconférence le 30 avril 2020.

[5] Pour les motifs expliqués ci‑après, j’adjugerai aux demanderesses des dépens sous la forme d’une somme globale de 73 500,00 $, plus des débours de 128 192,96 $, pour un total de 201 692,96 $. J’accorderai également des intérêts avant jugement et des intérêts après jugement à raison de 5 p. 100 par année.

II. La position des demanderesses

[6] Les demanderesses exhortent la Cour à adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale de 286 108,04 $, soit : a) une somme globale de 125 000,00 $ pour les honoraires d’avocat; b) 16 250,00 $ de taxe de vente harmonisée [TVH] à cet égard; c) des débours de 128 192,96 $; d) 16 665,08 $ de TVH à cet égard. Les demanderesses ont déposé une preuve par affidavit détaillant leurs honoraires d’avocat et débours, et indiquant la signification aux défendeurs, en date du 21 octobre 2013, d’une offre officielle de règlement d’une somme de 841 928,69 $, plus les intérêts et les dépens.

[7] Les honoraires d’avocat des demanderesses totalisent 156 000,00 $, et elles réclament une adjudication de dépens fondée sur environ 50 p. 100 des frais engagés jusqu’à la date de l’offre de règlement ainsi que 85 p. 100 des frais engagés par la suite, pour un total de 126 385,90 $. Elles réclament la totalité de leurs débours (128 192,96 $), desquels 118 036,99 $ représentent les frais versés à l’expert des demanderesses qui a témoigné au procès sommaire.

[8] Les demanderesses ont également déposé une ébauche de mémoire de frais, calculant les frais (à l’exclusion des débours) selon la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], pour un total de 13 500,00 $. Les demanderesses citent ce chiffre à l’appui de leur position selon laquelle les frais calculés selon le tarif seraient insuffisants et une somme globale, fondée sur un pourcentage de leurs honoraires d’avocat, devrait être accordée.

[9] En ce qui concerne les intérêts, les demanderesses réclament 5 p. 100 à compter de la date de la perte (le 12 août 2011) jusqu’à la date du jugement, plus les intérêts postérieurs au jugement au même taux. Elles s’appuient sur le taux de 5 p. 100 prescrit à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, ch I‑15, et font valoir, subsidiairement que ce taux représente un taux d’intérêt commercial approprié. Les demanderesses calculent les intérêts avant jugement en fonction de ce taux pour un total de 361 893,76 $.

III. La position de Hapag‑Lloyd

[10] Hapag‑Lloyd s’oppose à ce que la Cour adjuge les dépens sous forme globale et soutient que la Cour devrait attribuer la somme de 13 500,00 $ calculée par les demanderesses selon le tarif B. Elle prétend également que certains aspects des honoraires réels des demanderesses sont déraisonnables. En ce qui concerne les débours, Hapag‑Lloyd fait valoir que le taux horaire de l’expert des demanderesses devrait être plafonné au taux facturé par leur avocat canadien principal, et affirme que l’expert a effectué du travail inutile et excessif. Hapag‑Lloyd est également d’avis que les demanderesses n’ont pas droit au remboursement de la TVH à l’égard des honoraires ou des débours.

[11] En ce qui concerne les intérêts, Hapag‑Lloyd soutient que la Cour devrait utiliser un taux avant jugement de 3 p. 100 et un taux après jugement de 3,95 p. 100. Pour étayer cette observation, elle présente une preuve sur le taux préférentiel de la Banque de Montréal au cours des périodes pertinentes. Hapag‑Lloyd fait également valoir que les demanderesses n’ont pas fait preuve de diligence en menant leur action et que les intérêts devraient être réduits en conséquence.

IV. Analyse

A. Le caractère approprié d’une adjudication de dépens sous forme globale

[12] Les demanderesses font valoir que l’approche actuelle en matière de dépens dans la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale favorise l’adjudication des dépens sous forme globale, fixée en pourcentage des honoraires d’avocat réellement engagés par une partie. Elles s’appuient sur les jugements relativement récents de la Cour d’appel fédérale, dans Nova Chemicals Corporation c The Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova Chemicals], et de notre Cour, dans Loblaws Inc c Columbia Insurance Company, 2019 CF 1434 [Loblaws], qui ont utilisé une telle approche.

[13] En revanche, Hapag‑Lloyd renvoie la Cour à la décision Barzelex Inc c Ebn Al Waleed (Le), [1999] ACF no 2002 (CF) [Ebn Al Waleed], dans laquelle le juge Hugessen a abordé la question des dépens dans une affaire portant sur une question assez semblable à celle du dossier qui nous occupe. Ce litige portait sur la question de savoir si la responsabilité des défendeurs était régie par une limitation au titre des règles de La Haye Visby ou du droit turc, et cette question a été réglée de façon sommaire, en fonction du témoignage d’experts d’avocats turcs. Le juge Hugessen a conclu que, bien que la question en litige dans l’affaire ait été nouvelle, elle n’était pas particulièrement difficile et a adjugé les dépens sur la base de la colonne III du tarif B, quoiqu’à l’extrémité supérieure de la fourchette de la colonne III. Conformément à l’article 420 des Règles, la Cour a doublé les dépens accumulés à la suite de la signification d’une offre de règlement pertinente.

[14] Hapag‑Lloyd soutient que l’affaire en l’espèce est analogue à celle dans Ebn Al Waleed et que la colonne III du tarif B est une base appropriée pour le calcul des dépens dans la présente affaire. Elle souligne également l’orientation suivante, énoncée au paragraphe 20 de la décision Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842 [Eurocopter] :

[20] L’importance et la complexité de l’affaire et la somme de travail qu’elle a exigée (alinéas 400(3)c) et g) des Règles) peuvent souvent trancher la question de l’échelle des dépens (voir Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2012 CF 318, paragraphes 5 à 8, [2012] ACF 435 [Apotex]). En fait, l’article 407 des Règles dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens, ainsi que certains honoraires et débours additionnels, doivent être taxés selon l’échelon médian de la colonne III du tableau du tarif B. Le tarif B « représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe », et il « est formulé en fonction du principe général que les frais entre parties devraient raisonnablement correspondre aux dépens réels d’un litige, sans qu’il soit porté atteinte au pouvoir discrétionnaire accordé à la Cour et à l’officier taxateur par les règles » : Wellcome Foundation Ltd, précitée, paragraphes 5 et 7. La jurisprudence consacre aussi le principe formulé dans les termes suivants au paragraphe 12 de Dimplex North America Ltd c CFM Corp, 2006 CF 1403 : « Lorsqu’une majoration des dépens est justifiée, la Cour doit d’abord décider s’il est possible d’adjuger des dépens raisonnables en s’en tenant au tarif B. Ce n’est que lorsque le résultat est déraisonnable ou insatisfaisant que la Cour doit envisager l’adjudication d’un montant supérieur aux valeurs du tarif. »

[Non souligné dans l’original.]

[15] Je conviens avec les demanderesses que la jurisprudence récente favorise le recours à une somme globale. Dans Nova Chemicals, au paragraphe 16, la Cour d’appel fédérale a fait référence à la pratique consistant à adjuger les dépens sous forme globale, en pourcentage des frais réels raisonnablement engagés, une pratique également établie dans la jurisprudence, en particulier dans les affaires où il s’agit de parties averties. La Cour d’appel fédérale a récemment cité, en y souscrivant, ces passages de l’arrêt Nova Chemicals dans le paragraphe 50 de l’arrêt Sports Maska Inc c Bauer Hockey Ltd, 2019 CAF 204. Dans l’affaire Loblaws, je me suis appuyé sur cette jurisprudence pour conclure qu’il était approprié d’adjuger des dépens sous forme globale, sur la base d’un pourcentage des honoraires d’avocat de la partie qui avait eu gain de cause (au para 8).

[16] Hapag‑Lloyd ne m’a pas convaincu que l’approche adoptée dans la décision Ebn Al Waleed en matière de dépens donne à entendre que l’adjudication des dépens sous forme globale est inappropriée dans la présente affaire. En fait, le juge Hugessen était d’avis que la Cour devrait en principe favoriser les ordonnances de dépens sous forme globale; il était disposé à rendre une telle ordonnance, quoique fondée sur des calculs effectués selon le tarif (au para 11). De même, dans la décision Eurocopter, la Cour a souligné qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens sous forme globale (au para 17) et d’adjuger des dépens supérieurs aux calculs effectués selon le tarif, lorsque ces calculs représenteraient un résultat déraisonnable ou insatisfaisant (au para 20).

[17] Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 13 de l’arrêt Nova Chemicals, les sommes du tarif peuvent être insuffisantes pour atteindre l’objectif de la contribution raisonnable au coût du litige. Cela ne signifie pas que les dépens supérieurs au tarif peuvent être justifiés simplement par le fait que les frais réels de la partie qui a obtenu gain de cause sont considérablement plus élevés que les sommes du tarif. La partie qui a obtenu gain de cause doit plutôt justifier les dépens qu’elle sollicite.

[18] La tendance observée dans la jurisprudence récente a favorisé les adjudications des dépens fondées sur un pourcentage des frais réels dans le cas de parties commerciales averties (qui ont tendance à avoir les moyens de payer pour les choix juridiques qu’elles font) et donne souvent lieu à des adjudications des dépens entre 25 et 50 p. 100 des frais réels. Toutefois, certaines circonstances pourraient justifier un pourcentage plus ou moins élevé. La Cour exige une preuve suffisante de la nature et de l’étendue des services fournis pour être convaincue que les frais réels engagés et le pourcentage accordé sont raisonnables dans le contexte du litige, compte tenu des critères énoncés au paragraphe 400(3) des Règles (voir Nova Chemicals, aux para 13‑16).

[19] Pour s’acquitter de ce fardeau, les demanderesses ont déposé des éléments de preuve concernant les entrées de temps au dossier de leurs avocats et les honoraires qui en découlent, totalisant environ 156 000,00 $. Elles font valoir qu’une indemnité en fonction de la colonne III du tarif, qui, selon leurs calculs, équivaudrait à 13 500,00 $, représenterait une indemnisation tout à fait insuffisante pour ces frais. Je suis d’accord avec cette observation, sous réserve de l’examen de l’argument de Hapag‑Lloyd selon lequel le chiffre de 156 000,00 $ est, en soi, déraisonnable.

[20] Hapag‑Lloyd fait remarquer que les entrées de temps des avocats des demanderesses démontrent qu’ils ont retenu les services de Me Schwampe, leur expert en droit allemand, qui a déposé des rapports et témoigné au procès sommaire, seulement à l’automne 2017. Entre le début des entrées de temps en 2012 et le moment où ils ont retenu les services de Me Schwampe, les demanderesses ont consacré beaucoup de temps à consulter un ou plusieurs autres experts, en particulier un Me Clarke, qui semble être un expert du droit belge et de la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route [la CMR]. Bien que la perte en l’espèce se soit produite en Belgique, Hapag‑Lloyd fait remarquer qu’elle a plaidé l’application du droit allemand dans la défense déposée en octobre 2012.

[21] Je comprends que, au bout du compte, les deux parties se sont fondées sur le droit allemand au procès dans la présente affaire, et que les demanderesses n’ont pas appelé Me Clarke à comparaître à titre d’expert. Toutefois, je suis d’accord avec les demanderesses lorsqu’elles font observer qu’il n’est pas inhabituel, au cours d’un litige, que les parties explorent des avenues et sollicitent l’avis d’experts qui ne feront finalement pas partie de l’affaire au procès. Hapag‑Lloyd ne m’a pas convaincu, dans le contexte de la présente affaire, que les activités antérieures à la retenue des services de Me Schwampe n’ont pas été entreprises raisonnablement dans la poursuite de l’action des demanderesses. Je note en particulier que les parties ont fini par être en mesure de distiller les questions dans la présente affaire, de sorte qu’elles puissent être réglées efficacement au moyen d’un procès sommaire. Bien que l’on puisse féliciter les deux parties pour cette réalisation, il est raisonnable que le processus de distillation lui‑même ait nécessité un certain effort.

[22] Hapag‑Lloyd souligne également que plus de cinq responsables de la comptabilisation du temps employés au cabinet des avocats des demanderesses ont participé au dossier au fil des ans. Hapag‑Lloyd fait valoir que les transitions entre avocats auraient nécessairement entraîné des pertes d’efficacité et des frais inutiles. Les demanderesses font remarquer que ces responsables de la comptabilisation du temps étaient composés d’avocats et d’étudiants. Bien qu’il semble que le dossier ait été transféré d’un avocat à l’autre, au fur et à mesure que les avocats quittaient le cabinet ou s’y joignaient, Hapag‑Lloyd n’a pas relevé d’aspects particuliers du travail ou des honoraires reflétés dans les entrées de temps qui étaient inutiles ou causés par de telles transitions.

[23] En résumé, sur ce point, je ne vous aucune raison de conclure que les honoraires de 156 000,00 $ des avocats des demanderesses sont déraisonnables. Il convient d’avoir recours à une adjudication des dépens sous forme globale, calculée en pourcentage de ces frais, ce qui représente une indemnisation plus appropriée que le chiffre de 13 500,00 $ préconisé par Hapag‑Lloyd. Je me reporte donc aux facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles pour déterminer le pourcentage approprié à appliquer.

B. La détermination d’un pourcentage approprié

[24] Comme il a été mentionné précédemment, les dépens sous forme globale adjugés dans les affaires impliquant des parties commerciales averties ont tendance à se situer entre 25 et 50 p. 100 des honoraires d’avocat réels, bien que certains cas puissent justifier un pourcentage plus élevé ou moins élevé. Les demanderesses proposent que la Cour adjuge des dépens correspondant à 50 p. 100 de leurs honoraires engagés avant l’offre officielle de règlement et à 85 p. 100 des honoraires engagés par la suite. À l’appui de cette position, les demanderesses mettent l’accent sur les facteurs suivants que suggère le paragraphe 400(3) des Règles :

(1) Le résultat de l’instance, les sommes réclamées et les sommes recouvrées

[25] Les demanderesses affirment à juste titre qu’elles ont eu entièrement gain de cause dans la présente instance. Alors que la somme demandée à l’origine dans la déclaration était de 2 000 000,00 $, la position que les demanderesses ont défendue dans le cadre du processus de procès sommaire était fondée sur le droit à 8,33 droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international par kilogramme de cargaison perdu. C’est la somme qui a finalement été recouvrée. Ce facteur favorise les demanderesses.

(2) L’importance de l’affaire et la complexité des questions en litige

[26] Les demanderesses affirment que la présente affaire portait sur des questions nouvelles, d’importance et de complexité modérées. Hapag‑Lloyd admet que la question du droit allemand, qui n’avait pas encore été réglée, était nouvelle, mais elle n’est pas d’avis qu’elle était complexe. Je suis d’accord avec Hapag‑Lloyd pour dire que la seule question abordée dans le procès sommaire dans la présente affaire, même si elle était nouvelle, n’était pas complexe. Il n’y a pas non plus de preuve démontrant que la question avait une importance particulière pour les parties, à l’exception du règlement de ce différend. De plus, elle a été jugée selon une procédure sommaire. Ce facteur favorise Hapag‑Lloyd.

(3) Le partage de la responsabilité

[27] Hapag‑Lloyd a admis sa responsabilité pour les besoins du procès sommaire. Par conséquent, je ne considère pas que ce facteur soit important pour l’adjudication des dépens.

(4) Toute offre écrite de règlement

[28] Les demanderesses font référence à deux offres écrites de règlement qu’elles ont faites à Hapag‑Lloyd au cours du litige. L’offre pertinente à l’égard des dépens est la première, une offre officielle de règlement prolongée le 21 octobre 2013. Les demanderesses ont offert de régler leur demande pour une somme de 841 928,69 $, plus les intérêts et les dépens à convenir. Cette somme est inférieure à celle accordée dans le jugement. Je considère qu’il s’agit d’un facteur très important pour déterminer l’adjudication appropriée des dépens.

(5) La charge de travail

[29] Les demanderesses font valoir que la charge de travail en cause dans la présente affaire était considérable, parce qu’il a fallu consulter un certain nombre d’experts sur la CMR et le droit allemand pour régler une nouvelle question. Les demanderesses affirment également que la négociation de l’énoncé conjoint des faits utilisé dans le procès sommaire a nécessité un travail considérable. J’ai déjà conclu que les démarches de consultation d’experts étaient légitimes. Plutôt que de justifier un pourcentage élevé, j’estime que l’approche appropriée consiste à appliquer le pourcentage sélectionné à l’ensemble des honoraires d’avocat des demanderesses.

(6) La conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance

[30] Les demanderesses affirment avoir pris l’initiative d’essayer d’abréger l’instance en proposant une procédure sommaire, traitée au moyen d’un énoncé conjoint des faits et d’une preuve d’expert, sans qu’il soit nécessaire de tenir un procès complet. Elles affirment également que Hapag‑Lloyd n’a pas répondu aux demandes d’acceptation de l’énoncé de faits proposé pendant une longue période (entre 2016 et 2019).

[31] Hapag‑Lloyd nie cette affirmation et fait valoir que les demanderesses étaient responsables des retards dans le règlement de la présente affaire. En soulignant que les demanderesses n’ont pas retenu les services de Me Schwampe avant 2017, Hapag‑Lloyd affirme que les demanderesses n’ont pas poursuivi leur dossier avec diligence.

[32] Le seul élément de preuve dont la Cour dispose concernant les mesures prises par les parties dans le cadre de l’instance et le moment où elles ont été prises est le registre des entrées de temps des avocats des demanderesses. Aucune des parties n’a déposé de preuve de correspondance entre avocats, par exemple, à l’appui de sa position selon laquelle l’autre a retardé inutilement la progression de l’instance. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la caractérisation des événements par l’une ou l’autre des parties. Je conclus que ce facteur ne favorise aucune partie de façon significative.

(7) Le défaut de la part d’une partie d’admettre ce qui aurait dû être admis

[33] Les demanderesses affirment que Hapag‑Lloyd n’a pas admis qu’elle était responsable de la perte de la cargaison et qu’elle était assujettie aux limites de la CMR, ce qui a nécessité la présente instance. Toutefois, Hapag‑Lloyd a admis sa responsabilité pour les besoins du procès sommaire et a convenu des faits nécessaires pour soumettre à la Cour la question de savoir quel régime de limitation régissait la perte. J’ai déjà reconnu que la présente procédure portait sur une nouvelle question. Je ne trouve pas ce facteur utile pour les demanderesses.

(8) La question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées

[34] Les demanderesses font valoir que leurs dépenses engagées pour le témoin expert étaient justifiées, parce que la présente affaire reposait sur une preuve d’expert en droit allemand. Je suis d’accord. Toutefois, les honoraires d’avocat associés à la préparation de la preuve d’expert tiennent compte de ce point. À mon avis, ce facteur ne justifie pas un pourcentage élevé. La demande de paiement des frais d’expert de Me Schwampe sera abordée plus loin dans la présente analyse.

(9) Les autres questions pertinentes

[35] En ce qui concerne les autres questions qu’elles jugent pertinentes, les demanderesses font valoir qu’il serait injuste d’appliquer le tarif, puisqu’elles ont été obligées de plaider la présente affaire dans le cadre d’un procès sommaire, où elles ont eu entièrement gain de cause, nonobstant les efforts antérieurs pour régler l’affaire pour une somme inférieure à celle finalement accordée. Toutefois, j’ai déjà mentionné ces points plus tôt dans la présente analyse.

(10) Conclusion sur le pourcentage approprié

[36] Compte tenu de tout ce qui précède, mais en excluant pour le moment l’effet de l’offre de règlement des demanderesses, je conclus que les circonstances de la présente affaire justifient l’adjudication de dépens sous forme globale dans la fourchette de 25 p. 100 à 50 p. 100 prévue par la jurisprudence applicable, mais au bas de cette fourchette. Mon adjudication comprendra environ 25 p. 100 des honoraires d’avocat réels des demanderesses jusqu’à la date de l’offre de règlement (21 octobre 2013). Toutefois, en ce qui concerne les frais engagés après cette date, j’estime qu’il convient d’appliquer le paragraphe 420(3) des Règles, qui prévoit le double des dépens. Mon adjudication comprendra donc environ 50 p. 100 des frais des demanderesses après la date de l’offre.

[37] Le document déposé par les demanderesses, qui établit les honoraires d’avocat, calcule ces frais à un total de 18 989,50 $ au 21 octobre 2013, et à 137 519,00 $ par la suite. Cette partie des dépens sera donc fondée sur environ 25 p. 100 de 18 989,50 $ plus 50 p. 100 de 137 519,00 $, le tout arrondi à un total de 73 500,00 $. La question de la réclamation de TVH applicable présentée par les demanderesses sera abordée plus loin dans les présents motifs.

C. Les débours

[38] Les demanderesses réclament des débours totalisant 128 192,96 $, plus la TVH applicable. De cette somme, 118 036,99 $ se rapportent aux frais d’expert (notamment les frais de déplacement) facturés par Me Schwampe, l’expert en droit allemand des demanderesses.

[39] Hapag‑Lloyd conteste le caractère raisonnable de la demande des demanderesses à l’égard des frais et des dépenses de Me Schwampe. Elle soutient que le taux horaire de 420 euros de Me Schwampe, équivalent à 631 dollars canadiens (au taux de change de 1 euro = 1,50262878 $CAN employé par les demanderesses) devrait être plafonné au taux de 550 dollars canadiens de l’avocat canadien principal des demanderesses. D’après la recherche sur le taux de change qu’elle a effectuée, Hapag‑Lloyd fait également valoir qu’un taux de change plus raisonnable serait de 1 euro = 1,48 $CAN. Enfin, elle fait valoir que les feuillets de facturation de Me Schwampe montrent un travail inutile et excessif, et elle soutient que le recouvrement de ses factures devrait être réduit à 50 000,00 $ plus les débours prouvables.

[40] En ce qui concerne le plafond de taux horaire proposé, Hapag‑Lloyd s’appuie sur Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 1165 au par 18, et sur les décisions qui y sont citées :

[18] Apotex conteste les sommes réclamées par plusieurs des experts de Lilly (dont le taux horaire semble dépasser dans certains cas 1 000 $); Lilly a reconnu en réponse qu’il serait approprié de limiter les frais d’expert au taux facturé par l’avocat principal pour des heures de travail équivalentes, comme cela a été fait dans d’autres affaires (voir, par exemple, la décision Teva Canada, au paragraphe 116; ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2013 CF 1050, au paragraphe 10). Je conviens que cette approche est appropriée et conclus donc que les frais d’expert ne devraient pas dépasser les sommes facturées par l’avocat principal pour des heures de travail équivalentes.

[41] J’accepte le bien‑fondé de cette approche dans les cas où il est nécessaire d’imposer une limite aux frais d’expert qui pourraient être considérés comme des taux horaires excessifs. Toutefois, je suis d’accord avec l’observation des demanderesses selon laquelle il n’y a pas de principe d’application générale selon lequel les taux horaires d’expert ne peuvent pas dépasser ceux de l’avocat principal d’une partie. Comme le font valoir les demanderesses, une telle règle pourrait avoir des conséquences défavorables, car elle pourrait pénaliser les parties qui n’ont pas de problème à attribuer du travail à des avocats moins expérimentés ou autrement moins coûteux et motiver des choix qui augmentent le coût des litiges.

[42] Dans la présente affaire, les demanderesses (et en fait les défendeurs) ont nécessairement retenu des témoins experts ayant de l’expérience comme membres du barreau allemand en droit maritime. Comme le souligne la décision rendue sur le fond du litige, Me Schwampe exerce le droit depuis 34 ans, en se spécialisant dans le droit des transports et le droit de l’assurance maritime. Il a reçu un doctorat en droit en 1984; il enseigne le droit des transports à la faculté de droit de l’Université de Hambourg depuis 2011 et il y est professeur titulaire depuis 2013. Ses qualifications sont considérables, il pratique dans un marché juridique dans un autre ressort et son taux est seulement (environ) de 15 p. 100 supérieur au taux de l’avocat canadien des demanderesses. Je ne peux conclure que son taux horaire est déraisonnable.

[43] La différence résultant de l’application du taux de change proposé par Hapag‑Lloyd serait minime. Ce taux est fondé sur l’information publiée par la Banque du Canada autour du 1er janvier 2018 et du 22 octobre 2019. Hapag‑Lloyd n’a pas expliqué comment elle avait choisi ces dates. De plus, je comprends que la preuve des demanderesses indique le coût réel, en dollars canadiens, du paiement des factures en devise étrangère. Je ne vois aucune raison de s’écarter de ces chiffres.

[44] Enfin, je ne trouve pas valable l’affirmation de Hapag‑Lloyd selon laquelle Me Schwampe a effectué un travail inutile ou excessif. Je suis d’accord avec l’observation des demanderesses selon laquelle il s’agit d’une affirmation sommaire, qui n’est pas étayée par des détails à l’égard des aspects du travail de Me Schwampe qui pourraient être considérés comme inutiles. Je fais également remarquer que Hapag‑Lloyd n’a pas déposé de preuve des frais de ses propres experts pour appuyer une conclusion selon laquelle ce litige aurait pu être réglé à moindre coût.

[45] En résumé, je conclus que la réclamation des demanderesses pour des débours totalisant 128 192,96 $ est raisonnable et recouvrable. Je vais maintenant aborder leur réclamation relative à la TVH applicable à la fois aux honoraires d’avocat et aux débours.

D. La taxe de vente harmonisée

[46] Les demanderesses réclament la TVH (au taux de 13 p. 100 applicable dans la province de l’Ontario, où leurs avocats sont basés) sur les dépens adjugés sous la forme d’une somme globale à l’égard de leurs honoraires d’avocat et sur les débours recouvrables. Hapag‑Lloyd a soulevé divers arguments à l’appui de sa position selon laquelle la TVH n’aurait pas dû être appliquée aux comptes pour les versements à Me Schwampe et que, de toute façon, les demanderesses ne devraient pas pouvoir recouvrer la TVH au moyen de la présente réclamation de dépens, parce que les demanderesses peuvent recouvrer la TVH au moyen de crédits de taxe sur les intrants et qu’elles n’ont donc pas à débourser ces sommes.

[47] Je trouve ce dernier argument valable. Hapag‑Lloyd renvoie la Cour aux décisions d’autres tribunaux qui ont accepté cet argument dans le cadre de l’adjudication des dépens. Dans la plus récente de ces décisions, Sun Life du Canada, compagnie d’assurance‑vie c La Reine, 2015 CCI 171, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté la réclamation de dépens présentée par la requérante pour la TVH sur les honoraires et les débours, dans la mesure où la TVH était recouvrable au moyen de crédits de taxe sur les intrants (au para 35).

[48] Dans le même ordre d’idées, dans Perry v Heywood (1997), 492 APR 183 (1re inst, T‑N) [Perry], la section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve a analysé en détail le droit de la partie qui avait obtenu gain de cause de demander un crédit de taxe sur les intrants au titre de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15. La Cour a rejeté la réclamation de TVH et de la taxe connexe sur les produits et services [TPS] applicables aux honoraires d’avocat et aux débours d’une partie, au motif que l’inclusion de ces sommes dans l’adjudication des dépens représenterait un gain fortuit pour cette partie si elle pouvait récupérer les sommes au moyen de crédits de taxe sur les intrants (aux para 89‑99). La Cour a également fait une distinction d’avec des décisions qui, en adjugeant une somme globale plutôt que des dépens taxés, ont tenu compte de la TPS sur les honoraires d’avocat. Dans ces affaires, il n’y avait aucune preuve quant au statut des parties à titre d’inscrites sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, et les dispositions applicables de cette loi n’ont pas été prises en considération, ce qui sous‑tend le droit à un crédit de taxe sur les intrants (aux para 98‑99).

[49] Dans le cas qui nous occupe, la disponibilité des crédits de taxe sur les intrants a été soulevée. Bien qu’il n’y ait pas de preuve devant la Cour quant au statut des demanderesses à titre d’inscrites sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, Hapag‑Lloyd fait remarquer que les demanderesses sont des sociétés canadiennes (décrites dans la déclaration comme constituées sous le régime des lois du Canada et dont le siège social est situé à Toronto, en Ontario). Ce renseignement ne se traduit pas nécessairement par une conclusion selon laquelle les demanderesses sont inscrites. Toutefois, les demanderesses n’ont pas adopté la position selon laquelle elles ne peuvent pas recouvrer la TVH au moyen de crédits de taxe sur les intrants. Elles s’appuient plutôt sur les dispositions particulières du tarif B comme moyen de distinguer la présente affaire des décisions sur lesquelles Hapag‑Lloyd s’appuie.

[50] L’article 1 du tarif B prévoit ce qui suit [non souligné dans l’original] :

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

Federal Courts Rules, SOR/98‑106

TARIF B

TARIFF B

(Règles 400 et 407)

(Rules 400 and 407)

Honoraires des avocats et débours qui peuvent être acceptés aux fins de la taxation des frais

Counsel Fees and Disbursements Allowable on Assessment

Mémoire de frais

Bill of costs

1 (1) La partie qui demande la taxation des frais selon le présent tarif prépare et dépose un mémoire de frais.

1 (1)A party seeking an assessment of costs in accordance with this Tariff shall prepare and file a bill of costs.

Contenu

Content of bill of costs

(2) Le mémoire de frais indique, pour chaque service à taxer, la colonne applicable et le nombre d’unités demandé selon le tableau ainsi que, lorsque le service est taxable selon un nombre d’heures, le nombre d’heures réclamé, avec preuve à l’appui.

(2) A bill of costs shall indicate the assessable service, the column and the number of units sought in accordance with the table to this Tariff and, where the service is based on a number of hours, shall indicate the number of hours claimed and be supported by evidence thereof.

Débours

Disbursements

(3) Le mémoire de frais comprend les débours, notamment :

(3) A bill of costs shall include disbursements, including:

(a) les sommes versées aux témoins selon le tarif A;

(a) payments to witnesses under Tariff A; and

(b) les taxes sur les services, les taxes de vente, les taxes d’utilisation ou de consommation payées ou à payer sur les honoraires d’avocat et sur les débours acceptés selon le présent tarif.

(b) any service, sales, use or consumption taxes paid or payable on counsel fees or disbursements allowed under this Tariff.

Preuve

Evidence of disbursements

(4) À l’exception des droits payés au greffe, aucun débours n’est taxé ou accepté aux termes du présent tarif à moins qu’il ne soit raisonnable et que la preuve qu’il a été engagé par la partie ou est payable par elle n’est fournie par affidavit ou par l’avocat qui comparaît à la taxation.

(4) No disbursement, other than fees paid to the Registry, shall be assessed or allowed under this Tariff unless it is reasonable and it is established by affidavit or by the solicitor appearing on the assessment that the disbursement was made or is payable by the party.

[51] Les demanderesses font remarquer que l’alinéa 1(3)b) prévoit expressément qu’un mémoire de frais doit comprendre les débours, y compris « les taxes sur les services, les taxes de vente, les taxes d’utilisation ou de consommation payées ou à payer sur les honoraires d’avocat et sur les débours ». Par conséquent, elles soutiennent que les Règles de la Cour envisagent expressément le recouvrement de taxes comme la TVH, et que les décisions contraires d’autres tribunaux, fondées sur leurs propres règles de pratique, sont inapplicables. Les demanderesses étayent leur position à l’aide des paragraphes 13 à 18 de la décision Englander c Telus Communications, 2004 CF 276 [Englander], où un officier taxateur de notre Cour a examiné des décisions, notamment Perry, et a conclu ce qui suit :

[18] Les décisions rendues dans les affaires V.A.H. et Perry, précitées, sont essentiellement les mêmes. Au paragraphe [86] de la décision Perry, précitée, on note que le barème pertinent ne prévoit pas de frais pour la TPS. Je conclus, à la lecture de la Loi sur la taxe d’accise, que la TPS est visée par l’alinéa 1(3)b) du tarif B. Mon avis, qui est souvent exprimé compte tenu de l’approche que j’ai adoptée dans la décision Grace M. Carlile c. Sa Majesté la Reine (1997), 97 D.T.C. 5284, page 5287 (O.T.), et des remarques que lord Russell a faites dans la décision Re Eastwood (deceased) (1974), 3 All. E.R. 603, page 608, à savoir que la taxation donne lieu à « une justice rugueuse en ce sens, qu’elle n’est pas exempte d’une approximation assez marquée » est le suivant : il est possible d’exercer le pouvoir discrétionnaire accordé afin d’arriver à un résultat raisonnable quant aux dépens. En outre, conformément à l’article 3 des Règles, et compte tenu de l’avis que j’ai exprimé dans la décision Feherguard Products Ltd. c. Rocky’s of B.C. Leisure Ltd., [1994] A.C.F. No 2012 (O.T.) paragraphe 10, à savoir que « la meilleure manière de déterminer le montant des dépens consiste à adopter dans l’application des dispositions un point de vue positif et non étroit et négatif », l’exercice du pouvoir discrétionnaire devrait faire partie d’un processus motivé destiné à obtenir un résultat équitable pour les deux parties sur le plan de la taxation. Je ne suis pas certain qu’un juge puisse prendre une mesure pour annuler en fait une règle de sa propre cour, en particulier une règle qui est exprimée en des termes fort généraux, comme l’alinéa 1(3)b) du tarif B, qui parle des « taxes [...] payées ou à payer ». Je conclus qu’une telle mesure ne serait pas comprise dans le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré et que je n’ai donc pas compétence à cet égard, et ce, peu importe que je croie que la défenderesse en l’espèce puisse bénéficier d’un gain fortuit. J’admets la TPS sur les honoraires et les débours taxés.

[52] Les demanderesses renvoient également la Cour à la décision Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2012 CF 221, qui a suivi la décision Englander et a admis une partie de la TPS réclamée par la demanderesse dans son mémoire de frais (au para 20).

[53] Les deux décisions sur lesquelles les demanderesses s’appuient sont des décisions d’officiers taxateurs. Comme il a été expressément mentionné dans la décision Englander, la décision d’autoriser le recouvrement de la TVH, même si elle pourrait représenter un gain fortuit pour la partie qui réclame les dépens, reposait sur la conclusion de l’officier taxateur selon laquelle, d’après son interprétation de l’alinéa 1(3)b) du tarif B, il n’avait pas compétence pour y déroger. L’officier taxateur n’était pas certain qu’un juge de la Cour pouvait se permettre une telle dérogation.

[54] En l’espèce, Hapag‑Lloyd a soulevé la question de la TVH décrite précédemment tard dans le processus d’adjudication de la réclamation de dépens des demanderesses, soit peu avant l’audience. En l’absence d’arguments plus exhaustifs à ce sujet, j’hésite à me prononcer définitivement sur l’interprétation de l’alinéa 1(3)b) du tarif B exprimée dans la décision Englander. Toutefois, il ressort clairement du paragraphe 400(1) des Règles qu’un juge de la Cour a le plein pouvoir discrétionnaire sur la somme des dépens adjugés dans le cadre d’une instance. Bien qu’un tel pouvoir discrétionnaire ne soit pas absolu, je suis convaincu, surtout lorsqu’il s’agit d’accorder des dépens sous la forme d’une somme globale comme l’ont demandé les demanderesses, qu’un tel pouvoir discrétionnaire s’étend au rejet d’une réclamation pour une somme qui pourrait représenter un gain fortuit pour le plaideur ayant gain de cause.

[55] Par conséquent, je conclus que l’argument avancé par les demanderesses à l’appui de leur réclamation de TVH est peu fondé. Les dépens adjugés ne tiendront pas compte de la TVH sur les honoraires ou les débours.

E. Les intérêts

[56] Les demanderesses réclament des intérêts avant et après jugement à un taux de 5 p. 100 par année. Elles invoquent l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, qui prévoit un taux de 5 p. 100 chaque fois que des intérêts sont exigibles en vertu de la loi et qu’il n’est pas fixé de taux par la loi, ainsi que la jurisprudence selon laquelle, dans les affaires d’amirauté, les intérêts sont fonction des dommages subis (voir p. ex., Universal Sales, Limited c Edinburgh Assurance Co Ltd, 2012 CF 1192 [Universal Sales] au para 8).

[57] Hapag‑Lloyd convient que l’intérêt avant jugement est fonction des dommages subis dans les affaires liées au droit maritime canadien, mais elle fait valoir que la Cour devrait utiliser un taux avant jugement de 3 p. 100 et un taux après jugement de 3,95 p. 100. Elle étaye sa position en présentant une preuve sur les taux préférentiels de la Banque de Montréal entre 2000 et 2019. Hapag‑Lloyd calcule le taux d’intérêt préférentiel moyen entre août 2011 (date à laquelle la perte s’est produite) et novembre 2019 (date à laquelle le jugement a été rendu) à 3,13 p. 100.

[58] La Cour, dans l’exercice de sa compétence en amirauté, a sans aucun doute le pouvoir d’allouer des intérêts à titre de partie intégrante des dommages‑intérêts auxquels les demanderesses peuvent avoir droit afin d’obtenir une indemnisation intégrale pour leur perte (voir La Cie de téléphone Bell c Le « Mar‑Tirenno », [1974] CF 294 [Bell] à la p 311). Dans la décision Bell, la Cour a jugé qu’il était juste d’utiliser le taux d’intérêt commercial couramment applicable à l’époque pertinente, et elle s’est finalement appuyée sur le taux préférentiel des prêts bancaires (aux p 314‑315).

[59] Les demanderesses soutiennent que le taux préférentiel des prêts bancaires ne reflète pas le taux auquel les banques prêtent effectivement de l’argent dans des circonstances commerciales normales et que les prêts non garantis comporteraient probablement des taux de 1 à 2 p. 100 supérieurs au taux préférentiel, c.‑à‑d. dans la fourchette du taux de 5 p. 100 demandé. Toutefois, la Cour ne dispose d’aucune preuve quant aux taux réels auxquels les demanderesses auraient pu obtenir du financement non garanti pendant la période pertinente (ou aux taux auxquels ce financement serait généralement offert).

[60] Les deux parties invoquent la décision Universal Sales comme un précédent relativement récent démontrant l’approche de la Cour en matière d’attribution d’intérêts dans une affaire d’amirauté (aux para 10‑17). Dans cette affaire, le juge Harrington a expliqué que la prémisse qui sous‑tendait les décisions antérieures de la Cour d’accorder des intérêts au taux commercial, comme le taux préférentiel des banques, ou un ou deux pour cent de plus, était que le taux commercial était nettement plus élevé que le taux légal. Cependant, dans Universal Sales, le taux préférentiel était inférieur au taux légal. Notant d’autres décisions dans lesquelles il avait accordé des intérêts au taux légal de 5 p. 100, dans les cas où les taux commerciaux avaient été bas (voir Kuehne + Nagel Ltd c Agrimax Ltd, 2010 CF 1303; Société Telus Communications c Peracomo Inc, 2011 CF 494, conf par 2012 CAF 199), le juge Harrington a de nouveau accordé des intérêts au taux légal de 5 p. 100. Compte tenu de ces précédents, dans le cas qui nous occupe, je vais utiliser le taux de 5 p. 100, tant pour les intérêts avant jugement que pour les intérêts après jugement.

[61] Enfin, je note que Hapag‑Lloyd fait valoir que les demanderesses n’ont pas poursuivi leur demande avec diligence et qu’il devrait y avoir une réduction du taux d’intérêt applicable, ou de la période au cours de laquelle les intérêts sont accordés, pour tenir compte des retards causés par les demanderesses. Toutefois, comme je l’ai déjà souligné, la preuve dont la Cour dispose n’appuie pas une telle conclusion. Hapag‑Lloyd a bénéficié des fonds, représentés par la somme des dommages‑intérêts accordés dans le jugement, depuis la date de la perte, et les demanderesses ne disposaient pas de ces fonds.

[62] Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement sur les dommages‑intérêts de 872 909,57 $, au taux de 5 p. 100 par année à compter de la date de perte jusqu’à la date du jugement. Cela représente une période de 8,291667 ans, ce qui se traduit par des intérêts avant jugement de 361 893,76 $.

  1. Conclusion

[63] Dans le jugement supplémentaire qui suit, j’adjugerai aux demanderesses en l’espèce la somme totale de 201 692,96 $ à titre de dépens, soit la somme globale de 73 500,00 $, établie ci‑dessus, plus des débours de 128 192,96 $. Le jugement supplémentaire accordera également des intérêts avant jugement de 361 893,76 $ sur les dommages‑intérêts accordés dans le jugement, et prévoira des intérêts après jugement à un taux de 5 p. 100 par année.


JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE DANS LE DOSSIER T‑1526‑12

LA COUR REND LE JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE SUIVANT :

  1. La défenderesse, Hapag‑Lloyd AG, versera aux demanderesses des intérêts avant jugement sur la somme de 872 909,57 $, accordée dans le jugement de la Cour daté du 26 novembre 2019 dans la présente action, de 361 893,76 $ jusqu’à la date de ce jugement. La somme de 872 909,57 $ porte aussi intérêt au taux de 5,0 p. 100 par année à compter de cette date.

  2. La défenderesse, Hapag‑Lloyd AG, versera aux demanderesses des dépens de 201 692,96 $ dans la présente action, y compris les débours. Cette somme porte intérêt au taux de 5,0 p. 100 par année, à compter de la date du présent jugement supplémentaire.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1546‑12

INTITULÉ :

IAMGOLD CORPORATION ET NIOBEC INC c HAPAG‑LLOYD AG, HAPAG‑LLOYD (CANADA) INC et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN INTÉRÊT DANS LE NAVIRE M/V « OOCL MONTREAL »

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 avril 2020

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

Le 12 mai 2020

COMPARUTIONS :

Marc Isaacs

Michelle Staples

POUR LES DEMANDERESSES

Darren McGuire

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isaacs Odinocki LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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