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Date : 20210125


Dossier : IMM‑932‑20

Référence : 2021 CF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2021

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

M. ABDULLAH

MD AHAD SIDDIK

MOSAMMATH MOYMUN NEHAR RUPI

MUSAMMATH RAZIA BEGUM

MOHAMMED KHALIK HASAN

AYSHA SIDDIKA SADIA

MOHD RAZZAK ABDULLAH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 16 janvier 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet des demandes d’asile qu’ils avaient présentées au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SAR a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle les demandeurs disposent de possibilités de refuge intérieur (PRI) viables à Dacca, à Khulna et à Chittagong, au Bangladesh.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. La SAR a examiné de manière exhaustive les observations et les éléments de preuve présentés par les demandeurs. Le tribunal a reconnu que les demandeurs ont établi qu’ils avaient fait l’objet d’extorsion dans leur ville de Sylhet, au Bangladesh, mais a conclu qu’ils n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que leurs persécuteurs étaient motivés à les poursuivre partout au Bangladesh. La SAR a expliqué sa conclusion de façon logique et cohérente.

I. Contexte

[3] Les demandeurs sont des citoyens du Bangladesh. Ils font partie d’une famille élargie composée de M. Abdullah, son épouse et leur fils mineur et de la famille de M. Siddik, le fils adulte de M. Adbullah, son épouse et leurs deux enfants mineurs.

[4] M. Abdullah et sa famille ont vécu à Dubaï pendant de nombreuses années, au cours desquelles ils sont retournés régulièrement à Sylhet. M. Abdullah et sa famille affirment que, entre 2006 et 2017, l’imam local et chef du Jamaat à Sylhet, Halim Uddin, les a harcelés et leur a extorqué de l’argent pendant leurs visites au Bangladesh parce qu’ils étaient perçus comme étant fortunés. Les demandeurs prétendent qu’ils ont demandé la protection de la police, mais que cette protection leur a été refusée, et qu’ils ont été extorqués par la police.

[5] Au début de 2017, alors qu’il se trouvait chez lui à Sylhet, M. Siddik prétend que M. Uddin a voulu lui extorquer de l’argent, et qu’il a ensuite été battu parce qu’il ne pouvait pas payer le montant demandé. M. Siddik et sa famille se sont par la suite enfuis à Dubaï pour y retrouver la famille de M. Abdullah.

[6] Les demandeurs avaient auparavant appris que le permis de travail de M. Abdullah à Dubaï ne serait pas renouvelé. Ils ont alors quitté Dubaï pour les États‑Unis. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 15 septembre 2017. Une membre de la famille qui demeure à Sylhet a présenté un affidavit dans lequel elle affirme que M. Uddin et ses hommes sont retournés chez les demandeurs à plusieurs reprises depuis le départ de la famille en 2017 pour tenter de retrouver M. Siddik, leur dernière visite remontant au 1er mars 2019.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 8 mai 2019 après avoir conclu qu’ils disposaient de PRI viables à Dacca, à Khulna et à Chittagong. La SPR a reconnu que M. Uddin leur avait extorqué de l’argent lorsqu’ils sont retournés à Sylhet, mais a conclu qu’ils ne satisfaisaient pas aux volets du critère de la PRI établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam).

II. La décision de la SAR

[8] La SAR a convenu que M. Uddin avait extorqué de l’argent aux demandeurs à Sylhet, mais a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle ils disposent de PRI à Dacca, à Khulna et à Chittagong et a rejeté l’appel.

[9] La SAR a conclu que les demandeurs ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution dans les endroits proposés comme PRI, car ils n’ont pas établi que M. Uddin et le réseau Jamaat dans son ensemble étaient motivés à les poursuivre partout au Bangladesh. Le tribunal a reconnu les arguments des demandeurs selon lesquels M. Uddin était motivé par l’argent et la vengeance et serait capable de les retrouver parce que les locataires comme eux doivent communiquer leurs renseignements à la police dans certaines villes du Bangladesh. La SAR a toutefois conclu que les demandeurs n’ont pas établi que M. Uddin utiliserait des ressources pour rechercher la famille alors qu’il a accès à d’autres sources de fonds à proximité.

[10] En ce qui concerne la possibilité que le Jamaat poursuive les demandeurs, la SAR a convenu que le fait que le Jamaat a des relations ne veut pas dire qu’il utilisera ses liens avec la police pour poursuivre les demandeurs. Comme le Jamaat est principalement motivé par l’extrémisme religieux, le tribunal était d’avis que les demandeurs n’ont pas un profil qui ferait que le Jamaat manifeste un intérêt particulier à leur égard.

[11] Enfin, la SAR a tenu compte du témoignage des demandeurs selon lequel, en tant qu’expatriés revenant de Dubaï, ils seraient perçus comme étant fortunés, d’autant plus qu’ils possèdent une grande maison et un terrain. Le tribunal a convenu que leur présumée fortune pourrait en faire des cibles d’extorqueurs opportunistes, mais a conclu qu’une telle perception ne veut pas dire que ces extorqueurs les poursuivront et leur causeront un préjudice ailleurs au Bangladesh.

[12] Les demandeurs n’ont pas contesté devant la SAR les conclusions de la SPR quant au deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam. Néanmoins, la SAR a affirmé qu’elle a effectué son propre examen de la preuve et qu’elle souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’ont pas démontré au moyen de suffisamment d’éléments de preuve que leur réinstallation dans l’un des endroits désignés comme PRI serait excessivement difficile ou déraisonnable.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[13] La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI dans l’une des trois villes désignées du Bangladesh. La norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire par la Cour de la décision de la SAR concernant la PRI (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 (Vavilov)). Aucune des situations permettant de s’écarter de la norme de contrôle présumée qui ont été énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[14] Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont donné des indications pour aider les cours de révision à appliquer la norme de la décision raisonnable et ont souligné l’importance du raisonnement suivi par le décideur ainsi que du résultat de la décision pour la personne touchée (Vavilov au para 83). La Cour suprême a déclaré qu’une décision raisonnable est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31).

IV. Analyse

[15] Le concept de PRI fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine région d’un pays. Il n’y a pas de désaccord entre les parties relativement aux deux volets du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam pour déterminer l’existence d’une PRI viable :

  1. La SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la PRI proposée;

  2. La situation dans la partie du pays où se trouve la PRI proposée doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de l’ensemble des circonstances, de s’y réfugier.

Premier volet du critère de la PRI

[16] Le principal motif de contestation de la décision de la SAR (la décision) porte sur le premier volet du critère. Les demandeurs insistent sur le fait que leur témoignage concernant l’extorsion subie à Sylhet, les efforts constants déployés par M. Uddin pour trouver M. Siddik et l’obligation qu’ont les locataires de communiquer leurs renseignements à la police du Bangladesh a été jugé crédible. Les demandeurs prétendent que cette conclusion, jumelée à l’important problème de corruption policière au Bangladesh, rend déraisonnable la conclusion de la SAR relativement à l’existence d’une PRI viable à Dacca, à Khulna et à Chittagong.

[17] Je n’estime pas convaincants les arguments des demandeurs. La conclusion de la SAR concernant le premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam reposait sur sa conclusion selon laquelle ni M. Uddin ni le Jamaat n’étaient motivés à dépenser des ressources financières ou à faire jouer leurs relations pour poursuivre les demandeurs partout au Bangladesh. Le fait que les persécuteurs des demandeurs pourraient les trouver dans d’autres villes du Bangladesh n’infirme pas la conclusion de la SAR selon laquelle ils n’auraient pas la motivation de le faire (Essel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1025 au para 13). La SAR a expliqué en détail et avec logique les motifs justifiant sa conclusion défavorable quant à la motivation des persécuteurs des demandeurs, et je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion du tribunal.

[18] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en déclarant que le fait que le Jamaat a des relations « ne veut pas nécessairement dire que ses membres utiliseront la police et d’autres réseaux dans tous les cas, même s’ils obtenaient des renseignements au moyen du processus d’inscription des locataires à Dacca ». Les demandeurs soutiennent que la SAR leur a indûment imposé une norme de preuve trop élevée en exigeant qu’ils démontrent que le Jamaat n’avait pas la motivation requise « dans tous les cas ».

[19] Les observations des demandeurs reposent sur un seul bout de phrase de la décision. Or, une décision administrative doit être interprétée de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97; Akinkunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 742 au para 16). Tout au long de sa décision, la SAR a souligné que les demandeurs devaient établir les faits qui sous‑tendent leur demande d’asile selon la prépondérance des probabilités. Plus précisément, lorsqu’il a tiré ses conclusions quant à la preuve, le tribunal a répété à plusieurs reprises que les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve qui permettent d’établir, « selon la prépondérance des probabilités », que M. Uddin ou le Jamaat aurait un intérêt à les poursuivre dans les endroits proposés comme PRI. L’expression « dans tous les cas » utilisée par la SAR indique simplement que le fait que l’on soit capable de retrouver une personne ne signifie pas nécessairement qu’on le fera si la motivation n’y est pas. J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de l’absence de motivation du Jamaat à poursuivre les demandeurs ailleurs au Bangladesh.

Deuxième volet du critère de la PRI

[20] La SAR a déclaré dans sa décision que les demandeurs n’avaient pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il ne serait pas déraisonnable pour eux de déménager dans un des endroits proposés comme PRI. J’ai examiné les observations présentées par les demandeurs à la SAR et je confirme qu’ils n’y mentionnent pas le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam. Les demandeurs n’ont pas contesté la déclaration de la SAR; ils ont simplement souligné dans leurs observations écrites que le conseil a affirmé à la SAR qu’il serait déraisonnable pour eux de déménager dans une autre ville du Bangladesh. Les demandeurs soutiennent maintenant que la SAR devait pourtant tenir compte de tous les faits et les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[21] Je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont relevé un motif justifiant l’intervention de la Cour parce que : (1) les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve donnant à penser qu’ils avaient soulevé cette question devant la SAR; et (2) la SAR n’est pas tenue d’examiner les questions potentielles que les appelants n’ont pas soulevées (alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257; Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 aux para 23‑24). La SAR était tenue d’examiner les erreurs soulevées par les demandeurs, et c’est ce qu’elle a fait dans sa décision.

[22] Je souligne également que la SAR a déclaré qu’elle a examiné les conclusions de la SPR et qu’elle était d’accord avec la conclusion de la SPR concernant le deuxième volet du critère de la PRI. La déclaration de la SAR était fondée sur son propre examen de la preuve. Les demandeurs contestent le fait que la SAR a brièvement confirmé la conclusion de la SPR et affirment qu’ils ne connaissent personne à l’extérieur de Sylhet, qu’ils auraient de la difficulté à trouver un emploi ou un endroit où loger une grande famille dans les villes proposées comme PRI, et qu’ils seraient encore une fois perçus comme étant fortunés à leur retour au Bangladesh après avoir vécu au Canada.

[23] J’estime que les observations des demandeurs concernant les difficultés qui pourraient être associées à leur réinstallation dans l’une des villes proposées comme PRI ne soulèvent aucune erreur susceptible de contrôle. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve et aucune observation donnant à penser qu’ils satisfont à la norme élevée du caractère raisonnable, qui est la marque distinctive du contrôle selon le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam (Ohwofasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 266 au para 20, citant Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA)).

V. Conclusion

[24] La demande est rejetée.

[25] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑932‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑932‑20

 

INTITULÉ :

M. ABDULLAH, MD AHAD SIDDIK, MOSAMMATH MOYMUN NEHAR RUPI, MUSAMMATH RAZIA BEGUM, MOHAMMED HASAN, AYSHA SIDDIKA SADIA, MOHD RAZZAK ABDULLAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À Montréal (QUÉBEC) et OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 décembre 2020

 

jugement et motifs :

la juge WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 25 janvier 2021

 

COMPARUTIONS :

MNilufar Sadeghi

 

pour les demandeurs

 

MSuzanne Trudel

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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