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     Date : 19990419

     Dossier : IMM-1309-98

OTTAWA (Ontario), le 19 avril 1999

EN PRÉSENCE DE M. le juge Rouleau

Entre :

     ALI HAYDAR ATACAN,

     demandeur,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un autre agent des visas pour qu'une nouvelle décision soit prise concernant les compétences linguistiques du demandeur.

                         " P. ROULEAU "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990419

     Dossier : IMM-1309-98

Entre :

     ALI HAYDAR ATACAN,

     demandeur,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant la décision d'une agente des visas en date du 13 février 1998 dans laquelle sa demande de résidence permanente au Canada était rejetée. Le demandeur réclame une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari pour infirmer la décision et une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de traiter sa demande conformément à la Loi sur l'immigration au Règlement établi sous son régime.

[2]      Le demandeur, citoyen turc, réside en Arabie saoudite depuis 1993. Le 25 mars 1997, il a présenté à la section d'immigration de l'Ambassade du Canada à Paris (France) une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs indépendants à titre de comptable (CCDP 1171-114). Une entrevue a eu lieu le 15 décembre 1997 avec l'agente des visas Louise Van Winkle.

[3]      Dans une lettre datée du 13 février 1998, l'agente des visas a informé le demandeur que sa demande avait été évaluée sous la profession désignée d'aide-comptable étant donné qu'il n'avait pas fourni de preuve satisfaisante de son expérience ou d'études équivalentes pour se qualifier comme comptable. La lettre l'informait de plus que sa demande était refusée parce qu'il n'avait pas réuni les 70 points d'appréciation requis pour obtenir le droit d'établissement dans la catégorie des travailleurs indépendants. Le demandeur a obtenu 65 points dans la catégorie désignée d'aide-comptable (CCDP 4131-114) :

                                         Points

         Âge                                  10

         Demande dans la profession                      01

         Préparation professionnelle spécifique (ou)     

         Études et formation                          11

         Expérience                              06

         Emploi réservé                              00

         Facteur démographique                          08

         Études                                  16

         Connaissance de l'anglais                          09

         Connaissance du français                          02

         Personnalité                              05

                         Total                  65

[4]      Tout d'abord, le demandeur prétend que l'évaluation de l'agente des visas est déraisonnable à la lumière de la documentation qu'il a déposée, notamment la preuve qu'il a terminé avec succès des cours de français au Centre international d'études des langues et au Centre franco-saoudien. Ce document indique qu'il avait atteint le niveau avancé en 1996. En outre, il remet en question la manière dont l'évaluation de ses compétences linguistiques a été faite. Le fait que l'agente des visas se soit appuyée uniquement sur les certificats de connaissances linguistiques et qu'elle n'ait pas testé la maîtrise du français du demandeur, en plus de ne pas l'avoir informé de ses préoccupations concernant ses compétences en français, constitue une contravention grave aux principes de justice naturelle et un refus de sa part d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

[5]      Deuxièmement, le demandeur prétend que l'agente des visas n'a pas examiné de façon appropriée les documents déposés après l'entrevue confirmant son expérience et ses compétences comme comptable. Il soutient qu'il est abusif que l'agente l'ait autorisé à déposer d'autres documents concernant son expérience comme comptable pour ensuite ne pas en tenir compte au motif qu'ils n'étaient pas officiels, qu'ils servaient ses propres intérêts et qu'ils ne méritaient pas qu'on leur accorde beaucoup d'importance parce qu'ils portaient une date postérieure à l'entrevue. Le demandeur conteste de plus la conclusion de l'agente des visas indiquant qu'il n'avait pas les études ou la formation spécifique équivalant à celles d'un comptable au Canada. Cette conclusion est déraisonnable compte tenu du diplôme du demandeur et de son certificat en administration des affaires dans le cadre desquels il a suivi des cours de comptabilité.

[6]      Le défendeur soutient que l'agente n'a pas commis d'erreur en rejetant la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Pour en venir à cette décision, il soutient que l'agente des visas a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes de justice naturelle et qu'elle ne s'est pas appuyée sur des considérations non pertinentes ou extrinsèques.

[7]      Il prétend de plus qu'il était loisible à l'agente des visas d'évaluer les connaissances linguistiques du demandeur en se fondant sur les certificats obtenus à la fin des cours, que l'agente des visas a correctement évalué l'expérience et la formation du demandeur au regard des normes canadiennes, que son évaluation n'est pas manifestement déraisonnable et qu'il lui était loisible de déterminer que l'expérience et la formation du demandeur ne justifiaient l'octroi d'aucun point au titre de l'expérience comme comptable.

[8]      Le demandeur soulève deux questions : 1) l'agente des visas a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de ses connaissances du français ; et 2) l'agente des visas a-t-elle pris une décision sans tenir compte des éléments dont elle était saisie, en ignorant la preuve ou en tirant des conclusions de fait de manière abusive ou arbitraire.

[9]      L'évaluation faite par l'agente des visas de la connaissance du français du demandeur soulève deux questions connexes. Cette évaluation est-elle déraisonnable et l'agente a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle.

[10]      Comme argument principal, le demandeur soutient que les deux points accordés par l'agente des visas ne reflètent pas la connaissance qu'il a du français et qu'il aurait dû obtenir six points.

[11]      La décision de l'agente ne dit rien sur cette question. Dans son affidavit, elle déclare qu'elle a examiné deux certificats avant de parvenir à sa conclusion. Le premier, délivré en français, par le Centre international d'études des langues, confirme que le demandeur s'est inscrit à un cours de quatre semaines à l'été de 1995, consistant en 80 heures d'études françaises semi-intensives au niveau intermédiaire-avancé. Le deuxième, du Centre franco-saoudien à Djedda, indique que le demandeur est passé du niveau élémentaire en 1994 au niveau avancé en 1996. L'agente a conclu que le demandeur parlait correctement le français mais pas couramment. Elle a donc indiqué dans son affidavit qu'elle lui avait donné deux points pour la connaissance du français, au lieu des trois qu'elle lui aurait donnés si sa connaissance avait été meilleure.

[12]      Dans la décision Sharif c. M.C.I., (1996) 125 F.T.R. 148, sur laquelle s'est appuyé le défendeur, le juge Dubé déclare à la page 150 : " Pour que l'agente puisse déterminer que le requérant parle " couramment " l'anglais, il faut que celui-ci montre qu'il est capable de fonctionner en anglais dans toutes les circonstances où un locuteur natif de l'anglais se sentirait à l'aise ". L'agente des visas a soigneusement examiné les certificats du demandeur et je ne peux conclure que son évaluation est déraisonnable. Toutefois, cela ne règle pas la question.

[13]      Comme le prétend le demandeur, je suis convaincu que l'omission de l'agente de mettre sa connaissance du français à l'épreuve constitue à un manquement aux principes de justice naturelle. L'avocat du demandeur s'appuie sur la décision Chatrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 59 (C.F. 1re inst.) et l'arrêt Muliadi c. M.E.I. [1986] 2 C.F. 205 (C.A.) à l'appui de sa prétention selon laquelle le demandeur avait droit à une évaluation équitable et indépendante de sa connaissance du français.

[14]      Dans la décision Chatrova, précitée, le juge Reed a infirmé la décision d'un agent d'immigration qui avait rejeté une demande de résidence permanente au motif, notamment, que les connaissances linguistiques de la demanderesse avaient été mal évaluées. L'agent avait décidé unilatéralement, sans tester les compétences écrites de la demanderesse, qu'elle parlait couramment l'anglais, mais pas à la perfection, et lui avait octroyé deux points d'appréciation au lieu de trois pour l'anglais. Voici le raisonnement du juge Reed sur ce point :

         Je suis convaincue que la décision examinée ici doit être annulée. Premièrement, il est évident, selon moi, que l'agent des visas n'a pas correctement évalué les compétences linguistiques de la requérante. Je me reporterai tout d'abord aux arguments concernant l'évaluation de ses compétences orales. Dans la lettre exposant sa décision, l'agent des visas qui a refusé d'accorder un visa d'immigration à la requérante, lui explique que sa connaissance de l'anglais est bonne, mais pas " parfaite ". La requérante n'a pas besoin d'avoir une connaissance parfaite de l'anglais pour obtenir trois points. L'agent des visas doit évaluer si elle parle " couramment " l'anglais. Je ne m'appesantirai pas sur la formulation de la lettre de l'agent des visas, puisque ses notes indiquent que c'était l'aisance d'expression et non la perfection de la connaissance qu'il évaluait. Il faut tout de même dire que l'emploi du terme " parfait " dans cette lettre a laissé, on le comprend, la requérante plutôt perplexe. Elle a dû se demander si on l'avait évaluée équitablement. Elle a réagi à cette lettre en déclarant qu'elle n'avait jamais prétendu connaître parfaitement l'anglais, mais qu'elle prétendait effectivement le parler couramment.                 
         Voyons maintenant l'évaluation de sa capacité à écrire en anglais. C'est cet aspect de l'évaluation que je trouve le plus ennuyeux. L'agent des visas a supposé que la capacité de la requérante à cet égard devait être comparable à sa capacité de parler la langue. Elle avait affirmé lire, écrire et parler couramment l'anglais. L'agent des visas a accepté son auto-évaluation du point de vue de la lecture et lui a accordé trois crédits. Il lui a accordé deux crédits pour ses compétences orales après avoir décidé, d'après sa conversation avec elle, qu'elle parlait bien l'anglais, mais pas couramment. Mais il est parti du principe que son aptitude à écrire était comparable à son aptitude à parler et non pas à son aptitude à lire. On ne lui a pas fait subir de test pas plus qu'on ne lui a demandé de prouver sa capacité. En l'espèce, il s'agit d'une erreur importante.                 
         La requérante possède un diplôme universitaire en langue et littérature anglaises. Après avoir obtenu son diplôme, elle a eu plusieurs emplois, notamment comme professeur d'anglais et bibliothécaire. Elle travaille actuellement pour la coentreprise russo-lettone du nom de Solis-Riga. Elle y emploie surtout le russe et le letton, mais il lui arrive de traduire des documents en anglais. C'est assurément une chose connue des gens qui acquièrent une langue seconde que lorsqu'on n'est pas immergé dans la langue parlée, la capacité à écrire et à lire est plus facile à acquérir que l'aisance verbale. Et même si je ne tiens pas compte de cette considération, étant donné les antécédents universitaires et professionnels de la requérante, je ne pense pas que l'agent des visas soit en mesure de rejeter l'évaluation qu'elle fait de sa capacité à écrire parce qu'il suppose qu'elle est comparable à son aptitude à parler. L'avocat de l'intimé soutient que c'est à la requérante de prouver ses compétences. C'est exact, mais, en l'espèce, je pense qu'elle a le droit de s'interroger sur le fait que sa propre évaluation est remise en cause avant d'assumer le fardeau de fournir d'autres éléments de preuve à cet égard.                 

[15]      Dans l'arrêt Muliadi, précité, la Cour d'appel fédérale a statué qu'un agent des visas avait l'obligation, avant de se prononcer sur une demande, d'informer le demandeur que son appréciation serait négative et de lui donner la possibilité de corriger ou de contredire cette appréciation. La Cour a de plus déclaré que l'obligation qui incombe au demandeur de prouver qu'il a légalement le droit d'entrer au Canada ne décharge pas l'agent des visas de son obligation d'agir de manière équitable.

[16]      Je souscris à l'opinion de l'avocat du demandeur selon laquelle il y a eu manquement à l'équité et que l'agente aurait dû donner au demandeur la possibilité de présenter pleinement son cas en l'informant de son évaluation négative et en lui donnant la possibilité de se soumettre à un test.

[17]      Le défendeur soutient que, même si le maximum de points avait été octroyé au demandeur pour sa connaissance du français, il n'aurait obtenu globalement que de 66 points d'appréciation.

[18]      Le principe qui sous-tend la prétention du défendeur est qu'un manquement à la justice naturelle n'amènera pas un tribunal à intervenir lorsque le renvoi de l'affaire pour nouvel examen ne servirait à rien : Yassine c. Canada (M.E.I.) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.).

[19]      L'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, au paragraphe 2, sous le facteur 8 " Connaissance du français et de l'anglais ", indique ceci :

         Pour la langue que la personne indique comme sa seconde langue officielle, le français ou l'anglais, selon le niveau de compétence pour chacune des capacités suivantes : l'expression orale, la lecture et l'écriture, des crédits sont attribués de la façon suivante :                 
         a) la capacité de parler, de lire ou d'écrire couramment, deux crédits sont attribués pour chaque capacité ;                 
         b) la capacité de parler, de lire ou d'écrire correctement mais pas couramment, un crédit est attribué pour chaque capacité ;                 
         c) la capacité de parler, de lire ou d'écrire difficilement, aucun crédit n'est attribué pour cette capacité.                 

[20]      À la lumière des critères précités, le demandeur a obtenu deux points pour ses compétences en français parce qu'il a été décidé qu'il ne parlait pas couramment le français, en tant que seconde langue officielle. Si les connaissances linguistiques du demandeur avaient été correctement testées, il aurait pu obtenir deux points pour chacune des compétences évaluées. c'est-à-dire six points. Six points pour le français lui auraient permis de réunir les 70 points requis. À mon avis, l'omission de l'agente d'évaluer correctement les compétences linguistiques du demandeur justifie l'intervention de la Cour.

[21]      Comme j'en arrive à la conclusion que les connaissances linguistiques n'ont pas été correctement évaluées, je m'abstiendrai de faire des observations sur les questions de qualifications et de pertinence étant donné que je suis convaincu que l'agente des visas n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle sur ces éléments d'évaluation. Je suis d'avis d'accueillir la demande et de renvoyer l'affaire à un autre agent des visas pour nouvelle décision, mais uniquement afin de réévaluer les compétences linguistiques du demandeur.

                         " P. ROULEAU "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-1309-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALI HAYDAR ATACAN

                     ET

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

DATE :                  LE 19 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

Steven Beiles                          POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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