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Date : 20010202

Dossier : IMM-3994-99

                                                                                                Référence neutre : 2001 CFPI 17

OTTAWA (ONTARIO), le 2 février 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :                                                                                                   

                                      SIRIYALATHA HERATH MUTHIYANSA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a statué, le 19 juillet 1999, que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention;

APRÈS avoir lu les documents déposés et entendu les arguments des parties;


ET pour les motifs prononcés aujourd'hui;

LA COUR STATUE QUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

         « Dolores M. Hansen »          

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010202

Dossier : IMM-3994-99

Référence neutre : 2001 CFPI 17

ENTRE :                                                                                                   

                                      SIRIYALATHA HERATH MUTHIYANSA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]         La demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire pour contester la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a statué, le 19 juillet 1999, qu'elle n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]         La demanderesse est une Cinghalaise citoyenne du Sri Lanka qui est mariée et mère de trois enfants. Elle avait 21 ans au moment où elle a présenté sa revendication.


[3]         La fuite de la demanderesse résulte d'une série d'incidents reliés à l'emploi de son conjoint en qualité de nettoyeur dans un camion transportant du poisson. Un jour, les policiers ont arrêté le camion et l'ont fouillé; au cours de la fouille, ils ont découvert des armes parmi le poisson; ils ont arrêté et gardé en détention le conjoint cinghalais de la demanderesse et le chauffeur tamoul. Les policiers les accusaient d'être des sympathisants et des partisans des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE).

[4]         La demanderesse affirme que la police locale s'est présentée chez elle, à deux reprises après l'arrestation et la détention de son conjoint, a fouillé la maison et a tenté de lui soutirer des renseignements concernant les allées et venues de son conjoint qui s'était échappé. La demanderesse soutient que les policiers l'ont battue et menacée devant ses enfants. Le dossier démontre que la demanderesse n'a jamais fait appel aux services médicaux après ces incidents.

[5]         En raison des allégations faites par les policiers contre son conjoint et des menaces et coups qu'elle a reçus par la suite, la demanderesse s'est cachée brièvement avec ses trois enfants. Son père a ensuite pris des arrangements pour qu'elle quitte le pays. Un contretemps de dernière minute a empêché ses enfants de l'accompagner. La demanderesse a donc fui seule, en laissant ses enfants avec ses parents.


[6]         Elle est arrivée aux États-Unis, puis elle pris l'autobus pour Québec en compagnie de son agent. Malgré son passage aux douanes, elle n'a pas revendiqué alors le statut de réfugié. Elle s'est rendue à Montréal et, de là, elle a téléphoné à un ami à Toronto, qui lui a demandé si elle avait revendiqué le statut de réfugié. Elle n'a présenté sa revendication qu'une fois à Toronto, cinq jours après son entrée au pays. Elle a revendiqué le statut de réfugié en invoquant son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire le fait qu'elle soit perçue comme une sympathisante et une partisane des LTTE.

[7]         Ses enfants demeurent au Sri Lanka avec leurs grands-parents. La SSR n'a été saisie d'aucun élément de preuve établissant que les enfants ne seraient pas en sécurité, que les grands-parents seraient en danger ni que les frères et soeurs de la demanderesse courraient des risques.

[8]         La SSR a conclu que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention pour trois motifs : son histoire manquait de crédibilité, elle n'a pas fourni de preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de la protéger et elle n'a pas établi qu'elle craignait avec raison d'être persécutée.

[9]         La conclusion défavorable de la SSR concernant la crédibilité est au coeur de la revendication, car la SSR a affirmé ce qui suit dans sa conclusion : [Traduction] « Après avoir examiné la totalité de la preuve, le tribunal conclut que l'histoire de la demanderesse n'est pas crédible » . La demanderesse fait valoir qu'il n'existe aucun motif de mettre en doute sa preuve cohérente et non contredite et que la SSR n'a fourni aucun motif à l'appui de cette conclusion arbitraire.


[10]       La demanderesse conteste particulièrement la conclusion de la SSR portant que sa preuve manquait de crédibilité parce que :

(a) elle ne croyait pas qu' « un Cinghalais travaillerait pour une entreprise appartenant à un Tamoul et avec un chauffeur tamoul en qualité d'assistant, compte tenu des risques que présenterait le fait de se trouver sur la route tous les jours en pareilles circonstances » ;

(b) elle éprouvait des doutes sur son état civil et sa situation familiale;

(c) elle n'a pas retenu ses explications concernant son défaut de demander la protection de l'État;

(d) elle n'a pas retenu la raison qu'elle a fournie pour expliquer son retard à revendiquer le statut de réfugié.

[11]       Dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, la Cour d'appel fédérale a statué, aux paragraphes 3 et 4, que le tribunal est un tribunal spécialisé qui a compétence pour tirer des inférences et apprécier la crédibilité :

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de « plausibilité » ou de « crédibilité » .

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. ...Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[12]       La demanderesse affirme que le tribunal a commis une erreur en mettant en doute son état civil et sa situation familiale parce qu'elle n'a pas produit de documents corroborant ses dires. La demanderesse souligne que la corroboration par des documents n'est pas requise.

[13]       J'estime toutefois que ce n'est pas l'absence en soi de documents corroborant ses dires qui est à l'origine des doutes du tribunal. C'est plutôt que la demanderesse a été incapable de convaincre le tribunal de la raison pour laquelle, après avoir passé dix mois au Canada, elle n'avait fait aucun effort pour récupérer son certificat de mariage et les actes de naissance de ses enfants qui se trouvaient au Sri Lanka, d'autant plus que son histoire était reliée à son conjoint. Si la SSR n'a pas cru son histoire, ce n'est pas à cause de l'absence des documents, mais de l'absence d'efforts pour les récupérer. Par conséquent, je ne puis conclure que la SSR a commis une erreur en tirant sa conclusion sur ce point concernant la crédibilité.

[14]       Le tribunal a aussi mis en doute les motifs pour lesquels la demanderesse n'a pas demandé la protection de l'État. Elle dit craindre les forces de sécurité de l'État, alors que c'est la police locale qui l'a accostée. Elle n'a demandé l'aide d'aucun organisme et elle n'a pas communiqué avec l'employeur de son conjoint pour s'enquérir de la nature du problème, de ses allées et venues ni d'autres détails concernant son arrestation. Interrogée à cet égard, elle a affirmé qu'elle ne savait pas où se trouve l'employeur et que l'employeur a peur lui aussi, mais elle n'a pas été en mesure d'expliquer comment elle pouvait l'avoir appris.


[15]       Bien que le tribunal fasse allusion aux bouleversements politiques survenus au Sri Lanka, il s'appuie sur ses connaissances spécialisées pour relever l'incongruité du fait que la demanderesse n'a pas pu demander d'aide ni de protection alors que ses enfants, ses parents et ses frères et soeurs demeurent tous dans le même district, sains et saufs. Dans ses motifs, la SSR affirme qu'il n'est [Traduction] « tout simplement pas crédible qu'une personne se trouvant dans la situation de la revendicatrice, soit une Cinghalaise n'ayant jamais eu de problèmes avec les autorités, ne soit pas en mesure de demander et d'obtenir la protection de l'État ... » Même si elle avait subi les abus dont elle se plaint , la décision précise que [Traduction] « .. La revendicatrice n'a pas démontré à l'aide d'une preuve claire et convaincante que l'État est incapable ou refuse de la protéger. »

[16]       Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 726, la Cour suprême du Canada a statué que, sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger les citoyens. En l'espèce, la demanderesse n'a jamais demandé de protection.


[17]       La SSR a aussi conclu que la demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle craignait avec raison d'être persécutée. Bien qu'elle soit arrivée au Canada en compagnie d'un agent, elle n'a pas revendiqué le statut de réfugié au douanes au Québec à son arrivée. Son histoire n'était pas cohérente quant à la raison pour laquelle elle n'a pas présenté de revendication avant d'arriver chez son ami à Toronto, cinq jours après être entrée au pays. Son avocat affirme que son agent lui a dit de ne pas présenter de revendication.

[18]       L'avocat de la demanderesse explique ce retard en disant que sa cliente est jeune, peu scolarisée et candide et qu'elle se fiait à son agent. Il soutient que son témoignage est cohérent et ne comporte aucune contradiction, incohérence ni omission importante, ce pourquoi il doit être retenu.

[19]       La demanderesse invoque l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1979), 31 N.R., paragraphe 5, (C.A.F.), à l'appui de la prétention suivante : « ... Lorsqu'un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, ces allégations sont présumées vraies à moins qu'il existe des raisons de douter de leur véracité ... »

[20]       Cette approche n'est pas contestée, mais je suis d'avis que la conclusion tirée par le tribunal en l'espèce révèle qu'il a tenu compte de la preuve dans son ensemble.


[21]       La SSR a souligné que le retard à présenter une revendication constitue un facteur important pour l'évaluation de la crédibilité et elle a cité sur ce point Heer, Karnail Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (C.A.F. no A-474-87); elle a affirmé qu'il est raisonnable de s'attendre qu'une personne qui craint avec raison d'être persécutée et qui a fui pour se réfugier dans un endroit sûr demande la protection qu'offre le statut de réfugié au sens de la Convention sans attendre démesurément : Hue, Marcel Simon Chang Tak c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (C.A.F. no A-196-87). De l'avis du tribunal, ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce; il a conclu qu'un délai de cinq jours ne semblait pas raisonnable dans les circonstances. Les motifs de la SSR concluent que le retard de la demanderesse [Traduction] « révèle l'absence d'une crainte subjective d'être persécutée » et que son explication selon laquelle son agent lui a dit de ne pas présenter de revendication n'était pas raisonnable. En conséquence, la SSR a conclu que la demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle craignait avec raison d'être persécutée.

[22]       Dans l'affaire Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, paragraphe 2, (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué que « ... la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens. » Lorsque le tribunal procède ainsi et qu'il tire des inférences qui ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour, ses conclusions ne doivent pas être modifiées.

[23]       Quant à la prétention de la demanderesse concernant la remarque du tribunal selon laquelle il ne croyait pas qu'un Cinghalais travaillerait pour un Tamoul, je suis d'accord pour dire que ce commentaire était gratuit, mais il n'était selon moi ni déterminant ni fatal.


[24]       Je crois aussi que le tribunal a indiqué les éléments de l'histoire de la demanderesse qui, en définitive, l'ont amené à tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité. Il suffit de dire que le tribunal, en appréciant la preuve de la demanderesse, a conclu que la véracité de son histoire ne [Traduction] « concorde [pas] avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pragmatique et bien renseignée jugerait facilement raisonnables à cet endroit et dans ces circonstances. » (Farnya v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (C.A. C.-B.)

[25]       En définitive, la SSR peut rejeter une preuve non contredite si cette preuve ne concorde pas avec les probabilités touchant l'affaire dans son ensemble. Selon moi, c'est ce qu'elle a fait en l'espèce (Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.)).

[26]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                              « Dolores M. Hansen »            

                                                                                                      J.C.F.C.                     

OTTAWA (ONTARIO)

2 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                      IMM-3994-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Siriyalatha Herath Muthiyansa c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)         

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 29 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE DOLORES M. HANSEN

EN DATE DU :                                       2 février 2001   

ONT COMPARU :

Me Jegan Mohan                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Me Jeremiah Eastman                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan & Mohan                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Scarborough (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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