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Date : 20000524


Dossier : T-2028-98

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE JOHN A. O"KEEFE


Entre :


ABU HAMED RAHIM


demandeur


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE O"KEEFE


[1]      Il s"agit d"un appel de la décision de la juge de la citoyenneté Gordana Caricevic-Rakovich en date du 4 août 1998 dans laquelle elle refusait à Abu Hamed Rahim (le demandeur) la citoyenneté canadienne au motif qu"il n"avait pas satisfait à la condition de résidence énoncée à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté.

[2]      Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 19 juillet 1994 et il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 24 juillet 1997.

[3]      Le demandeur était absent du Canada au cours des périodes suivantes :




Du

An/Mois/Jour



Au

An/Mois/Jour




Destination




Motif


Nombre de jours d"absence

1994/09/14

1995/01/24

Bahreïn

Travail

133

1995/02/11

1995/07/04

Bahreïn

Travail

152

1995/07/24

1995/07/28

États-Unis

Conférence technique

5

1995/10/26

1996/01/17

Arabie saoudite

Travail

84

1996/02/25

1996/07/04

Arabie saoudite

Travail

130

1996/07/08

1996/07/12

États-Unis

Conférence technique

5

1996/09/05

1997/01/09

Arabie saoudite

Travail

127

1997/02/15

1997/06/26

Arabie saoudite

Travail

132

Total

768

[4]      Le demandeur a été convoqué en entrevue devant la juge de la citoyenneté le 17 juin 1998 et, au cours de cette entrevue, la juge de la citoyenneté l"a interrogé au sujet de ses absences du Canada et de son mode de vie au Canada. La juge de la citoyenneté essayait de déterminer si le demandeur pouvait être considéré comme un résident canadien au cours de ses périodes d"absence. Elle a considéré les six facteurs énumérés dans l"arrêt Koo, [1993] 1 C.F. 286, aux pages 293 et 294 (C.F. 1re inst.).

[5]      Le demandeur a été absent du Canada pendant 768 jours au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté.

Question en litige

[6]      Le requérant respecte-t-il la condition de résidence de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 ?

Dispositions législatives

[7]      L"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, précitée, est rédigé dans les termes suivants :


5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

. . .

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

. . .

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,


(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[8]      Dans la décision Koo [1993] 1 C.F. 286 aux pages 293 et 294, (1992) 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.), à la page 31, Madame le juge Reed a énoncé le critère suivant qu"il faut appliquer pour traiter des demandes de résidence fondées sur l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, précitée :
[10]      La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l"on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant " vit régulièrement, normalement ou habituellement ". Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d"existence ? Il y a plusieurs questions que l"on peut poser pour rendre une telle décision :

(1)      la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s"absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté ?

(2)      où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant ?

(3)      la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu"elle n"est qu"en visite ?

(4)      quelle est l"étendue des absences physiques (lorsqu"il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre leur nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables) ?

(5)      l"absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, poursuivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l"étranger) ?

(6)      quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays ?

Analyse et décision

[9]      Le demandeur prétend que la juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit dans sa décision en ne suivant pas le raisonnement de la présente Cour dans la décision Papadogiorgakis [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.). Il prétend qu"il respecte le " critère à trois volets " énoncé dans Papadogiorgakis , précité : il a établi sa résidence au Canada avant de quitter le pays ; il avait l"intention de revenir au Canada quand il est parti ; il avait un pied-à-terre au Canada. Il soutient que, dans des cas semblables au sien, la condition de résidence a été interprétée de façon souple pour dispenser les intéressés de l"exigence d"une présence physique au Canada.

[10]      Le défendeur soutient que l"interprétation du juge Muldoon dans la décision Pourghasemi (1993) 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.) est plus compatible avec l"intention du législateur, étant donné qu"elle exige une véritable présence physique au Canada.

[11]      En résumé, la juge de la citoyenneté a appliqué les principes de la décision Koo, précitée, de la façon suivante :

(1)      La présence physique au Canada pendant une longue période antérieure à des absences récentes

     Il a été noté que le demandeur a travaillé à l"étranger pendant de longues périodes au cours de la période pertinente, et ce peu après qu"il eut obtenu son statut de résident permanent.

(2)      Le lieu de résidence de la famille proche et des personnes à charge du demandeur

     La conjointe et les enfants du demandeur résident au Canada.

(3)      Le modèle de déplacement indique-t-il que le demandeur rentrait dans son pays ou qu"il était en visite au Canada

     La juge de la citoyenneté a estimé que le modèle de déplacement indiquait que le demandeur venait rendre visite à sa famille proche plutôt que de rentrer dans son pays.

(4)      L"étendue des absences physiques

     Le demandeur a été présent au Canada pendant un peu moins d"un an ; et il en a été absent pendant un peu plus de deux ans.

(5)      La cause et les raisons des absences

     L"emploi du demandeur à l"étranger a été jugé comme n"étant pas manifestement de nature temporaire ou transitoire, étant donné que le demandeur avait toujours été employé à l"étranger et que cette situation s"est maintenue pendant toute la période pertinente.

(6)      La qualité des attaches du demandeur avec le Canada par rapport à tout autre pays ou lieu de résidence

     La juge de la citoyenneté a estimé que les attaches du demandeur avec le Canada étaient " importantes ", compte tenu du statut des membres de sa famille (ils sont résidents permanents ; l"un de ses fils est citoyen canadien), du fait qu"il possède une propriété au Canada, et qu"il y paie ses impôts. Toutefois, elle n"a pas été convaincue que ses attaches avec le Canada étaient plus importantes que celles qu"il avait avec tout autre lieu, en partie du fait que le demandeur a l"habitude de chercher de l"emploi à l"étranger.


La juge de la citoyenneté est venue à la conclusion que le demandeur ne pouvait être considéré comme résidant au Canada pendant ses absences et elle a donc refusé sa demande de citoyenneté.

[12]      Il est maintenant généralement accepté qu"un demandeur ne doit pas nécessairement être physiquement présent au Canada pendant la totalité des 1 095 jours requis, mais que, pour que le temps qu"il a passé à l"extérieur du Canada soit pris en compte dans le calcul des 1 095 jours, il doit avoir établi sa résidence au Canada avant de s"en absenter et que ces absences doivent être des situations temporaires, par exemple un emploi temporaire ou une crise familiale.

[13]      La question est donc de savoir si les absences du demandeur sont attribuables à un emploi temporaire. J"ai examiné le modèle d"emplois du demandeur et je suis d"avis que ceux-ci dénotent que le demandeur a été régulièrement absent du Canada de 1994 à 1997.

[14]      Le demandeur n"a été au Canada que du 19 juillet 1994 au 14 septembre 1994 avant de s"absenter pour la première fois pour aller travailler. C"est une période de moins de deux mois et, en outre, il faut noter que dans les quatre années qui ont précédé sa demande, il s"est absenté du Canada pendant une période de 768 jours. À mon avis, dans les circonstances de l"espèce, le demandeur n"a pas eu la possibilité de se canadianiser, selon le sens qu"a donné à cette expression le juge Muldoon dans Pourghasemi , précité, à la page 123, en agissant de la façon suivante :

[...] Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d"alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d"automobiles, à l"église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l"on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux . . .

[15]      Après avoir examiné la décision de la juge de la citoyenneté et les documents déposés devant la Cour, je suis d"avis que la décision de la juge de la citoyenneté était correcte.

[16]      Bien que j"aie conclu que la décision de la juge de la citoyenneté était correcte, il se peut fort bien qu"au vu des décisions Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748 et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) [1998] 1 R.C.S. 982, la norme de contrôle relève davantage de la retenue judiciaire que de la décision correcte, mais il n"est pas nécessaire que je me prononce sur ce point en l"espèce.

[17]      Par conséquent, l"appel est rejeté.


ORDONNANCE

[18]      LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que l"appel du demandeur soit rejeté.

     " John A. O"Keefe "

     JUGE

Ottawa (Ontario)

le 24 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-2028-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Abu Hamed Rahim c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration

LIEU DE L"AUDIENCE :          Calgary

DATE DE L"AUDIENCE :          le 17 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge O"Keefe


DATE :                  le 24 mai 1000



ONT COMPARU :

William J. Shachnovich              POUR LE DEMANDEUR

W. Brad Hardstaff                  POUR LE DÉFENDEUR



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

William J. Shachnovich              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR


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