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Date : 20000830


Dossier : IMM-4140-99

ENTRE:


     Alexandre AVERINE,

     Larisa AVERINA,

        

     Partie demanderesse

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


     Partie défenderesse


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'un contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le "tribunal"). Le tribunal, par le biais de sa décision en date du 27 juillet 1999, a déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.



FAITS

[2]      Le demandeur craint la persécution en raison de sa nationalité russe et ses opinions politiques imputés.1 Son épouse base sa revendication en raison de son appartenance à un groupe social particulier, la famille.

[3]      Le demandeur et son épouse sont des citoyens russes. En 1992, ils habitaient la République de la Géorgie lorsqu'une guerre civile a éclaté entre les forces géorgiennes et la région sécessionniste de l'Abkhazie.

[4]      En 1996, le demandeur aurait été appréhendé par les nationalistes abkhases et envoyé en Tchétchénie pour des travaux forcés. Lors de sa captivité, le demandeur aurait entendu les Tchétchènes citer les noms de deux officiers de l'armée russe avec lesquels ils trafiquaient des armes de guerres. Le demandeur s'est évadé et a retrouvé sa famille à Kalouga (Russie) au printemps de 1998. Il importe de noter qu'à compter du printemps 1998, le demandeur n'était plus en Tchétchénie.

[5]      Le demandeur aurait alors communiqué les informations qu'il possédait au sujet du trafic illégal des armes aux autorités militaires de Moscou. Lors de son retour à Kalouga, le demandeur témoigne qu'il a échappé à un premier attentat. Par la suite, il a subi du harcèlement téléphonique et a échappé à un deuxième attentat lorsque son épouse aurait ouvert la porte à une dame qu'elle croyait être sa voisine.

DÉCISION DU TRIBUNAL

[6]      Le tribunal a déterminé que le revendicateur craint des représailles en raison de ce qu'il savait, et non en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social particulier.

[7]      Par conséquent, le tribunal conclut que le demandeur n'a pu établir qu'il était un réfugié au sens de la convention.

ARGUMENTS ET ANALYSE

[8]      Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration2 se lit comme suit:

« réfugié au sens de la Convention » "Convention refugee"

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays don't elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" « réfugié au sens de la Convention »

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


[9]      En l'espèce, le défendeur base sa revendication sur deux motifs: sa nationalité russe et/ou son opinion politique.

La persécution en raison de la nationalité

Arguments

[10]      Le demandeur soutient que le tribunal a erré en droit en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve, notamment que le demandeur était persécuté en Tchétchénie, partie intégrante de la Russie en raison de sa nationalité russe.3

[11]      Le défendeur soutient que le tribunal a effectivement considéré les événements en Tchétchénie, ayant spécifiquement fait référence à la captivité du demandeur.4 De toute façon, le défendeur soulève l'arrêt Nthoubanza c. M.C.I.5 dans laquelle cette cour rappelle que le tribunal n'a pas l'obligation de mentionner chaque fait allégué par un revendicateur.6

Analyse

[12]      Je ne crois pas que la nationalité du demandeur est significative dans ce dossier. Le demandeur fut, de toute évidence, persécuté en raison de sa nationalité russe lorsqu'il se retrouvait en Tchétchénie. Ceci dit, son départ de cette région met fin à cette persécution. Une fois à Kalouga, il est clair que sa nationalité russe n'est pas l'élément qui l'a rendu la cible des attentats. En effet, le demandeur admet volontiers que les attentats sur sa vie sont en raison des informations qu'il détenait au sujet du trafic des armes.7

La persécution en raison de sa dénonciation (opinion politique imputée)

Arguments

[13]      Le demandeur réitère son récit, à savoir qu'il a dénoncé l'existence de corruption au sein des services militaires;8 qu'à la suite de cette dénonciation, il aurait été la cible de nombreux attentats9 et que les autorités russes lui ont offert aucune protection.10

[14]      Le défendeur soutient que le demandeur se devait d'établir un lien entre sa crainte de persécution et l'un des cinq motifs prévus à la définition de réfugié.11 Cette détermination est une question de fait et relève donc entièrement de l'expertise du tribunal.12

[15]      Or, la conclusion du tribunal à l'effet que le demandeur n'avait pas démontré ce lien s'inférait raisonnablement de la preuve présentée.13 À cet effet, le défendeur se réfère aux arrêts Marvin14 et Mehrabani,15 dossiers similaires au présent litige où le tribunal a conclu que la dénonciation d'actes criminels ne constituait pas une opinion politique.

[16]      L'arrêt Rizkallah énonce clairement l'exigence que doit remplir le revendicateur:

         "To succeed, refugee claimants must establish a link between themselves and persecution for a Convention reason."16


[17]      Une opinion politique peut effectivement être exprimée par des gestes.17 Toutefois, les agissements du demandeur dans ce dossier particulier ne semble pas constituer des opinions politiques, mais plutôt des actes qui ont suscité des

représailles de la part de certains individus.

[18]      Les arrêts cités par le défendeur portent appui à cette prétention. Dans l'affaire, Marvin18 le juge Joyal se prononce comme suit:

         "...il m'est difficile de conclure que le requérant possédait des opinions politiques au sens de la définition énoncée par la jurisprudence. Quoiqu'une opinion politique peut s'exprimée par des gestes, la dénonciation des narco-trafiquants revêt plutôt un caractère criminel."


[19]      Dans l'arrêt Mehrabani,19 le juge Rothsthein confirme la conclusion du tribunal, cette dernière ayant affirmé que "les auteurs des malversations dont le requérant avait peur ne cherchaient pas à lui causer du tort en raison de ses opinions politiques, mais plutôt parce qu'il possède des éléments de preuve contre eux quant à leurs activités criminelles."

[20]      Dans l'arrêt Ahmed,20 le juge Pinard a récemment rendu une décision dans laquelle il énonce:

         "The principal applicant's testimony indicates that he was targeted by men whom he himself had prosecuted, rather than by men who were tried by other assistant public prosecutors. Therefore, the persecution was based on his actions, rather than on his political opinion or his membership in the group. Furthermore, it has been established that "[t]he fear of personal vengeance is not a fear of persecution." In this context, I do not think that the Board erred in law when it concluded that the principal applicant was not persecuted due to his political opinion and membership in a particular social group."


[21]      L'arrêt Dalia Maria Vieras Palomares 21 traite d'un principe légal identique à celui en cause. Le juge Pelletier déclare ce qui suit aux paragraphes 7, 8, 12 et 15 :

         [7] CRDD heard the applicant's claim on November 19, 1998 and rendered a decision dated December 1, 1998 in which they concluded that the applicant was not a refugee because she was not being persecuted for one of the five grounds provided for in the United Nations Convention on Refugees. They found that she was the victim of criminal activity which was unrelated to any of the grounds on which refugee status can be claimed.
         [8] The applicant brings this application for judicial review on he basis that the CRDD ought to have considered her claim on the following basis:
         1 -      the criminals were members of the military forces.
         2 -      despite the fact that she was able to identify one of them, nothing concrete came of the investigation.
         3 -      after she identified one of the criminals, the attacks on her life began.
         4 -      these two facts suggest that the military were colluding with the criminals so that the applicant is the victim of state action.
         [12] The same is true here. There is no evidence that the treatment to which the applicant was subjected was because of membership in a group. On the contrary, she is the object of violence because of a very personal characteristic, her ability to give evidence which could lead to a prosecution. Furthermore, there is no issue of association for reasons "fundamental to human dignity" in her conduct.
         [15] It is my view that these elements of proof do not suffice to establish the nexus which is required for refugee status. While denouncing corruption can be a political act, not every brush with corruption amounts to a political act or is perceived by the corrupt as a political act. The risk to which the applicant is exposed arises from her status as a witness to a crime. Even if members of the state apparatus are involved, the fact of making a complaint does not necessarily involve political action, nor does it mean that the complaint will be seen by them as political action. It is difficult to speculate as to why the authorities did not act upon the applicant's identification but while corruption is one possible reason, mistaken identity is another. As for the attempts on her life, the perpetrators knew where she worked. It would not require official collaboration for them to locate her home. Simple surveillance would do. This is not to minimize the applicant's fears but to point out that the link with state sanction or collusion is weak. For these reasons, the CRDD's determination was not unreasonable and the application for judicial review must be dismissed.


[1]      Tel que le déclare le juge Pelletier dans l'arrêt Palomares "This is a classic case of a person being at the wrong place at the wrong time".

[2]      En l'instance, le demandeur était au mauvais endroit au mauvais moment lorsqu'il aurait entendu une conversation au sujet du trafic illégal des armes

CONCLUSION

[3]      La conclusion du tribunal à l'effet que le demandeur n'a pu établir un lien entre sa persécution et un des cinq chefs énumérés à la définition de "réfugié" est appuyée par la preuve et concorde avec la jurisprudence établie par cette cour.

[4]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[5]      Aucune question n'a été soumise pour certification.

                         "Max M. Teitelbaum"

                    

                             J.C.F.C.

Calgary (Alberta)

Le 30 août 2000

__________________

1      Mémoire du demandeur, paras. 3.13 et 3.15.

2      L.R.C. 1985, ch. I-2.

3      Mémoire du demandeur, paras 3.9, 3.13, 3.14.

4      Mémoire du défendeur, para 18.

5      [1998] A.C.F. No. 1848, IMM-207-98, (17 décembre 1998), (C.F. 1re inst.).

6      Mémoire du défendeur, para. 20.

7      Mémoire du demandeur, para 3.19.

8      Mémoire du demandeur, para 3.23.

9      Mémoire de demandeur, para 3.17, 3.19, 3.21.

10      Mémoire du demandeur, para 3.18, 3.22.

11      Mémoire du défendeur, para 9, à l'appui on cite les arrêts Rizkallah v. M.E.I., (1992) 156 N.R. 1 (C.A.F.); Sajous c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 1179 A-1588-92, (12 novembre 1993) (C.F. 1re inst.) et Cutuli c. M.E.I., [1994] F.C.J. No. 1156, IMM-36-93, (25 mai 1994), (C.F. 1re inst.).

12      Mémoire du défendeur, para 11, on cite à l'appui Leon c. M.C.I. ,[1995] A.C.F. no 1253, IMM-3520-94, (19 septembre 1995), (C.F. 1re inst.); Ciobanu c. M.C.I., [1999] A.C.F. no. 117, IMM-1101-98, (28 juin 1999), (C.F. 1re inst.).

13      Mémoire du défendeur, para 16.

14      Marvin c. M.C.I., [1995] A.C.F. no. 38, IMM-5033-93 (10 janvier 1995), (C.F. 1re inst.); Mémoire du défendeur, para 26.

15      Mehrabani c. M.C.I. [1998] A.C.F. no. 427, IMM-1798-97 (3 avril 1998), (C.F. 1re inst.); Mémoire du défendeur, para 27.

16      Rizkallah c.M.C.I. (1992) 156 N.R. 1 (C.A.F.)

17      Canada (Procureur général) c. Ward., [1993] 2 R.C.S. 689.

18      Mémoire du défendeur, para 26; Marvin, supra note 14.

19      Mémoire du défendeur, para 27; Mehrabani, supra note 15.

20      Ahmed v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration),[2000] F.C.J. No. 651, IMM-2868-99, (May 17, 2000), (F.C.T.D.)

21      IMM-933-99, (2 juin 2000), (C.F. 1re inst.)

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