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Date : 20010516

Dossier : IMM-275-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 16 MAI 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                     MACAULEY JESSE OGBEBOR

                                                                                                           demandeur

                                                            et

           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                             défendeur

ORDONNANCE

Pour les motifs ci-joints, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication du demandeur doit être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

La question certifiée que le demandeur a proposée et qui concerne l'obligation pour le tribunal de motiver une conclusion fondée sur le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration ne se pose pas dans les circonstances. Aucune question certifiée n'est formulée.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010516

Dossier : IMM-275-00

Référence neutre : 2001 CFPI 490

ENTRE :

                                     MACAULEY JESSE OGBEBOR

                                                                                                           demandeur

                                                            et

           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                             défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                 Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Macauley Jesse Ogbebor (le demandeur), un jeune homme de 23 ans originaire du Nigéria, veut faire annuler une décision en date du 14 décembre 1999 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté la revendication du statut de réfugié qu'il a présentée au Canada parce qu'il craignait d'être persécuté par les autorités militaires du Nigéria en raison des opinions politiques qu'il défendait à titre d'adepte de la cause de la démocratie dans ce pays.


[2]                 Le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire est plutôt inhabituel, parce que le demandeur a admis à l'ouverture de l'audience que, par suite d'un changement de la situation au Nigéria, il n'a aucune raison valable de craindre d'être persécuté s'il retourne au Nigéria. Cependant, l'avocat du demandeur a dit que celui-ci est encore un réfugié au sens de la Convention et a invoqué l'exception énoncée au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, qui prévoit essentiellement qu'une personne ne cesse pas d'être un réfugié au sens de la Convention lorsqu'elle prouve qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de retourner au Nigéria.

LA REVENDICATION DU DEMANDEUR

[3]                 Sur son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur indique qu'en 1994, il a commencé à vendre des magazines et des journaux depuis son stand situé à Benin City, Nigéria.

[4]                 Il explique que deux hommes du service de sécurité de l'État sont venus à son stand le 25 mai 1997 et l'ont arrêté, parce qu'il vendait des magazines et des journaux dans lesquels le gouvernement de l'époque était critiqué. Il allègue qu'il a été emprisonné (poste de police d'Ogida) pendant plus d'un an et a été victime de sévices graves.


[5]                 D'après son FRP, le 28 mai 1998, il a pu convaincre un nouvel agent de police de transmettre à ses parents un message les enjoignant de recueillir de l'argent pour payer un pot-de-vin. Après le paiement du pot-de-vin par son père, le demandeur a été remis en liberté, à la condition cependant qu'il se cache, parce qu'il n'avait pas été libéré de façon officielle et qu'il risquait de se faire prendre. Le demandeur a ensuite quitté le pays avec l'aide d'un mandataire.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[6]                 Le tribunal a évalué la revendication du demandeur, qui reposait sur le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, soit l'existence de raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de retourner au Nigéria, en se fondant sur la crédibilité. Il a jugé que la version du demandeur n'était pas crédible ni digne de foi. En d'autres termes, il n'a pas cru que le demandeur avait été persécuté dans le passé et a conclu que celui-ci n'appartenait pas à la catégorie spéciale et limitée de personnes visées par la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.F.).


[7]                 De l'avis du tribunal, [TRADUCTION] le « témoignage du revendicateur était truffé de déclarations qui contredisaient son exposé narratif et les renseignements donnés au psychologue au cours d'une évaluation psychologique menée le 5 octobre 1999 » . De plus, a-t-il ajouté, [TRADUCTION] les « incohérences et les contradictions majeures inhérentes au témoignage que le revendicateur a présenté à l'audience ont incité le tribunal à conclure que la version de celui-ci n'est pas crédible ni digne de foi et n'appuie pas l'allégation qu'il a formulée quant à l'existence d'une possibilité sérieuse qu'il soit persécuté s'il retourne au Nigéria » [non souligné à l'original].

[8]                 Le tribunal a donné les exemples suivants de contradictions ou d'omissions :


(1)        Le demandeur a souligné sur son FRP qu'il avait été victime de sévices graves en prison, mais n'a mentionné aucun viol ni n'a donné de détails au sujet des sévices corporels que lui ont infligés ses ravisseurs et les détenus pendant son séjour en prison. Toutefois, il a donné un compte rendu détaillé de ces agressions au cours de son témoignage. Le tribunal a souligné que le demandeur avait également fourni des détails importants au psychologue au Canada. Selon le tribunal, le demandeur aurait dit au psychologue que les détenus l'ont violé. Pourtant, au cours de son témoignage, il a mentionné qu'un gardien l'avait violé ainsi que [TRADUCTION] le « patron de l'endroit » . Estimant qu'il y avait là une incohérence, le tribunal a confronté le demandeur à ce sujet et a conclu comme suit [TRADUCTION] « à l'origine, il n'a pu fournir d'explication au sujet de l'incohérence, mais il a dit plus tard que les deux l'avaient violé » . Le tribunal était également préoccupé par l'absence de détails intimes au sujet des viols sur le FRP, alors que le demandeur avait donné des renseignements de cette nature au psychologue. Le tribunal a pris note de la réponse du demandeur, qui a dit qu'il voulait fournir les détails à l'audience.

           (2)        Le tribunal a souligné que le demandeur a omis de mentionner la blessure à l'oeil qu'il avait subie en prison, alors qu'il a dit au psychologue qu'il avait besoin d'une intervention chirurgicale. Cependant, selon le témoignage que le tribunal a cité, ce n'est que trois jours avant l'audience que le demandeur a consulté un médecin au sujet de son oeil et il n'a pas été informé de la nature du problème à ce sujet. Le tribunal a conclu que le demandeur n'a pu lui fournir d'explications au sujet de cette incohérence.


(3)        Le demandeur a déclaré à l'agent chargé de la revendication (ACR) à l'audience que les membres de sa famille le tueraient s'il retournait au Nigéria, parce qu'ils le tenaient responsable du décès de leur père, que les autorités nigériennes auraient tué à la fin de 1998, lorsqu'elles ont constaté que le demandeur avait disparu après s'être échappé de prison. Le tribunal a fait allusion au témoignage du demandeur selon lequel il été mis au courant du décès de son père en février 1999 par une lettre de sa soeur alors qu'il avait déclaré, au cours d'un témoignage antérieur, que sa soeur lui avait téléphoné à ce sujet le soir même du décès. Le tribunal a dit que le demandeur n'a pu fournir d'explication au sujet l'incohérence. De plus, lorsqu'il a rempli son FRP en décembre 1998, le demandeur a indiqué que son père était décédé, alors qu'il a déclaré pendant son témoignage qu'il avait été avisé du décès de son père par une lettre de sa soeur en février 1999. Encore là, le tribunal a conclu que le demandeur n'a pu fournir d'explication au sujet de l'incohérence.

           Le tribunal a résumé comme suit, à la page 4 de sa décision, les incohérences liées aux communications que le demandeur a échangées avec sa soeur et au moment où il a appris le décès de son père :

[TRADUCTION] Le tribunal lui a rappelé qu'il avait dit antérieurement qu'il était incapable de joindre sa famille avant de recevoir la lettre de sa soeur en février 1999, parce qu'il n'avait pas le numéro de téléphone de celle-ci. Le revendicateur a répondu qu'il était au courant du décès de son père avant de recevoir la lettre de février 1999, parce que sa soeur lui avait téléphoné le soir du décès. Le tribunal souligne que la lettre débute par les mots [TRADUCTION] « Je t'informe par la présente lettre que notre père est décédé. Il est mort aux petites heures du matin, hier, le 8 novembre 1998 » . Pourquoi la soeur du revendicateur lui ferait-elle parvenir la lettre avec ces mots le 9 novembre 1999 alors que, selon ce qu'il a dit à l'audience, elle lui avait effectivement parlé le soir du décès de son père, qui avait eu lieu la nuit précédente? Le tribunal estime que la version du revendicateur n'est pas plausible. De plus, le revendicateur n'a pu expliquer comment sa soeur a réussi à communiquer avec lui puisque, selon ce qu'il a dit, sa famille ignorait où il se trouvait.


(4)        Le tribunal a relevé une incohérence en ce qui a trait aux membres de la famille que le revendicateur redoutait. En effet, le demandeur a dit au psychologue qu'il craignait ses frères plus jeunes; cependant, au cours de son témoignage, il a mentionné uniquement ses frères plus âgés. Le tribunal a conclu que le revendicateur n'avait pu expliquer l'incohérence et ajouté que les nombreuses contradictions relevées dans le témoignage du revendicateur l'incitaient à douter de la validité de la revendication : [TRADUCTION] « Dans l'ensemble, le témoignage que le revendicateur a présenté à l'audience était truffé d'incohérences et de contradictions » ; ... « il était évident que le revendicateur tentait de nous tromper et brodait au fur et à mesure qu'il poursuivait son récit » .

(5)        Le tribunal s'est ensuite attardé à la question de la date à laquelle le demandeur a reçu ses papiers d'identité, qui est reliée aux communications qu'il a échangées avec sa soeur, tel qu'il est mentionné plus haut. Le tribunal a conclu que le demandeur a modifié sa version par rapport à celle qu'il avait donnée précédemment quant au moment où sa soeur a réussi à le joindre pour la première fois.

[9]                 Le tribunal a conclu comme suit à la page 5 de sa décision :

[TRADUCTION] Compte tenu des contradictions que comporte le témoignage du revendicateur ainsi que de l'absence de preuve fiable corroborant la version qu'il a présentée au sujet de sa situation réelle, le tribunal n'est pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, de la crédibilité du compte rendu que le demandeur a donné. Étant donné qu'il ne croit pas que les événements se sont produits selon la description qu'en a donnée le revendicateur, le tribunal conclut à l'absence de preuve crédible ou digne de foi établissant un fondement objectif au soutien de la crainte de persécution du demandeur liée à ses activités ou opinions politiques. [non souligné à l'original]


LA POSITION DES PARTIES

a)         Le demandeur

[10]            L'avocat du demandeur a contesté certaines des conclusions que le tribunal a formulées au sujet de la crédibilité.

[11]            Il a soutenu que le tribunal avait mal interprété le rapport médical et le témoignage du demandeur au sujet de la personne qui avait violé celui-ci. Selon l'avocat, le rapport du psychologue et le témoignage du demandeur sont clairs : tant les gardiens que les prisonniers ont violé son client et il n'y avait aucune contradiction à ce sujet.

[12]            L'avocat admet que le demandeur n'a pas mentionné l'agression sur son FRP et que le tribunal aurait pu tirer une conclusion défavorable de cette omission, mais uniquement s'il avait tenu compte de l'ensemble de la preuve, y compris l'aveu que le demandeur a fait au psychologue selon lequel il se sentait [TRADUCTION] « extrêmement humilié » .

[13]            Quant à la blessure à l'oeil que le demandeur a subie, l'avocat fait valoir que le tribunal a mal interprété la preuve et formulé une conclusion irrationnelle. Selon l'avocat, le tribunal a vu une contradiction là où il n'en existait pas.


[14]            Un argument similaire est invoqué au sujet de la conclusion que le tribunal a tirée quant aux personnes que le demandeur craint, soit ses frères plus jeunes ou ses frères plus âgés. De l'avis de l'avocat, un examen de la preuve indique clairement que le demandeur a expliqué comment le malentendu qu'il a eu avec son psychologue est né.

[15]            L'avocat du demandeur cite ensuite la déclaration suivante que le tribunal a formulée au sujet de l'ensemble des contradictions :

[TRADUCTION] Chacun de ces exemples du manque de crédibilité n'aurait peut-être pas suffi en soi à discréditer le revendicateur. Cependant, ensemble, ils incitaient le tribunal à conclure que le témoignage du revendicateur n'était pas crédible ni digne de foi. [non souligné à l'original]

[16]            L'avocat du demandeur résume son argument en soutenant que la question que je dois trancher est de savoir si ces erreurs suffisent pour annuler la décision du tribunal; pour répondre à cette question, je dois évaluer la décision qu'il a rendue et chercher à savoir si, compte tenu de ces erreurs, cette décision était inévitable.

b)         La réponse du défendeur


[17]            Le défendeur m'a rappelé que la seule question dont la Cour est saisie concerne l'application de l'exception prévue au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, soit la question de savoir si, d'après les décisions précédentes de la Cour fédérale, le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'il n'existait aucune raison impérieuse tenant à des persécutions antérieures qui permettaient au demandeur de refuser de se réclamer de la protection du Nigéria. Le défendeur a allégué que la paragraphe 2(3) devrait être interprété comme une disposition obligeant les autorités canadiennes à reconnaître le statut de réfugié pour des motifs d'ordre humanitaire à la catégorie spéciale et limitée de personnes qui ont été victimes d'une persécution aussi épouvantable. Leur expérience à elle seule constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer, même si elles n'ont plus de raison de craindre d'être persécutées à l'avenir.

[18]            Le défendeur a fait valoir que le tribunal a examiné le rapport psychologique que le demandeur a présenté, mais que, en raison des doutes qu'il avait au sujet de la crédibilité, il a conclu qu'il ne pouvait accorder beaucoup d'importance à ce document. Étant donné que le tribunal n'a cru aucune partie de la revendication du demandeur, il n'y avait aucun autre élément qu'il pouvait examiner en vertu du paragraphe 2(3) de la Loi, puisqu'il n'était pas convaincu que le demandeur appartenait à la catégorie spéciale et limitée de personnes visées par cette disposition.

[19]            Le défendeur a soutenu qu'il n'existait aucun élément de preuve pouvant constituer le fondement d'une revendication visée au paragraphe 2(3), en raison de l'absence de preuve sous-jacente digne de foi, eu égard surtout au motif sous-tendant la crainte que le demandeur ressentait face à son retour au Nigéria : l'expérience qu'il avait subie en prison.


[20]            Le défendeur a admis que le tribunal avait mal interprété la preuve au sujet des agressions sexuelles en soulevant une contradiction qui n'existait pas en ce qui a trait à la question de savoir si le viol avait été commis par les gardiens ou par les prisonniers. L'avocate du défendeur a également admis que le tribunal n'avait pas demandé au demandeur de s'expliquer au sujet de cette contradiction.

[21]            Malgré ces admissions, le défendeur a soutenu que la décision du tribunal devrait être confirmée, pour les motifs suivants : (1) le demandeur n'a pas mentionné les viols sur son FRP et n'a pu expliquer l'omission; (2) l'explication que le demandeur a donnée au sujet de la blessure qu'il avait subie à l'oeil et du fait qu'il avait besoin d'une intervention chirurgicale n'a pas convaincu le tribunal; (3) la confusion concernant les membres de la famille du demandeur que celui-ci redoutait est appuyée par la preuve et, même si le tribunal n'a donné aucune explication, la conclusion qu'il a tirée sur ce point n'était pas déraisonnable, compte tenu de l'ensemble de la preuve; (4) le demandeur n'a pas contesté certaines conclusions, notamment en ce qui a trait à la contradiction au sujet du décès de son père et des communications qu'il a échangées avec sa soeur.


ANALYSE

a)         Les dispositions législatives pertinentes

[22]            Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

                                . . .

(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où :

a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité;

b) elle recouvre volontairement sa nationalité;

c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quittéou hors duquel elle est demeurée ont cesséd'exister.

2(3) Exception

(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugiépour le motif viséà l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quittéou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée. [non souligné à l'original]

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

                                . . .

2. (2) A person ceases to be a Convention refugee when

(a) the person voluntarily reavails himself of the protection of the country of the person's nationality;

(b) the person voluntarily reacquires his nationality;

(c) the person acquires a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

(d) the person voluntarily re-establishes himself in the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution; or

(e) the reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside of which the person remained, cease to exist.

2(3) Exception

(3) A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution. [emphasis mine]


b)       La portée du paragraphe 2(3) de la Loi

[23]            Le tribunal a invoqué l'arrêt Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, précité, où la Cour a expliqué la portée du paragraphe 2(3) de la Loi.

[24]            Dans l'affaire Obstoj, un arbitre et un membre de la Section du statut de réfugié avaient conclu que la revendication de Mme Obstoj reposait sur un minimum de fondement mais que, compte tenu de l'évolution de la situation en Pologne, il n'était pas vraiment possible qu'elle soit persécutée si elle devait y retourner.

[25]            Dans cette même affaire Obstoj, le tribunal a également conclu que, compte tenu de la preuve indiquant que, par suite des mauvais traitements que les agents de la police secrète de la Pologne lui avaient infligés au cours d'un interrogatoire, la demanderesse avait des séquelles permanentes aux reins, il existait des raisons impérieuses justifiant son refus de se réclamer de la protection de la Pologne.

[26]            Dans l'affaire Obstoy, Monsieur le juge Hugessen a défini comme suit l'objet du paragraphe 2(3) à la page 748 :

... que ce paragraphe doit être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est-à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.

Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l'avocat n'en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l'échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d'origine. [non souligné à l'original]

[27]            Récemment, dans l'arrêt Yamba c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 457, la Cour d'appel fédérale a examiné une question liée au paragraphe 2(3) de la Loi.

[28]            Dans l'affaire Yamba, précitée, Monsieur le juge Robertson a conclu que la Section du statut de réfugié est tenue d'examiner l'applicabilité du paragraphe 2(3) de la Loi une fois qu'elle est convaincue que le statut de réfugié ne peut être revendiqué en raison d'un changement touchant la situation au pays selon l'alinéa 2(2)e). De plus, selon le juge Robertson,

Cette conclusion n'enlève rien au fait que le paragraphe 2(3) impose au demandeur du statut de réfugié le fardeau « d'établir qu'il existe des raisons impérieuses » de ne pas retourner dans le pays où il était antérieurement persécuté. [non souligné à l'original]


[29]            Par ailleurs, dans l'affaire Arguello-Garcia c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 64 F.T.R., Monsieur le juge McKeown a examiné l'objet et la portée du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.

[30]            En ce qui a trait à l'objet, le juge McKeown a cité le Guide HCR des procédures pour dire que le paragraphe 2(3) est fondé sur un principe humanitaire général qui permet à une personne ayant subi de graves mesures de persécution dans le passé d'obtenir et de conserver le statut de réfugié malgré l'évolution fondamentale de la situation dans son pays d'origine. Le juge McKeown a cité l'extrait suivant du Guide au paragraphe 10 :

Il est fréquemment admis que l'on ne saurait s'attendre qu'une personne qui a été victime -- ou dont la famille a été victime -- de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s'il y a eu un changement de régime dans le pays, cela n'a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l'attitude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d'esprit du réfugié.

[31]            S'arrêtant aux « formes atroces de persécution » dont il est fait mention dans le Guide HCR des procédures et à la « persécution tellement épouvantable » à laquelle le juge Hugessen a fait allusion dans l'affaire Obstoj, le juge McKeown a examiné le sens de ces deux mots (atroces et épouvantable) et s'est exprimé comme suit au paragraphe 12 :

À mon avis, la torture et l'agression sexuelle dont a souffert le requérant ...sont des actes qu'on peut certainement qualifier d' « épouvantables » et d' « atroces » ...le droit à la protection contre la torture et le traitement cruel, inhumain et infamant est un droit fondamental qui bénéficie de la plus grande protection internationale.

(Dans cette affaire, le juge McKeown a statué que le demandeur avait été détenu pendant 45 jours et qu'il avait été victime de sévices corporels graves et d'actes d'agression sexuelle, en plus d'être ébranlé par le meurtre de certains membres de sa famille).


[32]            Le juge McKeown a également conclu que le tribunal n'avait pas tenu compte des effets négatifs ou psychologiques des actes de persécution antérieurs. Selon le juge, le tribunal était saisi d'une preuve abondante indiquant que le demandeur avait continué à subir un préjudice psychologique grave par suite de la persécution dont lui-même et les membres de sa famille avaient fait l'objet au Salvador; ainsi, d'après un rapport psychiatrique déposé en preuve à l'audience, le demandeur souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique lié aux massacres ainsi qu'aux actes de persécution et de torture dont lui-même et sa famille avaient été victimes.

[33]            Dans l'affaire Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 77 F.T.R. 309, Monsieur le juge Rothstein a formulé les remarques suivantes au paragraphe 11 :

Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

[34]            Pour sa part, dans l'affaire Shahid c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 89 F.T.R. 106, Monsieur le juge Noël a conclu son analyse par ces remarques au paragraphe 25 :


Il est clair, à la lumière des décisions Obstoj et Hassan, supra, que la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s'appliquant qu'aux personnes qui craignent toujours d'être persécutées.Une fois qu'elle a entrepris d'examiner la demande du requérant au regard du paragraphe 2(3), la Commission est tenue de prendre en considération le degré d'atrocité des actes dont il a été la victime [TRADUCTION] et les répercussions de ces actes sur son état de santé physique et mental et de décider si cette expérience à elle seule constitue une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine... Même si je doute fortement que le revendicateur soit en mesure, en l'espèce, de respecter le critère de base élevé établi par la jurisprudence, il appartient à la Commission de trancher cette question après avoir examiné tous les facteurs pertinents.

c)       Évaluation

[35]            Si j'ai bien compris les décisions précitées de la Cour, avant d'envisager l'application du paragraphe 2(3), un tribunal doit conclure à l'existence d'une persécution antérieure qui aurait permis au revendicateur d'obtenir le statut de réfugié si la situation n'avait pas changé.

[36]            À mon avis, il est indubitable que le tribunal en l'espèce a refusé de conclure que le demandeur a été victime de persécution dans le passé. Le tribunal n'a pas cru la version du demandeur, notamment la déclaration selon laquelle il avait été jeté en prison en raison de ses opinions politiques et brutalisé pendant son incarcération.

[37]            Cette conclusion concernant la crédibilité constituait le fondement même de la décision à laquelle il en est arrivé au sujet de l'application du paragraphe 2(3) :

[TRADUCTION] Étant donné que le tribunal ne croit pas la version du revendicateur en entier, il n'y a aucun autre élément à examiner au sujet du paragraphe 2(3) de la Loi. Dans la présente affaire, compte tenu des conclusions qu'il a tirées au sujet de la crédibilité, le tribunal n'est pas convaincu que le demandeur appartient à la « catégorie spéciale et limitée de personnes » visées au paragraphe 2(3) de la Loi.

Le tribunal en arrive à la conclusion qu'il n'existe aucune possibilité sérieuse que le revendicateur soit persécuté dans son pays d'origine.


[38]            À mon avis, le demandeur ne peut avoir gain de cause dans la présente affaire que s'il est en mesure de démontrer que les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité ne sont pas justifiables en droit, c'est-à-dire qu'elles étaient manifestement déraisonnables.

[39]            L'avocate du défendeur a admis à juste titre que le tribunal avait commis une erreur lorsqu'il a conclu à l'existence d'une contradiction au sujet de la question de savoir qui avait violé le demandeur. La conclusion du tribunal était fondée sur une erreur majeure concernant l'interprétation de la preuve.

[40]            Je suis également d'avis que le tribunal a eu tort de reprocher au demandeur de ne pas avoir mentionné les viols dans la partie narrative de son FRP. À cet égard, le tribunal a ignoré le commentaire du psychologue selon lequel [TRADUCTION] « un examen plus poussé a indiqué que M. Ogbebor se sent extrêmement humilié au sujet du fait qu'il a été violé » .


[41]            En ce qui concerne la blessure à l'oeil, le tribunal a conclu trop hâtivement à mon avis à l'existence d'une incohérence de l'absence de mention explicite de cette blessure sur le FRP du demandeur. Il appert de la transcription que le demandeur a dit au psychologue et à son médecin qu'il avait un problème avec ses yeux et que son médecin s'apprêtait à fixer un rendez-vous avec un spécialiste. Bien qu'il ne soit pas certain, il croit qu'il a besoin d'une intervention chirurgicale. Il n'y a là aucune incohérence.

[42]            Le tribunal a demandé des éclaircissements au sujet des personnes que le demandeur redoute dans sa famille. Le tribunal a dit que le demandeur n'a pu fournir d'explication. Or, le demandeur a donné une explication et le tribunal aurait dû la commenter avant de la rejeter, comme il avait le droit de le faire.

d)         Conclusion

[43]            Étant donné que trois des conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité ne reposaient sur aucun élément de preuve, il faut maintenant savoir si l'intervention de la Cour est justifiée, parce que ce n'est pas une conclusion relative à la crédibilité qui justifie en soi le renvoi d'une affaire en vue d'une nouvelle décision. L'erreur doit être déterminante ou importante pour la décision rendue (Owusu c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1988] A.C.F. no 434 (C.A.F.), et Mahathmasseelan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 137 N.R. 1 (C.A.F.).

[44]            À mon avis, la décision du tribunal doit être annulée pour les motifs qui suivent :


(1)        Les incohérences ou invraisemblances qui n'étaient appuyées par aucun élément de la preuve concernent des aspects déterminants de la crainte du demandeur : le fait qu'il a été jeté en prison et brutalisé. La contradiction au sujet des personnes qui l'ont violé en prison porte sur cet aspect déterminant, tout comme la blessure qu'il a subie à l'oeil.

(2)        Je ne crois pas que l'autre conclusion relative à la crédibilité, qui n'est pas appuyée par la preuve et qui concerne la question de savoir si le demandeur craignait des représailles de la part de ses demi-frères plus jeunes ou plus âgés, soit déterminante par rapport à la crainte qu'il ressentait.

(3)        Les conclusions relatives à la crédibilité qui sont appuyées par la preuve ne sont pas importantes en ce qui a trait à la partie de la version qui concerne la date à laquelle il a reçu ses papiers d'identité et à laquelle il a communiqué avec sa soeur.

(4)        Cependant, et l'avocat du demandeur n'a pas contesté ce point, j'estime que celui-ci n'était pas crédible quant à la date à laquelle il a été mis au courant du décès de son père, ce qui représente un aspect déterminant de la revendication du demandeur, parce que son père aurait apparemment été tué par les autorités en raison de sa fuite.

(5)        Le tribunal a reconnu qu'aucun des exemples qu'il a donnés n'aurait permis en soi de discréditer le demandeur et que c'est l'ensemble des incohérences qui l'a incité à refuser totalement de croire celui-ci.

[45]            Dans les circonstances, je ne suis pas en mesure de savoir si la décision du tribunal aurait ou non été différente en l'absence de ces erreurs.


DÉCISION

[46]            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication du demandeur doit être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

[47]            La question certifiée que le demandeur a proposée et qui concerne l'obligation pour le tribunal de motiver une conclusion fondée sur le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration ne se pose pas dans les circonstances. Aucune question certifiée n'est formulée.

« François Lemieux »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

16 MAI 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                                 IMM-275-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                              Macauley Jesse Ogbebor

c.

M.E.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 7 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                         Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                         16 mai 2001

ONT COMPARU

M. Micheal Crane                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mme Andrea Horton                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Micheal Crane

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR

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