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Date : 20210212


Dossiers : T‑1035‑19

T‑1065‑19

Référence : 2021 CF 147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 12 février 2021

En présence de monsieur le juge Diner

Dossier : T‑1035‑19

ENTRE :

CHRIS HUGHES

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑1065‑19

ET ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CHRIS HUGHES et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a rejeté la plainte de discrimination fondée sur l’âge présentée par M. Hughes relativement à ses dix tentatives d’obtenir un emploi permanent à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) et à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) entre 2000 et 2006. Le Tribunal a également rejeté la plainte de discrimination fondée sur la déficience de M. Hughes relativement à neuf de ces dix tentatives d’obtention d’un emploi permanent. Toutefois, il a conclu qu’il y avait eu discrimination fondée sur la déficience lors de sa dixième tentative. Chaque partie sollicite maintenant le contrôle judiciaire des aspects de la décision du Tribunal qui lui sont défavorables : M. Hughes conteste le rejet de ses arguments concernant la discrimination fondée sur l’âge et la déficience dans le dossier no T‑1035‑19, alors que dans le dossier no T‑1065‑19, le procureur général du Canada (le Canada) conteste l’unique cas où le Tribunal a conclu à l’existence de discrimination fondée sur la déficience.

[2] La Cour a décidé de procéder à la jonction des deux demandes, puisqu’elles découlent toutes deux d’une seule et même instance au cours de laquelle le Tribunal a tenu 29 jours d’audience. Après examen des arguments, je conclus que la décision du Tribunal résiste au contrôle judiciaire pour les motifs qui seront exposés après un bref rappel du contexte.

I. LE CONTEXTE

[3] Les mêmes faits sont à l’origine des deux demandes. En 1995, M. Hughes a commencé à travailler pour l’ADRC dans la région de Vancouver en tant qu’agent de contact pour les douanes, fonction qu’il a exercée pendant six ans. Puis, de 2002 à 2004, il a occupé successivement trois postes saisonniers d’inspecteur des douanes : deux de cinq mois chacun à l’ADRC, suivis d’un troisième à l’ASFC, pendant environ quatre mois, après la création de cette agence.

[4] L’ASFC, qui a succédé à l’ADRC le 12 décembre 2003 suivant le décret no CP 2003‑2064 daté du 29 décembre 2003, a pris le relais de la prestation des services frontaliers et des mesures d’exécution en matière d’immigration. À sa création, l’ASFC a été soumise à l’application de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LRC 1985, c P‑33 [la LEFP].

[5] Avant qu’elle ne soit remplacée par l’ASFC, l’ADRC procédait à l’évaluation des candidatures en fonction des aptitudes requises et les candidats étaient classés dans des [TRADUCTION] « listes d’admissibilité à une nomination » suivant leurs pointages respectifs. Les gestionnaires responsables des embauches présentaient des offres d’emploi aux candidats selon le rang qu’ils occupaient dans la liste. Dans le cadre de la LEFP, l’ASFC a abandonné ce mode de sélection, lui préférant celui reposant sur les [TRADUCTION] « répertoires de candidats préqualifiés », au titre duquel sont regroupés tous les candidats qualifiés dans des « répertoires » sans faire référence au pointage. Les responsables des embauches puisaient ensuite dans ces répertoires pour nommer des candidats en fonction des besoins organisationnels. Avec ce changement, l’attention a été redirigée sur les compétences établies des candidats, plutôt que sur le critère des qualités personnelles ou de la [traduction] « compatibilité ».

[6] Signalons toutefois que ces processus de sélection n’étaient pas le seul outil dont disposaient les responsables du recrutement pour doter les postes vacants. En effet, après avoir consulté le service des ressources humaines, ceux‑ci pouvaient affecter à titre temporaire ou permanent des employés aux postes vacants, recruter des étudiants, embaucher des employés en leur faisant signer des contrats à court terme et, plus rarement, engager une personne déterminée sans tenir de concours, au moyen de la « présentation d’un candidat nommément désigné ». Quelques‑uns de ces autres modes de sélection ont un lien avec la situation d’emploi de M. Hughes et ses plaintes.

[7] Entre 2000 et 2006, M. Hughes a présenté sa candidature à dix processus de sélection pour des postes d’inspecteur des douanes et d’agent des services frontaliers. Il s’agit des processus suivants : (i) 2000‑7015, (ii) 2001‑7009, (iii) 2002‑7012, (iv) 2003‑1002, (v) 2003‑7003, (vi) le processus (nomination) de Stewart, C.‑B., (vii) 2005‑1001, (viii) 2005‑1005, (ix) 2006‑066 et (x) 2006‑001. Même s’il est parvenu à être inscrit dans plusieurs répertoires de candidats préqualifiés, M. Hughes n’a jamais atteint son objectif fondamental, qui était d’obtenir un emploi [traduction] « pour une durée indéterminée », c’est‑à‑dire un poste permanent au sein de la fonction publique fédérale. Il a déposé à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) deux plaintes dans lesquelles il attaque ces dix processus, obtenant gain de cause eu égard au dernier.

A. Les neuf premiers processus

[8] D’abord, M. Hughes a réussi le processus 2000‑7015. Après avoir été ajouté à un répertoire, il a été nommé par l’ADRC à un poste temporaire d’inspecteur des douanes pour l’été 2002. Dans le cadre de ce processus, M. Hughes a dû présenter son permis de conduire et son acte de naissance à l’entrevue d’embauche.

[9] Lors du deuxième processus (2001‑7009), M. Hughes a été écarté après avoir été jugé inadmissible au concours, n’ayant pas l’expérience requise à l’époque. Sur les cinq personnes nommées à des postes permanents, deux avaient moins d’un an d’écart avec M. Hughes, une troisième avait trois ans de moins que lui et une quatrième, dix ans de plus.

[10] Lors du troisième processus (2002‑7012), la candidature de M. Hughes a été retenue et il a été nommé à un poste pour une durée déterminée après avoir réussi l’entrevue.

[11] Le quatrième processus (2003‑1002) s’est révélé plus riche en événements. Le 21 avril 2004, après avoir passé l’étape de la présélection, M. Hughes s’est présenté à une première entrevue menée par Mme Holly Stoner et M. Ron Tarnawski, président du jury de sélection. Pendant l’entrevue, M. Hughes a demandé à Mme Stoner si elle pouvait lui apporter un verre d’eau. Une fois qu’elle eut quitté la pièce, M. Hughes a demandé à M. Tarnawski si les questions que sa collègue lui posait étaient légitimes, expliquant qu’elle le rendait nerveux. En dépit de cet épisode, le jury de sélection a convoqué M. Hughes à une deuxième entrevue, à laquelle il a échoué. Par la suite, après avoir consulté le service des ressources humaines, les membres du jury de sélection ont convenu de tenir avec M. Hughes une rencontre de rétroaction qui a tourné à l’affrontement.

[12] À la même époque, M. Hughes a aussi assisté à une séance d’information destinée aux employés de l’ASFC. Il prétend qu’à cette occasion, le surintendant Fairweather s’est adressé à l’auditoire en invitant ceux qui souhaitaient [TRADUCTION] « faire carrière dans les douanes » et qui avaient [TRADUCTION] « moins de 35 ans » à venir à Vancouver. En réaction à ce commentaire, M. Hughes a déposé une plainte à la Commission de la fonction publique (la CFP), dans laquelle il alléguait qu’on avait fait preuve de partialité à son endroit dans divers processus de sélection parce qu’il avait plus de 35 ans. Bien que cette première enquête de la CFP (l’enquête no 1 de la CFP) ait permis de mettre au jour des divergences entre le processus de présélection et les compétences affichées, aucun indice de partialité n’a été relevé. Conformément à l’ordonnance rendue par la CFP, l’ASFC a repris le processus depuis le début et M. Hughes a une nouvelle fois échoué. Il a alors présenté une demande à la Cour fédérale; cette demande a été rejetée.

[13] Lors du cinquième processus auquel il s’est porté candidat (2003‑7003), en octobre 2003, M. Hughes a réussi à être ajouté au répertoire des candidats. Comme lors des précédents processus, il n’a pas demandé de mesure d’adaptation ni fait mention de sa déficience. À l’issue de ce processus, l’ADRC comptait envoyer plusieurs des candidats retenus à Rigaud, au Québec, pour qu’ils y reçoivent une formation. Alors que M. Hughes souhaitait aller travailler à Rigaud, ce sont quatre candidats dans la vingtaine qui ont été choisis. M. Hughes, qui ne faisait pas partie des candidats choisis, a déposé une plainte à la CFP pour qu’elle enquête sur les présumées irrégularités du processus (l’enquête no 2 de la CFP). La CFP n’a pas relevé de problème.

[14] En mai 2004, M. Hugues s’est absenté de l’ADRC pour un congé de maladie ou un congé non payé. Pendant son absence, l’ASFC a voulu lui proposer un détachement au sein de l’organisation pour l’été, mais pour diverses raisons administratives, l’ADRC n’a pas autorisé son détachement. Malgré cela, l’ASFC a nommé M. Hugues à ce même poste temporaire en puisant dans un autre répertoire de candidats.

[15] Le sixième processus a pris la forme d’un appel de lettres d’intérêt adressé aux candidats disposés à accepter un poste à Stewart, en Colombie‑Britannique, pour l’hiver 2004. Comme je le signale dans la liste qui précède, le poste de Stewart était techniquement offert par voie de « nomination » et non par l’entremise d’un processus de « sélection », mais par souci de simplicité, il a été associé aux neuf autres processus de sélection. M. Hugues avait fait savoir qu’il était disposé à s’installer à Stewart pour accéder à un poste à titre indéterminé, mais l’ASFC lui a seulement proposé un poste pour une durée déterminée, qu’il a refusé. Par la suite, l’ASFC a nommé un autre candidat au poste à titre indéterminé. Ce poste n’a jamais été offert à M. Hugues.

[16] M. Hugues a présenté sa candidature à un septième processus de sélection, le processus 2005‑1001. Il a été présélectionné, mais a échoué à l’entrevue. Plus précisément, il a obtenu un pointage insuffisant pour le volet des compétences en matière de communication interactive efficace. Là encore, il n’avait pas demandé de mesure d’adaptation ni fait mention de sa déficience.

[17] En marge des processus de sélection, la CFP a tenu, d’octobre 2005 à août 2006, des audiences dans le cadre des enquêtes susmentionnées, les enquêtes no 1 et no 2. Il régnait lors de ces audiences un climat de tension et d’affrontement et M. Hugues a quitté abruptement la salle à de nombreuses reprises. Mme Lennax, conseillère en ressources humaines à l’ASFC, représentait l’employeur. C’était la première fois qu’elle et M. Hugues se rencontraient.

[18] Au cours de la première audience de la CFP, M. Hugues a demandé un ajournement pour des raisons [traduction] « d’anxiété et de dépression », et l’arbitre y a consenti. Après l’audience, Mme Lennax a pris diverses mesures de sécurité visant M. Hugues, dont l’envoi d’un courriel où figurait la photo de M. Hugues aux employés de l’ASFC pour les informer que ce dernier n’était pas autorisé à pénétrer dans l’immeuble où elle‑même travaillait, de même que l’affectation d’un gardien de sécurité dans les bureaux pour empêcher M. Hugues d’y entrer.

[19] En 2005 et 2006, M. Hugues a postulé, sans succès, à deux processus de sélection supplémentaires, les huitième et neuvième de la liste reproduite ci‑dessus (2005‑1005 et 2006‑066). Pour le dernier, le processus 2006‑066, une note autocollante jointe à sa demande mentionnait que [traduction] « le candidat avait été exclu de ce processus en raison d’un comportement inapproprié lors des récentes instances [judiciaires l’opposant au] jury de sélection ». À ce jour, on ignore qui est l’auteur de cette note. Le Tribunal disposait à ce sujet d’une preuve contradictoire. Cette preuve révélait que l’ASFC avait embauché de nombreux candidats plus jeunes et moins qualifiés que M. Hugues. En revanche, elle montrait aussi qu’une longue liste de candidats plus âgés que lui s’étaient qualifiés et avaient été envoyés en formation.

B. Le dixième processus : le processus 2006‑001

[20] Le Tribunal a conclu que le processus 2006‑001, dixième et dernier processus, était le seul à avoir été entaché de discrimination. M. Hugues a présenté sa candidature au processus 2006‑001 le 26 mars 2006. Comme lors des précédents processus, il n’a pas demandé de mesure d’adaptation ni fait mention de sa déficience. Il a été invité à se présenter à une entrevue fixée au 7 novembre 2006 devant un jury de sélection formé du surintendant Farrell (le président du jury) et de Mme Petropolous, de l’ASFC (ensemble, le jury de sélection).

[21] Lorsqu’elle a appris la candidature de M. Hugues deux semaines avant l’entrevue, Mme Lennax a envoyé un courriel au surintendant Farrell pour l’informer de la conduite de M. Hugues aux audiences de la CFP. Dans son message, elle signalait qu’à son avis, M. Hugues avait eu une attitude irrespectueuse, dénuée de professionnalisme, grossière et perturbatrice pendant ces audiences. À son courriel, elle avait joint une lettre de Mme Stoner faisant état de la conduite de M. Hugues lors de l’entrevue et de la rencontre de rétroaction auxquelles il avait été convié dans le cadre du processus 2003‑1002.

[22] Avant son entrevue pour le processus 2006‑001, M. Hugues a prié un membre du personnel administratif de l’ASFC de faire savoir au jury de sélection : 1) qu’il ne souhaitait pas avoir à se rendre dans les locaux d’un bureau en particulier, 2) qu’il voulait être informé des noms des membres du jury de sélection, 3) qu’il demandait des mesures d’adaptation pour sa déficience. Malheureusement, le jury de sélection n’a jamais reçu ce message.

[23] D’entrée de jeu, à l’entrevue du processus 2006‑001, M. Hugues a informé le jury de sélection qu’il souffrait d’une déficience mentale. Il a demandé des mesures d’adaptation, expliquant que sa dépression et son anxiété, qui découlaient d’un événement stressant remontant à de nombreuses années, affectaient sa confiance et son élocution. Il a prié le jury de renoncer à l’entrevue habituelle et de procéder plutôt à une évaluation sur dossier reposant sur ses trois plus récentes évaluations annuelles du rendement (2002‑2004). Le jury a reporté l’entrevue.

[24] Le lendemain, M. Hugues a présenté une demande officielle de mesure d’adaptation. Ultérieurement, il a également soumis deux documents de nature médicale : (i) un rapport d’évaluation psychologique établi le 12 janvier 2004 par M. Michael Boissevain, psychologue clinicien spécialisé en réadaptation; (ii) un billet de son médecin de famille, le Dr Miller, daté du 22 septembre 2006, l’aiguillant vers des services de counseling. Après avoir consulté Mme Lennax, le surintendant Farrell a refusé de modifier le mode d’évaluation.

[25] Le 8 novembre 2006, M. Hugues a fait parvenir un courriel au surintendant Farrell dans lequel il déclarait souffrir [traduction] « de dépression, d’un grand stress, d’anxiété et de paranoïa justifiée ». Le lendemain, le surintendant Farrell a fait suivre le courriel à Mme Lennax, qui a ébauché une réponse. Le surintendant Farrell a ensuite envoyé la réponse du jury de sélection, dans laquelle il informait M. Hugues que l’ASFC était disposée à répondre aux besoins des personnes atteintes de déficience, mais que, pour ce faire, elle avait besoin de plus amples renseignements sur la déficience en cause.

[26] M. Hugues a donné suite à la réponse en faisant parvenir au jury de sélection un nouveau billet du Dr Miller en novembre 2006. Le billet expliquait que M. Hugues [traduction] « souffre d’un problème de santé lui occasionnant des difficultés lors des entrevues et qu’il serait souhaitable, dans l’idéal, de prévoir un autre mode d’évaluation ne nécessitant pas d’entrevue ». Le Dr Miller ne précise pas la nature du problème de santé de M. Hugues.

[27] M. Hugues a présenté un billet supplémentaire du Dr Miller le 1er février 2007. Ce billet indiquait qu’il éprouvait des problèmes de concentration et de logique et qu’il avait besoin de plus de temps pour répondre aux questions de l’entrevue. Le lendemain, le surintendant Farrell a adressé un courriel à Mme Lennax dans lequel il expliquait en ces termes qu’il ne souhaitait plus procéder à l’entrevue :

[traduction]

Le travail consiste à mener des entrevues et le candidat doit être capable de prendre la décision qui se justifie en fonction de l’information présentée, et ce, rapidement, p. ex. en 30 secondes sur une ligne d’inspection primaire. Les entrevues peuvent parfois devenir très stressantes, car bon nombre des personnes interrogées ne sont pas coopératives et opposent une certaine résistance. L’incapacité de réagir rapidement et efficacement dans ce genre de situation pourrait faire dégénérer l’entrevue jusqu’à la violence.

Compte tenu de ces conditions, je ne crois pas que [M. Hughes] soit capable, à l’heure actuelle, de remplir les exigences du poste.

[28] Dans sa réponse au courriel, Mme Lennax a recommandé que le jury de sélection procède à l’entrevue et qu’il prenne des mesures d’adaptation, notamment en accordant plus de temps au candidat pour réfléchir aux questions et y répondre. Le jury a accepté les conseils de Mme Lennax et l’entrevue s’est déroulée le 2 mars 2007. Les membres du jury ont permis à M. Hugues de prendre tout le temps voulu pour réfléchir aux questions et demander au besoin des clarifications et ils lui ont accordé une pause après chaque question. M. Hugues n’a pas réussi l’entrevue : il a obtenu un pointage insuffisant pour les compétences liées au « sens de l’exécution de la loi » et à la « confiance en soi ».

C. Les plaintes présentées à la Commission des droits de la personne

[29] M. Hugues a déposé à la Commission deux plaintes se rapportant aux dix processus de sélection. Dans sa plainte du 19 janvier 2005 (la plainte no 1), qui vise à la fois l’ADRC et l’ASFC, il reproche aux deux agences d’avoir agi de manière discriminatoire pour des motifs liés à l’âge dans le cadre des processus de sélection qui ont eu lieu jusqu’en 2005, en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la LCDP]. Dans sa plainte du 8 juillet 2008 (la plainte no 2), il allègue que l’ADRC et l’ASFC ont agi de façon discriminatoire à son endroit en raison de son âge, de sa déficience et d’une perception de déficience dans l’ensemble des dix processus de sélection.

II. LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[30] Le Tribunal a instruit les plaintes no 1 et no 2 conjointement pendant 29 jours s’échelonnant du 23 juin 2015 au 26 février 2018; il a rendu sa décision le 29 mai 2019. Dans cette décision, il a conclu que M. Hugues ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir l’existence de discrimination fondée sur l’âge et il a rejeté la plainte dans son intégralité. En effet, le Tribunal a jugé que la preuve ne permettait pas de démontrer que l’âge avait influencé les décisions de dotation.

[31] En ce qui concerne la plainte de discrimination fondée sur une déficience réelle ou perçue, le Tribunal a conclu que M. Hugues n’avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’ASFC avait perçu ou qu’elle savait qu’il souffrait d’une déficience lors de l’un ou l’autre des processus précédant le processus 2006‑001, soit le dixième. Le Tribunal a aussi conclu que M. Hugues n’était pas parvenu à démontrer que l’ASFC avait pu être informée de ses problèmes avec l’ADRC. Il a donc rejeté les plaintes découlant des événements antérieurs au processus 2006‑001. En revanche, le Tribunal a conclu que M. Hugues avait démontré qu’il souffrait d’une déficience mentale réelle ou perçue qui avait joué dans la décision de l’écarter de ce dixième processus, établissant par le fait même l’existence, à première vue, de discrimination. Ayant constaté que l’ASFC n’avait pas réfuté les allégations ni opposé de moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée, le Tribunal a conclu qu’il y avait eu discrimination fondée sur une déficience lors du processus 2006‑001 de l’organisation.

III. L’HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR FÉDÉRALE

[32] Les audiences de la Cour fédérale dans les dossiers T‑1035‑19 et T‑1065‑19 ont été fixées, respectivement, au matin et à l’après‑midi du 15 janvier 2021. M. Hugues, qui n’était représenté par aucun avocat dans le dossier T‑1035‑19, a informé la Cour peu avant le début de l’audience que son avocat ne le représenterait plus dans le dossier T‑1065‑19. L’avocat en question, Me Yazbeck, a confirmé le tout au greffe. Or, M. Hugues n’a déposé aucun avis officiel de ce changement, ainsi que l’exigent les articles 124 à 126 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Il n’a pas non plus déposé la formule 124C selon laquelle il comptait dorénavant agir seul. Au tout début de l’audience, M. Hugues a informé la Cour qu’il avait été souffrant. La Cour a accepté de procéder après avoir obtenu de M. Hugues l’assurance qu’il déposerait la formule prescrite après l’audience.

[33] L’audience s’est ouverte comme prévu avec l’examen du premier dossier, T‑1035‑19. Mais, alors que M. Hugues venait à peine de commencer à présenter ses observations, l’instruction a été interrompue à deux reprises pour des raisons que M. Hugues a attribuées à des problèmes informatiques. La Cour a fini par suspendre la séance pour tenter de résoudre les problèmes avec M. Hugues.

[34] Lorsque la séance a repris, M. Hugues a fait savoir qu’il se sentait toujours indisposé et qu’il n’était pas en mesure de poursuivre ses observations. À l’issue de discussions sur la meilleure façon de procéder, les parties ont convenu de s’en remettre à leurs arguments écrits et d’échanger par écrit les observations restantes, le cas échéant. M. Hugues a expliqué qu’il lui faudrait une semaine pour pouvoir récupérer et être en mesure de soumettre quoi que ce soit. La Cour a donc consenti à intégrer cette semaine au délai pour la réception des observations et elle a donné des directives fixant les échéances restantes.

[35] M. Hugues s’est aussi engagé à produire la formule requise en application de l’article 124 des Règles. Toutefois, n’ayant toujours rien reçu concernant la cessation d’occuper de l’avocat de M. Hughes dans le dossier T‑1065‑19, la Cour a convoqué une conférence téléphonique pour le 19 janvier 2021. À la conférence, M. Hughes a fait savoir qu’il avait déposé une demande pour se faire représenter à nouveau par un avocat dans le dossier T‑1065‑19. La demande a été approuvée et Me Yazbeck a repris les rênes du dossier, ce qui mettait fin au débat relatif à l’article 124 des Règles. La Cour a donc reporté l’instruction du dossier T‑1065‑19 au 28 janvier 2021.

IV. LES POSITIONS DES PARTIES

A. La première demande (T‑1035‑19)

[36] M. Hugues, qui n’est pas représenté par un avocat dans le cadre de la première demande, conteste la décision du Tribunal à la fois quant au fond et à la procédure.

[37] Quant au fond, M. Hugues soutient que le Tribunal a commis une erreur en rejetant sa plainte de discrimination fondée sur l’âge visant les divers processus de sélection qui ont eu lieu entre 2001 et 2006. Pour appuyer ses dires, il ajoute que le Tribunal a commis une erreur en concluant que la pratique de l’ASFC consistant à exiger que les candidats présentent une pièce d’identité sur laquelle figure leur âge (p. ex. un permis de conduire) et le fait de recourir aux étudiants et au Programme fédéral d’expérience de travail étudiant (le PFETE) pour pourvoir des postes vacants n’étaient pas contraires à l’article 10 de la LCDP.

[38] M. Hugues prétend par ailleurs que le Tribunal a commis une erreur en omettant de se prononcer sur la crédibilité de témoins clés, notamment la sienne et celle de M. Northcott, de Mme Stoner, de Mme Lennax et du surintendant Fairweather. À cet égard, il allègue que l’ASFC a détruit des dossiers cruciaux se rapportant aux dates de naissance des candidats et à deux processus qui ont eu lieu en 2006 et signale que le Tribunal n’a pas tenu compte de ce point.

[39] M. Hugues affirme en outre que le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants, notamment [TRADUCTION] « les évaluations de rendement favorables et la réussite de la formation pour le poste de garde‑frontière ».

[40] Sur le plan procédural, M. Hugues prétend que le Tribunal a consenti à l’ASFC une période de trois ans pour procéder à la divulgation complète de la preuve, alors que celle‑ci aurait dû être terminée en trois semaines. Il affirme également que le Tribunal aurait dû rendre une ordonnance de confidentialité concernant ses documents médicaux. Il ajoute qu’en vertu des principes de la préclusion et de l’autorité de la chose jugée, le Tribunal n’était pas autorisé à trancher la question de savoir s’il était atteint d’une déficience entre 2001 et 2006. Il prétend que, contrairement à ce que prévoient les Règles de procédure du Tribunal et le paragraphe 48.9(1) de la LCDP, l’ASFC n’a pas soulevé cette question dans son exposé des précisions et, ce faisant, lui a tendu un « piège ».

[41] Dans sa réponse, le Canada soutient qu’il était raisonnable que le Tribunal rejette la plainte de discrimination fondée sur l’âge dans son intégralité et qu’il conclue que M. Hugues ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir qu’il souffrait déjà d’une déficience avant le processus 2006‑001. Par conséquent, le Canada affirme que le rejet des plaintes de discrimination fondée sur la déficience se rapportant la période antérieure au processus 2006‑001 était raisonnable. Enfin, le Canada fait valoir que les principes de l’autorité de la chose jugée et de la préclusion ne s’appliquent pas en l’espèce, notamment parce qu’ils n’ont pas été invoqués devant le Tribunal. Il rejette l’argument connexe de M. Hughes voulant qu’un « piège » lui ait été tendu et ajoute que l’allégation selon laquelle il aurait omis de soulever la question de la déficience devant le Tribunal est entièrement fausse.

B. La deuxième demande (T‑1065‑19)

[42] Dans la deuxième des deux demandes qui ont été réunies, le Canada soutient que le Tribunal a eu tort de décider que M. Hugues avait établi qu’il souffrait d’une déficience au moment du processus 2006‑001 et que l’ASFC avait agi de manière discriminatoire à son égard. Selon le Canada, il était illogique que le Tribunal conclue, d’un côté, que M. Hugues n’avait pas prouvé qu’il souffrait d’une déficience avant le processus 2006‑001, et de l’autre, qu’il avait bien prouvé qu’une telle déficience était présente lors du dixième processus, et ce, sur la foi d’éléments de preuve qui étaient essentiellement les mêmes. Il ne suffisait pas que M. Hugues demande des mesures d’adaptation au cours d’une entrevue en plus de présenter des billets de son médecin au jury de sélection pour démontrer qu’il y avait déficience selon la prépondérance des probabilités, car ni l’une ni l’autre de ces mesures ne permettait d’établir un diagnostic médical précis.

[43] Le Canada prétend aussi que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’ASFC n’avait pas répondu de manière adéquate à la demande de mesures d’adaptation de M. Hughes : en effet, l’ASFC avait pris les mesures précisément demandées par M. Hugues et recommandées par son médecin de famille. Par ailleurs, le Canada soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’ASFC s’était comportée de manière « troublante » à l’égard de M. Hugues et que Mme Lennax avait adressé au jury de sélection une lettre visant à discréditer M. Hughes.

[44] Enfin, le Canada affirme que le Tribunal a eu tort de conclure que M. Hugues avait subi un effet préjudiciable du fait de sa prétendue déficience sans analyser la question de savoir si cette déficience avait joué dans son échec lors du processus 2006‑001. Pour appuyer ses dires, le Canada avance que le Tribunal n’a pas tenu compte de la preuve concernant l’entrevue du 7 mars 2007, lors de laquelle M. Hugues avait bénéficié de mesures d’adaptation, de même que celle ayant trait à ses échanges avec le jury de sélection.

[45] À ces arguments rattachés à la deuxième demande, M. Hugues répond que le Tribunal a tiré des conclusions raisonnables en déterminant que l’ASFC avait agi de manière discriminatoire à son endroit lors du processus 2006‑001. Il affirme que le Canada ne soulève aucune question de droit et qu’en s’attaquant aux conclusions de fait du Tribunal, il demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Il prétend que sa déficience réelle et perçue a entaché le processus et que Mme Lennax, qui le connaissait déjà du fait d’un processus de sélection antérieur et des audiences devant la CFP, avait voulu le discréditer aux yeux du jury de sélection, ce qui lui avait fait subir un effet préjudiciable. Selon M. Hugues, le Tribunal a donc conclu à l’existence, à première vue, d’un cas de discrimination, et il a conclu à juste titre que l’ASFC n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter les allégations ou montrer qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle justifiée.

V. LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

[46] Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle applicable aux questions de fond d’une décision portant sur les droits de la personne est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis, et je rappellerais que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada n’a rien changé au fait que c’est la norme de la décision raisonnable qui doit être appliquée au fond d’une décision dans le contexte des droits de la personne : Bangloy c Canada (Procureur général), 2021 CF 60 aux para 26‑27; O’Grady c Bell Canada, 2020 CF 535 au para 30 [O’Grady]).

[47] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la décision du Tribunal afin d’établir si son résultat témoigne d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et si la décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. En d’autres termes, il s’agit de décider si la décision, dans son ensemble, est raisonnable du point de vue du résultat obtenu et du raisonnement suivi au regard du régime législatif applicable (Vavilov aux para 83‑85, 96‑98, 102, 108).

[48] La décision doit être « transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). Les critères de justification et de transparence exigent que les motifs de la décision « tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » : autrement dit, ils doivent être « adaptés aux questions et préoccupations soulevées » (Vavilov au para 127). La décision doit aussi avoir une « justification adéquate » du point de vue de la personne visée lorsqu’elle a des répercussions sévères pour cette dernière, comme l’explique la Cour suprême au paragraphe 133 de l’arrêt Vavilov :

Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu.

[49] Néanmoins, la Cour doit faire preuve de retenue et faire montre de déférence envers l’expertise spécialisée des décideurs administratifs (Vavilov aux para 13, 75, 93). À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision s’abstiendront de modifier les conclusions de fait du décideur ou d’apprécier à nouveau la preuve examinée par ce dernier (Vavilov aux para 125‑126).

[50] Enfin, l’arrêt Vavilov n’a pas modifié la norme de contrôle de la décision correcte, qui s’applique aux questions qui ont trait à l’équité procédurale : Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129 au para 38; O’Grady au para 30. La cour de révision qui procède à ce contrôle décide elle‑même si le processus administratif a satisfait aux critères d’équité dictés par les circonstances : Hood c Canada (Procureur général), 2019 CAF 302 au para 25; Établissement de Missionc Khela, 2014 CSC 24 au para 79.

VI. ANALYSE

[51] Il ne fait aucun doute que l’âge et la déficience constituent des motifs de distinction illicites selon l’article 3 de la LCDP. M. Hughes allègue que l’ASFC a agi de façon discrimination à son endroit en raison de ces motifs illicites, en violation des articles 7 et 10 de la LCDP. Selon l’article 7 de cette loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; b) de le défavoriser en cours d’emploi. Selon l’article 10 de la même loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de certains individus, le fait pour un employeur de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ou de conclure des ententes touchant le recrutement ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[52] M. Hughes prétend que le Tribunal ne s’est pas livré à la bonne analyse pour trancher la question à savoir si ses allégations de discrimination étaient étayées. Il fait valoir que le Tribunal s’est fondé sur des cas de jurisprudence plus adaptés aux affaires de harcèlement et à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation qu’aux plaintes de discrimination. Il soutient, en s’appuyant sur l’arrêt Turner c Canada (Procureur général), 2017 CAF 2 [Turner CAF], que le Tribunal aurait dû appliquer les décisions Shakes v Rex Pak Ltd (1981), 3 CHRR D/1001, 1981 CarswellOnt 3407 (WL Can) (CODP) [Shakes], Israeli and Canadian Human Rights Commission and Public Service Commission (1983), 4 CHRR D/1616, 1983 WL374879 (TCDP) [Israeli], Premakumar c Air Canada (2002), 42 CHRR D/63 (TCDP) [Premakumar] et Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons‑Sears, [1985] 2 RCS 536, [1985] ACS no 74 [O’Malley].

[53] Je ne puis me ranger à la thèse de M. Hughes selon laquelle le Tribunal a appliqué le mauvais critère. Au contraire, il s’est légitimement appuyé sur l’arrêt O’Malley, qu’il a appliqué aux faits de l’espèce, pour conclure qu’il n’y avait pas eu discrimination – ni même de subtiles odeurs de discrimination – lors des neuf premiers processus (bien qu’il ait conclu à l’existence d’une preuve de discrimination dans le cadre du dixième, sur la base des distinctions factuelles exposées ci‑dessous).

[54] Par ailleurs, comme l’expliquent clairement les décisions Shakes, Israeli et Premakumar, les situations factuelles peuvent être fort différentes et les allégations de discrimination doivent être appréciées en fonction des faits précis de chaque affaire. Les deux premières de ces décisions sont antérieures à l’arrêt O’Malley qui, s’il est l’un des premiers que la Cour suprême du Canada a rendus sur la question de la discrimination en matière d’emploi, qui continue de faire autorité. Quant à la décision Premakumar, elle applique l’arrêt O’Malley en plus de tenir compte des décisions Shakes et Israeli (Premakumar au para 77).

[55] De fait, la Cour d’appel fédérale (la CAF) explique que les décisions Israeli et Shakes sont simplement des exemples de l’application du critère énoncé dans l’arrêt O’Malley, lequel exige du plaignant qu’il produise une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination (Lincoln c Bay Ferries Ltd, 2004 CAF 204 au para 18; voir aussi Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 au para 26). Comme le Tribunal le rappelait récemment au paragraphe 68 de la décision Kelsh c Chemin de fer du Canadien Pacifique, 2019 TCDP 51, la CAF, dans cet arrêt, « a déclaré clairement qu’il ne faut pas appliquer systématiquement la décision Shakes de façon rigide et arbitraire dans tous les cas d’emploi ».

[56] En définitive, l’arrêt Vavilov nous enseigne que les décideurs administratifs conservent une marge de manœuvre dans l’établissement de distinctions permettant d’écarter un précédent (au para 129; voir aussi Services d’administration PCR ltée c Reyes, 2020 CF 659 au para 20 [Reyes] et Altus Group Ltd v Calgary (City), 2015 ABCA 86 au para 16). Il s’ensuit que, lorsqu’un plaignant allègue, comme le fait M. Hugues, qu’un décideur administratif a appliqué le mauvais critère juridique, il convient « d’examiner dans quelle mesure ce précédent rendait déraisonnable une décision contraire et si le décideur administratif a donné des motifs raisonnables pour s’en écarter » (Reyes au para 20).

[57] En l’espèce, plutôt que d’appliquer la décision Shakes, le Tribunal a choisi de suivre une série de décisions s’inscrivant dans le prolongement de l’arrêt O’Malley (notamment les arrêts Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore] et Stewart c Elk Valley Coal Corp, 2017 CSC 30 [Elk Valley]). À ce propos, le membre instructeur cite le paragraphe 12 de la décision Stanger c Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8 :

Pour établir une preuve prima facie de discrimination dans le contexte de la LCDP, les plaignants doivent montrer : (1) qu’ils possèdent une caractéristique que la LCDP protège contre la discrimination; (2) qu’ils ont subi un effet préjudiciable du fait d’une situation visée par les articles 5 à 14.1 de la LCDP; et (3) que la ou les caractéristiques protégées ont joué un rôle dans l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33; Siddoo c. SIDM, section locale 502, 2015 TCDP 21, paragraphe 28). Les trois éléments de la discrimination doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation) (« Bombardier »), 2015 CSC 39, aux paragraphes 55 à 69).

[58] En revanche, dans l’arrêt Turner CAF, la CAF fait le commentaire suivant :

[21] Dans un premier temps, le Tribunal a déterminé les dispositions législatives applicables pour décider si une preuve de discrimination avait été établie prima facie. Il a [fait le choix d’appliquer] le critère énoncé dans la [décision Shakes] à cet égard, qui exige de démontrer :

[traduction]

(1) que le plaignant était qualifié pour occuper l’emploi en question;

(2) que le plaignant n’a pas été embauché;

(3) qu’une personne qui n’était pas mieux qualifiée que le plaignant, mais qui ne présentait pas les caractéristiques sur lesquelles ce dernier avait fondé sa plainte relative aux droits de la personne, a obtenu le poste.

[Non souligné dans l’original.]

Donc, la CAF a clairement mentionné dans l’arrêt Turner CAF que le Tribunal a « fait le choix » de suivre la décision Shakes.

[59] Or, dans l’affaire qui nous occupe ici, le Tribunal a plutôt choisi, valablement, d’appliquer la jurisprudence dominante établie par les arrêts O’Malley, Moore et Elk Valley, jurisprudence qui a été suivie dans bien d’autres affaires.

A. La conclusion du Tribunal quant à l’absence de discrimination fondée sur l’âge était‑elle raisonnable?

[60] Le Tribunal a écrit que, pour qu’un plaignant obtienne gain de cause, il suffit que la caractéristique protégée ait été l’un des facteurs ayant contribué aux agissements reprochés. S’il est vrai que l’existence de « subtiles odeurs de discrimination » suffise pour satisfaire à ce fardeau, le Tribunal a relevé que le plaignant n’a pas à prouver l’intention du défendeur d’établir une distinction. Ces propos sont par ailleurs conformes à l’état du droit : O’Malley aux para 15‑16; Moore au para 33; Bombardier au para 40; voir aussi Elk Valley aux para 23‑25 et Lafrenière c Via Rail Canada Inc, 2019 TCDP 16 [Lafrenière] aux para 65‑67, 72.

[61] M. Hugues allègue que l’ADRC/l’ASFC avait pour principe général d’opérer une discrimination envers les candidats âgés de plus de 35 ans tout en favorisant les candidats plus jeunes. Devant le Tribunal, il a déposé en preuve un ensemble de données statistiques qu’il avait lui‑même préparées après avoir été renseigné, dans le cadre d’une demande d’accès à l’information, sur l’âge des candidats ayant pris part à divers processus de dotation. Ces statistiques avaient pour objet de démontrer qu’il existe au sein de ces organisations une tendance à favoriser les candidats plus jeunes dans l’embauche.

[62] Le Tribunal a mis en doute la fiabilité de l’échantillon statistique fourni par M. Hugues, en plus de lui reprocher sa portée limitée pour ce qui était d’établir l’existence de discrimination dans les processus d’embauche de l’ASFC. Le Canada a fait remarquer que les statistiques ne tenaient pas compte des mesures de dotation de l’ASFC dans leur ensemble, outre les processus de sélection en question. Les statistiques ne tenaient pas non plus compte des candidats qui avaient réussi les premières étapes du processus d’embauche, mais échoué aux étapes ultérieures ni de ceux qui avaient décliné le poste qui leur avait été offert. Ayant choisi de ne pas faire de commentaires concernant la fiabilité des données, le Tribunal a conclu que le « recours à des statistiques, soutenues ou analysées par un expert, qu’il s’agisse d’un comptable, d’un actuaire ou d’un statisticien, aurait ajouté un certain poids à l’analyse défectueuse du plaignant. En examinant la preuve, le Tribunal n’est pas convaincu que le plaignant s’est acquitté de son fardeau » (décision du Tribunal, au para 112).

[63] M. Hugues allègue aussi que le fait pour l’ASFC d’exiger que les candidats présentent à l’entrevue une pièce d’identité sur laquelle figure leur âge constitue une pratique discriminatoire. Le Tribunal a tenu compte des témoignages des surintendants Farrell, Black et Pringle (lesquels ont pris part aux divers processus de sélection), qui ont nié que l’âge ait joué un rôle dans leurs décisions concernant la dotation et ont déclaré qu’au contraire, ils s’étaient strictement attachés aux qualifications de chaque candidat pour le poste. Le Tribunal a aussi souligné que dans son témoignage, la surintendante Pringle avait déclaré que les candidats plus âgés avaient généralement des connaissances plus approfondies et étendues, et qu’ils avaient davantage à offrir dans leur travail.

[64] M. Hugues fonde également sa demande sur le commentaire relatif aux « moins de 35 ans » qu’il prétend avoir entendu de la bouche du surintendant Fairweather lors d’une séance d’information de l’ASFC, en 2004. Le surintendant Fairweather a nié avoir fait cette affirmation. Lorsqu’il a témoigné devant le tribunal, il a répondu : [TRADUCTION] « Je n’ai pas dit ça. Je n’aurais jamais dit ça. » Puis, il a ajouté : [TRADUCTION] « Ce n’était pas ce que je croyais à l’époque. Cela n’aurait pas fait partie de la discussion. Et je n’y crois pas aujourd’hui, et ce n’est pas quelque chose que j’aurais dit. » Le surintendant Fairweather a admis qu’il était possible que M. Hugues ait mal interprété ce qu’il avait dit à la séance de 2004.

[65] Le Tribunal, qui était en mesure d’évaluer directement les témoignages, a conclu qu’« en général, la preuve appuie la conclusion voulant que M. Fairweather n’ait jamais fait de tels commentaires sur l’âge ».

[66] Enfin, M. Hugues a allégué que le recours à l’embauche d’étudiants (principalement par l’entremise du PFETE) était un moyen d’éviter d’engager des candidats plus âgés. D’après le dossier, le recrutement d’étudiants était une option valable mise à la disposition des gestionnaires responsables des embauches. En témoignage, la surintendante Pringle a déclaré que l’embauche d’étudiants était une pratique assez courante entre le milieu des années 1990 et 2003, mais que cela avait cessé après 2004, parce que l’ASFC jugeait plus efficace de recourir aux processus de sélection. M. Hugues n’a présenté aucune preuve tendant à étayer que l’ASFC avait recours à l’embauche d’étudiants dans le but d’exclure les candidats plus âgés.

[67] Le Tribunal a ultimement conclu que M. Hugues n’était pas parvenu à démontrer l’existence d’une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’âge. Il a jugé plus convaincante la preuve de l’ASFC – notamment le témoignage précité du surintendant Fairweather et ceux des surintendants Farrell, Pringle et Black – portant que l’âge n’a jamais influencé les décisions en matière de dotation et que les candidats plus âgés étaient considérés comme susceptibles d’apporter une contribution plus importante au travail.

[68] Quant à l’allégation de M. Hugues selon laquelle l’ASFC, pour l’écarter en raison de son âge, avait trouvé un autre moyen qui consistait à laisser certains répertoires de candidats devenir caducs, le Tribunal l’a également rejetée, notamment parce qu’il avait été ajouté à de nombreux répertoires et parce que les nominations dépendaient souvent de facteurs temporels et des résultats obtenus par les candidats aux diverses évaluations.

[69] En outre, faute de preuve, le Tribunal a rejeté l’argument de M. Hugues selon lequel on avait offert aux candidats aux stages de Rigaud de faibles allocations afin de décourager les plus âgés d’entre eux (qui n’auraient pas pu vivre avec de telles sommes).

[70] Les plaintes de discrimination fondées sur l’âge reposaient toutes sur des allégations de fait précises formulées par M. Hugues. Le Tribunal a répondu à chacune d’entre elles avec précision : ses motifs exhaustifs étaient assurément adaptés aux arguments que M. Hugues avait avancés. Je ne relève rien de déraisonnable dans les conclusions que le Tribunal a tirées concernant son incapacité à prouver qu’il y a de la discrimination à première vue fondée sur l’âge. En réalité, M. Hugues implore la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve qu’il a présentée au Tribunal. Tel n’est pas là le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’un contrôle judiciaire (Vavilov au para 125; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55).

[71] Compte tenu des orientations données par la Cour suprême du Canada et par la CAF dans ce domaine du droit, y compris au paragraphe 8 de l’arrêt Hughes c Canada (Procureur général), 2016 CAF 271, qui portait sur l’appel interjeté par M. Hugues à l’encontre d’une décision antérieure, le rôle que la Cour est appelée à jouer dans le cadre du contrôle du caractère raisonnable d’une décision ne saurait être plus clair : il consiste à s’assurer que le Tribunal disposait d’éléments de preuve suffisamment solides pour appuyer ses principales conclusions. Quant au Tribunal, son principal rôle est d’apprécier et d’évaluer la preuve, et c’est précisément ce qu’il a fait en l’espèce.

[72] À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur : Vavilov au para 125. Or, il n’y a pas de circonstances exceptionnelles en l’espèce. En ce qui concerne la plainte de discrimination fondée sur l’âge, la décision et le raisonnement du Tribunal sont cohérents et transparents. Le Tribunal a évalué la preuve, tiré des conclusions quant à la crédibilité des témoins et justifié ses motifs à partir de ces conclusions. Il a estimé que la preuve de l’ASFC était plus convaincante et je ne décèle aucune erreur susceptible de révision dans ses conclusions factuelles. En conséquence, la Cour n’a aucune raison de modifier les conclusions du Tribunal quant à l’existence de discrimination fondée sur l’âge dans l’un ou l’autre des dix processus pour lesquels M. Hugues prétend que l’âge a été un facteur.

B. Les conclusions tirées sur la question de la discrimination fondée sur la déficience pour la période antérieure au processus 2006‑001 étaient‑elles raisonnables?

[73] Avant d’examiner la décision rendue par le Tribunal quant à la question de la discrimination fondée sur la déficience, je me propose de traiter des arguments ayant trait à la procédure avancés par M. Hugues, arguments portant que la question de l’existence de sa déficience n’aurait pas dû être en litige.

(1) Les arguments de procédure – principes de la chose jugée et de la préclusion

[74] L’argument de M. Hugues comporte deux volets. D’une part, il fait valoir que, dans des décisions antérieures, le Tribunal, la Cour fédérale et la CAF avaient tous confirmé qu’il souffrait d’une déficience à l’époque des faits pertinents, de sorte que le Tribunal aurait dû tenir pour avérée l’existence de sa déficience conformément au principe de la chose jugée. D’autre part, il soutient que le principe de la préclusion et les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03‑05‑04) auraient dû empêcher que l’ASFC soulève la question à l’audience, étant donné qu’elle n’en avait pas fait mention dans son exposé des précisions. Ces erreurs, selon lui, ont eu pour effet de lui tendre un « piège ».

[75] Ces arguments ne me convainquent pas. Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, M. Hugues était représenté par un avocat, celui‑là même qui le représente dans le dossier T‑1065‑19. Or, il n’a pas invoqué les principes de la chose jugée et de la préclusion. Lorsqu’une question est soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la cour de révision n’est pas tenue de s’en saisir s’il lui paraît inopportun de le faire : en règle générale, il n’est pas justifié d’exercer ce pouvoir discrétionnaire au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le décideur administratif mais qu’elle ne l’a pas été (Canada RNA Biochemical Inc c Canada (Health), 2020 CF 668 au para 92, citant Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22‑26).

[76] Il convient en outre de souligner que, dans la réponse qu’il a présentée au Tribunal, M. Hugues a fait valoir que l’ASFC n’avait pas contesté sa déficience. Après avoir conclu que cette affirmation n’était « tout simplement pas vrai[e] », le Tribunal a entrepris de dresser une liste d’exemples montrant que l’ASFC avait fait connaître sa position concernant la déficience de M. Hugues et que ce dernier était au courant de cette position (décision du Tribunal, aux para 22‑24). Au paragraphe 23 de sa décision, le Tribunal reproduit une décision antérieure par laquelle le membre instructeur Ulyatt a rejeté la requête que M. Hugues avait présentée le 24 mars 2016 en vue d’obtenir, par voie d’ordonnance : (i) qu’il soit interdit à l’ASFC de contester l’existence de sa déficience, (ii) qu’il soit déclaré que l’ASFC admet l’existence de sa déficience, (iii) que M. Hugues soit autorisé à faire la preuve de sa déficience au moyen de son seul témoignage et des renseignements médicaux fournis par ses médecins.

[77] À l’évidence, le fait que le membre instructeur Ulyatt ait refusé intégralement les trois demandes formulées dans la requête constitue un rejet tacite de l’idée selon laquelle un tribunal s’était déjà prononcé sur l’existence de la déficience alléguée dans les plaintes de M. Hugues. Il est vrai que déjà, dans d’autres affaires procédant de nombreuses autres plaintes, M. Hugues a formulé des allégations de discrimination, par exemple dans le cadre de procédures de règlement de griefs au sein de la fonction publique ainsi que devant la CFP, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), le Tribunal, la Cour fédérale et la CAF. Toutefois, ces plaintes visaient différents ministères et organismes gouvernementaux.

[78] Un peu à la manière du membre instructeur Ulyatt dans l’affaire évoquée, les conclusions et décisions de ces arbitres, commissions et tribunaux administratifs et judiciaires étaient partagées. Cela tient évidemment au fait que les plaintes portaient sur différents concours et situations d’emploi. Toutes les décisions doivent être la résultante des allégations et de la preuve présentées dans chaque situation donnée.

[79] Même si une instance décisionnelle conclut qu’il y a eu discrimination dans une situation d’emploi antérieure à l’égard d’un employeur précis ou de ses gestionnaires, ou dans un processus de sélection passé, cela ne signifie pas que la question est désormais tranchée pour les autres concours faisant intervenir d’autres contextes et d’autres employeurs. Comme le fait observer le juge de Montigny au paragraphe 68 de la décision rendue dans une de ces affaires, Canada (Procureur général) c Hughes, 2014 CF 278, qui portait sur une plainte de discrimination visant l’ancien ministère des Ressources humaines et du Développement social Canada (RHDSC) :

Enfin, on ne saurait soutenir que la décision du Tribunal n’était pas suffisamment motivée du fait qu’il n’a pas tenu compte des plaintes présentées à la CRTFP, de la décision qu’elle a rendue et du témoignage livré par deux témoins importants. Comme nous l’avons déjà indiqué, les plaintes de M. Hughes soumises au titre de la LRTFP ne concernent pas une discrimination fondée sur la déficience et, pour cette raison, ces plaintes et la décision de la CRTFP ne constituent pas des éléments de preuve pertinents à examiner pour trancher la question de la discrimination dont le TCDP était saisi.

[80] En somme, comme M. Hugues soulève devant la Cour de nouveaux arguments concernant une série de dix processus de sélection non contestés devant le Tribunal, il ne peut y intégrer des conclusions disparates tirées dans le cadre d’autres instances, tout aussi disparates. Pour reprendre ce qu’a déclaré la Cour suprême au paragraphe 39 de l’arrêt Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19 sur la question de la préclusion dans les instances administratives :

De manière générale, les facteurs relevés dans la jurisprudence montrent que l’iniquité peut se manifester de deux façons principales qui se chevauchent et ne s’excluent pas l’une l’autre. Premièrement, l’iniquité de l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut résulter de l’iniquité de l’instance antérieure. Deuxièmement, même si l’instance antérieure s’est déroulée de manière juste et régulière, eu égard à son objet, il pourrait néanmoins se révéler injuste d’opposer la décision en résultant à toute action ultérieure.

(2) M. Hugues a‑t‑il prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il présentait une déficience antérieurement au processus 2006‑001?

[81] Selon l’article 25 de la LCDP, la déficience s’entend de « la déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ». Le Tribunal note à juste titre que malgré cette définition, la LCDP donne peu d’indications sur ce qui constitue une déficience mentale (décision du Tribunal au para 129).

[82] En droit, la déficience consiste en un handicap physique ou mental qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap : Desormeaux c Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 au para 15. Il importe de signaler qu’il est un peu plus complexe de définir les déficiences mentales, puisqu’un même symptôme peut être perçu différemment d’une personne à l’autre et qu’en outre, une personne peut ignorer qu’elle souffre d’une maladie mentale : Dupuis c Canada (Procureur général), 2010 CF 511 au para 26 [Dupuis]. C’est pourquoi la LCDP interdit la discrimination fondée sur une déficience réelle ou sur la perception ou l’impression d’une déficience (Dupuis au para 25).

[83] Cela dit, les affections ne sont pas toutes des déficiences. Le Canada établit une distinction entre, d’une part, la déficience qui doit être protégée en vertu de la LCDP et de l’autre, les [TRADUCTION] « affections habituelles ». Le stress et certaines formes de dépression sont des affections habituelles qui ne sont pas suffisamment graves pour être considérées comme des déficiences justifiant une protection sous le régime de la LCDP. Le Canada s’appuie sur un certain nombre de décisions des tribunaux judiciaires et administratifs dans lesquelles cette distinction a été effectuée, dont Halfacree c Canada (Procureur général), 2014 CF 360 au para 37 [Halfacree], conf par 2015 CAF 98, Canada (Procureur général) c Gatien, 2016 CAF 3 aux para 47‑48, Riche c Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35 au para 130, Gibson c Conseil du Trésor (Ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, Jones c Sous‑ministre de Pêches et Océans, 2013 TDFP 32, Mandryk v Anmore No 3, 2015 BCHRT 108 et Bodnar et al c Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 71 aux para 106‑108, inf pour d’autres motifs par 2017 CAF 171.

[84] Je conviens que, d’ordinaire, le stress et la dépression ne sont pas déficiences permettant de se réclamer de la protection offerte par la LCDP, sauf si le plaignant est en mesure de fournir un diagnostic détaillé et étayé : Halfacree aux para 37, 40. Le tribunal administratif peut accorder peu de valeur probante, voire aucune valeur probante, à un billet de médecin si ce médecin ne témoigne pas à l’audience : Halfacree, au para 37. Par contre, le plaignant peut aussi démontrer que l’employeur fautif a agi de manière discriminatoire à son endroit en raison d’une déficience perçue (Dupuis au para 25; Lafrenière au para 114).

[85] Dans l’affaire qui nous occupe, le Dr Miller, médecin de famille de M. Hugues, n’a pas témoigné devant le Tribunal. Le Tribunal a fait remarquer que, parmi les billets que le Dr Miller a rédigés jusqu’en 2006 inclusivement, on n’en compte qu’un seul dans lequel il a diagnostiqué un trouble médical chez M. Hughes, et ce billet a été qualifié de « limité ». Les autres billets font plutôt mention de stress et recommandent la prise de mesures d’adaptation pour des raisons médicales (mesures qui concernent essentiellement le lieu de travail de M. Hugues et les collègues avec qui il devrait travailler). Quant au billet faisant exception, le Tribunal signale celui qu’a rédigé le Dr Miller le 19 octobre 2005 et dans lequel on peut lire ce qui suit : [TRADUCTION] « M. Hughes s’est absenté du travail le 13 octobre 2005 pour des raisons médicales. En raison du stress, de l’anxiété et de la dépression, je recommande une modification des tâches dans un avenir prévisible. »

[86] Le Tribunal fait remarquer que ni le Dr Miller ni aucun autre professionnel de la santé n’a indiqué dans un billet que M. Hugues était inapte au travail. En fait, le Dr Prendergast, médecin en santé du travail, mentionne dans sa lettre comme dans son rapport, qui portent respectivement les dates du 13 avril 2004 et du 27 janvier 2005, que même si M. Hugues présentait des symptômes de maladie liée au stress, il était apte au travail et en mesure de répondre aux exigences de son poste. Comme le note le Tribunal, la lettre de 2004 du Dr Prendergast indique que M. Hugues ne souffrait pas d’un trouble médical qui l’empêcherait de retourner au travail, et celle de 2005, que M. Hugues souffrait de [TRADUCTION] « symptômes liés au stress, mais [qu’]il n’a jamais été très malade ».

[87] M. Hugues n’a pas présenté de preuve de diagnostic à l’ASFC en temps utile lors des neuf premiers processus de sélection, ce qui pose la question de savoir s’il existait un lien avec ces symptômes et s’il s’est acquitté du fardeau d’établir qu’il souffrait d’une déficience. Le Tribunal a conclu qu’il ne s’était pas acquitté de ce fardeau et, à moins de circonstances exceptionnelles, il s’agit d’une décision à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue. En outre, M. Hugues a fait le choix de ne pas faire témoigner le Dr Miller, ce qui a contraint le Tribunal à tirer les déductions limitées que lui permettaient les billets succincts et peu détaillés du médecin.

[88] Le Tribunal a également relevé que M. Hugues avait déclaré lors de son témoignage que les années 2002 et 2003 avaient été de [TRADUCTION] « bonnes années » pour lui sur le plan des symptômes. Il en a conclu que ses problèmes de santé mentale semblaient se limiter à 2001, à 2004 et aux années subséquentes. Le Tribunal a aussi souligné que dans son billet du 24 juin 2005, le Dr Miller avait conseillé à M. Hugues de consulter un psychiatre et que le Dr Boissevain avait recommandé qu’il voie un psychologue. Or, le Tribunal note que M. Hugues n’a fait ni l’une ni l’autre de ces choses, et il n’a pas non plus pris, à un moment ou un autre, des médicaments contre le stress ou l’anxiété.

[89] M. Hugues prétend aussi que le Tribunal a commis une erreur dans les conclusions qu’il avait tirées au sujet des neuf premiers processus, car il avait omis de se prononcer sur la crédibilité de certains témoins, notamment la sienne et celle de M. Northcott, de Mme Stoner, de Mme Lennax et du surintendant Fairweather.

[90] Je ne suis pas de cet avis. Au contraire, le Tribunal a commenté abondamment les témoignages et la preuve venant de M. Hugues, du surintendant Fairweather et de Mme Lennax. Il a aussi commenté la preuve de M. Northcott et celle de Mme Stoner (quoique dans une mesure plus modeste que les autres, étant donné que leur rôle dans les plaintes en cause était davantage accessoire). Il a soupesé les éléments de preuve importants qui lui avaient été présentés, y compris la preuve liée à chacune de ces personnes, et il a rendu une décision en se fondant sur cette appréciation. Le Tribunal n’a pas omis de tenir compte de la preuve produite par ces témoins ni omis de l’évaluer : il a simplement tiré des conclusions que M. Hugues ne partage pas.

[91] Quant à l’observation de M. Hugues selon laquelle on lui aurait [traduction] « tendu un piège » devant le Tribunal, je n’y souscris pas : le processus était équitable. À compter du moment où il a déposé ses plaintes, M. Hugues a eu tout le temps dont il avait besoin pour préparer sa cause et faire valoir son point de vue et pour régler toutes sortes de questions de procédure ou autre.

[92] Par ailleurs, M. Hugues soutient que l’ASFC a détruit divers documents ou dossiers qui l’auraient incriminée, ajoutant que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur cette question. Dans une réponse qu’il a adressée à la Cour le 27 janvier 2021, le Canada écrit ceci :

[traduction]

Au paragraphe 74 de son mémoire des faits et du droit, M. Hugues affirme que le défendeur a détruit les dossiers de dotation d’autres candidats dans deux processus de sélection qui ont eu lieu en 2006. Lors de ces processus de sélection, M. Hugues a été écarté en raison de la manière dont il s’était comporté peu de temps auparavant aux audiences de la Commission de la fonction publique et du fait d’autres réserves liées à son professionnalisme et à ses qualités personnelles. Par conséquent, la candidature de M. Hugues n’a pas été étudiée davantage et, en particulier, elle n’a pas été évaluée au regard des critères de sélection plus généraux. Les dossiers ayant trait à ces processus de sélection ont été conservés pendant la période prescrite, mais ils ont fini par être détruits conformément à la politique applicable à la conservation de documents. Lorsque M. Hugues a formulé des allégations relativement à l’un de ces concours (2006‑BSF‑EA‑VIA‑006) au paragraphe 29 de son exposé des précisions daté du 14 septembre 2012, les documents afférents aux autres candidatures avaient déjà été détruits. Le Tribunal était saisi de ces questions et aucune autre mesure de redressement n’a été demandée.

[93] M. Hugues n’a pas répondu à cette observation et je ne vois rien dans le dossier qui puisse étayer son argument concernant la destruction des documents.

[94] En résumé, je ne relève pas d’erreur d’appréciation de la preuve de la part du Tribunal quant à l’existence d’une preuve prima facie de déficience lors des neuf premiers processus de sélection, et encore moins de circonstances exceptionnelles permettant à la Cour de déroger au principe de retenue judiciaire, qui justifieraient que la Cour procède à une nouvelle appréciation de la preuve et qu’elle modifie les conclusions du Tribunal. Par conséquent, je juge raisonnable la conclusion à laquelle est arrivé le Tribunal, compte tenu de l’insuffisance de la preuve permettant d’établir l’existence d’une déficience selon la prépondérance des probabilités.

(3) Y avait‑il des éléments de preuve établissant que la déficience alléguée a exercé quelque influence?

[95] Même si le Tribunal avait conclu que M. Hugues avait prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il souffrait d’une déficience mentale au moment des faits pertinents (ce qui, rappelons‑le, n’est pas le cas) il ne disposait d’aucune preuve établissant que l’ASFC était au courant de cette déficience, et encore moins qu’elle en avait tenu compte au moment de prendre des décisions de dotation lors des neuf premiers processus de sélection. Comme l’a signalé le Tribunal, l’essentiel des rapports médicaux présentés portaient sur les relations de M. Hugues avec l’ADRC, et non avec l’ASFC. Rien n’indiquait que M. Hugues avait fait part de sa déficience à un membre ou un autre des divers jurys de sélection des neuf premiers processus de dotation, ou encore, qu’il avait demandé des mesures d’adaptation avant le dixième processus de sélection (le processus 2006‑001). Voici ce qu’a conclu le Tribunal à ce sujet :

[139] La preuve ne révèle pas que l’ADRC a communiqué l’état de santé du plaignant à l’intimée. De plus, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que le plaignant aurait eu le même genre de problèmes avec l’intimée qu’avec l’ADRC. La preuve montre plutôt qu’une grande partie des problèmes de santé du plaignant étaient directement liés à la relation toxique qu’il entretenait avec ses collègues et ses gestionnaires de l’ADRC.

[140] En ce qui concerne les concours et les différents jurys de sélection, le plaignant n’a présenté aucune preuve démontrant que l’intimée aurait dû avoir des soupçons au sujet de sa déficience. Son comportement devant les jurys de sélection ne témoignait pas d’une déficience, ni les évaluations de son travail réalisées par ses superviseurs dans le cadre de son emploi pour l’intimée. De plus, il n’a jamais parlé de sa déficience à l’intimée, sauf lors du dernier concours en 2006.

[141] Il est important de mentionner qu’un processus d’embauche constitue une occasion beaucoup plus limitée d’apprendre indirectement les besoins d’adaptation d’un employé, comparativement aux interactions quotidiennes entre un employé et son superviseur.

[96] Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve montrant que l’ADRC avait communiqué des renseignements concernant les problèmes de santé de M. Hugues aux divers gestionnaires de l’ASFC responsables des embauches, il était tout à fait raisonnable de conclure que les neuf premiers jurys de sélection ignoraient tout simplement ces problèmes. En l’absence d’autres indices, le Tribunal n’avait aucune raison de supposer que les gestionnaires de l’ASFC avaient connaissance de problèmes avec lesquels ils n’avaient jamais eu à composer. En décembre 2003, l’ADRC et l’ASFC étaient des employeurs distincts.

[97] Le fait que ces deux agences fassent l’une et l’autre partie de l’appareil gouvernemental fédéral, comme l’affirme M. Hugues, n’emporte pas qu’elles mettent en commun leurs informations ou que le gouvernement dispose d’un service des ressources humaines centralisé où sont réunis l’ensemble des renseignements concernant les fonctionnaires fédéraux. En fait, M. Hugues a été incapable de présenter une preuve à cet effet, si ce n’est que simplement affirmer que M. Boyer, qui avait été employé au service des ressources humaines de l’ADRC, puis à celui de l’ASFC, avait apporté ce qu’il savait à son sujet lorsqu’il était passé de la première agence, l’ADRC, à celle qui lui a succédé, l’ASFC. Quelle qu’ait été l’information à sa disposition, il n’a pas été démontré que celle‑ci a été utilisée pour défavoriser M. Hugues dans le cadre des divers processus de dotation qui ont précédé le processus 2006‑001.

[98] De plus, comme il le souligne au paragraphe 26 de sa décision, le Tribunal n’est pas un arbitre en droit du travail. D’ailleurs, pour expliquer son rôle dans le contexte de l’emploi, il cite le passage suivant du paragraphe 45 de la décision Moffat c Davey Cartage Co (1973) Ltd, 2015 TCDP 5 :

45 S’il n’y a pas de preuves qu’elles ont été influencées directement ou indirectement par un motif de distinction, il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer après coup les décisions d’affaires d’une entreprise, qu’il est sans doute facile de critiquer avec le recul. Il appartient au Tribunal d’examiner tous les facteurs ayant mené à la décision reprochée. Ce faisant, le Tribunal se demandera si l’explication fournie à l’appui de la décision était raisonnable dans les circonstances, mais seulement dans la mesure nécessaire pour déterminer si cette explication ne constituait pas simplement un prétexte (voir Morin c. Canada, 2005 TCDP 41, par. 219; Durrer c. CIBC, 2007 TCDP 6, par. 63, conf. pour d’autres motifs par 2008 CAF 384).

[99] Aux fins de l’examen des processus de sélection en cause, le rôle du Tribunal consistait à établir si M. Hugues possédait une caractéristique protégée et, le cas échéant, si cette caractéristique avait joué un rôle dans le processus décisionnel, lui causant par le fait même un effet préjudiciable. Le Tribunal a fait cette observation au paragraphe 27 de sa décision (voir aussi l’arrêt Turner CAF au para 60 et la décision Turner c Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 1 aux para 39‑40).

[100] Enfin, en ce qui concerne le caractère raisonnable des conclusions relatives à la demande de M. Hugues dans le dossier T‑1035‑19, le Tribunal évoque la « note autocollante » accompagnant sa candidature dans le processus 2006‑006. Selon cette note autocollante [traduction] « le candidat avait été exclu de ce processus en raison d’un comportement inapproprié lors des récentes instances judiciaires l’opposant au jury de sélection ».

[101] La preuve ne révélait pas qui était l’auteur de la note ni à quelles instances judiciaires elle renvoyait. Mme Lennax et M. Northcott ont tous deux déclaré qu’ils ignoraient tout de l’origine de la note. Le Tribunal n’a pas fait d’autres commentaires sur la question. Compte tenu du dossier, je juge que cela était raisonnable. En soi, la note ne suffisait pas à établir que l’employeur avait agi de manière discriminatoire à l’endroit de M. Hugues; il n’y avait pas non plus d’information supplémentaire permettant d’étayer toute autre inférence.

[102] Le Tribunal a conclu qu’il n’existait pas de preuve crédible que la déficience alléguée ou perçue de M. Hugues avait influencé les décisions de dotation antérieures au processus 2006‑001. Il s’ensuit que M. Hughes n’est pas parvenu à prouver l’existence des trois éléments constitutifs de discrimination prima facie qui sont énoncés au paragraphe 56 des présents motifs. Le raisonnement du Tribunal était cohérent et ses conclusions, raisonnables au regard de la preuve et du droit.

(4) Le Tribunal a‑t‑il offert à M. Hugues un degré suffisant d’équité procédurale à l’audience?

[103] L’essentiel des doléances formulées par M. Hugues sur le plan de l’équité procédurale a trait au fait que le Tribunal a entendu les arguments de l’ASFC sur la question de la déficience. J’ai déjà jugé qu’il était raisonnable que le Tribunal conclue que M. Hugues savait que la question de la déficience faisait partie des points litigieux. M. Hugues a été en mesure de présenter des éléments de preuve de son état et il savait ce qu’il devait prouver. Tout au long de l’instance, qui a duré quatre ans et comporté 29 jours d’audience et diverses requêtes, le Tribunal lui a offert toutes les possibilités de se faire entendre.

[104] Dans le même ordre d’idées, le temps que l’ASFC a pris pour procéder à la communication complète de la preuve n’a pas entraîné d’iniquité dans le processus. M. Hugues n’a pas subi de préjudice : en réalité, il a exigé un important volume d’information au sujet des dix processus. Compte tenu de l’ampleur de sa demande de documents, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Canada ait mis du temps à obtenir et colliger l’information à laquelle il avait toujours accès relativement à des processus qui avaient eu lieu des années auparavant.

[105] Enfin, se disant préoccupé par des questions de confidentialité, M. Hugues prétend qu’une ordonnance aurait dû être rendue pour préserver la confidentialité des documents composant son dossier médical. Là encore, M. Hugues n’a allégué aucune irrégularité ou erreur précise de la part du membre instructeur Ulyatt.

[106] En somme, je ne constate aucun manquement à l’équité procédurale dans les erreurs que, selon M. Hugues, le Tribunal aurait commises.

C. La conclusion quant à l’existence de discrimination dans le processus 2006‑001 (T‑1065‑19) était‑elle raisonnable?

[107] Le Canada soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’ASFC avait agi de manière discriminatoire envers M. Hugues en raison d’une déficience réelle ou perçue dans le cadre du dixième processus de sélection. Le Canada prétend que la conclusion repose uniquement sur le fait que M. Hugues a demandé des mesures d’adaptation au moment de son entrevue et à la suite du report de cette entrevue. Le Canada fait valoir que cette demande et la preuve médicale présentée ne suffisent pas à prouver l’existence d’une déficience selon le critère de l’arrêt Elk Valley. Il s’ensuit, selon lui, que la conclusion du Tribunal n’est pas étayée par la preuve et qu’il s’agit d’une conclusion de fait erronée.

[108] Qui plus est, le Canada soutient qu’il était déraisonnable que le Tribunal conclue que l’ASFC avait manqué à son obligation de répondre aux demandes d’adaptation de M. Hugues, car les mesures qu’elle avait prises en vue de l’entrevue correspondaient à celles demandées par son médecin et aux autres renseignements disponibles à l’époque. Il note que la preuve ne permettait pas davantage de conclure à l’existence de discrimination lors du dixième concours que dans les neuf processus précédents, pour lesquels elle avait révélé l’absence de preuve prima facie de discrimination. À cela, M. Hugues réplique que l’analyse effectuée par le Tribunal aux paragraphes 154‑158 n’était pas seulement raisonnable, mais qu’elle était juste.

[109] En réponse à l’argument du Canada selon lequel la preuve était aussi déficiente dans ce processus que dans les autres, le Tribunal a signalé : a) la détérioration de l’état de M. Hugues, b) le caractère non équivoque de la demande de mesures d’adaptation du médecin de M. Hugues, c) la correspondance adressée au jury de sélection par Mmes Lennax et Stoner, d) la réaction du président du jury de sélection, le surintendant Farrell, e) les « subtiles odeurs de discrimination » qui sont venues influencer la réflexion du président, établissant ainsi l’existence de discrimination prima facie et f) l’absence d’exigence professionnelle justifiée ou de tout autre moyen de défense invoqué au titre de l’article 15 de la LCDP.

[110] Je ne puis souscrire à l’argument du Canada selon lequel il n’y avait pas de différences d’importance sur le plan de la suffisance de la preuve concernant la déficience de M. Hugues entre la preuve dans le processus 2006‑001 et la preuve lors des neuf concours antérieurs. Je ne puis non plus convenir que la conclusion du Tribunal était déraisonnable. En ce qui concerne les processus antérieurs, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de preuve sous forme de billets de médecin ou de demandes connexes de mesures d’adaptation, ni d’influence exercée sur les jurys de sélection ou d’autres éléments de preuve prima facie de discrimination. En fait, M. Hugues soutient qu’en accédant à sa demande de mesures d’adaptation dans le cadre du processus 2006‑001, le jury a tacitement reconnu qu’il souffrait d’une déficience justifiant de telles mesures. Il est permis d’en arriver à une telle déduction si on considère les mesures adoptées par l’ASFC eu égard au processus 2006‑001, mesures qui n’ont été prises dans aucun des neuf autres concours.

[111] En outre, le Tribunal a conclu que l’ASFC avait agi de manière discriminatoire en raison d’une déficience réelle ou perçue (décision du Tribunal, au para 159). Il reprend cette même conclusion au paragraphe 161 de sa décision, lorsqu’il dit être convaincu que M. Hugues « a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une déficience d’ordre médical ou une déficience d’ordre médical perçue, et qu’il a été victime de discrimination dans le processus d’embauche, au motif de sa déficience d’ordre médical réelle ou perçue ».

[112] Ainsi, il est vrai que M. Hugues avait le fardeau de prouver ses allégations de manière détaillée et étayée, mais il n’avait pas à faire la preuve d’un diagnostic médical précis : il pouvait au contraire montrer que l’ASFC l’avait défavorisé en se fondant sur la perception ou l’impression d’une déficience (Dupuis au para 25). À mon sens, il était raisonnable que le Tribunal conclue que M. Hugues s’était acquitté de ce fardeau. Comme le Tribunal l’a déclaré récemment dans la décision Lafrenière, « [l]a déficience reliée à la santé mentale, parfois mineure et qui ne se manifeste pas nécessairement de façon permanente ou continue, a aussi droit à la protection contre la discrimination » (au para 93).

[113] Premièrement, M. Hugues a avisé l’ASFC de la situation lorsqu’il a dit au jury de sélection qu’il avait besoin de mesures d’adaptation pour une déficience, expliquant que l’anxiété et la dépression dont il souffrait nuisaient à sa confiance et à son élocution, et que tout cela était attribuable au stress causé par un incident critique remontant à de nombreuses années. En réinterrogatoire devant le Tribunal, le surintendant Farrell a déclaré qu’il avait cru M. Hugues sur parole et qu’il ne s’était jamais demandé si M. Hugues était réellement atteint d’une déficience à l’époque.

[114] Deuxièmement, lors de l’entrevue qui a été reportée, les échanges ont semblé se dérouler sur un mode d’affrontement. Les notes manuscrites du jury témoignent de certains désaccords entre ce dernier et M. Hugues concernant la déficience alléguée, la documentation médicale requise et la façon dont la demande de mesures d’adaptation devait être faite. Les notes révèlent également la façon dont les deux membres percevaient M. Hugues à cette occasion. Dans la première série de notes, on peut lire que M. Hugues [traduction] « cherchait l’affrontement, ne voulait ou ne pouvait pas démarrer l’entrevue », qu’il était [traduction] « convaincu (paranoïa) que son entrevue ne serait pas équitable » et qu’il [traduction] « est devenu de plus en plus agité ». Les notes de l’autre membre du jury de sélection indiquent qu’il [traduction] « a cherché l’affrontement, dès le départ, [et qu’il] est devenu sans cesse plus agité ».

[115] Troisièmement, il est évident que les commentaires formulés dans les notes d’entrevue reprennent certaines des réserves exposées au surintendant Farrell, président du jury de sélection, dans le courriel de Mme Lennax et la lettre de Mme Stoner qui lui étaient adressés; or, le Tribunal a jugé que ces écrits avaient influencé le jury. Cet aspect est particulièrement digne d’intérêt, étant donné que Mme Lennax savait qu’à l’époque des audiences présidées par la CFP, M. Hugues souffrait d’anxiété et de dépression et qu’il avait demandé un ajournement en raison de ces symptômes.

[116] Sans chercher à savoir si elle avait ou non fait un lien entre ses symptômes et son comportement, le Tribunal a conclu que Mme Lennax voulait discréditer la candidature de M. Hugues au processus 2006‑001. Certes, en témoignage, le surintendant Farrell a déclaré que l’information contenue dans ces documents n’avait pas eu d’incidence sur le jury dans son évaluation de M. Hughes, mais le Tribunal a conclu qu’ils avaient néanmoins [traduction] « entaché le processus ». En tant que juge des faits, le Tribunal pouvait parfaitement en arriver à cette conclusion factuelle, d’autant plus qu’il l’a fait au terme d’une longue audience après avoir vu et entendu tous les témoins importants.

[117] Quatrièmement, le 2 février 2007, pendant l’intervalle entre les deux entrevues, le surintendant Farrell a écrit à Mme Lennax un courriel dans lequel il disait qu’à son avis, M. Hugues était incapable de [TRADUCTION] « remplir les exigences du poste ». Le surintendant Farrell a exprimé ce point de vue deux mois après la production par M. Hugues du billet que le Dr Miller avait rédigé le 20 novembre 2006 pour demander l’adoption de mesures d’évaluation adaptées en raison d’un trouble médical. Il s’est par ailleurs forgé ce point de vue au lendemain de la réception d’un billet supplémentaire dans lequel le Dr Miller avait précisé que M. Hugues éprouvait des problèmes de concentration et de logique et demandait qu’on lui accorde plus de temps pour répondre aux questions d’entrevue. Chose étonnante, le président est arrivé à cette conclusion avant que le jury de sélection détermine comment il entendait répondre aux besoins de M. Hughes et avant la nouvelle date d’entrevue.

[118] Cinquièmement, en contre‑interrogatoire devant le Tribunal, on a demandé au surintendant Farrell s’il s’était fondé sur le billet du Dr Miller pour se forger une opinion quant aux qualifications de M. Hugues, ce à quoi il a répondu que sa conclusion reposait sur [traduction] « l’information qu’il y a[vait] et sur les exigences du poste ». Il a aussi dit être conscient que le Dr Miller ignorait certains aspects du travail, notamment en ce qui a trait au genre d’entrevues que le candidat était appelé à mener, et que le billet médical faisait uniquement référence à l’entrevue menée dans le cadre du processus 2006‑001, et non à celles qu’un agent des services frontaliers devait effectuer dans l’exercice de ses fonctions. Pressé d’en dire davantage, le surintendant Farrell a admis qu’à l’exception du billet du Dr Miller, il n’y avait aucune preuve étayant ses réserves quant à la capacité de M. Hugues de bien accomplir son travail, malgré le fait qu’il avait déjà reçu ce dernier en entrevue pour un poste analogue deux ans auparavant et qu’il n’y avait pas eu de problème.

[119] En somme, je conviens avec M. Hugues que le jury de sélection avait jugé sa déficience en fonction des apparences, autrement dit qu’il avait perçu que M. Hugues avait une déficience parce qu’il avait pris des mesures pour répondre à ses besoins. Le jury de sélection semble également avoir jugé de façon prématurée que M. Hugues n’était pas qualifié pour le poste en se fondant sur un billet de médecin indiquant qu’il aurait besoin de plus de temps pour répondre aux questions à cause de ses symptômes. Pendant cette période, le surintendant Farrell a demandé l’avis de Mme Lennax sur les mesures d’adaptation, alors que c’est cette même personne qui connaissait déjà les symptômes de M. Hugues et qui avait tenté de discréditer sa candidature dans un courriel non sollicité qu’elle avait envoyé. Le Tribunal a soulevé tous ces points dans sa décision (voir les para 151‑155). Il était par conséquent raisonnable de conclure que les décisions avaient été prises à l’approche de l’entrevue, sans évaluation préalable de la candidature de M. Hugues en fonction des critères de sélection, et qu’elles reposaient sur la perception d’une déficience, et non sur un diagnostic confirmant l’existence d’une déficience mentale donnée.

[120] En outre, le Tribunal a conclu que M. Hugues avait subi un effet préjudiciable du fait qu’il avait échoué l’entrevue pour laquelle il avait bénéficié de mesures d’adaptation et qu’il avait fini par être écarté du processus 2006‑001. Cela signifiait qu’il n’était plus admissible à une nomination dans le cadre de ce processus. Je conviens que cela constitue une preuve raisonnable de l’effet préjudiciable subi (voir Canada (Procureur général) c Bodnar, 2017 CAF 171 au para 26). Je partage aussi l’avis du Tribunal selon lequel la déficience de M. Hugues a été un facteur qui a contribué à cet effet préjudiciable (le troisième facteur du critère formulé dans les arrêts O’Malley et Moore quant à l’existence de discrimination prima facie qui a été exposé précédemment).

[121] Toutefois, le Canada fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en concluant à l’existence de discrimination prima facie parce que ce dernier n’a pas expressément examiné la question de savoir si la déficience réelle ou perçue de M. Hugues était une raison de son échec à l’entrevue et de son exclusion du processus 2006‑001. Il soutient qu’en réalité, M. Hugues n’a subi aucun effet préjudiciable, parce que ses résultats à l’entrevue adaptée ne satisfaisaient tout simplement pas aux normes exigées pour l’obtention de la note de passage.

[122] À mon avis, cet argument ne vise pas la conclusion voulant qu’il y ait eu un effet préjudiciable, ce qui, je le répète, est le cas : il s’attaque plutôt à l’analyse reliant l’effet préjudiciable à la perception que M. Hugues souffrait d’une déficience.

[123] Mais quoi qu’il en soit, je juge que cet argument n’est guère convaincant dans le contexte des contraintes factuelles et juridiques propres au processus 2006‑001. Les conclusions du Tribunal concernant le processus 2006‑001 sont essentiellement centrées sur l’abus d’influence exercée sur le jury au sujet de M. Hugues en particulier. Le Tribunal a conclu que Mme Lennax (par l’entremise d’un courriel envoyé de sa propre initiative) avait tenté de discréditer M. Hughes en tant que candidat apte, sachant pertinemment qu’il souffrait de divers symptômes physiques et psychologiques.

[124] La façon dont Mme Lennax a décrit le comportement de M. Hugues s’apparente aux constatations faites par le jury de sélection dans le cadre du processus 2006‑001 : qu’il devenait facilement agité, qu’il n’était pas professionnel et qu’il cherchait l’affrontement. Qui plus est, le président du jury a lui‑même écrit à Mme Lennax pour lui expliquer en quoi M. Hughes serait, à son avis, incapable d’accomplir le travail du fait des divers symptômes provoqués par son anxiété et sa dépression. Il a pris cette initiative après avoir accepté d’emblée que M. Hugues souffrait d’une déficience, précisément en raison des symptômes qui en découlaient, et avant d’avoir procédé à une entrevue adaptée aux besoins du candidat. Il ne fait alors aucun doute que le Tribunal a eu le sentiment que le jury de sélection avait posé un jugement prématuré sur M. Hughes avant de le recevoir en entrevue. Aux yeux du Tribunal, on ne pouvait dissocier le résultat final du fait que le jury avait préjugé de son état.

[125] En résumé, la conclusion du Tribunal selon laquelle le processus 2006‑001 était vicié par de « subtiles odeurs de discrimination » est cohérente et logique. Au regard des faits et du droit, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il y avait eu, selon la prépondérance des probabilités, discrimination prima facie au cours du processus 2006‑001.

[126] La question qui se pose ensuite, dès lors, est de savoir si le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que l’employeur n’était pas parvenu à réfuter l’allégation de discrimination prima facie. Dans sa demande, le Canada déclare n’avoir jamais soulevé la question de l’exigence professionnelle justifiée devant le Tribunal, de sorte que cette question n’était pas pertinente dans ce litige. Le Canada soutient que le Tribunal n’a pas réalisé d’analyse sérieuse des mesures d’adaptation que l’ASFC avait mises en place, ce qui constitue une erreur de droit, et que la preuve ne permettait pas de conclure que ces mesures étaient inadéquates.

[127] Encore une fois, je ne suis pas d’accord. Le Tribunal a jugé que les mesures d’adaptation prises par l’ASFC étaient inadéquates. Bien que le jury de sélection ait accordé à M. Hugues davantage de temps pour répondre aux questions, le Tribunal a jugé que l’idée que se faisait le surintendant Farrell de M. Hughes avait été entachée et qu’il aurait fallu constituer un nouveau jury au sein duquel la perception de la maladie mentale n’aurait pas été aussi présente.

[128] Comme le fait observer M. Hugues, ces propos n’ont pas été formulés dans le cadre d’une analyse de la question de la contrainte excessive, mais bien de l’analyse de l’effet préjudiciable. M. Hugues prétend que, indépendamment des mesures d’adaptation qui ont été prises, le seul moyen permettait de répondre véritablement à ses besoins dans les circonstances, était de constituer un nouveau jury de sélection. Puisque le jury de sélection ne semble pas avoir envisagé cette solution, la conclusion du Tribunal était raisonnable en l’espèce.

[129] Le Canada prétend que les mesures d’adaptation mises en œuvre par l’ASFC correspondaient à ce qui avait été demandé et divulgué dans les divers billets de médecin. Toutefois, ce point de vue ne cadre pas avec la preuve, et ce, pour trois raisons.

[130] Premièrement, dans son billet du 20 novembre 2006, le Dr Miller écrit que M. Hughes [traduction] « souffre d’un problème de santé lui occasionnant des difficultés lors des entrevues et qu’il serait souhaitable, dans l’idéal, de prévoir un autre mode d’évaluation ne nécessitant pas d’entrevue ». Or, aucune preuve n’indique que le jury de sélection a envisagé ou proposé une autre forme d’évaluation.

[131] Deuxièmement, M. Hugues a prié le jury de sélection de procéder à un examen sur dossier de ses précédentes évaluations du rendement plutôt qu’à une entrevue, expliquant que son problème nuisait à sa confiance et à son élocution lors d’entrevues se déroulant en personne. Le surintendant Farrell semble en avoir conclu, après avoir consulté Mme Lennax, que l’adoption d’un tel mode d’évaluation romprait l’uniformité de traitement des candidats et qu’il pourrait même conférer un avantage à M. Hugues par rapport aux autres candidats. Là encore, aucune preuve ne montre que le jury de sélection a sérieusement réfléchi à d’autres mesures d’adaptation possibles, bien que le surintendant Farrell ait noté l’importance des entrevues pour le titulaire du poste offert, compte tenu des fortes pressions que subissent les agents des services frontaliers lorsqu’ils interrogent les personnes désireuses d’entrer au pays.

[132] Troisièmement, le dernier billet rédigé par le Dr Miller, le 1er février 2007, pour expliquer que M. Hugues avait besoin de plus de temps lors des entrevues en raison de ses difficultés de concentration et de logique, a été soumis au terme d’échanges entre le jury de sélection, M. Hugues et Mme Lennax. Il n’est pas impossible que ce soit le seul billet médical que le surintendant Farrell ait accepté, parce qu’aucun mode d’évaluation substitutif n’y était recommandé et qu’il hésitait à prendre une telle mesure. Que ce soit ou non le cas, il n’en demeure pas moins que le surintendant Farrell ne paraissait pas disposé à prendre des mesures pour répondre aux besoins particuliers de M. Hugues et qu’il avait des idées préconçues concernant les aptitudes de ce dernier.

[133] Le Tribunal a jugé que le surintendant Farrell portait sur M. Hugues un jugement qui, dans l’ensemble, était indûment entaché. Ainsi, de l’avis du Tribunal, l’ASFC ne pouvait justifier ses actes ni réfuter la conclusion quant à l’existence de discrimination prima facie dans le processus 2006‑001. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je conclus que le raisonnement et les conclusions du Tribunal eu égard au dixième processus de sélection étaient à la fois logiques et cohérents, et donc raisonnables. Par conséquent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire présentée par le Canada dans le dossier T‑1065‑19.

VII. DÉPENS

[134] Les avocats ont convenu à l’audience que les dépens dans le dossier T‑1065‑19, sous la forme d’une somme globale de 3 500$, suivraient l’issue de la cause. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, il s’agit d’une proposition raisonnable. En ce qui concerne le dossier T‑1035‑19, dont l’instruction a eu lieu principalement par écrit, M. Hugues, qui n’était pas représenté par un avocat, a proposé qu’un montant de 1 000 $ soit versé au titre des dépens à la partie obtenant gain de cause. Me Stark a accepté la proposition au nom du Canada. Là encore, la Cour entend respecter l’accord intervenu entre les parties.

VIII. CONCLUSION

[135] Pour les motifs qui précèdent, les deux demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. La décision que le Tribunal a rendue relativement à chacun des dix processus en cause était à la fois raisonnable et équitable. Quant aux dépens, dans le dossier T‑1035‑ 19, M. Hugues, qui n’était pas représenté, devra payer au Canada une somme globale de 1 000 $ au titre des dépens. Dans le dossier T‑1065‑19, pour lequel chaque partie était représentée par un avocat, des dépens de 3 500 $ seront adjugés à M. Hugues.

JUGEMENT dans les dossiers T‑1035‑19 et T‑1065‑19

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers T‑1035‑19 et T‑1065‑19 sont toutes deux rejetées, que M. Hugues est tenu au paiement de dépens de 1 000 $ dans le premier dossier, et que des dépens de 3 500 $ lui sont adjugés dans le deuxième.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes

ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (extraits)

Emploi

Employment

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[…]

...

Lignes de conduite discriminatoires

Discriminatory policy or practice

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

10 It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

[…]

...

Exceptions

Exceptions

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15 (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

b) le fait de refuser ou de cesser d’employer un individu qui n’a pas atteint l’âge minimal ou qui a atteint l’âge maximal prévu, dans l’un ou l’autre cas, pour l’emploi en question par la loi ou les règlements que peut prendre le gouverneur en conseil pour l’application du présent alinéa;

(b) employment of an individual is refused or terminated because that individual has not reached the minimum age, or has reached the maximum age, that applies to that employment by law or under regulations, which may be made by the Governor in Council for the purposes of this paragraph;

c) [Abrogé, 2011, ch. 24, art. 166]

(c) [Repealed, 2011, c. 24, s. 166]

d) le fait que les conditions et modalités d’une caisse ou d’un régime de retraite constitués par l’employeur, l’organisation patronale ou l’organisation syndicale prévoient la dévolution ou le blocage obligatoires des cotisations à des âges déterminés ou déterminables conformément aux articles 17 et 18 de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension;

(d) the terms and conditions of any pension fund or plan established by an employer, employee organization or employer organization provide for the compulsory vesting or locking‑in of pension contributions at a fixed or determinable age in accordance with sections 17 and 18 of the Pension Benefits Standards Act, 1985;

d.1) le fait que les modalités d’un régime de pension agréé collectif prévoient le versement de paiements variables ou le transfert de fonds à des âges déterminés conformément aux articles 48 et 55 respectivement de la Loi sur les régimes de pension agréés collectifs;

(d.1) the terms of any pooled registered pension plan provide for variable payments or the transfer of funds only at a fixed age under sections 48 or 55, respectively, of the Pooled Registered Pension Plans Act;

e) le fait qu’un individu soit l’objet d’une distinction fondée sur un motif illicite, si celle‑ci est reconnue comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne rendue en vertu du paragraphe 27(2);

(e) an individual is discriminated against on a prohibited ground of discrimination in a manner that is prescribed by guidelines, issued by the Canadian Human Rights Commission pursuant to subsection 27(2), to be reasonable;

f) le fait pour un employeur, une organisation patronale ou une organisation syndicale d’accorder à une employée un congé ou des avantages spéciaux liés à sa grossesse ou à son accouchement, ou d’accorder à ses employés un congé ou des avantages spéciaux leur permettant de prendre soin de leurs enfants;

(f) an employer, employee organization or employer organization grants a female employee special leave or benefits in connection with pregnancy or child‑birth or grants employees special leave or benefits to assist them in the care of their children; or

g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

(g) in the circumstances described in section 5 or 6, an individual is denied any goods, services, facilities or accommodation or access thereto or occupancy of any commercial premises or residential accommodation or is a victim of any adverse differentiation and there is bona fide justification for that denial or differentiation.

Besoins des individus

Accommodation of needs

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

[…]

...

Définitions

Definitions

25 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

25 In this Act,

déficience Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue. (disability)

disability means any previous or existing mental or physical disability and includes disfigurement and previous or existing dependence on alcohol or a drug; (déficience)

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossiers :

T‑1035‑19 ET T‑1065‑19

 

DOSSIER :

T‑1035‑19

INTITULÉ :

CHRIS HUGHES c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET DOSSIER :

T‑1065‑19

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c CHRIS HUGHES ET COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) ET TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2021

LE 28 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 12 FÉVRIER 2021

COMPARUTIONS :

Chris Hughes

POUR SON PROPRE COMPTE DANS LE DOSSIER T‑1035‑19

David Yazbeck

POUR LE DÉFENDEUR CHRIS HUGHES

DANS LE DOSSIER T‑1065‑19

Graham Stark

POUR LE DÉFENDEUR/DEMANDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR CHRIS HUGHES

DANS LE DOSSIER T‑1065‑19

Procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR/DEMANDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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