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Date : 20050728

Dossier : IMM-318-05

Référence : 2005 CF 1039

ENTRE :

                                                      LUCILLA RINEN TALLON

                                                                                                                                    demanderesse

- et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (le Tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le Tribunal a décidé que le conjoint de la demanderesse était une personne visée par l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (le Règlement) et qu'il n'appartenait donc pas à la « catégorie du regroupement familial » du fait de sa relation avec la demanderesse. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 21 décembre 2004.

[2]                La demanderesse est une citoyenne des Philippines. Elle est arrivée au Canada en 1997 en vertu des dispositions du Programme concernant les aides familiaux résidants. Conformément aux dispositions de ce programme, elle a par la suite présenté une demande de statut de résidente permanente au Canada. Dans sa demande, elle a mentionné que son état matrimonial était « célibataire » et qu'elle n'avait aucune personne à charge. On a délivré un visa d'immigrant à la demanderesse le 17 décembre 2001. Elle s'est mariée aux Philippines le 9 février 2002 avec un citoyen et résident des Philippines. Elle est devenue résidente permanente du Canada le 28 février 2002. À cette date, la demanderesse n'avait pas informé les autorités de l'immigration qu'elle s'était mariée. Par conséquent, les autorités n'avaient pas jusque là examiné son conjoint et aucune décision n'avait été rendue ou aurait pu être rendue pour renoncer à l'examen de son conjoint.

[3]                Peu après avoir obtenu le statut de résidente permanente, la demanderesse a fait une demande pour parrainer son conjoint afin qu'il vienne au Canada en tant que résident permanent. La demande connexe de son conjoint pour venir la rejoindre au Canada a été rejetée, en application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. La demanderesse a interjeté appel de ce rejet auprès du Tribunal, ce qui a conduit à la décision faisant l'objet du présent contrôle.

[4]                Le préambule du paragraphe 117(9) du Règlement ainsi que l'alinéa d) de ce paragraphe sont ainsi libellés :


(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if


[...]                                                                                                           [...]


d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d'une demande à cet effet, l'étranger qui, à l'époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n'accompagnant pas ce dernier et n'a pas fait l'objet d'un contrôle.

[Non souligné dans l'original.]


(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[Emphasis added.]


Le paragraphe 117(10) du Règlement ne s'applique pas aux faits de la présente affaire.

[5]                La décision du Tribunal reposait sur les mots soulignés dans la citation précédente, c'est-à-dire, dans la version française, « à l'époque où cette demande a été faite » . Le Tribunal a écrit :

À mon avis, le moment de la demande inclut le moment de l'admission au Canada. J'adopterais le raisonnement de mon collègue, le commissaire Neron, dans l'affaire Chaudhari, où il déclare ce qui suit :

[traduction]

J'interprète les termes « à l'époque où cette demande a été faite » , qui figurent à l'alinéa 117(9)d) du Règlement de la LIPR, comme étant la période couvrant le moment où l'appelante a déposé sa demande jusqu'à son admission au Canada. En d'autres termes, une demande de résidence permanente au Canada est un processus qui se prolonge dans le temps. Dès que l'appelante s'est mariée avec le demandeur, elle avait l'obligation d'en informer immédiatement l'intimé.

À l'instar de l'affaire Chaudhari, l'appelante n'a pas déclaré son conjoint dans les semaines suivant l'émission du visa et précédant son admission ou au moment de son admission au Canada. Non seulement le demandeur n'a pas fait l'objet d'un contrôle, mais l'agent des visas n'a pas eu la possibilité de déterminer s'il devait faire ou non l'objet d'un contrôle. [...]

[Renvois omis; en italique dans l'original.]

[6]                Ma collègue, la juge Layden-Stevenson, a tiré une conclusion semblable dans la décision Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], où elle a écrit aux paragraphes 12 et 13 :

[12] Pour ce qui est de l'interprétation que M. Dave propose de la phrase « à l'époque où cette demande a été faite » , il ne prétend pas que les mots « la demande » fassent référence à autre chose que la demande de résidence permanente. Il ne conteste pas non plus qu'un visa, en soi, ne confère pas un droit d'entrée : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (C.A.), le juge Marceau; McLeod c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 257 (C.A.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 216 F.T.R. 223 (1re inst.). Bien que cette jurisprudence porte sur les dispositions de l'ancienne loi et que le terme « établissement » ne figure plus dans la LIPR, l'analyse qu'on y retrouve demeure pertinente. On ne devient un résident permanent qu'après « s'être établi » dans le pays. Par conséquent, le processus de la demande n'est pas achevé du simple fait qu'une demande de visa est traitée ou qu'un visa est accordé. L'expression « à l'époque où cette demande a été faite » comprend la période qui va de la présentation de la demande jusqu'à l'octroi de la résidence permanente. S'il en était autrement, tout demandeur pourrait contourner les dispositions législatives en remplissant et en présentant simplement sa demande avant de se marier.

[13] En bref, le processus de demande de résidence permanente englobe non seulement la demande de visa, mais également la demande d'autorisation de séjour au point d'entrée. Par conséquent, l'argument selon lequel la phrase « à l'époque où cette demande a été faite » comprend seulement le moment précis où cette demande a été remplie et soumise doit être rejeté.

Mon collègue, le juge Pinard, a suivi le raisonnement de la juge Layden-Stevenson dans la décision Benjelloun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], où il a écrit au paragraphe 12 de ses motifs :


À l'appui de la position du défendeur, il y a aussi l'article 51 du Règlement qui indique que ce n'est qu'après que l'étranger aura fait l'objet d'un contrôle à un point d'entrée du Canada, où il devra déclarer tout changement important depuis la délivrance de son visa, qu'il obtiendra son statut de résident permanent. Cet article confirme qu'une demande de résidence permanente au Canada est donc un processus continu faisant l'objet de plusieurs contrôles qui débute par la demande écrite initiale de visa et se termine à l'entrée de l'étranger au Canada. C'est d'ailleurs l'interprétation donnée par ma collègue madame la juge Layden-Stevenson à l'alinéa 117(9)d) du Règlement dans Dave c. The Minister of Citizenship and Immigration (le 15 avril 2005), IMM-3386-04, [2005] A.C.F. no 686, 2005 FC 510, où, au paragraphe 12, elle a écrit ce qui suit [...]

[Souligné dans l'original.]

Le juge Pinard a ensuite cité le premier des deux paragraphes de la décision Dave cités précédemment.

[7]                L'avocat de la demanderesse a fait remarquer que l'interprétation qu'a donnée le Tribunal à l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » est, et c'est le mot que j'emploie et non le sien, perverse. Bien que l'avocat ait reconnu qu'une demande visant à obtenir un visa de résident permanent au Canada pourrait bien être un processus qui se prolonge dans le temps, en commençant par le dépôt de la demande, il s'agit, selon lui, d'un processus qui se termine, au plus tard, avec la délivrance du visa. À l'appui de cette observation, l'avocat fait référence à l'article 28 du Règlement qui donne à penser que, à certaines fins, le fait de chercher à entrer au Canada constitue une « demande distincte » . Il fait remarquer que cette interprétation est appuyée par l'article 51 du Règlement, dont a fait référence le juge Pinard, lequel prévoit que l'étranger titulaire d'un visa de résident permanent qui, à un point d'entrée, cherche à devenir un résident permanent doit faire part à l'agent à ce point d'entrée s'il est devenu un conjoint après la délivrance du visa. C'était la situation de la demanderesse au moment où elle est devenue une résidente permanente même si, à ce moment-là, elle ne s'est pas présentée à un « point d'entrée » dans le sens habituel de cette expression, puisqu'elle était déjà au Canada.


[8]                L'avocat a ajouté que si le gouverneur en conseil avait voulu que l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » ait un sens plus large que soit au moment de présenter la demande ou soit du moment de présenter la demande jusqu'au moment où le visa est délivré, il aurait pu facilement le prévoir. À titre d'exemples de dispositions confirmant un sens élargi qui sont contenues dans le Règlement, l'avocat a mentionné à la Cour les articles 77 et 121.

[9]                L'avocat du défendeur fait remarquer que le Tribunal n'a fait aucune erreur susceptible de révision en rendant la décision faisant l'objet du contrôle et que, si on donnait à l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » un sens plus restreint, les dispositions du Règlement relatives à la « catégorie du regroupement familial » pourraient donner lieu à des abus importants par le simple fait de retarder l'établissement d'un lien relatif à la « catégorie du regroupement familial » jusqu'à la délivrance d'un visa. La juge Layden-Stevenson a fait écho à cette préoccupation dans la dernière phrase du premier paragraphe de ses motifs dans la décision Dave qui est citée plus haut.

[10]            Non sans certaines hésitations, et gardant à l'esprit le principe de la courtoisie judiciaire, la Cour adopte la position qu'on a fait valoir au nom du défendeur et qui a été adoptée dans les décisions Dave et Benjelloun, précitées. Au regard de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, parce que, selon la Cour, le présent contrôle judiciaire repose sur l'interprétation de l'alinéa 117(9)d) à l'égard des faits particuliers de l'espèce, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[11]            L'interprétation et l'application de l'alinéa 117(9)d) du Règlement a fait l'objet d'un certain nombre de décisions récentes de la Cour[4]. Cela étant dit, la Cour d'appel ne semble pas avoir été saisie de la question de l'interprétation de cet alinéa qui est en cause en l'espèce et, en outre, il semblerait qu'on n'a pas pressé la juge Layden-Stevenson ou le juge Pinard à certifier une question. Je me demande si l'interprétation adoptée en l'espèce pourrait ne pas être compatible avec les principes d'interprétation législative énoncés par la Cour suprême du Canada dans les paragraphes 21 et 22 de l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re)[5]. J'ai exprimé mes doutes à la fin de l'audition de la présente affaire. L'avocat de la demanderesse a, par conséquent, proposé la certification de la question suivante :

[traduction]

Devrait-on interpréter l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés et, en particulier, l'expression « à l'époque où cette demande a été faite » pour qu'on y fasse référence à une demande visant à obtenir un visa de résident permanent, conformément à l'article 11 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ou cela s'étend-il à l'octroi du statut de résident permanent?

Lorsqu'on l'a consulté au sujet de la question proposée, l'avocat du défendeur a mentionné qu'il n'avait aucune objection à sa certification. Je suis convaincu que la question proposée est une question grave de portée générale qui permettrait de trancher un appel interjeté à l'encontre de la présente décision. La question sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

                                                                                                     Juge                          


Ottawa (Ontario)

Le 28 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-318-05

INTITULÉ :                                           LICILLA RINEN TALLON

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

G. Michael Sherritt                                   POUR LA DEMANDERESSE

W. Brad Hardstaff                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene                                         POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]     DORS/2002-227.

[2]     2005 CF 510.

[3]     2005 CF 844.

[4]     Voir, par exemple : De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1557 (QL); appel déposé, dossier A-558-04.

[5]     [1998] 1 R.C.S. 27.


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