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Date : 20060612

Dossier : T-473-04

Référence : 2006 CF 735

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LJP SALES AGENCY INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans des appels devant la Cour canadienne de l’impôt, LJP Sales Agency Inc. (LJP) avait réussi à établir qu’elle n’était pas associée à la compagnie Jo-Van Distributors Inc. Par conséquent, LJP avait droit à une déduction accordée aux petites entreprises, pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997.

 

[2]               LJP s’était aussi vu refuser une déduction accordée aux petites entreprises, pour les années d’imposition 1998 et 1999 parce qu’elle aurait été associée avec Jo-Van. Lorsqu’elle a reçu la décision de la Cour canadienne de l’impôt, LJP a déposé une demande devant la Cour visant à obtenir une ordonnance de mandamus qui obligerait le ministre du Revenu national à établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1998 et 1999 en fonction des conclusions de la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre a alors demandé à une protonotaire de radier l’avis de demande de LJP. La protonotaire a conclu que la demande de LJP était irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie, et elle l’a radiée. Il s’agit d’un appel de cette décision.

 

[3]               Pour les motifs suivants, je suis convaincue que la décision de la protonotaire est correcte et que l’appel doit être rejeté. 

 

Le contexte

[4]               LJP a produit des déclarations de revenus en 1995, 1996 et 1997 dans lesquelles elle réclamait une déduction accordée aux petites entreprises. Cette déduction lui a été refusée au motif que LJP était associée à Jo-Van Distributors Inc. et que, par conséquent, elle ne répondait pas à la définition de « petite entreprise ».

 

[5]               L’épouse du propriétaire de LJP est l’actionnaire majoritaire de Jo-Van. Le propriétaire de LJP est aussi actionnaire minoritaire de Jo-Van.

 

[6]               Le 3 avril 2000, le ministre a envoyé des avis de cotisation à LJP lui refusant la déduction accordée aux petites entreprises, pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997. LJP a déposé à temps des avis d’opposition au sujet de ces cotisations et a finalement porté l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt. Dans une décision rendue le 1er décembre 2003, le juge Miller de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que LJP et Jo-Van Distributors n’étaient pas des compagnies associées et que, par conséquent, LJP était admissible à la déduction accordée aux petites entreprises.

 

[7]               Le 13 janvier 2004, le ministre a envoyé à LJP des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997, dans lesquels LJP a obtenu la déduction accordée aux petites entreprises.

 

[8]               LJP avait aussi produit des déclarations de revenus pour les années d’imposition 1998 et 1999, pour lesquelles elle demandait aussi la déduction accordée aux petites entreprises. En 2001, le ministre avait fixé la cotisation de LJP en fonction du fait qu’il l’a tenait pour associée à Jo-Van, lui refusant une fois de plus la déduction accordée aux petites entreprises. LJP n’a pas déposé d’avis d’opposition ni de renonciation pour ces années d’imposition. Puisqu’elle ne l’a pas fait, LJP a perdu son droit de porter les cotisations de 1998 et 1999 en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[9]               Dans une lettre datée du 12 avril 2004, LJP a demandé de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1998 et 1999, se fondant sur les conclusions de la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre a refusé parce qu’aucun avis d’opposition n’avait été déposé à l’époque au sujet des cotisations.

 

[10]           Les déclarations de revenus de LJP pour les années d’imposition 2000 et suivantes ont été cotisées en fonction du fait qu’elle n’était pas associée à Jo-Van, et LJP a pu demander la déduction accordée aux petites entreprises pour ces années.

 

La demande d’un mandamus de LJP

[11]           Après que le ministre eut refusé d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de LJP pour les années d’imposition 1998 et 1999, LJP a déposé sa demande de contrôle judiciaire à la Cour et a sollicité une ordonnance de mandamus qui obligerait le ministre à établir de nouvelles cotisations. LJP fonde sa demande sur les dispositions du paragraphe 152(4.3) de la Loi sur l’impôt sur le revenu.

 

[12]           Le paragraphe 152(4.3) prévoit que :

152 (4.3) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), lorsqu’une cotisation ou une décision d’appel a pour effet de modifier un solde donné applicable à un contribuable pour une année d’imposition donnée, le ministre peut ou, si le contribuable en fait la demande par écrit, doit, avant le dernier en date du jour d’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année d’imposition subséquente et de la fin du jour qui tombe un an après l’extinction ou la détermination de tous les droits d’opposition ou d’appel relatifs à l’année donnée, établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’impôt, des intérêts ou des pénalités payables, ou déterminer de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, en vertu de la présente partie par le contribuable pour l’année subséquente, mais seulement dans la mesure où il est raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation ou la détermination se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l’année donnée.

 

152 (4.3) Notwithstanding subsections 152(4), 152(4.1) and 152(5), where the result of an assessment or a decision on an appeal is to change a particular balance of a taxpayer for a particular taxation year, the Minister may, or where the taxpayer so requests in writing, shall, before the later of the expiration of the normal reassessment period in respect of a subsequent taxation year and the end of the day that is one year after the day on which all rights of objection and appeal expire or are determined in respect of the particular year, reassess the tax, interest or penalties payable, or redetermine an amount deemed to have been paid or to have been an overpayment, under this Part by the taxpayer in respect of the subsequent taxation year, but only to the extent that the reassessment or redetermination can reasonably be considered to relate to the change in the particular balance of the taxpayer for the particular year.

 

[13]           Le paragraphe152(4.4) de la Loi sur l’impôt sur le revenu, qui définit l’expression « solde applicable » utilisée au paragraphe 152(4.3), est aussi pertinent quant à la demande de LJP :

(4.4) Pour l’application du paragraphe (4.3), le solde applicable à un contribuable pour une année d’imposition correspond au revenu, au revenu imposable, au revenu imposable gagné au Canada ou à une perte du contribuable pour l’année, à l’impôt ou autre montant payable par lui pour l’année, à un montant qui lui est remboursable pour l’année ou à un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, par lui pour l’année.

(4.4) For the purpose of

subsection 152(4.3), a "balance" of a taxpayer for a taxation year is the income, taxable income, taxable income earned in Canada or any loss of the taxpayer for the year, or the tax or other amount payable by, any amount refundable to, or any amount deemed to have been paid or to have been an overpayment by, the taxpayer for the year.

 

 

[14]           LJP se fonde sur la conclusion favorable de la Cour canadienne de l’impôt au sujet du fait qu’elle n’était pas associée à Jo-Van pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1997 pour soutenir que de nouvelles cotisations auraient dû de même être établies pour les années d’imposition 1998 et 1999.

 

[15]           Dans son avis de demande, LJP a allégué que le ministre avait commis une erreur en refusant d’exercer sa compétence, qu’il avait commis une erreur de droit et qu’il avait aussi agi de façon contraire à la loi en refusant d’établir de nouvelles cotisations conformément à la demande écrite de LJP.

 

[16]           Le ministre a alors présenté une requête en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales (les Règles) sollicitant une ordonnance radiant l’avis de demande de LJP. Avant que l’affaire soit entendue par la protonotaire, LJP a tenté de faire radier l’affidavit de Ken Berini, présenté par le ministre comme document à l’appui de la requête. LJP a aussi contesté le fait que le ministre s’appuyait sur l’article 221 des Règles pour sa requête.

 

[17]           La juge Snider a rejeté la requête présentée par LJP en vue de faire radier l’affidavit de Berini et a décidé que, que l’article 221 des Règles soit l’article applicable pour la requête du ministre ou non, la Cour pouvait recevoir une preuve par affidavit au sujet d’arguments fondés sur la compétence de la Cour d’entendre une demande de contrôle judiciaire.

 

L’ordonnance de la protonotaire

[18]           La protonotaire a ultérieurement accueilli la requête du ministre en radiation de la demande de mandamus de LJP. Lorsqu’elle a accueilli la requête, la protonotaire a conclu que le sens ordinaire du paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, conjointement avec la référence au « solde applicable à un contribuable pour une année d’imposition », était que le paragraphe avait trait à un changement au calcul du montant d’argent, plutôt qu’à un changement aux principes de droit qui servent à déterminer le revenu d’un contribuable.

 

[19]           La protonotaire s’est fondée considérablement sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sherway Centre Ltd. c. Canada, [2003] A.C.F. no 67, 2003 CAF 26, pour tirer cette conclusion.

           

[20]           Par conséquent, la protonotaire a conclu que LJP ne s’était pas mise en situation d’invoquer les dispositions du paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et que, par conséquent, elle n’avait pas droit à l’établissement d’une nouvelle cotisation.

 

[21]           Pour déterminer si l’avis de demande de LJP devait être radié, la protonotaire a appliqué le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1994] A.C.F. no 1629 (C.A.), et s’est demandé si la requête était « irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ».

 

[22]           La protonotaire a conclu que la réponse à cette question était affirmative et que, bien que les faits en l’espèce étaient quelque peu différents de ceux de l’affaire Sherway, précitée, ces différences n’étaient pas suffisantes pour que LJP puisse se prévaloir de l’exception créée par le paragraphe 152(4.3). En fait, la protonotaire a conclu que la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt, selon laquelle LJP n’était pas associée à Jo-Van, n’avait pas de répercussions sur le « solde applicable », tel que défini dans la loi.

 

[23]           Par conséquent, la protonotaire a radié l’avis de demande de LJP et la demande a été rejetée.

 

La norme de contrôle

[24]           Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la protonotaire est la décision correcte. Comme la décision de la protonotaire a rejeté la demande de contrôle judiciaire de LJP, je conviens que la décision devrait être contrôlée par voie de procédure de novo : voir Merck & Co. Inc. c. Apotex, [2003] A.C.F. no 1925, 2003 CAF 488, aux paragraphes 18 et 19.

 

Analyse

[25]           Comme la protonotaire l’a noté, une demande de contrôle judiciaire ne doit pas être radiée avant qu’il y ait eu une audience sur le bien-fondé de la demande, à moins que la demande soit irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie : David Bull, précitée.

 

[26]           Le critère est aussi sévère parce qu’il est habituellement plus efficace pour la Cour de traiter un argument préliminaire à l’audition même de la demande de contrôle judiciaire que de le traiter comme requête préliminaire : Addison & Leyen Ltd. et al., c. Canada, [2006] A.C.F. no 489, 2006 CAF 107, au paragraphe 5.

 

[27]           Par analogie avec le processus à suivre lors de la radiation d’une déclaration, pour une requête en radiation d’un avis de demande, les faits qui sont soutenus par le demandeur dans sa demande doivent être présumés vrais : Addison & Leyen Ltd. et al., précitée, au paragraphe 6.

           

[28]           Par conséquent, la Cour doit trancher si, en fonction des faits allégués dans l’avis de demande de LJP, la demande est irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie.

 

[29]           Le ministre soutient que, sans égard aux motifs de la protonotaire justifiant la radiation de l’avis de demande et le rejet de la demande, la Cour fédérale n’avait pas la compétence d’entendre la demande de LJP de toute façon.  

 

[30]           Le ministre soutient que, bien que la demande de contrôle judiciaire se présente comme une demande d’examen d’une décision, pour l’essentiel, LJP cherche en fait à obtenir une ordonnance pour que de nouvelles cotisations soient établies pour les années d’imposition 1998 et 1999. Le ministre cite les décisions rendues dans les affaires Optical Recording Laboratories c. Canada, [1991] 1 C.F. 309, et Scott Slipp Nissan Ltd. c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1327, 2004 CF 1096, et soutient que seule la Cour canadienne de l’impôt a la compétence d’ordonner l’établissement de nouvelles cotisations, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[31]           De plus, le ministre affirme que, aux termes de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale n’a pas la compétence pour traiter la demande de LJP, parce que la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit la procédure appropriée pour le traitement de cette demande.

 

[32]           L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérale prévoit : 

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to [...] the Tax Court of Canada [...] from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

 

 

[33]           J’ai examiné l’argument du ministre attentivement et je suis convaincue que la Cour a bien la compétence pour traiter la demande de LJP. 

 

[34]           L’objet de l’article 18.5 est d’éviter la multiplicité des instances. Par conséquent, le contrôle judiciaire est refusé s’il existe déjà, prévu par une loi, un droit d’appel à la Cour canadienne de l’impôt ou à tout autre organisme de ce genre.

 

[35]           Il est vrai qu’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d’établir ou de confirmer l’obligation fiscale d’une personne n’est pas du ressort de la Cour, parce que l’établissement de cette obligation peut être porté en appel devant la Cour canadienne de l’impôt : Addison & Leyen Tld et al., précitée, au paragraphe 48.

 

[36]           Cependant, il faut rappeler que LJP ne cherche pas à porter en appel une cotisation devant la Cour, mais cherche plutôt à obtenir une ordonnance de mandamus, pour obliger le ministre à s’acquitter d’une obligation légale. À ce sujet, LJP soutient que le ministre a sans droit refusé d’exercer sa compétence, qu’il a commis une erreur de droit ou qu’il a agi de manière contraire à la loi. La Cour canadienne de l’impôt ne peut pas ordonner une telle mesure de réparation en faveur de LJP.

 

[37]           Je suis donc convaincue que, dans la mesure où la demande de LJP cherche à obtenir une ordonnance obligeant le ministre à s’acquitter d’une obligation légale, la demande a été correctement déposée devant la Cour. Qu’une telle obligation existe ou non dans les circonstances de l’espèce est une toute autre question. La protonotaire a traité de cette question dans sa décision et je vais maintenant examiner si sa conclusion à ce sujet était correcte.

 

[38]           Comme la décision de la protonotaire était fondée sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sherway, précitée, il est important de commencer par se demander ce que nous enseigne l’affaire Sherway.

 

[39]           Sherway avait réussi à établir, devant la Cour canadienne de l’impôt, qu’il avait droit à des déductions pour des paiements d’intérêts hypothécaires pour les années d’imposition 1987 et 1988. Bien que le délai prévu pour le dépôt d’une opposition eût expiré, Sherway s’était opposé aux cotisations pour les années d’imposition 1989, 1990 et 1991, soutenant que son revenu devait être recalculé en fonction de la décision de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[40]           La Cour canadienne de l’impôt avait statué que l’exception prévue au paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait que lorsqu’il était déterminé qu’une autre somme était applicable et non lorsqu’une méthode différente de calcul du revenu avait été imposée.

 

[41]           La Cour d’appel fédérale avait rejeté l’appel de Sherway, concluant que le ministre n’avait pas la compétence pour établir de nouvelles cotisations pour Sherway en fonction de l’issue favorable de son appel devant la Cour canadienne de l’impôt et du changement consécutif de la méthode qui devait être utilisée pour calculer son revenu.

 

[42]           En tirant cette conclusion, la Cour d’appel a conclu que l’exception au délai prévu pour le dépôt d’un avis d’opposition créée par le paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait que lorsqu’il y avait un changement à une somme d’argent fixe, et non lorsqu’il y avait un changement à la méthode de calcul.

 

[43]           Par conséquent, comme Sherway ne s’était pas opposée à temps aux cotisations des années d’imposition 1989, 1990 et 1991, le ministre ne pouvait plus traiter sa demande d’établissement de nouvelles cotisations.

           

[44]           En l’espèce, en fonction des faits qu’énonçait LJP dans son avis de demande, la protonotaire a conclu que la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt selon laquelle LJP et Jo-Van n’étaient pas des compagnies associées dans les années précédentes n’avait aucune conséquence sur le « solde applicable », tel qu’il est défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu, pour les années en question. La protonotaire a plutôt conclu que LJP tentait de faire appliquer à d’autres années d’imposition des principes de droit au sujet de son état que la Cour canadienne de l’impôt avait appliqués pour certaines années d’imposition, d’une manière qui avait déjà été jugée inappropriée par la Cour d’appel fédérale.

 

[45]           Je suis d’avis que la décision de la protonotaire était correcte. Le paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu crée une exception limitée à la disposition qui prévoit un certain délai au cours duquel le ministre peut établir de nouvelles cotisations pour toute année d’imposition. Bien que la disposition dise bien que le ministre établira obligatoirement de nouvelles cotisations s’il en reçoit la demande écrite d’un contribuable, il est clair qu’il n’a l’obligation d’établir de nouvelles cotisations que lorsqu’une décision rendue en appel a pour conséquence de changer un « solde applicable » donné d’un contribuable pour une année précédente, et alors seulement dans la mesure où il peut être raisonnablement conclu que l’établissement d’une nouvelle cotisation est lié au changement d’un « solde applicable » donné pour l’année ou les années suivantes. Par exemple, le ministre devrait établir de nouvelles cotisations lorsqu’il y a eu un changement au calcul d’une réserve ou d’un report prospectif d’un gain ou d’une perte en capital.

           

[46]           Je rejette aussi l’argument de LJP selon lequel il était prématuré que la protonotaire radie l’avis de requête si tôt. Bien qu’elle reconnaisse que la question que la protonotaire devait trancher était purement une question de droit, LJP soutient néanmoins qu’un [traduction] « contexte factuel détaillé » était nécessaire pour que la protonotaire réponde correctement à la question. Je ne suis pas d’accord.

 

[47]           Dans sa décision, la protonotaire s’est fondée entièrement sur les faits allégués par LJP dans son avis de requête et elle a supposé que ces faits étaient véridiques. LJP n’a mentionné aucune preuve additionnelle qui aurait pu changer l’issue de l’affaire.

                       

[48]           LJP a soulevé la question de droit suivante : [traduction] « l’interprétation de l’expression « solde applicable » dans la décision Sherway est-elle trop restrictive? » LJP peut ne pas accepter l’interprétation de la Cour d’appel fédérale au sujet des dispositions légales applicables, mais il reste que la décision dans l’affaire Sherway est une décision de la Cour d’appel fédérale et qu’elle reflète l’état actuel du droit au sujet du « solde applicable ».

 

[49]           L’allégation de LJP selon laquelle elle devrait pouvoir faire valoir que, en vertu des principes de res judicata ou de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la décision de la Cour canadienne de l’impôt au sujet des années d’imposition 1995, 1996 et 1997 devrait être appliquée aux années d’imposition 1998 et 1999 n’a également aucune chance d’être accueillie. La Cour d’appel fédérale a été catégorique dans l’affaire Sherway : le principe de res judicata n’a pas d’application lorsqu’il s’agit de cotisations pour des années d’imposition différentes. Il s’ensuit nécessairement que le critère de [traduction] « même question en litige » pour l’application de la  préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne pourrait pas être respecté.

           

[50]           Finalement, LJP soutient qu’elle devrait pouvoir poursuivre sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour parce qu’elle n’a aucun autre moyen d’obtenir l’établissement de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1998 et 1999 en fonction de la décision de la Cour canadienne de l’impôt et qu’elle devrait de plus avoir le droit de porter les cotisations de ces années d’imposition en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[51]           Le problème que je relève dans cet argument est le même que la Cour d’appel fédérale a relevé dans l’affaire Sherway, soit qu’il existe un mécanisme dans la Loi de l’impôt sur le revenu qui aurait permis à LJP de se présenter devant la Cour canadienne de l’impôt pour obtenir la réparation qu’elle demande maintenant indirectement à la Cour, si LJP avait agi avec prudence et avait sauvegardé ses droits au sujet des années d’imposition 1998 et 1999 en déposant à temps des avis d’opposition. Comme elle ne l’a pas fait et qu’elle a laissé expirer le délai à l’intérieur duquel elle pouvait déposer une opposition aux nouvelles cotisations, LJP est, en majeure partie, l’auteure de son propre malheur.

 

[52]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’affaire Sherway (au paragraphe 44), il en va de la nature même de la prescription qu’il soit possible qu’un contribuable ait à payer plus ou moins d’impôts qu’il aurait eu normalement à payer.

 

Conclusion

[53]           Pour ces motifs, l’appel sera rejeté. Les parties conviennent que les dépens devront être taxés selon l’échelle ordinaire et suivront l’issue de la cause, et je rends une ordonnance en ce sens.

 

 

JUGEMENT

 

            La Cour statue que l’appel est rejeté avec dépens.

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-473-04

 

 

INTITULÉ :                                       LJP SALES AGENCY INC. c.

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 29 mars 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                       Le 12 juin 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas McRae                                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Marie-Thérèse Boris                                                    

Lorraine Edinbolo                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shibley Righton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

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