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     Date: 20000107

     Dossier: T-375-99


Entre :

     MARIO MOTTA

     DEMANDEUR

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     DÉFENDEUR




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Par sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur désire obtenir l'annulation de la décision du ministre des Transports datée du 20 janvier 1999 lui refusant une autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport.

Les faits

[2]      Le 5 novembre 1998, le demandeur a fait une demande d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, en particulier l'aéroport Dorval. La demande était soutenue par une prise d'empreintes digitales et comportait l'information fournie par le demandeur lui-même à l'effet qu'après avoir été condamné le 20 mars 1995 pour trafic de stupéfiants, il avait purgé sa sentence dans un pénitencier fédéral. Suite à sa demande, le demandeur se vit accorder une autorisation d'accès temporaire sous certaines conditions.

[3]      Le 12 janvier 1999, un Comité d'examen d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, chargé de faire des recommandations au Ministre, a recommandé à celui-ci de refuser la demande du demandeur, vu ses six condamnations pour trafic de stupéfiants pour lesquelles il avait été condamné à une sentence totalisant quatre ans d'incarcération dans un pénitencier fédéral.

[4]      Le 20 janvier 1999, le sous-ministre des Transports, par délégation du ministre des Transports, a entériné cette recommandation et refusé l'autorisation demandée. C'est le 1er février 1999 que J.A. LeCours, le directeur de la Sécurité préventive, a informé le demandeur que l'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport était, en raison de son casier judiciaire, refusée par le ministre des Transports, tel qu'il appert de la lettre suivante:

         Le 1 février 1999

         Mario Motta

         1700 Marie Claire

         LaSalle, Québec

         H8N 1S1

         Monsieur,

             La présente fait suite à la demande d'autorisation aux zones réglementées d'aéroports que vous avez présentée à l'Aéroport international de Dorval le 5 novembre 1998. Conformément à l'article II.22(a) du Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroports (sic), nous vous avisons que cette autorisation a été refusée par le Ministre des Transports. Cette décision fut prise étant donné votre casier judiciaire.
             Vous pouvez porter cette décision en appel auprès de la Division de première instance de la Cour fédérale du Canada.
             Si vous désirez discuter la question de façon plus détaillée, veuillez communiquer avec le soussigné au (613) 990-5516.
             Recevez, Monsieur, mes salutations distinguées.

                         J.A. LeCours

                         Directeur,

                         Sécurité préventive


Questions en litige

[5]      À l'audition devant moi, le procureur du demandeur a déclaré abandonner ses arguments basés sur la Charte canadienne des droits et libertés, reprochant strictement au ministre des Transports de ne pas avoir fourni au demandeur l'occasion de se faire entendre relativement à sa demande d'autorisation d'accès. Subsidiairement, le procureur du demandeur a soutenu qu'en l'absence d'arrêté en conseil, les mesures invoquées pour refuser au demandeur l'autorisation requise ne constituent pas des règles de droit.

[6]      Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes sont les suivantes :

a)      les paragraphes 4.7(2) et (4) de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. 1985, c. A-2 (la "Loi") :

4.7 (2) For the purposes of protecting passengers, crew members, aircraft and aerodromes and other aviation facilities, preventing unlawful interference with civil aviation and ensuring that appropriate action is taken where that interference occurs or is likely to occur, the Governor in Council may make regulations respecting aviation security.

[. . .]

(4) For the purposes described in subsection (2), the Minister may institute, maintain and carry out, at aerodromes, on aircraft and in respect of any aviation facility or service, in lieu of or in addition to the security measures instituted under subsection (2), such security measures as the Minister considers necessary for those purposes.


4.7 (2) Pour la protection des aéronefs, de leurs passagers et équipages, des aérodromes et autres installations aéronautiques, ainsi que pour la prévention des atteintes illicites à l'aviation civile et la prise de mesures efficaces lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir, le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la sûreté aérienne.

[. . .]

(4) Aux fins énoncées au paragraphe (2), le ministre peut prendre et mettre en oeuvre, aux aérodromes, à bord des aéronefs et à l'égard des installations ou services aéronautiques, les mesures de sûreté qu'il estime nécessaires. Ces mesures peuvent s'ajouter ou se substituer à celles visées au paragraphe (2).

b)      le paragraphe 4(3) du Règlement sur les mesures de sûreté aux aérodromes, DORS/87-452 (le "Règlement") :

4. (3) In addition to the security measures referred to in subsection (2), every aerodrome operator of an airport set out in Annex "F" of the document entitled Airport Restricted Area Access Clearance Program, published by the Department of Transport, as amended from time to time, shall institute, maintain and carry out the security measures set out in that document.


4. (3) En plus des mesures de sûreté visées au paragraphe (2), l'exploitant de l'aérodrome qui est un aéroport mentionné à l'annexe "F" du document intitulé Programme d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, publié par le ministère des Transports, compte tenu de ses modifications successives, doit prendre et mettre en oeuvre les mesures de sûreté énoncées dans ce document.

Analyse

[7]      Le Programme édicté sous l'autorité du paragraphe 4.7(4) ci-dessus de la Loi et du paragraphe 4(3) ci-dessus du Règlement interdit à l'exploitant d'un aérodrome de donner accès à une zone réglementée à une personne à moins que celle-ci n'ait obtenu une habilitation sécuritaire du Ministre. L'objectif du Programme est défini à son article I.4:

         I.4
         Le présent programme a pour objectif d'empêcher l'entrée non contrôlée dans les zones réglementées d'un aéroport d'une personne :
         a)      connue ou soupçonnée comme étant mêlée à des activités visant à la menace ou à la perpétration d'actes de violence grave contre les personnes ou les biens, ou à des activités qui y sont associées; ou
         b)      connue ou soupçonnée comme étant membre d'une organisation connue ou soupçonnée d'être mêlée à des activités visant à la menace ou à la perpétration d'actes de violence grave contre les personnes ou les biens; ou
         c)      soupçonnée d'être étroitement liée avec une personne décrite en a) ou b) de cet article; ou
         d)      que Transports Canada a des motifs raisonnables de croire, sur le jeu des probabilités, qu'elle pourrait être sujette à commettre un acte qui pourrait constituer un acte d'intervention illicite dans l'aviation civile; ou
         e)      que Transports Canada a des motifs raisonnables de croire, sur le jeu des probabilités, qu'elle pourrait être subornée ou autrement incitée :
             i)      à commettre;
             ii)      à faire ou à omettre de faire quoi que ce soit aux fins d'aider une personne à commettre; ou
             iii)      à encourager une personne à commettre;
             un acte qui pourrait constituer un acte d'intervention illicite dans l'aviation civile.


[8]      Aux fins d'atteindre l'objectif du Programme et le but de la Loi et du Règlement, des vérifications sont faites par le directeur de la Sécurité préventive de Transports Canada concernant les demandeurs d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport, l'autorisation comportant les éléments suivants prévus au paragraphe II.10(1) du Programme, soit :

         a)      une vérification des casiers judiciaires;
         b)      une vérification du Bureau du crédit;
         c)      une vérification du Système intégré d'application des douanes (SIAD);
         d)      une vérification des fichiers du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité]; et
         e)      une évaluation sécuritaire par le SCRS pour motif valable.


[9]      Aux termes de l'article II.19 du Programme, lorsque notamment le directeur de la Sécurité préventive de Transports Canada estime qu'il existe des renseignements suffisants pour envisager la recommandation du refus de l'autorisation, un Comité d'examen d'autorisation d'accès aux zones réglementées d'aéroport doit être convoqué. Il est permis en outre au Ministre, aux termes du paragraphe 4.3(1) de la Loi, de déléguer à la Gendarmerie royale du Canada ou à toute personne, avec ou sans restriction, les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés à la Partie I de la Loi, à l'exception du pouvoir de prendre des textes d'application lui étant délégués par le gouverneur en conseil. C'est dans cette Partie de la Loi que sont mentionnés les pouvoirs du Ministre concernant la sûreté des aérodromes et des installations aéronautiques.

[10]      Le Comité, aux termes de l'article II.20 du Programme, est chargé de faire des recommandations au Ministre concernant le refus d'une autorisation après avoir examiné les facteurs jugés pertinents par le Comité. Ces facteurs peuvent comprendre notamment :

         a)      déclaration de culpabilité au Canada ou à l'étranger des types de condamnations suivantes :
             i)      de toute infraction énumérée à l'article 469 du Code criminel;
             ii)      de tout acte criminel passible de 10 années d'emprisonnement ou plus;
             iii)      de trafic, de possession en vue du trafic ou d'exportation ou d'importation en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;
             iv)      toute infraction énumérée dans la Partie VII du Code criminel intitulée "Maison de jeu et de débauche";
             v)      l'article 160 de la Loi sur les douanes;
             vi)      de toute infraction en vertu de la Loi sur les secrets officiels;
         b)      la combinaison d'une mauvaise réputation en matière de crédit et l'occupation d'un poste de confiance;
         c)      détermination que la personne est, ou sera probablement, mêlée à des activités visant à perpétrer, ou à menacer de perpétrer, des actes graves de violence contre les biens ou les personnes, ou à l'appui de telles activités.


[11]      Entendant d'abord disposer de l'argument subsidiaire du demandeur voulant que des mesures sécuritaires contenues au Programme ne constituent pas des règles de droit parce que non autorisées par arrêté en conseil, je ne vois rien dans les dispositions habilitantes du Programme, soit les paragraphes 4.7(2) et (4) de la Loi et 4(3) du Règlement, qui requièrent un arrêté en conseil. Au contraire, il est clair du paragraphe 4(3) du Règlement que le Programme en cause existe "[E]n plus des mesures de sûreté visées au paragraphe (2)" qui, elles, requièrent l'existence d'un arrêté en conseil. Il est également clair au paragraphe 4.7(4) de la Loi que semblable Programme peut être adopté par le ministre des Transports indépendamment de tout règlement du gouverneur en conseil. En outre, bien que semblable Programme puisse exister sans être autorisé par règlement ou arrêté en conseil, le Règlement lui-même, à son paragraphe 4(3), reconnaît l'existence du Programme en cause et oblige l'exploitant d'un aérodrome, notamment l'aéroport Dorval, à prendre et mettre en oeuvre les mesures de sûreté énoncées dans ce Programme. La validité de ce Programme ne fait donc aucun doute et l'argument du demandeur est rejeté.

[12]      Concernant l'argument principal du demandeur voulant que la règle audi alteram partem ait été violée du fait qu'on ne lui ait pas fourni l'occasion de se faire entendre relativement à sa demande d'accès, je le trouve également sans mérite. Il est bien établi que la portée des exigences imposées par cette règle varie selon les circonstances particulières de chaque cas. C'est ce qu'enseigne particulièrement la Cour suprême du Canada, sous la plume de Monsieur le juge Gonthier, dans Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, aux pages 318 et 319 :

             Je rappelle, dans un autre ordre d'idées, que la portée des exigences imposées par l'obligation d'agir équitablement et la règle audi alteram partem varie selon les circonstances de chaque cas. Parmi les éléments à considérer, la nature de l'enquête et les conséquences qui peuvent en découler sont primordiales. Il est d'ailleurs intéressant de souligner que ce principe, rappelé par notre Cour dans l'arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la p. 231, a également été reconnu à l'échelle européenne, dans les arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A no 43, et Albert et Le Compte du 10 février 1983, série A no 58 (rapportés dans l'article de Pierre Lambert, "Les droits relatifs à l'administration de la justice disciplinaire dans la jurisprudence des organes de la Convention européenne des droits de l'homme", (1995) Rev. trim. dr. h. 161, aux pp. 164 et 165).


[13]      Dans le présent cas, nous sommes en présence d'une simple demande d'autorisation ou de permis faite par une personne qui n'a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis et qui n'est accusée de rien. Le refus du Ministre d'accorder l'autorisation d'accès entraînant le retrait d'aucun droit au demandeur, ce dernier ne pouvait donc avoir d'expectative légitime que l'autorisation lui serait accordée (voir Peter G. White Management Ltd. v. Canada (Minister of Canadian Heritage) et al. (1997), 132 F.T.R. 89 et Cardinal v. Alberta (Minister of Forestry, Lands and Wildlife) (23 décembre 1988), Edmonton 8303-04015 (Alta.Q.B.)). Dans les circonstances, je considère donc que les exigences imposées par l'obligation d'agir équitablement sont minimes et qu'il suffisait au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l'a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. Aucune preuve que la décision dûment prise par le Ministre en vertu des pouvoirs à lui conférés par la Loi et le Règlement soit ainsi mal fondée n'ayant été apportée, l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée.

[14]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 janvier 2000





     Date: 20000107

     Dossier: T-375-99

Ottawa (Ontario), ce 7e jour de janvier 2000

En présence de l'honorable juge Pinard


Entre :

     MARIO MOTTA

     DEMANDEUR

     - et -


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     DÉFENDEUR



     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.




                            

                             JUGE



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